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"Debout-payé" ou la condition du vigile
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.ccr4.org/Debout-paye-ou-la-condition-du-vigile
Un premier roman sur les revers de l’impérialisme français : l’exploitation des travailleurs africains en France comme en Afrique.
Leo Serge
« Debout-payé » a fait parler de lui, il a reçu des critiques d’autant plus positives qu’il s’agit d’un premier roman pour son auteur : GauZ. Ce dernier est à l’image de son écrit, il en possède autant de facettes : longtemps étudiant sans-papiers, il est photographe, documentariste, scénariste, directeur d’un magazine en ligne et militant.
Car au-delà du style direct, sans circonvolutions, c’est surtout le propos très critique et très instructif qui nous semble intéressant. Le métier de vigile et de tous ces travailleurs « debout-payé » donne son titre au livre qui est également un récit sur l’histoire contemporaine de l’Afrique de l’Ouest et l’impact de l’impérialisme français.
A travers l’histoire de deux cousins ivoiriens travaillant en France, des années 1960 jusqu’à aujourd’hui, on suit les évolutions des sociétés françaises et africaines, du microcosme des étudiants africains à Paris, des bataillons de travailleurs africains employés aux métiers « invisibles » qui leur sont réservés. Travailleurs invisibilisés, parce qu’assignés aux métiers que l’on connait : balayeurs, éboueurs, travailleurs de force dans le bâtiment et enfin vigiles. Les travailleurs africains en France ne sont dupes de rien, c’est ce que le roman énonce si bien. Un regard à la fois interne et externe qui permet de démonter plus crûment les lieux d’une société soumise au capital : cité dortoir, Séphora des Champs Elysées, Grands Moulins de Bercy attendant la réhabilitation, magasin de vêtements pas chers. Tout cela est aussi bien passé à la moulinette que la sous-traitance, le fétichisme de la marchandise, le racisme instrumentalisé, la reconduite à la frontière, le slogan publicitaire dérivé de mai 68, la double-peine, le boubou vêtement « traditionnel » inventé par les Blancs, et autres résultats des mécanismes de divisions et d’exploitations.
C’est un roman profond qui varie entre l’anecdote éloquente et l’analyse sociologique, qui mêle politique africaine et folie du capital et de ses fétiches, dans un habile tableau de notre réalité, des sociétés africaines et françaises, deux miroirs placés face à face. Ces variations mêmes lui donnent un dynamisme peu commun dans la production littéraire contemporaine.
C’est qu’il s’agit bien d’un retour à la réalité, meilleur des instruments face aux clichés racistes et sexistes qui inondent nos quotidiens. Face à la racialisation ambiante, à l’idéologie de l’identité qui permet d’inférioriser, ce roman rappelle que chacun des individus, confronté à l’exil, trace sa propre voie face aux usages du capital, face à la Françafrique.
Attaché à décrire l’Histoire et les évolutions, ce livre décrit, entre autres, l’invention de la nouvelle race des « sans-papiers », le mot giscardien de la « préférence nationale ». Il sait faire mouche et dévoile un humour consacré à un monde féroce. Car il s’agit bien d’une réflexion et d’une critique plus profonde que certains passages du livre pourraient laisser supposer ; non pas l’accumulation d’une suite d’anecdotes sur les mœurs comparés des consommateurs de magasins, mais bien quelque chose de l’aliénation liée au capitalisme. C’est d’ailleurs, à défaut d’être un livre revendiquant bêtement son côté « engagé », un livre particulièrement et finement militant. Pour ceux qui en douteraient, on croise rarement dans un roman un sous-titre de paragraphe comme « grand capital aveugle et apatride », pas très éloigné d’un autre intitulé « police partout ». Les chiens particulièrement méchants des romans se nomment rarement Joseph en l’honneur de Staline, Mobutu et Kabila. C’est bien la lutte des classes qui se manifeste à chaque page de l’histoire de ces hommes, qui en fait une histoire avec tant d’échos.
Gauz, Debout-payé, éditions Le nouvel Attila, Paris, 2014.
27/12/2014.