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Et la gauche oublia l’école…
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Quand on se retournera sur l'année politique 2014, ce qui fera date, c'est une annonce du président de la République, le 6 novembre. Celle d'un " grand plan numérique " pour l'école qui devrait être mis en place et appliqué dans " toute sa dimension " en 2016. Grande cause d'" ambition nationale ", le programme s'ouvre sur des accents guerriers : il s'agit de relever un défi, le " défi du numérique ", et de livrer le plus juste des combats, la lutte contre les inégalités.
Il devrait être extrêmement réconfortant qu'un gouvernement de gauche place ce combat au centre de ses préoccupations, et se décide enfin à porter remède au drame de ceux qu'on nomme les " décrocheurs ", ces 140 000 jeunes qui quittent chaque année l'enseignement obligatoire sans formation, sans diplôme et parfois presque analphabètes.
Il faut pourtant déchanter : derrière ces excellentes intentions se cachent des présupposés aux conséquences extrêmement inquiétantes. Où se lisent une fois de plus toutes les faiblesses de la gauche en matière de philosophie éducative. Rien ne sert de répéter ce mantra (que la droite serine aussi) sur le lien fondamental de la République et de son école. Il n'a inspiré à la gauche que des analyses erronées sur la massification, et la fuite en avant dans des réformes douteuses, inutiles ou contre-productives.
La suppression des écoles normales ; le soutien à un pédagogisme coupé de toute réflexion de fond sur les contenus disciplinaires ; un accueil immédiat, irréfléchi fait aux " technologies éducatives " qui s'est conclu dans les années 1990 par l'achat coûteux d'un matériel vite devenu obsolète ! Comme s'il lui fallait à toute force se montrer " moderne ", la gauche a succombé sans distance à une croyance primitive, quasi magique, dans le pouvoir de la technique, prétendu remède à tous nos maux. C'est ce qui l'autorise à développer une vision simpliste des inégalités scolaires, présentées commodément comme une inégalité d'accès au Net.
Multiplication du savoirMais il y a plus. La gauche a accepté comme une vérité indiscutable un sophisme qu'un peu de réflexion aurait dû lui épargner : le passage au " tout numérique " s'imposerait du fait que l'Internet entraîne un changement radical dans la nature même de la transmission. Puisque le numérique a multiplié les sources du savoir et en a facilité l'accès, l'élève désormais " en sait autant et plus que le maître ". Autrement dit, ce que l'Internet remettrait radicalement en question, c'est la place du maître dans le processus même de la transmission. Le maître deviendrait un simple " facilitateur ".
Si c'en était la conséquence, à moins qu'on nourrisse contre eux de vieux ressentiments, il n'y aurait du reste pas à se réjouir que l'arrivée du numérique soit la chronique d'une mort annoncée des profs. Fort heureusement, ce n'est en rien inévitable : le prétendre ou le réclamer, c'est propager une critique démagogique de l'école, et rompre avec l'histoire multiséculaire de la transmission. L'instruction n'est pas un branchement aux sources du savoir. Le numérique ne livre pas les clefs de la saisie et de la compréhension du vaste matériau foisonnant et inorganisé qu'il met à la disposition de tous. Ni de son sens.
Plus que jamais, ce qu'il faut, c'est de l'école, et des enseignants. La gauche se renierait si elle ne profitait pas de l'explosion du numérique pour réaffirmer la place éminente de l'enseignant, seul capable d'assurer la conduite méthodique d'un apprentissage et d'en faire la base d'une découverte de soi. Telle est en effet la réponse juste au " défi " du numérique : une restauration des pleins pouvoirs de l'école. Et de sa mission émancipatrice.
Les enseignants y sont prêts dans leur majorité. Et quand ils résistent, ce n'est pas à l'Internet, c'est à leur propre disparition.
Par Danièle Sallenave