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Russie: vague de licenciements en vue
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Chaque jour, la liste des suppressions de postes s'allonge. Jeudi 29 janvier, c'est la filiale russe de Carlsberg qui a annoncé la fermeture de deux usines. Avec un taux de chômage officiel légèrement supérieur à 5 %, l'emploi représentait jusqu'ici le dernier rempart contre le pessimisme
Pour certains, les lendemains de fête ont eu un goût amer, comme pour cette dizaine d'employés d'un salon de coiffure, une franchise de la chaîne française Camille Albane, installé dans un centre commercial luxueux de Moscou. De retour de congés, début janvier, ils ont trouvé porte close. Sans avertissement, et sans explication. Depuis, ces salariés abandonnés tentent de constituer un syndicat de franchisés dans l'espoir de faire reconnaître leurs droits. Pour l'agence Tass aussi, l'année a mal commencé. La plus vieille agence de presse de Russie, créée avant même la révolution de 1917, qui emploie aujourd'hui 1 700 personnes, devrait perdre 20 % à 25 % de ses effectifs. " On s'attend à une crise sérieuse et on se serre la ceinture ", a prévenu son directeur général, Sergueï Mikhaïlov, cité le 22 janvier dans le quotidien économique Vedomosti. Les licenciements, tant redoutés par les Russes, commencent à devenir une réalité.
Chaque jour, la liste s'allonge. Jeudi 29 janvier, c'est l'entreprise Baltika, numéro un de la bière en Russie et filiale du groupe danois Carlsberg, qui a annoncé la fermeture de deux de ses usines à Tchéliabinsk (Oural) et à Krasnoïarsk (Sibérie), représentant 560 suppressions d'emploi. Un peu auparavant, c'était au tour de la banque VTB24 d'avertir que, d'ici à la fin du premier trimestre, elle se séparerait de " 5 % à 7 % " de son personnel. " Nous optimisons de manière drastique nos dépenses d'exploitation et administratives ", déclarait son directeur général, Mikhaïl Zadornov. Le premier constructeur automobile du pays, Lada-Avtovaz, dans lequel le groupe français Renault détient une participation, a lui aussi prévenu, le 14 janvier, 1 100 cadres de leur prochain licenciement. La crise, accentuée par les sanctions internationales et la chute du prix du pétrole, produit ses effets.
Ce n'est pas encore un raz-de-marée, mais l'inquiétude augmente alors que les indicateurs de l'économie ont viré, les uns après les autres, au rouge dans les derniers mois de 2014. Le rouble a dégringolé, l'inflation continue de grimper, la consommation de régresser, et les entreprises, soumises à un taux directeur fixé à 17 % par la Banque centrale de Russie, ont du mal à rembourser leurs dettes et à assumer leurs dépenses, sans compter les sanctions internationales qui les privent, pour certaines d'entre elles, d'accès au marché des capitaux. En 2015, le pays devrait entrer en récession : la Banque mondiale prévoit une contraction de l'activité de 3,9 %.
Avec un taux de chômage officiel légèrement supérieur à 5 %, l'emploi représentait donc jusqu'ici quasiment le dernier rempart contre le pessimisme. " Tout le monde dit : le chômage nous attend et cela va être sérieux. Ce sont avant tout les experts, les fonctionnaires et les représentants des entreprises qui le disent, mais bien sûr, c'est une façon de préparer les gens à ce qui les attend ", soupire Petr Biziokov, sociologue au Centre des droits sociaux du travail à Moscou.
Parmi ces " experts " qui sonnent l'alarme, Alexeï Koudrine. En marge du forum de Davos où il se trouvait le 24 janvier, l'ex-ministre russe des finances a confié à l'agence Reuters son inquiétude : " Je prévoyais des temps difficiles, mais je ne m'attendais pas à ce qu'ils le soient autant, a-t-il déclaré. Les prix à la consommation ont fortement augmenté. Les vagues de licenciements ont commencé. Le secteur du BTP a mis à la porte 100 000 personnes. Nous constatons aussi des signes de crise dans l'industrie automobile… "
Indemnités de chômage très faibles
La situation " est sous contrôle, il n'y a pas de problème majeur ", a aussitôt corrigé le premier ministre russe, Dmitri Medvedev, alors même que son gouvernement débloquait 52 milliards de roubles (668 millions d'euros) pour soutenir le marché du travail. Ces fonds publics devraient être versés aux régions afin de " soutenir ceux qui, indépendamment de la crise, ont du mal à trouver un emploi, surtout les jeunes qui n'ont pas d'expérience d'emploi qualifié et les handicapés ", avait précisé M. Medvedev à l'issue d'une réunion consacrée à la situation sociale. La décision de l'agence américaine Standard & Poor's de dégrader la note de la Russie à " BB + ", un palier dont le pays avait eu du mal à se sortir en 2005, sept ans après la grande crise financière de 1998, est intervenue sur ces entrefaites, comme une alerte supplémentaire. Perdant un peu de son calme, lors d'une visite dans une usine agroalimentaire, le chef du gouvernement a fini par laisser éclater sa mauvaise humeur en réagissant à la rumeur persistante à Moscou selon laquelle la Russie pourrait être désormais exclue du système financier international Swift. " Notre réaction sera sans limite ! "
Pour le Kremlin, confronté à sa plus sérieuse crise depuis l'accession au pouvoir de Vladimir Poutine en 2000, l'augmentation du chômage représente un péril bien plus important que n'importe quel autre fléau. La préoccupation est d'autant plus grande que certaines entreprises, confrontées à une baisse drastique de leur marché, suspendent leur activité parfois pendant des mois avant, le cas échéant, de prendre des décisions plus douloureuses encore. Et la situation devient dramatique lorsque, dans de nombreux cas, les salariés ne sont tout simplement pas payés pendant des semaines, voire des mois.
" En Russie, explique le sociologue Petr Biziokov, la situation est bien différente d'ailleurs.D'abord, l'indemnité de chômage est très faible, environ 5 000 roubles par mois - moins de 70 euros par mois - . Ensuite, les relations dans le travail sont quasi féodales, disons, préindustrielles. Les salariés sont complètement dépendants de leur employeur, qui fait ce qu'il veut – et encore, je ne parle même pas des émigrés dont la situation est bien pire. " " Pour moi, poursuit ce dernier, c'est une situation très dangereuse. Or, depuis quelques mois, on voit très nettement augmenter les grèves et les actions de protestation. "
Blocages des sites, piquets de grève et manifestations échappent de plus en plus aux organisations syndicales et éclatent " de façon spontanée ", souligne ce spécialiste, qui observe les mouvements sociaux depuis près d'une décennie. Dans ce domaine aussi, poursuit-il, l'année 2014 s'est achevée en nette hausse. " Nous avons enregistré 293 mouvements de protestation contre 272 en 2009. " Cette année-là, Vladimir Poutine avait dû lui-même se déplacer dans la région de Saint-Pétersbourg pour empêcher la fermeture de la cimenterie de Pokaliovo en forçant un oligarque, devant les caméras, à signer un plan de relance.
Isabelle Mandraud