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Les gauches radicales inquiètent Bruxelles

Lien publiée le 24 décembre 2014

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde du 25/12) Séduisant des électeurs épuisés par l'austérité, Syriza, en Grèce, et Podemos, en Espagne, pourraient se retrouver au pouvoir en  2015

L'Europe en a des sueurs froides. La perspective d'élections législatives anticipées se rapproche en Grèce et le parti de la gauche radicale Syriza, qui promet de faire annuler le programme d'austérité et d'effacer la dette, est aux portes du pouvoir. A quelques milliers de kilomètres d'Athènes, en Espagne, la formation d'extrême gauche eurocritique Podemos (" nous pouvons ") s'arme pour les législatives de 2015, avec des chances de l'emporter. Fin novembre, les sondages plaçaient le parti de Pablo Iglesias en tête, devant le Parti populaire (PP, droite) du premier ministre Mariano Rajoy et le Parti socialiste. Au Portugal, à Chypre ou en Irlande, les mouvements d'extrême gauche séduisent aussi des électeurs épuisés par une rigueur imposée " d'en haut ", depuis Bruxelles, et nostalgiques d'un Etat-providence généreux.

Un petit air de révolution ? Une réaction de colère, plutôt, qui s'incarne dans " une critique radicale du système auquel est associée l'Europe et qui participe à cette poussée populiste qui gagne le Vieux Continent ", décrit Dominique Reynié, directeur de la Fondation pour l'innovation politique.

Ce populisme prend des formes diverses. Lorsque la critique des " élites bruxelloises " se traduit dans les pays du Nord (Suède, Danemark, Finlande…) par un populisme d'extrême droite, elle se manifeste au Sud par cette gauche radicale que l'on croyait enterrée. " Il y a deux réactions à la crise, analyse Yves Bertoncini, directeur de l'institut Notre Europe. Un vote “anti-solidarité” sur le thème “Nous n'allons pas payer pour ces fainéants du Sud”, et un vote “anti-austérité” dans les pays sous assistance de la “troïka” - Banque centrale européenne, Fonds monétaire international (FMI) et Commission de Bruxelles - . "

Un quart de siècle après l'effondrement du bloc communiste, l'ascension de ces partis d'extrême gauche peut prendre des allures anachroniques. Mais nombre de ces mouvements, tel Podemos, se sont formés récemment, lâchant les thèmes les plus obsolètes pour se focaliser sur l'" oppression exercée par l'Europe et le FMI " contre l'Etat-providence et le bien-être des travailleurs.

" Lutte des classes "

" La crise a rappelé qu'une forme de lutte des classes n'était pas morte ", juge Jean-Yves Camus, chercheur spécialiste des radicalités politiques. On retrouve, dit-il, les exploités contre les exploiteurs, les bénéficiaires de la mondialisation contre les laissés-pour-compte, les banquiers contre les travailleurs… En Espagne, Podemos se nourrit d'une opposition à une Allemagne surpuissante qui serait tentée de " coloniser " Madrid. " Nous disons à Merkel que nous avons notre dignité et que nous n'allons pas nous agenouiller ", répète à l'envi le chef du parti, Pablo Iglesias.

Ces formations prospèrent sur une rhétorique qu'a abandonnée la gauche modérée, au grand désarroi de certains électeurs. " Il n'y a plus d'utopie. Pour les sociaux-démocrates, il n'y a plus de projet d'émancipation économique collective mais seulement individuelle. Au mieux propose-t-elle une utopie sociétale, avec des projets comme le mariage pour tous. La gauche radicale s'y oppose et tente de faire comprendre aux électeurs que le logiciel actuel peut être autre chose qu'une simple adaptation au monde ", explique M. Camus.

Dans nombre de pays plane aussi le sentiment que les socialistes ont trahi. Et échoué. Pour faire face aux défis de ce que les experts ont qualifié de " pire crise depuis 1929 ", les partis de gauche ont constitué une forme d'union sacrée avec ceux de droite pour adopter des mesures impopulaires dont l'efficacité reste à démontrer. En Grèce, au Portugal, ce sont des premiers ministres socialistes qui, au nom du pragmatisme, ont signé les accords avec la " troïka ". S'ajoutent à cela des scandales de corruption retentissants, qui, entachant les partis de gouvernement, ont incité les électeurs écœurés à voter pour des mouvements " anti-système ".

" On reprend le flambeau. L'avenir de la gauche européenne, c'est nous ! " proclame Anne Sabourin, représentante du PCF au Parti de la gauche européenne (GUE), qui forme un groupe à l'extrême gauche du Parlement européen.

A Bruxelles, cette escalade fait frémir. Le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, ne s'est pas privé de faire part de ses craintes, affirmant qu'il " n'aimerait pas que des forces extrêmes arrivent au pouvoir " à Athènes et qu'il " préfère revoir des visages familiers en janvier ". Une maladresse. -L'Europe n'est pas censée se mêler de processus électoraux. " Il aurait pu s'abstenir, note M. Bertoncini. L'expression de la préférence de la commission peut être contre-productive. "

A écouter les experts, cette gauche radicale n'est d'ailleurs pas si affolante qu'on l'imagine. En dépit d'un discours virulent contre Bruxelles, ces partis ne promettent pas, contrairement à l'extrême droite, de " détruire l'Europe de l'intérieur ". Leur idée est de la transformer. Dans une note intitulée " Euroscepticisme ou europhobie, protester ou sortir ? " Notre Europe note que, sur les 42 sièges détenus par des partis eurosceptiques d'extrême gauche, " aucun ne s'oppose ni à l'UE, ni à l'intégration européenne, mais ils souhaitent en changer la nature. Le groupe se décrit généralement comme étant antilibéral et prosocial ".

" Nous ne sommes pas contre l'Europe mais pour une autre Europe ", assure Mme Sabourin, agacée par les " fantasmes " véhiculés autour de la gauche radicale. " Syriza n'est pas un parti dangereux, il ne veut pas quitter l'euro. Les marchés vont être mécontents, c'est sûr. Mais l'Europe ne doit pas être là pour satisfaire les marchés auxquels trop de pouvoir a été laissé. Il faut reprendre la main sur le développement des pays, dans la coopération européenne ! "

L'ancrage historique de la gauche radicale l'empêche de tenir un discours nationaliste ou xénophobe. " L'ADN de ces partis est l'internationalisme ", appuie M. Camus. Cette position priverait-elle la gauche radicale d'une partie des électeurs, attirés par les positions plus dures de l'extrême droite ? " Elle vit dans le mythe du changement de l'Europe ", se désole Aurélien Bernier, auteur de La Gauche radicale et ses tabous. Pourquoi le Front de gauche échoue face au Front national(janvier  2014, éd. Seuil), qui aimerait que le mouvement se positionne plus radicalement contre l'UE et sa monnaie.

" La droite populiste a plus d'écho "

De fait, l'affaire " Luxleaks ", qui a révélé que l'actuel président de la Commission, Jean-Claude Juncker, avait orchestré un vaste système d'évasion fiscale au Luxembourg lorsqu'il en était premier ministre, a beau avoir ulcéré les députés de la GUE, seuls les europhobes de droite (une centaine d'élus) sont parvenus à rassembler suffisamment de voix pour déposer une motion de censure contre lui.

A l'échelle européenne, " la droite populiste a plus d'écho, constate Mme Sabourin, car son discours est plus simple, voire simpliste. Nous menons des batailles plus compliquées. Mais on ne va pas faire du populisme car c'est plus efficace auprès des médias ! "

Selon les politologues, cette attitude pourrait condamner la gauche de la gauche à ne connaître qu'un succès éphémère. " Avec l'atténuation de la crise et l'austérité, le mouvement refluera. La droite radicale a, elle, un ancrage plus structurel lié au malaise identitaire ", prédit M. Bertoncini.

Pour durer, certains imaginent que les partis de la gauche radicale pourraient bien, tôt ou tard, être tentés de flirter avec les idées nationalistes. Le Front national de Marine Le Pen ne s'est-il pas rapproché de l'extrême gauche sur les sujets économiques ? M.  Reynié redoute ce scénario, rappelant cette phrase de Léon Blum : " Un socialisme sans internationalisme ne peut que mal se terminer. "

Claire Gatinois