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« Kohlantess » : plus de jeux, moins de prisons !
C’est la nouvelle polémique de cette fin d’été : les prisonniers de la prison de Fresnes s’amusent à faire du karting au lieu de croupir au fin fond de leur cachot. Un tournoi, baptisé « Kohlantess » en référence à l’émission télé d’aventure « Koh-Lanta », a en effet été organisé pour proposer un moment de divertissement aux détenus : différentes épreuves étaient prévues, du questionnaire au tir à la corde, mais aussi à la baignade et – comble de l’horreur ! – au fameux karting. Filmées par Konbini, de toute évidence avec l’accord des autorités pénitentiaires et peut-être même, selon les informations du Figaro, du cabinet du ministère de la Justice lui-même, les images de cette journée ont donné occasion à l’extrême-droite de lancer une énième campagne sur les réseaux sociaux : l’institution serait laxiste, les prisonniers chouchoutés avec l’argent de nos impôts, la prison ne serait même plus une punition, l’État pense davantage à prendre soin des voleurs et des agresseurs que de leurs victimes, etc. Évidemment, les représentant-e-s de la bourgeoisie « républicaine » n’ont pas manqué de se mettre à la remorque de l’extrême-droite : Éric Dupond-Moretti lui-même a fait part de son indignation et ordonné une enquête, estimant que « la lutte contre la récidive passe par la réinsertion mais certainement pas par le karting », tandis que le compte officiel du parti Les Républicains tweetait « La prison est une sanction, non une récréation », avec une cellule sombre aux murs dégradés en guise d’illustration. Voilà donc ce à quoi devraient ressembler les prisons : des cachots insalubres pour que le prisonnier sente sa douleur. Que les bourgeois se rassurent néanmoins : c’est déjà le cas. Les conditions effectives de détention en France sont souvent pires que dans leurs fantasmes cruels, et c’est bien à infliger une souffrance que sert essentiellement la prison – et non à réparer le tort ni à protéger les victimes et le reste de la population. Par-delà la polémique stérile du karting, qui ne sert qu’à donner une image parfaitement inversée du problème, il faut donc continuer à produire une critique radicale de la prison. De ce point de vue, deux exigences politiques s’imposent :
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dans une optique à la fois syndicale et humaniste, il faut s’opposer aux conditions de vie indignes qui règnent dans les prisons, soutenir les tentatives d’auto-organisation des détenu-e-s et leur combat quotidien pour de meilleures conditions de détention ;
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dans une perspective révolutionnaire et de plus long-terme, il faut remettre en cause l’institution pénitentiaire comme telle, dans sa logique même, et mettre à l’ordre du jour l’abolition de la prison.
Pour des conditions de vie dignes, soutenir l’auto-organisation des détenu-e-s !
Loin de l’image de colonie de vacances qu’essaie de propager l’extrême-droite, on sait bien que la prison est en France un enfer. À Fresnes, ainsi que le rappelle le président de l’Observatoire international des prisons (OIP), les cellules sont suroccupées (environ 1900 détenus pour 1300 places, soit un taux d’occupation de 144%), de nombreux détenus dorment sur des matelas à même le sol, les lieux sont insalubres (humidité, aération, isolement thermique, etc.) et infestés de punaises de lit, de cafards et de rongeurs (voir l’interview de Matthieu Quinquis dans Libération). Or, en temps normal, les détenus sont enfermés dans ces cellules vingt-deux heures sur vingt-quatre ! L’OIP a émis plusieurs rapports et a plusieurs fois saisi la justice contre ces « conditions indignes et inhumaines » (voir par exemple son communiqué du 18 avril 2017). Fin 2016, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté engageait elle aussi une procédure d’urgence, estimant que « les conditions de vie des personnes détenues constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme » (voir le compte-rendu du rapport proposé dans Le Monde).
Que les détenu-e-s, à Fresnes comme dans les autres prisons, puissent s’organiser pour revendiquer des conditions de vue dignes est un enjeu. Aucun syndicat de prisonnier-e-s n’est officiellement reconnu et tout est mis en œuvre pour empêcher l’expression de la révolte. Le mouvement anti-carcéral qui émerge dans les années 1970 autour du GIP (Groupe d’information sur les prisons), puis du CAP (Comité d’action des prisonniers), a été une tentative de contourner ces obstacles, en relayant, à la suite des révoltes carcérales des années 1971-1972, la parole et les revendications des détenu-e-s à l’extérieur des prisons. Aujourd’hui, le journal L’Envolée, édité par des ex-détenu-e-s, perpétue ce travail en publiant, entre autres analyses, des lettres de prison et des chroniques de la vie carcérale. Il faut soutenir la difficile auto-organisation des prisonnier-e-s et porter leurs revendications. Outre la nécessaire humanisation des conditions quotidiennes de vie dénoncées par les associations humanitaires, qui suppose de rappeler à la loi les institutions pénitentiaires, certaines revendications déjà portées par le CAP dans les années 1970 impliquent la conquête de nouveaux droits pour les détenu-e-s (voir l’intéressante histoire du CAP publiée sur Paris Luttes Info). Par exemple :
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réorganisation du travail en prison : droit effectif au travail pour tou-te-s ceux/celles qui le souhaitent et alignement des conditions de travail (horaires, salaires, protections) sur le Code du travail et les conventions collectives ;
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liberté de correspondance, de téléphone et de parloir ;
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accès à des soins médicaux plus complets ;
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amélioration des conditions de recours contre l’administration pénitentiaire ;
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augmentation de la liberté de circulation dans l’enceinte de la prison (le modèle de la « prison ouverte », critiquable quand il devient la seule alternative proposée à la prison traditionnelle, doit néanmoins permettre de remettre en cause l’enfermement quasi permanent des détenu-e-s en cellule) ;
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et surtout droit d’association à l’intérieur des prisons, pensé comme une condition pour l’émergence de toutes les autres revendications.
Ces revendications, parmi d’autres, doivent encore être soutenues aujourd’hui. Néanmoins, cette lutte à l’intérieur de l’institution carcérale doit être articulée à une critique politique de la prison comme telle. L’enjeu n’est pas seulement d’humaniser les prisons, mais, pour reprendre l’expression d’Alain Brossat dans Pour en finir avec les prisons, de « décarcériser la société ».
Vers l’abolition de la prison !
La prison n’est pas inhumaine seulement dans la mesure où elle impose aujourd’hui des conditions matérielles d’existence révoltantes, mais en tant qu’elle est fondamentalement un dispositif qui déshumanise par le biais de l’exclusion sociale et de la privation de liberté. La cellule la plus confortable ne pourra jamais accueillir une vie vraiment humaine dans la mesure où elle sert toujours à enfermer un corps, et à travers lui un esprit, dans un lieu clos et à exercer sur lui un pouvoir de contrainte et de surveillance permanent. La privation de liberté et l’enfermement sont des moyens de répressions archaïques et cruels qui doivent progressivement être dépassés, comme d’autres l’ont été avant eux – la torture, la peine de mort, etc. On peut même légitimement soupçonner que la captivité relève en elle-même d’une forme de torture. « La prison a fait son temps, qu’elle crève ! »
Dans cette perspective, il ne faut pas se laisser trop vite impressionner par l’idéologie carcérale dominante, qui proclame la nécessité de la prison pour la société, comme on proclamait autrefois celle de la peine de mort. La question de l’abolitionnisme carcéral pose certes de nombreuses questions, et un article entier devra être consacré à l’examen de cette position politique. En attendant, un certain nombre de points peuvent déjà être rappelés :
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La prison ne protège pas la société, mais contribue au contraire à fabriquer la criminalité et la délinquance. La prison, plus que toute peine alternative, produit la récidive. 40% des individus ayant fait un passage par la prison récidivent dans les cinq ans (31% dans les douze mois), et le chiffre monte à 70% suite à une deuxième incarcération. La fonction essentielle de la prison n’est pas de protéger, mais de punir, quitte à engendrer plus de violences à l’avenir que d’autres types de peines, voire que d’autres formes de réparations non pénales.
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L’immense majorité des infractions entraînant une peine de prison sont commises pour des raisons économiques. L’idée que les prisons sont peuplées de dangereux criminels est un mythe : les vols, atteintes aux biens, infractions relatives aux stupéfiants, infractions routières, atteintes à l’autorité de l’État représentent à elles seules presque 60% des infractions pour lesquelles les personnes détenu-e-s au 1er janvier 2020 ont été condamnées (données communiquées par l’OIP). Une large part des infractions concernant des violences sur des personnes, qui peuvent paraître plus effrayantes, n’ont pas particulièrement de raison de se reproduire en sorte qu’il faudrait nécessairement enfermer tous leurs auteurs pour protéger la société. En 40 ans, le nombre de personnes maintenues en prison ou sous bracelet électronique a plus que doublé, aussi bien en nombre absolu qu’en nombre relatif ; alors que le nombre de condamnations aux assises est stable, le nombre des condamnations pour délits a explosé et les peines de prison ont été significativement allongées (voir les données dans cet article du Monde) : c’est donc la petite et moyenne délinquance qui est de plus en plus objet d’incarcération. L’immense majorité des personnes enfermées ne représentent pas intrinsèquement un danger immédiat pour la société : ce sont pour l’essentiel de petits délinquants, des cambrioleurs, des dealers, des chauffards, en tout cas des personnes qu’une organisation sociale à peu près saine doit être capable d’encadrer et d’intégrer en son sein.
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Il existe un biais classiste et raciste (même s’il est difficile à mesurer en France, car les statistiques « ethniques » sont interdites ; il est largement démontré aux Etats-Unis) dans la décision (par les juges d’application des peines) d’enfermer réellement les personnes condamnées, voire dans les sanctions prononcées. En revanche, tout le monde sait que les délinquants riches (ceux qui pratiquent ou bénéficient de la corruption, ceux qui fraudent le fisc, etc.) disposent de mille moyens et ressources d’échapper à la justice, d’être protégés par les meilleur-e-s avocat-e-s, de voir leurs peines aménagées et, au pire, de bénéficier de cellules « VIP » beaucoup plus confortables que les autres (l’affaire Balkany l’a encore montré récemment). La supposée « dangerosité » du/de la délinquant-e ou criminel-le recouvre donc d’autres logiques qui déterminent la façon dont sont remplies les prisons.
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D’autres structures permettent a priori de gérer beaucoup plus efficacement que la prison les individus dont on peut penser qu’ils représentent un véritable danger. Les problèmes de ces personnes sont les mêmes à la sortie de prison qu’à l’entrée, s’ils n’ont pas été aggravés par l’exclusion, l’isolement, la déshumanisation, etc. L’encadrement par des éducateurs/trices, le suivi par des médecins, etc. peuvent, selon les résultats de certaines expérimentations (qu’il faut bien sûr considérer avec prudence et sans angélisme), apporter une meilleure solution.
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En marge du système pénal étatique, d’autres formes de justice peuvent être expérimentées, qui ne reposent pas sur la peine mais sur la réparation des torts subis par la victime (justice réparatrice, justice transformatrice, etc.) : ce sont ces expériences que les penseurs/ses de l’abolitionnisme pénal nous invitent à réfléchir, en guise d’alternative à la prison, voire au système pénal en général. Encore une fois, ces considérations méritent un examen plus approfondi.
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Quant au recours au bracelet électronique, il doit être regardé avec la plus grande méfiance : c’est un outil de surveillance généralisée qui, pour une part importante des infractions (y compris celles qui conduisent actuellement à l’incarcération), n’est pas incontournable ; il ne s’agit donc en aucun cas de remplacer purement et simplement l’emprisonnement par la surveillance électronique, et le recours à l’une et l’autre peines doit être (au moins) sérieusement limité. Néanmoins, même une procédure de ce type présente un taux de récidive significativement inférieur à l’incarcération. Toutes les peines alternatives font mieux que la prison et devraient être privilégiées.
Il est donc possible et nécessaire d’avancer dans le sens de l’abolition de la prison. Dans la grande majorité des cas, c’est évidemment une peine cruelle et absolument obsolète. Dans les rares cas où le recours à la prison semble de prime abord mieux fondé, des alternatives doivent pouvoir être pensées. Quand bien même on resterait sceptique sur ce dernier point, il est clair que la ligne politique à défendre est, au contraire de la tendance actuelle, celle d’une marginalisation massive de la prison dans la société. Plusieurs mesures transitoires peuvent dans cette perspective être mises en avant :
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arrêt immédiat de l’édification de nouvelles prisons ;
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abolition de la prison à perpétuité ;
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dépénalisation de certains délits, comme en particulier la consommation de drogue ;
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privilégier des structures de soins à l’incarcération en cas de troubles mentaux (20% à 30% des détenu-e-s en France souffriraient de pathologies mentales) ;
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abrogation immédiate de la peine de prison ou de surveillance électronique pour tous les délits ;
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privilégier autant que possible les peines alternatives dans le cas des crimes (peines en milieu ouvert ou au moins semi-ouvert, avec ou sans surveillance électronique), jusqu’à la marginalisation complète de la prison ;
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développer les expérimentations de structures alternatives, avec des moyens d’encadrement ambitieux (suivi par des éducateurs/trices et par des spécialistes de santé, formations, responsabilisation collective de la communauté, etc.) mais ne reposant pas sur la contrainte corporelle.