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Simone Iff, Militante du droit des femmes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Certains noms sont indéfectiblement liés à un combat. Celui auquel Simone Iff, morte lundi 29 décembre à son domicile parisien, à l'âge de 90 ans, a consacré sa vie fut long, souvent violent, mais victorieux.
Le droit des femmes à disposer de leur corps, donc à maîtriser leur destinée, semble acquis. Maintenant que la contraception est entrée dans les mœurs et que l'avortement est libre et gratuit, il est difficile d'imaginer à quel point les années qui précédèrent et celles qui suivirent ces réformes sociétales majeures (loi Neuwirth autorisant la contraception en 1967, loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse en 1975) furent pleines de bruit et de fureur. A quel point les militant(e)s féministes durent mener une lutte acharnée pour voir aboutir au moins en partie leurs revendications. Simone Iff était au premier rang de toutes les manifestations.
De ces années, il reste un slogan : " Un enfant si je veux quand je veux ". Simone Iff, présidente du Planning familial de 1973 à 1980, en fut l'inventeuse. Il reste aussi un manifeste, celui des " 343 salopes ", qui revendiquèrent dans LeNouvel Observateur, en avril 1971, avoir avorté.
Paradoxalement, Simone Iff, qui disait avoir eu " cinq enfants et un certain nombre d'avortements ", ne l'a pas signé. " Un oubli ", expliquera-t-elle. Elle en fut pourtant la principale organisatrice : c'est Simone Iff qui passait les coups de fil pour recruter les signataires.
Une malédiction
L'écho assourdi du tumulte de cette époque parvient encore parfois à nos oreilles, comme lors du débat qui suivit, en janvier 2014, la suppression de la notion de " détresse " du code de la santé publique, longtemps exigée des femmes qui avaient recours à l'avortement. Une évolution sémantique hautement symbolique approuvée par Simone Iff. " C'est un droit, la détresse n'a rien à voir là-dedans ", avait-elle commenté.
Comment cette fille de pasteur, née le 4 septembre 1924 à Vabre (Tarn), en est-elle arrivée à devenir une militante du droit à l'avortement ? La vie ne lui a pas laissé le choix, affirmait-elle.
A 18 ans, elle se retrouve enceinte, sans être mariée. Ses parents se montrent compréhensifs, même si la famille doit quitter Sète (Languedoc-Roussillon) pour fuir le scandale. Ce sont eux, des progressistes investis dans l'aide aux réfugiés, qui ont donné à leur fille des racines protestataires. Simone Iff épouse le père de l'enfant, le Suisse protestant Werner Iff, et accouche, en 1943, de sa fille aînée.
Longtemps, elle a été officiellement mère au foyer. Dans les faits, Simone Iff travaille aux côtés de son mari, qui dirige après la guerre un foyer protestant d'accueil de jeunes délinquants. Peu à peu, le militantisme va prendre dans sa vie la place d'un travail à temps plein, voire plus.
Elle entre d'abord au mouvement Jeunes Femmes, créé en 1946 au sein de la bourgeoisie protestante. Son objectif est d'aider les femmes, qui ont goûté au travail et à l'indépendance quand leurs maris étaient mobilisés, à conserver un rôle actif dans la société après la guerre. Très vite, une forte demande d'information sur le contrôle des naissances émerge dans ces groupes qui essaiment partout en France.
Jeunes Femmes participe à la création de l'association La Maternité heureuse en 1956, qui deviendra, en 1960, le Mouvement français pour le planning familial. Simone Iff en est une cheville ouvrière. Officiellement, il s'agit de promouvoir l'équilibre psychologique du couple et la santé des femmes. En réalité, le mouvement informe aussi sur le contrôle des naissances, interdit par une loi en vigueur depuis 1920.
La sexualité est à l'époque taboue, l'ignorance des couples sur la conception et les rares méthodes de contraception disponibles totale. Une grossesse peut devenir une malédiction.
En 1961, quand les premiers centres du planning ouvrent à Grenoble et Paris, c'est la ruée. " Il y avait une demande énorme, se souvenait Simone Iff. Il fallait passer de la clandestinité à une structure qui avait pignon sur rue. " L'information sur le contrôle des naissances va de pair avec celle sur une sexualité épanouie, l'autre grand combat de Simone Iff. Elle veut faire envisager l'acte sexuel comme source de plaisir et plus seulement comme acte reproducteur. L'autre grande nouveauté, c'est qu'au sein du Planning, le savoir n'est plus détenu par les seuls médecins, mais aussi par les militantes, qui accueillent le public et se déplacent pour prendre la parole devant des publics variés.
Famille nombreuse
Dans les centres, la police n'hésite pas à effectuer des descentes pour vérifier que les hôtesses du Planning ne délivrent pas d'informations sur la contraception. Il faut mentir et cacher les dossiers des adhérentes,jusqu'au vote de la loi Neuwirth en 1967, qui dépénalise l'usage de la contraception. Mais cette dernière reste incomplète, selon Simone Iff, car aucun moyen n'est donné pour diffuser l'information et les contraceptifs. C'est le Planning familial qui assume alors cette tâche.
Les centres orientent aussi les femmes qui souhaitent avorter vers l'étranger. Simone Iff est elle-même allée en Suisse pour avorter, avant d'y envoyer d'autres femmes. Toutes n'ont pas les moyens. En France, les avortements clandestins tuent. Le Planning veut rompre le silence. Le Manifeste des 343 salopes, en 1971, créé un électrochoc. La loi Veil, votée en 1975, n'envisage la question que sous l'angle sanitaire : il s'agit d'éviter les carnages causés par les aiguilles à tricoter. Ce n'est pas la position de Simone Iff, plébiscitée à la tête du Planning en 1973, pour qui l'IVG est d'abord un droit des femmes. Mais elle soutient la ministre. " Elle était plus politique que moi ", se souvenait-elle.
Au Planning jusqu'en 1980, elle devient une sorte de mater familias. Son âge et son statut de mère de famille nombreuse crédibilisent les revendications du mouvement. Toujours bénévole, elle sacrifie sa vie privée au militantisme. Mais au Planning régnaient " une confiance et une amitié " dont le souvenir continuera longtemps à l'émouvoir.
En 1981, Simone Iff, proche des communistes, est appelée comme conseillère chargée des questions de santé au cabinet d'Yvette Roudy, la première ministre des droits des femmes de plein exercice, nommée par le premier ministre socialiste de François Mitterrand, Pierre Mauroy. Là, jusqu'en 1983, elle continue à se battre pour la mise en œuvre de la loi Veil, afin notamment que des places suffisantes soient réservées pour les IVG dans les hôpitaux.
Elle s'engage aussi en faveur des prostituées, des femmes " comme les autres ". Des formations sont proposées à celles qui souhaitent arrêter. Simone Iff termine sa " carrière " au Conseil économique et social, un poste qui l'a intéressée, même si elle ne s'y sentait pas toujours à sa place.
A la fin de sa vie, il lui était devenu impossible de se rendre dans les centres du Planning, mais elle est, jusqu'au bout, restée bénévole.
Gaëlle Dupont