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"Nous ne demandons pas pardon d’être musulmans"

Charlie

Lien publiée le 26 janvier 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://quefaire.lautre.net/Les-Musulmans-de-Paris-disent-Nous

Les Musulmans de Paris disent : « Nous ne demandons pas pardon d’être musulmans »

par DAVE SEWELL

Alors qu’une vague d’islamophobie déferle sur la France à la suite des attentats de Charlie-Hebdo, des musulmans de Paris ont dit à Dave Sewell ce que veut dire être au milieu d’une réaction raciste.

La réaction islamophobe bat son plein en France. Les humiliations quotidiennes et les préjugés se sont aggravés à la suite des attentats contre Charlie Hebdo au début du mois.

Les femmes voilées se font insulter et agresser dans les rues. Des bombes incendiaires et des têtes de porc ont été lancées sur des mosquées.

Des musulmans ont été arrêtés et condamnés à de sévères peines de prison pour avoir fait des commentaires censés « glorifier » le terrorisme.

L’Etat a mis 10.000 soldats dans les rues – une force que beaucoup considèrent comme une armée d’occupation.

Ndella Paye fait campagne contre l’islamophobie avec Mamans toutes égales à Paris depuis 12 ans. Elle a déclaré à Socialist Worker : « L’atmosphère est vraiment devenue oppressive. Le jour de l’attentat j’ai entendu une femme qui disait : « Ils les ont tués – les musulmans les ont tués ». La façon dont les gens vous regardent quand vous êtes musulman a changé.

Anissa Fathi est d’accord : « J’ai toujours essayé de faire face à l’islamophobie la tête droite, » dit-elle, « mais pour la première fois j’ai peur. Je ne me sens pas capable de sortir faire les courses toute seule dans Paris. »

Des millions de personnes ont défilé contre l’attentat et des millions les soutiennent sur les réseaux sociaux. Beaucoup utilisent le slogan « Je suis Charlie ».

Les gens sont descendus dans la rue pour tout un éventail de raisons.
Mais ceux qui sont au sommet de la société ont utilisé impitoyablement l’émotion pour faire la chasse à tous ceux qui ne font pas chorus – en particulier lorsqu’ils sont musulmans.

Nassor Attoumen, un jeune immigré vivant dans la banlieue industrielle de Saint Denis, dit « C’est comme si c’était devenu un crime de ne pas « être Charlie ». On demande à tout le monde de dire qu’ils le sont, et on n’a pas le droit de dire non.

« Je ne m’intéresse pas aux caricatures. Mais en tant que musulman, quand on exige de vous, pour le bien commun, que vous aimiez des choses qui sont contre votre religion, c’est comme s’ils disaient que le bien commun ne nous inclut pas. »
Les dirigeants du monde ont prétendu hypocritement défendre la liberté d’expression. Mais des dizaines de personnes ont été arrêtées en France pour avoir soi-disant approuvé les attentats.

Cela va du comédien antisémite Dieudonné à des lycéens d’à peine 14 ans.
En même temps, l’islamophobie s’aggrave.

Hanane Karimi a dit à Socialist Worker : « Me faire insulter dans le bus parce que je suis musulmane fait partie de mon quotidien. Et il y a dix ans j’ai été contrainte d’abandonner mes études parce que l’Institut de technologie auquel j’étais inscrite ne voulait pas m’accepter avec mon hidjab.

« Mais la semaine passée l’islamophobie a explosé. Je pense qu’auparavant les gens la maintenaient enfouie et en profitent maintenant pour passer à l’acte.

« L’islamophobie se rapporte peut-être à la religion, mais quoi qu’on dise c’est du racisme. Le vieux racisme anti-arabe se perpétue sous la forme de l’islamophobie. » Nasser dit : « L’islamophobie est partout. Même ici, une ville très ouvrière et très mélangée, on voit des graffiti de groupes d’extrême-droite. « Il y a des quartiers de Paris où c’est vraiment violent. J’ai vu dans le métro récemment ce type qui hurlait : ’Vous les immigrés’, et ajoutait : ’la France est pour les Français’. Ca vous déchire. C’est comme si on vous disait que vous n’êtes pas le bienvenu dans votre propre maison. »
L’isolement des zones les plus pauvres – les « banlieues » (en fr.) ou les « quartiers populaires » dans lesquels vivent beaucoup d’immigrés – contribue à renforcer les mythes islamophobes. Les médias décrivent ces endroits comme aliénés du reste de la société.

Nassor dit : « S’il existe une zone pauvre où il y a beaucoup de musulmans, la façon dont ils en parlent est horrible. Ils présentent les choses comme si tout le monde était musulman alors qu’il y a des gens de toutes les religions venus du monde entier. A les croire il n’y a que des intégristes polygames, et des chèvres qui errent autour des immeubles ».

On attend des écoles françaises qu’elles imposent aux élèves les valeurs de la tradition républicaine avec lesquelles ils n’ont aucune raison de s’identifier.
Samy et Julien sont étudiants à l’université Paris-VIII de Saint-Denis, où ils militent dans l’organisation de jeunesse du Parti communiste, qui dirige le conseil municipal.
Julien dit : « Je suis furieux de la façon dont les médias viennent ici cracher sur les jeunes, les montrer du doigt et dire regardez ces déviants anti-Français. Ils disent que nous avons besoin d’apprendre les « valeurs françaises », mais la France a été construite par des immigrés. Elle n’est pas la propriété de ceux dont les ancêtres vivaient ici autrefois. »

Samy dit : « Avec les enseignants, c’est comme avec les flics. Ils viennent de l’extérieur, ils ne connaissent rien des quartiers sauf ce qu’ils en ont entendu dire – que c’est violent, dangereux, une zone de guerre. Et souvent quand ils viennent pour enseigner ils sont paniqués, ils pensent qu’ils sont en territoire ennemi et qu’ils doivent se défendre. »

Les histoires d’instituteurs blancs envoyés dans les dangereux ghettos immigrés sont le thème de nombreuses œuvres de fiction réactionnaires. Le film de 2008 Le jour de la robe parle d’une prof qui prend sa classe en otage pour affirmer son droit à porter une robe, qui est censé être menacé par la présence d’élèves musulmans.
Les enseignants musulmans sont rares parce que les femmes qui portent un foulard n’ont pas le droit de travailler dans le secteur public. Les filles qui portent le foulard ne sont pas non plus autorisées à assister aux cours, ou les mères voilées à accompagner les voyages organisés des écoles.

C’est une chose qu’Anissa a vécu personnellement. Elle explique : « Un jour mon fils m’a demandé de venir avec lui dans son voyage avec l’école. C’était assez éloigné et l’école avait besoin de parents pour donner un coup de main dans le car. Il était si content que j’accepte.

« Mais quand il l’a dit à l’instituteur, l’instituteur a dit qu’il fallait d’abord qu’il me voie. Et quand il m’a vue, il a dit « je crois que ça va pas être possible » – à moins que j’enlève mon hidjab.

Au début je croyais que c’était pour rire. Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? Je me sentais inférieure aux autres mamans. Elles avaient le droit de faire le voyage et pas moi.
La règle était de ne pas porter de signes religieux, mais elle ne semblaient pas s’appliquer à celles qui portaient des chaînes avec des croix. »
Les politiciens insistent sur le fait que les minorités – en particulier les musulmans – doivent s’intégrer.

Comme dit Nassor : « Quand vous arrivez en France on vous dit que vous ne pouvez pas garder vos croyances et vos coutumes. Vous devez vous habiller comme tout le monde et si tout le monde est en colère contre quelque chose, vous devez l’être aussi. »
Mais pour Anissa et ses enfants les règlements anti-musulmans ont aggravé la division.
Elle dit : « Cela a un effet sur tous les enfants musulmans. Ils ont vu que les enseignants blancs avaient l’air de détester leurs mères, et ils ont presque commencé à les détester en retour. Et puis les autres enfants se moquent d’eux parce que leur mère porte un foulard. Les enfants vont jusqu’à dire des choses comme : ’Espèce d’ordure musulmane’.

Avant, tous les enfants se mélangeaient. Mais depuis ils restent ensemble entre musulmans. »

Finalement ils ont changé d’école. Anissa et Ndella participent à une campagne pour que la règle soit changée. Ndella a commencé à être active sur la question du foulard. Elle dit : « Elle était basée sur la supposition que c’étaient les parents qui forçaient les filles à le porter. Mais j’ai dit, si c’est le cas, les renvoyer à la maison est sans doute la dernière chose à faire. Il faut mieux les garder à l’école pour les maintenir indépendantes.

Mais les restrictions sur les mères – elles sont adultes, elles prennent leurs propres décisions. Et c’est ça que vous voyez dans la société française, une femme musulmane n’est jamais adulte. Quoi qu’elle fasse, ça ne peut pas être sa décision, il doit y avoir quelqu’un qui la force. »

Anissa dit : « C’est tellement hypocrite. Ils disent qu’ils veulent nous libérer, nous les femmes, mais ils nous empêchent de travailler ou d’aller à l’école. »

Hanane dit : « Parfois le foulard paraît la seule chose dont les politiciens sont capables de parler. Comme s’il n’y avait pas des problèmes plus graves à régler que ce qu’une écolière porte sur la tête. »

Les activistes sont en train d’essayer de mettre en place une riposte à la suite des attentats.

Samedi, un certain nombre d’organisations se réunissent à Paris pour lancer une campagne contre l’islamophobie. Et un rassemblement s’est tenu dimanche pour protester contre une manifestation d’extrême droite - qui du reste a été interdite. Ndella dit : « Il y a beaucoup de gens qui trouvent normal que les musulmans soient traités inégalement. Il y a une minorité qui n’est pas d’accord, et c’est avec eux que nous nous battons. Ils sont minoritaires y compris dans les partis de gauche. »

La réponse officielle aux attentats a consisté essentiellement en un renforcement des mesures de sécurité. Le gouvernement propose un « patriot act » à la française. L’opposition de droite demande d’aller plus loin, l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant proclamant : « Il y a des libertés dont on peut se passer ».

Mais Hanane dit : « Le terrorisme est le symptôme d’une maladie. C’est un symptôme très violent, mais il nous dit que la société française est malade. Qu’est-ce qui pousse les gens qui sont exclus à de tels actes de violence ? »

« La répression n’est pas la bonne réponse. »

80 personnes ont été arrêtées en France pour « apologie du terrorisme » depuis les attentats de Charlie-Hebdo. Certaines ont déjà été condamnées à des peines de prison.
La presse a mis en exergue le cas du comédien antisémite Dieudonné M’bala M’bala. Mais les cibles principales sont des gens ordinaires qui disent des choses que la police ou l’Etat n’accepte pas.

C’est une politique destinée à intimider et à punir.

En prison pour la mauvaise liberté d’expression

Un homme a été condamné à quatre ans de prison pour avoir mis la police en colère. Kamal Belaidi, de Douchy-les-Mines, dans le Nord de la France, est un récidiviste d’infractions commises en état d’ivresse. Il a eu un léger accident alors qu’il était ivre. Belaidi a dit aux policiers qui l’appréhendaient : « Les terroristes ont eu raison de vous tirer dessus. Il devrait y avoir davantage de frères Kouachi. »

Un tribunal a condamné Belaidi à quatre ans de prison – sentence aggravée pour « apologie du terrorisme ».

A Strasbourg, un homme qui a posté la photo d’une Kalachnikov avec un message manuscrit disant : « Bises de Syrie. Adieu Charlie ! » sur sa page Facebook va être jugé le 27 janvier. Il a dit que c’était une « mauvaise plaisanterie » mais risque jusqu’à sept ans de prison et 80.000 euros d’amende parce que l’infraction a été commise sur internet.

Une écolière de 14 ans a dit à un contrôleur de tramway à Nantes : « Nous sommes les soeurs Kouachi. Nous allons sortir nos kalachnikovs ». Elle est inculpée d’ « apologie du terrorisme ».

Une autre fille qui voyageait avec elle a été poursuivie pour « menaces de mort » contre des policiers. Elles risquent cinq ans de prison et 60.000 euros d’amende.
Les tribunaux obéissent aux ordres venus d’en haut.

La ministre de la justice a envoyé une lettre aux procureurs et aux juges les exhortant à être plus sévères contre les paroles et les actes racistes ou antisémites.
La circulaire ne mentionnait pas l’Islam. Ce n’était pas nécessaire.

"Comment peut-on aller dans une manifestation qui applaudit la police ?"

Des millions de personnes ont marché en solidarité avec Charlie-Hebdo quelques jours après l’attentat. Beaucoup de personnes en ont assez de s’entendre demander : « Où étaient les musulmans dans les manifestations ? » Fatima, une immigrée d’Algérie, dit : « Trois personnes ont tué, pourtant nous sommes tous obligés de demander pardon. Il est clair que ce n’était pas nous, pourquoi devons-nous nous excuser ? Vous pouvez expliquer ça à la plupart des gens. L’attentat n’a rien changé à mes rapports avec mes amis et mes voisins. Mais bien sûr des gens répètent des préjugés parce que c’est tout ce qu’ils entendent à la télé. »

Ndella dit : « C’est un vrai problème parce que comment ils savent qui est musulman dans une manifestation ? Ce qu’ils disent, en fait, est : ’Nous n’avons pas vu les Arabes’. »

Nassor dit : « Ils demandent pourquoi les jeunes des quartiers ne son t pas allés manifester à Paris. C’est peut-être que quand ils le font ils sont arrêtés ».
Julien approuve : « Quand les jeunes des banlieues veulent soutenir la Palestine, ils nous appellent ’Islamo-voyous’, »

« Il y avait en fait des jeunes dans la manif – bien sûr, dans une manif aussi énorme.
Mais comment veulent-ils qu’on aille dans une manif où la police est applaudie ? »

Socialist Worker, 21 janvier 2015

(traduit de l’anglais par Jean-marie Guerlin)