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A Evry, les limites de la " politique du peuplement "

Lien publiée le 7 février 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Le Monde) La ville de Manuel Valls lui a servi de laboratoire depuis 2001, sans parvenir à une réelle mixité sociale

A Evry, Manuel Valls est chez lui. Maire de la ville de 2001 à 2012, encore conseiller municipal aujourd'hui – il était troisième sur la liste PS lors des municipales de 2014 –, le premier ministre suit de très près la ville qui lui a servi à la fois de tremplin et de laboratoire. C'est ici qu'il a testé la politique de peuplement qu'il a appelée de ses vœux le 22  janvier : il ne faut " pas seulement une politique du logement et de l'habitat ", mais une " politique du peuplement pour lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation ", a-t-il plaidé. Des mots repris par le chef de l'Etat, François Hollande, jeudi 5  février.

Quatorze ans après l'arrivée de Manuel Valls à Evry, la ville nouvelle de l'Essonne voit pourtant ses quartiers populaires s'appauvrir. Et la municipalité est bien en peine de parvenir à cette " mixité "tant souhaitée, qu'elle soit sociale ou ethnique.

Le décor de la ville nouvelle à la Rohmer a un peu vieilli. Lors de sa construction dans les années 1970, le projet se voulait novateur : chemins piétonniers et façades en " gradins-jardins ", rationalité de l'espace avec des commerces en pied d'immeuble et les parkings en sous-sol, l'université et les entreprises dans le même périmètre… Tout devait donner l'idée de la modernité à la campagne. Lancé pour loger cadres et fonctionnaires cherchant à acheter moins cher qu'à Paris tout en ayant les commodités de la ville, le rêve urbanistique s'est évanoui.

Pyramides, Bois-sauvage, Parc-aux-Lièvres : seuls les noms des quartiers surgis au milieu des champs évoquent encore l'utopie architecturale. La rénovation urbaine a beaucoup réparé et repeint. Des tours et des barres ont été détruites pour ouvrir les espaces. Un plan de sauvegarde mis en place pour éviter la dégradation des copropriétés. Des grilles ont été installées pour " résidentialiser " les habitations. Une zone franche urbaine avec 1 000 entreprises a été ouverte. Mais depuis vingt ans, Evry s'est transformée en banlieue populaire.

Paupérisation

La crise a mis un coup d'arrêt au projet de ville pour cadres dès le début des années 1980. Alors que pour la première tranche du programme ont été construits 80  % de logements en accession à la propriété et 20  % en HLM, le ratio s'est inversé pour la seconde. L'utopie de ville nouvelle dynamique s'est alors évanouie. Les cadres venus de Paris ou de province sont repartis, louant à de plus pauvres ou vendant à des investisseurs.

La paupérisation a alors entraîné les habitants des quartiers dans une spirale. Ce sont des familles plus modestes que les précédentes, et majoritairement issues de l'immigration maghrébine et africaine, qui y sont désormais installées. Le revenu médian atteint à peine 10 000  euros (contre  16 000  euros dans l'agglomération). Le chômage y avoisine les 40  %, et le mal-vivre s'est aggravé avec les trafics et les heurts entre bandes rivales. Les noms des Pyramides ou de Parc-aux-Lièvres sont désormais associés aux quartiers " difficiles ".

Les commerces en bas d'immeubles racontent cette évolution : sur la place Jules-Vallès, au cœur des Pyramides, les modestes échoppes sont à l'image de la clientèle, très cosmopolite. En face, à l'emplacement de deux tours démolies, un panneau vante la construction de logements spacieux par le groupe Arcade. Toute la dualité de la ville est ainsi résumée. " On est dans une ville populaire, mais on veut cacher cette image pour attirer les classes moyennes ", remarque Samir Benamara, militant communiste.

Malgré les tentatives de Manuel Valls puis de son successeur PS, Francis Chouat, pour remodeler la composition sociale, les quartiers prioritaires gardent une population modeste. La mairie a tout fait pour attirer à nouveau les cadres. Les promoteurs ont été appelés à investir et, de fait, des projets tout neufs sont sortis de terre. Des caméras de surveillance ont été installées un peu partout, et la police municipale voit ses effectifs régulièrement augmenter.

Marché bio

Récemment, un marché bio s'est organisé en centre-ville. Mais le turnover n'a pas cessé – près de 50  % – et la ville reste coupée entre ses quartiers aux peuplements bien distincts.

Aux Epinettes, la communauté malienne – une partie de la cité s'appelle la " tour Bamako ". Aux Pyramides, les Turcs, Togolais et Sénégalais. Dans le quartier des Aulnettes, une rue abrite les Malgaches et les Pakistanais, l'autre, les Arabes et des Africains. Au Parc-aux-Lièvres, ce sont les habitants aux revenus les plus faibles qui ont élu domicile. " Ça a été la politique de Valls de jouer sur les communautés et de spécialiser les quartiers ", dénonce Farida Amrani, conseillère municipale d'opposition (Front de gauche). " Quand un appartement se libère, c'est une famille de la même communauté qu'on y installe, témoigne Jean-Charles, un jeune plombier au chômage.Mais je ne vois pas d'apartheid ! "

Le maire, Francis Chouat, ne nie pas cette  spécialisation : " Du fait de la mobilité, il y a eu des regroupements ethniques. Changer le peuplement, ça prend du temps ", reconnaît-il. Ajoutant qu'il est difficile d'influencer les attributions quand le parc social est géré par vingt-deux bailleurs différents. Son souhait est de les regrouper pour mieux " articuler la politique d'attribution  de logements ".

Avec de nouvelles démolitions, des opérations immobilières de standing ainsi que des déconventionnements de logements sociaux ou leur vente aux locataires, son contrat de ville montre bien sa volonté de changer son peuplement. Même s'il trouve l'expression " malheureuse ".

Sylvia Zappi