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Matteo Renzi et la tentation du dialogue social musclé
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Les Echos) En refusant de céder aux « diktats » de la CGT italienne sur son projet de réforme de l'emploi, Matteo Renzi prend un risque calculé, sur fond de perte d'influence des syndicats dans la péninsule.
Par Pierre de Gasquet Correspondant à Rome
Le ton monte entre Matteo Renzi et le principal syndicat de gauche italien. Huit heures de grève générale et deux manifestations contre la réforme de l'emploi déjà programmées pour novembre : le gouvernement Renzi fait face à ses premières tensions sociales sérieuses. « Avec les syndicats, je ne traite pas sur le budget », a lancé le chef du gouvernement, au lendemain de la grande manifestation de la CGIL (la CGT italienne) à Rome. Le ton est inhabituel pour un leader de gauche. Pour la secrétaire générale de la CGIL, Susanna Camusso, le président du Conseil fait du Thatcher au rabais. Nul doute qu'il y ait une volonté assumée de rompre avec l'immobilisme derrière la tentative de Matteo Renzi de diviser les syndicats et sa tactique de « ringardisation » de la CGIL. En toile de fond : les risques de scission du Parti démocrate (PD).
« Il n'y a rien de lié au hasard ou d'improvisé dans la remise en cause de "l'emploi à vie" et la réforme du droit des licenciements. Matteo Renzi cherche à abattre les symboles de la gauche sociale-démocrate pour pénétrer le centre-droit », a décrypté le philosophe et ancien maire de Venise Massimo Cacciari. Pour lui, loin de redouter la révolte des « frondeurs » de l'aile gauche du Parti démocrate, qui pourrait conduire à une scission, le chef du gouvernement y voit le moyen idéal pour mieux réaliser son projet d'ouverture au centre et son rêve de création d'un « parti de la nation ». Un calcul machiavélique soigneusement soupesé. En faisant de son « Jobs Act » - une réforme clef aux yeux de Bruxelles et des investisseurs étrangers - un chantier emblématique de la rénovation du centre-gauche, Matteo Renzi entend aussi surfer sur la chute de crédibilité des syndicats, en particulier de la CGIL, largement considérée comme prisonnière des corporatismes avec ses 3 millions de retraités sur ses 5,7 millions d'adhérents. Le sentiment général est que les syndicats italiens ont largement perdu de leur influence depuis trois ans. Trop bureaucratiques et pas assez inventifs, aux yeux d'une bonne partie de l'opinion. Si la CGIL a promis de livrer bataille sur la réforme du droit des licenciements, les syndicats plus modérés - CISL (CFDT italienne) et UIL - restent, toutefois, plus réservés sur le recours à la grève nationale. Et, comme Silvio Berlusconi en son temps, Matteo Renzi a plutôt tendance à jouer la division syndicale en privilégiant le dialogue avec la CISL.
« Il y a un dessein volontaire de diviser en deux l'Italie entre patrons et travailleurs », a déploré le chef du gouvernement lundi à Brescia, en regrettant l'obstructionnisme des syndicats. Pour lui, la « culture de l'emploi à vie » est révolue. De fait, les derniers chiffres de l'Istat (l'Insee italien) sur l'emploi semblent lui donner raison. Malgré 82.000 créations d'emplois en septembre, le taux de chômage a encore grimpé de 12,5 % à 12,6 % en septembre (avec 3,2 millions de chômeurs), et à 42,9 % pour les jeunes. Seulement un sur six nouveaux contrats de travail dans la péninsule correspond à un CDI. Au deuxième trimestre, 70 % des nouveaux contrats étaient constitués de contrats de formation, contrats d'insertion, travail intérimaire ou intermittent... et 5,8 % de contrats d'apprentissage. Signe d'un changement de mentalités : selon un récent sondage Coldiretti-Ixe, moins de la moitié des jeunes (46 %) visent un « emploi fixe » désormais (contre 53 % en 2013), un tiers désire travailler « de manière autonome » et 51 % sont prêts à s'expatrier pour trouver un emploi. Le tout sur fond d'anxiété croissante avec 35 % des salariés qui redoutent de perdre leur emploi et un quart de finir dans le précariat. « L'emploi fixe au sens traditionnel est une icône en voie d'extinction, un mythe révolu », estime le sociologue Giuseppe De Rita, président de Censis. Pour lui, en introduisant le contrat unique à protection progressive, le « Jobs Act » de Matteo Renzi va dans la bonne direction. Mais il ne faut pas trop en attendre : « C'est un début de normalisation, rien de plus. » Le gouvernement, lui, mise sur l'effet combiné du « Jobs Act » et de la suppression des charges sociales sur les nouveaux CDI pendant trois ans, à partir du budget 2015, pour renverser la vapeur.
Jusqu'ici, Matteo Renzi a privilégié la voie d'un dialogue social « musclé » réduit au minimum. Quitte à faire des pas en arrière, le moment venu, comme sur la réduction du déficit public. « Un style de gouvernement préoccupant qui cherche à créer des fractures dans la société », déplore l'ancien leader de la gauche « traditionnelle », Massimo D'Alema. Mais, pour le « Wall Street Journal », « l'Italie devrait être bien contente d'avoir sa "Dame de fer" », le quotidien conservateur américain lui donnant raison de s'attaquer au « mouvement du suicide économique » qui cherche désespérément à s'accrocher à un Code du travail suranné et coupé des réalités. De fait, une bonne partie de la classe moyenne appuie la volonté de Matteo Renzi de rompre avec l'immobilisme et le « droit de veto » des syndicats, figés dans leurs vieux réflexes corporatistes. Le succès du « démolisseur » en dérive largement jusqu'ici. Mais l'émoi suscité par les récentes échauffourées à Rome - où plusieurs syndicalistes de la branche métallurgie se sont fait matraquer par les forces de l'ordre - montre qu'il serait dangereux de vouloir faire l'économie de tout dialogue social. Même pour le « Signor Mille Promesse » pressé de démontrer que ses réformes sont effectives…
Pierre de Gasquet
Correspondant à Rome
Avec les menaces de grève et les manifestations contre sa réforme de l'emploi, Matteo Renzi fait face à ses premières tensions sociales sérieuses.
S'il provoque des tensions au sein de son propre parti, le message de fermeté adressé par le chef du gouvernement italien peut servir son projet d'ouverture au centre.
Une bonne partie de la classe moyenne italienne appuie sa volonté de rompre avec l'immobilisme des syndicats, figés dans leurs vieux réflexes corporatistes.