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Regards croisés sur la Grèce…

Grèce international

Lien publiée le 23 février 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

En anglais :

http://socialistworker.org/2015/02/23/the-eurogroup-noose-tightens

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http://www.les-crises.fr/regards-croises-sur-la-grece/

Sapir : L’accord Grèce-Eurogroupe

21 février 2015 Par Jacques Sapir

L’accord conclu le vendredi 20 février entre la Grèce et l’Eurogroupe suscite des commentaires contradictoires. Il faut, pour comprendre cet accord, et pour l’analyser, en resituer le contexte, à la fois dans le court et dans le long terme.

Un accord temporaire

Cet accord avait pour but d’éviter une crise immédiate. Le gouvernement d’Alexis Tsipras s’y était engagé. Une crise moins d’un mois après l’accession au pouvoir eut provoqué un chaos probable. De plus, cet accord mérite d’être regardé à la loupe. Il y a bien plus que ce qu’en dit Paul Krugman dans son billet pour le New-York Times[1]. En fait, la Grèce a obtenu plusieurs choses :

  1. La Grèce n’est plus obligée d’atteindre un excédent budgétaire primaire de 3% cette année. L’équilibre seul est exigé.
  2. Le « contrat » qui court sur 4 mois est explicitement désigné comme une transition vers un nouveau contrat, qui reste bien entendu à définir.
  3. La « Troïka » n’existe plus comme institutions, même si chacune de ses composantes continue d’exister. C’en est donc fini des équipes d’hommes en noir (men in black suits) qui venaient dicter leurs conditions à Athènes.
  4. La Grèce écrira désormais l’ordre du jour des réformes, et elle l’écrira seule. Les institutions donneront leur avis, mais ne pourront plus faire d’un point particulier de ces réformes une obligation impérieuse pour Athènes.

Un avantage plus discret est que le Gouvernement grec a brisé l’unanimité de façade de l’Eurogroupeet a obligé l’Allemagne à dévoiler ses positions. Mais, la Grèce a accepté de reconnaître – pour l’instant – l’ensemble de ses dettes. Il n’y a eu aucun progrès sur ce point, et aucun signe d’un changement d’attitude de l’Allemagne.

Un succès limité.

Mais, ce succès est limité. Dans 4 mois, fin juin, le gouvernement grec sera à nouveau confronté à l’Eurogroupe, et cette fois-ci, ce ne sera pas une négociation facile. Le gouvernement d’Athènes va proposer des réformes, et l’on peut penser que celles-ci vont faire peser le fardeau fiscal sur les privilégiés, et le contentieux avec l’Eurogroupe et l’Allemagne va encore grandir. De fait, l’Allemagne ne peut céder, ni non plus le gouvernement grec. Ceci implique que l’on va vers un nouvel affrontement, à moins que d’ici là se dessine une « alliance » anti-allemande. C’est ce qu’espère Tsipras, et sur ce point il a tort. Les gouvernements français et italiens sont en réalité acquis aux idées allemandes.

Et pourtant, l’idée d’utiliser les sommes allouées aux remboursements (intérêts et principal) pour relancer l’économie grecque, développer l’investissement, tombé à un niveau historiquement bas, a dus sens.

Graphique 1

Evolution des investissements en Grèce.

A - Invest

La chute de la productivité (en sus de la production) est l’indicateur de l’échec fondamental de la politique d’austérité.

Graphique 2

Evolution de la productivité du travail en Grèce

A -Prod du T

De même, prendre des mesures humanitaires d’urgence est fondamentalement juste, mais elle s’oppose frontalement avec la logique de créancier que défend l’Allemagne.

Se préparer à sortir de l’Euro.

Mieux vaut utiliser ces 4 mois gagnés de haute lutte pour se préparer à l’inévitable, c’est à dire à une sortie de l’Euro. Quelle que soit la stratégie de négociations de la Grèce, et celle conçue par son Ministre des Finances Yanis Varoufakis est excellente, il faut s’interroger sur le but de cette négociation. En fait, la Grèce ne peut obtenir des choses qui sont, dans le contexte politique actuel, contradictoires. Elle ne peut se dégager des dettes (d’au moins une partie) et garder l’Euro. Le paradoxe réside dans ce qu’une sortie de la Grèce de la zone Euro, par les effets induits qu’elle produira, mettra fin assez rapidement soit à l’Euro soit à la politique de Germano-Austérité. Mais, pour cela, la Grèce doit sortir de l’Euro.

Elle a 4 mois pour s’y préparer, pour convaincre la population qu’une telle issue est inévitable et qu’en réalité cette même issue constituera un progrès. Il est probable que cela implique aussi de changer de Ministre des Finance. Non que Yanis Varoufakis ait démérité, loin de là. Mais, il faudra bien annoncer la couleur et faire en sorte que la nouvelle stratégie de la Grèce soit prise au sérieux. La nomination d’hommes et de femmes connus pour leurs opinions négative quant à l’Euro serait un signal fort que l’on se prépare à un affrontement dans les meilleures dispositions.

[1] http://mobile.nytimes.com/blogs/krugman/2015/02/20/delphic-demarche/

Éric Verhaeghe : Comment Tsipras s’est mis à genoux face à l’Europe

Tsipras nous avait promis du sang, de la sueur et des larmes sur le sable chaud de l’arène européenne. Moins d’un mois après son élection, il a déjà tout cédé à l’Europe!

Tsipras roulait encore des mécaniques il y a huit jours

Décidément, ces Grecs sont d’incorrigibles Tartarin! Il suffisait de lire les déclarations de Tsipras à la presse allemande il y a une semaine encore:

« Je m’attends à des négociations difficiles lundi. Pour autant, je suis tout à fait confiant(…) Nous ne voulons pas de nouveaux prêts d’aide. (…) Au lieu d’argent, nous avons besoin de temps pour mettre en oeuvre notre plan de réformes. Je vous le promets: après ça la Grèce sera un autre pays dans six mois (…) Je veux une solution gagnant-gagnant. Je veux sauver la Grèce d’une tragédie et préserver l’Europe de la division »

Quel farceur de Tsipras! A l’approche de l’Eurogroupe de lundi dernier, la position de la Grèce était pourtant compliquée: après les échecs de la semaine précédente, les taux d’emprunt continuaient à flirter avec les 10%, et les agences de notations multipliaient les avertissements.

Malgré tous ces évidents signaux d’alerte, le porte-parole du gouvernement continuait à déclarer:

« La Grèce ne poursuivra pas dans la voie d’un programme qui a les caractéristiques des programmes des précédents gouvernements », a déclaré Gabriel Sakellaridis.

Tsipras était clairement prévenu par ses partenaires

En arrivant à Bruxelles, lundi, à l’Eurogroupe, le ministre grec Varoufakis était pourtant clairement prévenu sur les positions européennes.

Il suffisait d’écouter les propos du ministre allemand Schaüble à la radio allemande sur les possibilités d’un accord:

« D’après ce que j’ai entendu dire des négociations techniques au cours du week-end, je suis très sceptique, mais un rapport nous sera remis aujourd’hui et nous verrons à ce moment-là. (…) Le problème est que la Grèce a vécu au-dessus de ses moyens pendant longtemps et que personne ne veut plus (lui) donner de l’argent sans garanties ». Wolfgang Schäuble a par ailleurs jugé que le nouveau gouvernement grec se comportait de façon « assez irresponsable » et que cela n’apportait rien d’insulter ceux qui avaient soutenu le pays dans le passé.

Même Moscovici, qui n’est pourtant jamais avare d’une niaiserie de bisounours, avait déclaré:

Il y aura « une discussion dont je sais qu’elle sera compliquée et que j’aborde avec la certitude qu’on peut aboutir », a déclaré Pierre Moscovici à son arrivée à la réunion des ministres des Finances de la zone euro. « Il faut aboutir, on peut aboutir. Quand on a la capacité et la volonté, on peut aboutir », a-t-il insisté, tout en excluant de travailler à un nouveau programme d’aide pour la Grèce.

Difficile, dans ces conditions, de ne pas subodorer que le passage du Cap Horn s’annonçait de plus en plus dangereux.

Le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, avait d’ailleurs posé:

Il est « très clair que le prochain pas doit venir des autorités grecques (…) et au vu du calendrier, on peut utiliser cette semaine, mais c’est à peu près tout », a déclaré lors d’une conférence de presse le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, après l’interruption abrupte des négociations entre ministres des Finances des Etats membres de la zone euro à Bruxelles.

Il a évoqué la possibilité d’une nouvelle réunion exceptionnelle des mêmes ministres vendredi. « A condition que les Grecs demandent une extension et présentent une requête valable », selon l’entourage de M. Dijsselbloem.

Moscovici a-t-il planté l’Eurogroupe de lundi?

Du coup, le « clash » qui est survenu lundi soir en conclusion de l’Eurogroupe consacré à la Grèce n’était pas une véritable surprise. Mais… les propos de Varoufakis à l’issue de la réunion ont jeté le trouble sur une possible nouvelle gaffe de Moscovici.

Vers 18 heures, au bout de trois heures de réunion, l’information tombait: la délégation se retirait des discussions après que Jeroen Dijsselbloem eut distribué un texte « inacceptable ».

Selon ce document, les Grecs devaient s’engager à « accepter de conclure avec succès le plan d’aide ». Les Européens, eux, s’engageaient à » utiliser toutes les flexibilités que recèle le programme actuel ».

Et un ministre grec ajoutait:

« Ce n’était pas du tout ce dont nous avions discuté avant l’Eurogroupe avec Pierre Moscovici [le commissaire européen à l’économie], avec qui nous avons eu un échange très constructif », a assuré une source gouvernementale grecque.

De fait, il est étonnant que le président de l’Eurogroupe ait distribué en séance, après deux heures de discussion, un texte qui ait surpris à ce point la délégation grecque. Il existe donc trois possibilités: soit les Grecs mentent ou n’avaient pas compris le texte avant la réunion, soit Moscovici les a enfumés parce qu’il a parlé sans savoir, soit Moscovici était de bonne foi et c’est Dijsselbloem qui a pris sur lui de distribuer un texte que ni Moscovici ni les Grecs n’avaient lu (position soutenue par la Grèce le lendemain).

Dans tous les cas, la réunion de lundi a tourné court et l’Europe a affiché une nouvelle fois ses divisions.

La BCE évite discrètement le drame

Le lendemain de cet échec cuisant, Tsipras continuait à jouer dangereusement avec le feu en annonçantpour la fin de la semaine le vote de mesures sociales. Ce choix n’était pas innocent: il s’agissait d’un nouveau pied de nez à l’Union, qui avait fixé au vendredi l’ultimatum pour trouver un accord avec la Grèce.

Pendant que Tsipras fanfaronnait, la situation financière grecque devenait critique. Varoufakis avait beau déclarer que la Grèce n’avait pas besoin d’argent mais de temps, le gouvernement grec tirait la sonnette d’alarme auprès de la BCE. Le pays demandait 5 milliards de rallonge sur les prêts d’urgence pour éviter la faillite du système bancaire.

La BCE décidait finalement de relever son plafond de 3,3 milliards, montant jugé suffisant pour alimenter les banques grecques jusqu’au lundi suivant un éventuel constat de désaccord entre la Grèce et l’Eurogroupe. Dans le même temps, la rumeur, propagée vendredi par le Spiegel, commençait à courir selon laquelle la BCE préparait pour ce week-end un plan de crise sur le Grexit.

Tsipras met un premier genou à terre jeudi

Alors que la tension atteignait son comble, Tsipras posait un premier genou à terre jeudi matin. Après une nuit d’intenses négociations téléphoniques et numériques entre Juncker et Tsipras, Varoufakis envoyait en effet cette lettre au président de l’Eurogroupe Jeroen Dijsselbloem:

Greece – Letter to the Eurogroup

Le gouvernement grec demandait donc officiellement l’extension pour 6 mois du programme d’aide en cours, le Master Financial Assistance Facility Agreement. Cette demande était assortie de plusieurs annonces: le respect des objectifs fiscaux grecs et le financement neutre des nouvelles mesures du gouvernement Tsipras, le maintien d’une supervision par un groupe qui ne s’appellerait plus « troïka » mais qui y ressemblerait furieusement, et la préparation d’un plan de croissance respectueux des engagements grecs.

La Grèce se décidait donc à remplir les conditions imposées par l’Eurogroupe pour obtenir une aide de l’Union: demander officiellement l’extension du plan actuel et prendre des engagements sur le respect de ses obligations.

L’Allemagne fait boire à Tsipras le calice jusqu’à la lie

Après avoir été comparé à Hitler voulant faire du savon avec le gras des Grecs dans le journal Avghi, soutien de Tsipras, le cruel Dr Schaüble voulait prendre sa revanche. Il s’est donc offert un petit plaisir, celui de maintenir la tête de Tsipras dans la baignoire malgré ses évidents signes de reddition.

« En vérité, elle vise à obtenir un financement-relais, sans remplir les exigences du programme. Le courrier ne remplit pas les critères définis lundi par l’Eurogroupe », a également déclaré Martin Jäger, porte-parole de Wolfgang Schäuble, ministre des Finances, dans un bref communiqué.

Angela Merkel déclarait pour sa part:

Il y a « encore un besoin considérable d’amélioration de la substance des propositions pour que nous puissions obtenir un accord au Bundestag », le Parlement allemand, a prévenu Mme Merkel.

L’Eurogroupe de vendredi s’annonçait donc sous haute tension.

Tsipras sort le drapeau blanc

Alors que le texte proposé par Dijsselbloem le lundi précédent était encore flou, Varoufakis s’est présenté à l’Eurogroupe vendredi une corde au cou, face à des partenaires de plus en plus incrédules, et de moins en moins décidés à se laisser enfumer. Alors que l’ouverture de la réunion était prévue pour 15 heures, les ministres européens n’ont commencé leurs travaux qu’à 16h30. A 20 heures, Reuters annonçait qu’un projet d’accord était sur la table, prévoyant qu’Athènes devait envoyer lundi soir au plus tard une liste de réformes à adopter.

A 21 heures, le communiqué suivant était publié:

The Greek authorities will present a first list of reform measures, based on the current arrangement, by the end of Monday February 23. The institutions will provide a first view whether this is sufficiently comprehensive to be a valid starting point for a successful conclusion of the review. This list will be further specified and then agreed with the institutions by the end of April.

Only approval of the conclusion of the review of the extended arrangement by the institutions in turn will allow for any disbursement of the outstanding tranche of the current EFSF programme and the transfer of the 2014 SMP profits. Both are again subject to approval by the Eurogroup.

« Les autorités grecques présenteront une première liste de réformes, fondées sur l’accord actuel, au plus tard le lundi 23 février. Les institutions se livreront à une première lecture pour savoir si ces propositions sont suffisantes pour constituer un point de départ pour une conclusion positive de l’examen global. La liste sera ensuite précisée et soumise à l’agrément final des institutions à la fin du mois d’avril. Seule l’approbation de la conclusion de l’examen global (…) permettra de débourser la tranche prévue (…). »

On le voit, la Grèce est désormais placée sous haute surveillance, et l’accord trouvé vendredi soir n’est qu’un accord de principe, très éloigné d’un blanc-seing. De nombreuses confirmations doivent encore intervenir avec une conclusion définitive. Tsipras n’est donc pas tiré d’affaire, bien au contraire.

Dans le long communiqué de l’Eurogroupe, on lira aussi:

The Greek authorities reiterate their unequivocal commitment to honour their financial obligations to all their creditors fully and timely.

Tsipras a donc officiellement renoncé à toute prétention sur la renégociation de la dette grecque. Le romantisme de Syriza n’aura pas fait long feu! S’engage maintenant, pour la Grèce, un compte à rebours qui doit s’achever fin avril…

La France bientôt soumise au régime grec?

Les Français feraient bien de méditer longuement l’exemple grec, car rien ne dit qu’ils n’y échapperont pas tôt ou tard.

En apparence, la France a éteint pas mal d’incendies qui la menaçaient, et elle a obtenu plusieurs arrangements avec la Commission. Dans une lettre envoyée cette semaine, Michel Sapin a d’ailleurs obtenu un quasi-report des engagements de la France à revenir à un déficit public sous les 3% de PIB pour… 2018, c’est-à-dire après les présidentielles.

Toutefois…

« Je tenais à réaffirmer l’engagement de la France à respecter en 2015 l’ajustement structurel de référence prévu par les règles européennes, soit 0,5% du Produit intérieur brut, » écrit en particulier le ministre dans ce courrier dont l’AFP a vu une copie, tout en reconnaissant une « divergence d’appréciation » avec l’exécutif européen.

Il subsiste encore quelques désaccords d’interprétation sur l’engagement français, désaccords qui tiennent principalement à l’étendue du déficit de 2014. Pour la Commission, la France doit restreindre son déficit de 0,5 point par rapport au déficit estimé de 2014. Si celui-ci devait être plus important que prévu, la Commission estime que la France devrait corriger son effort, alors que Sapin ne l’entend pas de cette oreille.

Le 49-3, une exigence européenne

C’est à la lumière de ces petits débats qu’il faut relire la péripétie du 49-3 en France. Beaucoup se demandaient pourquoi Manuel Valls avait choisi une voie aussi exposée pour faire passer la loi Macron. C’est une déclaration d’Angela Merkel qui a éclairé le sujet vendredi lors d’une conférence de presse conjointe avec François Hollande, à l’issue d’un déjeuner:

« La France n’a pas besoin de mes encouragements ni de mes félicitations, mais je crois que c’est une bonne chose que cette loi ait été adoptée. Il y a une véritable capacité d’agir qui existe », a-t-elle ajouté.

En réalité, la loi Macron est un atout maître dans le dispositif français de réponse aux exigences de l’Union Européenne, et les ruades de poulain fougueux poussées par Manuel Valls sont d’abord faites pour éviter des sanctions imposées par la Commission (avec un chaleureux soutien prussien) contre nos dérapages budgétaires incessants.

Il restera à voir si le prix (notamment politique) à payer pour éviter les sanctions européennes ne se révèlera pas supérieur à leur bénéfice…

Source

Syriza, les manoeuvres de Washington et la victoire de Berlin

Après les nombreux effets de manche du gouvernement d’extrême-gauche grec de ces derniers jours, la réalité s’est imposée à Athènes. Tsipras a accepté de se soumettre lors de la rencontre des ministres des Finances de l’Eurozone. Ayant accepté toutes les conditions fondamentales de l’Eurogroupe (états membres de la zone euro), Tsipras doit présenter la semaine prochaine des réformes qui devront être validées par la “Troïka”.

Sur quoi a capitulé la Grèce ?

1) La Grèce a globalement accepté de compléter la restructuration entreprise avec l’aide de la Troïka. Celle-ci repose sur un soutien financier via des taux à intérêts très bas en échange de réformes structurelles. Syriza avait campagne contre le “memorandum” – du nom du programme négocié entre la Grèce, la Commission Européenne, la BCE et le FMI – et pour mettre fin au “plan de sauvetage” qu’il détaillait.

Tsipras déclarait encore la semaine dernière que ce plan était “fini” et que la Grèce n’accepterait plus d’argent de ses créditeurs. La faillite inéluctable qui pointait à l’horizon en cas d’échec hier a eu raison du démagogue d’extrême-gauche.

2) La Troïka, que Tsipras avait présenté comme “morte”, est toujours bien en place. Dans les documents officiels elle est désormais désignée sous le terme “institutions” (BCE – UE – FMI), pour modérer l’humiliation de Syriza. Il n’empêche, les institutions en charge de veiller à la mise en oeuvre du plan de sauvetage ne sont rien moins que celles qui constituent la Troïka. C’était une condition sine qua none de tout soutien à Grèce : difficile en effet d’aider un pays qui refuse de discuter avec ceux qui le financent.

3) La Grèce remboursera la totalité de sa dette. Alors que Tsipras annonçait que la dette ne serait pas remboursée puis qu’il escomptait un abandon de la part des créditeurs du pays de 50% de celle-ci, son gouvernement a accepté par écrit hier d’honorer la totalité de sa dette qui s’élève à 320 milliards d’euros.

4) Les fonds de recapitalisation des banques grecques demeurent sous contrôle européen. Le gouvernement d’extrême-gauche voulait que les fonds de l’actuelle tranche du plan de sauvetage restants soient donnés au Fonds Hellénique de Stabilisation Financière. Une manoeuvre évidente pour disposer de liquidés très rapidement et arroser ainsi à sa discrétion ses clientèles électorales. Les Européens ont refusé et Tsipras a du là encore capituler. On ne rasera pas gratis ces prochains mois en Grèce.

5) Le gouvernement grec accepte que le FMI continue d’intervenir dans le processus économique grec. Tsipras a signé le document de l’Eurogroupe stipulant : “Nous acceptons que le FMI continue de jouer son rôle”. Un revirement à 180° puisque cet acteur essentiel de la Troïka continue d’agir.

6) Le gouvernement grec ne prendra “aucune initiative unilatérale”. C’est-à-dire qu’il accepte de ne pas voter de lois sans l’aval des capitales européennes d’ici à juin, du genre de celles qu’entendait appliquer Tsipras. Le président de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, et le commissaire européen à l’économie, Pierre Moscovici, ont annoncé en conférence de presse que cela s’appliquerait aussi aux annonces tapageuses faites par Tsipras lors de son discours au parlement grec dans lequel il voulait remettre en cause les réformes du marché du travail réalisées précédemment.

7) 4 mois plutôt que 6 mois. Le gouvernement grec demandait une allonge de 6 mois de son financement sans droit de regard de la part de ses créditeurs européens, le temps pour elle de mettre en place “ses” réformes qui se chiffrent à 20 milliards d’euros. C’était seulement “après ces six mois”, que le gouvernement grec entendait “renégocier” son “plan de sauvetage”.

Comme on l’a vu, ces réformes ne verront jamais le jour hormis celles d’ordre cosmétique. L’Eurogroupe a refusé d’étendre à 6 mois son plan d’aide en le réduisant à 4 mois et ce sous condition. C’est un point fondamental car cela signifie que le plan transitoire expire au mois de juin. Or la Grèce doit rembourser la Banque Centrale Européenne de 6,7 milliards d’euros en juillet et août.

En d’autres termes, le plan de sauvetage défendu par l’Eurogroupe est maintenu pendant 4 mois, sans condition. Et au mois de juin, le gouvernement grec sera dans une situation encore plus difficile financièrement qu’à présent et ses soutiens en Grèce auront largement déchanté quant aux promesses de campagne de Syriza.

Comme l’a déclaré le ministre allemand des Finances, très satisfait : “le gouvernement grec aura beaucoup de difficultés à expliquer l’accord à ses électeurs”.

Le Parti Communiste Français, membre du Front de Gauche, était quant à lui trop occupé à sauver la face pour rentrer dans le détail de l’accord :

Cet accord-pont est 1 victoire du peuple grec & la preuve que le changement est possible @tsipras_eu#Eurogrouppic.twitter.com/e7WrTtFvSY

— Pierre Laurent (@plaurent_pcf) 20 Février 2015

De la même manière, Jean Luc Mélenchon s’est empressé de faire passer cette capitulation de Syriza en “victoire”, au risque de se solidariser de l’énorme désillusion qui va s’emparer de l’électorat d’extrême-gauche :

@JLMelenchon Hourra ! L’ignoble Schäuble n’a pas eu le dernier mot ! Félicitations au gouvernement grec !
22:15 – 20 Févr 2015

Source

Olivier Delorme : « Quel que soit le risque, les Grecs refuseront tout retour en arrière »

Olivier Delorme est écrivain et historien. Passionné par la Grèce, il est l’auteur de La Grèce et les Balkans: du Ve siècle à nos jours (en Folio Gallimard, 2013, trois tomes), qui fait aujourd’hui référence. On peut par ailleurs le suivre sur son site. Il revient ici sur les trois premières semaines du gouvernement Tsipras et nous éclaire sur l’état d’esprit des Grecs.

***
Des manifestations ont eu lieu partout en Europe le week-end dernier pour soutenir le peuple grec. Hors d’Europe aussi, d’ailleurs, jusqu’en Australie ! Comment vos amis grecs vivent-ils cela ?

Les Grecs savent qu’ils sont un petit peuple, ce qui ne les a pas empêchés de jouer parfois un grand rôle dans l’histoire contemporaine : leur révolution de 1821 et leur guerre de libération nationale contre l’Empire ottoman aboutissant à l’indépendance en 1830 sont les premières dans l’Europe antirévolutionnaire de la Sainte-Alliance ; leurs victoires sur l’Italie fasciste en 1940-1941 sont les premières, dans la guerre mondiale, d’un pays attaqué par l’Axe, et forcent les Allemands à intervenir dans les Balkans au printemps 1941, puis la résistance des Grecs, sur le continent comme en Crète, retarde l’offensive contre l’URSS et empêche Hitler d’arriver devant Moscou avant l’hiver.

Les Grecs sont un petit peuple, mais un peuple qui, depuis l’Antiquité, a vécu pour partie en diaspora. L’émigration a été particulièrement forte entre 1850 et le milieu des années 1970, les communautés d’Australie (Melbourne est la 3e « ville grecque » au monde avec plus de 150.000 « Grecs ») ou des Etats-Unis restent souvent très liées au village d’origine, solidaires : c’est le cas, par exemple, dans l’île où j’habite une partie de l’année, où deux villages ont émigré en Australie, deux autres à New York (Astoria). Il y a des allers et retours, pour les vacances, un baptême ou un mariage qu’on vient célébrer au pays, les études dans une université occidentale, la retraite au village…

L’émigration a dû pas mal croître ces dernières années sous l’effet de la crise, par ailleurs…

Absolument. Entre autres conséquences tragiques, la politique de déflation imposée par la Troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne, Fonds monétaire international) à la Grèce depuis cinq ans a entraîné la reprise de l’émigration, des plus diplômés souvent, vers les Etats-Unis et l’Australie – où des parents servent de structure d’accueil et d’intégration -, mais aussi vers des pays d’Europe occidentale.

Beaucoup de Grecs ont donc à la fois un fort sentiment patriotique et une ouverture sur le monde, une sensibilité au monde (et pas seulement à l’Europe), beaucoup plus grande qu’on ne l’imagine ici. En l’occurrence, lors de mon dernier séjour dans « mon île », début janvier, il y avait chez les amis avec qui j’ai discuté des perspectives d’alors, la conviction que si le gouvernement issu des élections était celui qu’ils espéraient, ce gouvernement se battrait non seulement pour les Grecs mais pour tous les peuples européens. Le sentiment est très fort, en Grèce, d’avoir été le laboratoire de politiques destinées à être étendues aux autres peuples européens et donc aussi de combattre pour les autres peuples européensen rejetant ces politiques-là. Tous les échos qui m’arrivent aujourd’hui de Grèce montrent qu’il y a une grande attention aux manifestations de solidarité des autres peuples. Pour beaucoup de Grecs, ce qui se joue en Europe est moins une épreuve de force entre la Grèce et d’autres Etats européens, qu’une lutte des peuples européens contre une Union européenne qui s’est faite le vecteur et l’alibi des politiques néolibérales dont les Grecs ont tant souffert depuis cinq ans. Une lutte dans laquelle le peuple grec se trouve à l’avant-garde, ce qui conduit beaucoup de Grecs à guetter avec attention, espoir… ou déception, les signes venant de ces autres peuples européens.

Les sondages qui s’enchaînent montrent un soutien grandissant du peuple grec à son gouvernement. Près de 80% désormais, soit bien plus que la proportion de gens ayant voté pour Syriza. Vu de l’extérieur, c’est surprenant. Dans notre Europe en crise, on s’attendait plutôt à voir triompher les extrêmes-droites. Y’a-t-il quelque chose dans l’histoire de la Grèce qui laissait prévoir pareil succès pour un parti de gauche ?

Olivier Delorme

L’extrême droite n’existait plus en Grèce, jusqu’à l’intervention de la Troïka, qu’à l’état de trace. Il y a, à cela, des causes historiques. L’extrême droite a collaboré durant l’occupation et ses bataillons de sécurité ou autres milices au service des Allemands ont commis des crimes de masse. Mais au lieu d’épurer, à la Libération, les Anglais, qui ont imposé par un scrutin truqué le retour d’une monarchie réactionnaire, se sont appuyés sur ces milices de « coupeurs de têtes » pour faire régner une « terreur blanche » qui a visé les anciens résistants. En Grèce, la Résistance a été particulièrement rapide et massive, principalement organisée autour du parti communiste KKE. Ce qui explique que l’occupation allemande a été l’une des plus sauvages et destructrices d’Europe (la répression et la famine organisée par l’occupant ont tué plus de 8 % de la population ; 1,5 % en France). Puis l’extrême droite a été utilisée par les Américains durant la guerre civile (1946-1949) et, à la suite d’un long et très partiel processus de démocratisation, elle s’est emparée du pouvoir par la force en 1967. Les Colonels, liés à la CIA, ont alors exercé une dictature qui s’est terminée par une tentative de coup d’Etat raté à Chypre, lequel a provoqué l’invasion du Nord de l’île par la Turquie en 1974. 37 % du territoire de Chypre, peuplée à plus de 80 % de Grecs, sont depuis occupés et colonisés par les Turcs : l’extrême droite est donc aussi responsable de ce désastre national.
L’équivalent de notre Front national – le LAOS (Alerte populaire orthodoxe, l’acronyme signifie « peuple ») -, est entré au Parlement pour la première fois en 2007 (3,80 % des voix ; 5,62 % en 2009). Mais il s’est déconsidéré en participant au gouvernement du banquier Papadimos (novembre 2011-mai 2012), constitué sous pression de Berlin, Paris et Bruxelles, pour appliquer la politique dictée par la Troïka.

C’est amusant – si l’on peut s’exprimer ainsi. Personne ne s’est ému de cette participation du LAOS au pouvoir à l’époque. Alors qu’on a entendu mille piaillements il y a quelques semaines lorsque Tsipras a annoncé sa décision de former une coalition avec les Grecs indépendants, qui sont plutôt des conservateurs souverainistes…

Bien sûr ! Aucune instance européenne ni aucun éditorialiste, en France n’a voulu voir alors que la politique européenne aboutissait à l’accession de l’extrême droite au pouvoir en Grèce. Mais une fois de plus, l’extrême droite grecque se trouvait renvoyée à son rôle d’agent d’un pouvoir étranger et disparaissait du Parlement en mai 2012 (2,9 %).

Elle n’a pas disparu bien longtemps puisqu’on a vu ensuite apparaître l’Aube dorée !

En fait, depuis lors, l’extrême droite est divisée en trois tronçons : le LAOS maintenu (1,03 % aux dernières élections) ; un grand nombre de responsables et militants qui ont intégré le parti de droite traditionnelle Nouvelle Démocratie (ND) ; puis, en effet, les néonazis d’Aube dorée.

Mais Nouvelle Démocratie n’est pas un partie d’extrême droite ?…

Disons que sous l’effet des politiques de la Troïka, elle a profondément changé de nature. Issu de la vieille droite monarchiste et autoritaire, ce parti a été créé en 1974 par Konstantinos Karamanlis, qui géra la transition démocratique après un long exil à Paris. Karamanlis en avait fait, sur le modèle des partis gaulliste ou démocrates-chrétiens occidentaux d’alors, une formation modérée à connotation sociale. Son actuel président, l’ex-Premier ministre Antonis Samaras, n’a cessé de la droitiser, avec des pratiques de plus en plus autoritaires et policières, tout en phagocytant l’essentiel du LAOS. Samaras est lui-même élu de Messénie, au sud-ouest du Péloponnèse, terre traditionnelle de l’extrême droite, qui donne ses meilleurs scores à Aube dorée – les bastions de celle-ci correspondant souvent aux zones de recrutement des bataillons de sécurité durant l’occupation. Et la presse grecque a révélé, quelques mois avant les élections, que des dirigeants néonazis d’Aube dorée étaient en contact permanent avec le cabinet du Premier ministre, où ils prenaient leurs instructions – là encore sans que cela n’émeuve personne en Europe occidentale.

Quant à Aube dorée, il s’agit de nervis à l’idéologie simpliste, dont la violence rappelle les pires heures de l’Europe des années 1930. Mais comme les nazis à cette époque sont passés de l’état de groupuscule à celui de premier parti d’Allemagne sous l’effet de la politique de déflation du chancelier centriste Brüning, ce groupuscule, folklorique et sans la moindre audience électorale, a réalisé une percée lors des élections de 2012 (6,97 %), sous l’effet de la même politique de déflation imposée par la Troïka. Il est monté à 9,4 % aux élections européennes de mai 2014 et redescendu à 6,28 % en janvier dernier. Ma conviction est que, par leur histoire, les Grecs ont été « vaccinés » contre l’extrême droite : il aura fallu toute la bêtise de la politique de la Troïka – dont le succès d’Aube dorée est le principal résultat tangible – pour qu’une partie de l’opinion, totalement déboussolée, désespérée, cherche son salut de ce côté-là.

D’ailleurs ce que disent les sondages aujourd’hui, c’est que le retour à la dignité et le rejet des politiques imposées par la Troïka, qui forment l’armature du discours du nouveau gouvernement, réduiraient l’audience d’Aube dorée à 4,7 % et que ses électeurs, suivant les études, sont entre 60 % et 88 % à approuver le gouvernement.

D’une manière générale et toute tendance politique confondue, le taux de soutien au gouvernement grec est saisissant. Tsipras a réalisé une véritable union nationale autour de son projet…

Manifestation en Grèce pour soutenir le gouvernement

Oui, ces taux d’approbation dépassent les 80 % dans l’électorat du vieux parti communiste stalinien (KKE) qui a refusé toute alliance, ils atteignent 51 % dans celui du parti de centre gauche Potami (« le Fleuve », créé par un journaliste de télévision dans le but de fournir un appoint en cas de reconduction de la coalition sortante), et 54,5 % dans celui du parti “socialiste” (PASOK), passé de 43,94 % des voix aux élections de 2009 à 4,68 % à celles de janvier dernier, après avoir servi de supplétif au gouvernement de droite depuis 2012. Les dernières études d’opinion le placent même sous le seuil des 3 % : il n’aurait donc plus de députés si des élections avaient lieu demain. Enfin, plus de 40 % des électeurs ND se déclarent satisfaits de l’action du gouvernement. Et si l’on regarde l’appui à la manière dont le gouvernement conduit la négociation avec l’UE (81,5 % en moyenne) par tranches d’âge (étude du 16 février), il culmine à 86,2 % chez les 18-34 ans, pour 82,3 % chez les 35-54 ans et « seulement » 79,8 % chez les plus de 55 ans !

Comment Syriza, un parti présenté comme représentant une gauche souvent qualifiée de radicale a-t-il pu s’imposer ainsi dans le paysage ?

En réalité, Syriza qui n’avait jamais réuni plus de 5 % des voix avant 2012 a pris la place centrale sur la scène politique qu’occupait le PASOK depuis 1981. Et il a bénéficié d’un apport de cadres venant de ce parti au fur et à mesure des reniements du PASOK et de l’aggravation de la situation économique et sociale. Syriza avait été devancé de peu par la ND aux élections de juin 2012 (26,89 % contre 29,66 % pour la ND, qui n’était en tête que chez les retraités, les femmes au foyer, les patrons et professions libérales), en partie parce qu’il souffrait d’un déficit de crédibilité de son leader, entretenu, comme le climat de peur (si Syriza gagne, les retraites et les salaires ne seront plus payés, les distributeurs de billets seront vides…), par les groupes privés de télévision, seuls maîtres de la scène médiatique après la liquidation de l’audiovisuel public par le gouvernement Samaras en juin 2013. Sa jeunesse, son inexpérience des affaires faisaient que, même si beaucoup partageaient le rejet de la Troïka, ils ne croyaient pas que ce « gamin » de Tsipras « avait les épaules » pour gérer le pays dans cette situation.

Or depuis son arrivée au pouvoir, Tsipras et le gouvernement ont levé ces doutes. Ils ont à la fois manifesté leur détermination à tenir leurs engagements et leur préparation au pouvoir (de nombreux textes législatifs sont prêts). Et comme je l’ai dit dans un récent entretien avec Antoine Reverchon duMonde, le discours de restauration de la dignité nationale, dans un pays dont l’histoire est émaillée d’innombrables ingérences occidentales, où l’on a le sentiment que l’Europe occidentale ignore les contraintes géostratégiques propres à la Grèce, lui a refusé toute réelle solidarité face à la persistante menace turque, où l’on a vécu douloureusement les propos dévalorisants, essentialisants – pour ne pas dire racistes – qui ont été diffusés en Allemagne et ailleurs en Europe de l’Ouest afin de justifier la « stratégie du choc » imposée par la Troïka… ce discours porte bien au-delà de la base électorale de Syriza le 25 janvier dernier.

Au premier rang des propos racistes que vous évoquez, on entend beaucoup, y compris chez ceux qui se présentent comme d’ardents défenseurs de l’Europe, nombre de considérations sur les Grecs qui ne paieraient pas d’impôts, la fraude, la corruption. Qu’en pensez-vous ?

On a beaucoup parlé de la fraude et de l’évasion fiscales en Grèce, en oubliant de préciser ce que, là comme ailleurs, elle doit à des paradis fiscaux installés au cœur de l’Union européenne, qu’il s’agisse de l’Autriche ou du Luxembourg – dirigé si longtemps par l’ancien président de l’Eurogroupe et actuel président de la Commission européenne. Mais le problème fiscal de la Grèce, c’est avant tout celui de la faible imposition du capital (8 % contre une moyenne de 13,4 % en Europe) et des innombrables niches fiscales dont bénéficient les plus riches. Un régime fiscal qui profite à une caste économique qui vit en symbiose avec la caste politique ND-PASOK que Berlin, Paris et Bruxelles tenaient tant à voir rester en place, alors que c’est elle qui a conduit le pays là où il en est. Un régime fiscal que la Troïka, seulement soucieuse de couper dans les dépenses sociales, n’a rien fait pour changer. Mais un régime fiscal auquel Syriza a promis de s’attaquer.

On a aussi beaucoup parlé de corruption, mais la grande corruption bénéficie d’abord aux corrupteurs, en l’occurrence les groupes d’armement, de travaux publics, de grandes surfaces commerciales ou bancaires d’Europe occidentale. Elle a bénéficié ensuite aux responsables politiques ND-PASOK, arrosés (on dit huilés en grec) durant de longues années. Elle a pénalisé le contribuable grec qui doit payer le surcoût des pots-de-vin dans le prix des marchés attribués. Et elle a contribué – pas qu’un peu ! – à creuser la fameuse dette ! Or il faut rappeler que le champion toutes catégories de la corruption, en Grèce, se nomme Siemens et que les industries d’armement allemande et française, dont la Grèce a été régulièrement le deuxième et le troisième clients, figurent tout juste après. Là encore, la volonté du gouvernement de combattre la corruption (un ministre d’État a été exclusivement chargé de ce dossier), celle du ministre de la Défense « Grec indépendant » de rouvrir tous les dossiers de marchés d’armement, recueillent un écho positif dans de très larges secteurs de la société… en même temps – allez savoir ! – qu’ils éveillent peut-être des inquiétudes à Berlin et Paris.

On a enfin beaucoup parlé de clientélisme, mais ce clientélisme est le fait de la ND et du PASOK qui ont alterné au pouvoir depuis 1974. Il a alimenté la petite corruption, celle des enveloppes qu’on remet à un agent public pour s’assurer un service dû, dans un système où le salaire des fonctionnaires était déjà traditionnellement bas. Cette corruption-là se résorbera lorsque les fonctionnaires auront des salaires leur permettant de vivre décemment et qu’ils seront recrutés sur la compétence, non sur la recommandation d’un « patron » ND ou PASOK. Or la Troïka, en coupant dans le salaire des fonctionnaires (30 à 40 %), n’a fait que rendre les enveloppes plus vitales pour un grand nombre d’entre eux. Or la Troïka, en imposant le licenciement de fonctionnaires (en contravention avec leur statut), n’a fait que renforcer le pouvoir des « patrons » qui ont choisi qui resterait et qui serait licencié. Pour beaucoup de Grecs, bien au-delà de l’électorat de Syriza, l’arrivée de ce parti au pouvoir c’est donc aussi l’espoir d’en finir avec ce système de prédation organisé et cogéré par la ND et le PASOK, au profit de la ND et du PASOK, que la Troïka n’a strictement rien fait pour combattre, et d’autant moins que son but était la perpétuation au pouvoir du couple ND-PASOK dont elle était assurée de la docilité.

Quels sont les espoirs des Grecs aujourd’hui ? Désirent-ils avant tout un compromis avec l’Union européenne ? Craignent-ils une rupture ?

C’est bien difficile à dire ! Ce qui est certain, c’est que la « stratégie du choc » appliquée à la Grèce a été d’une telle violence, n’épargnant que la mince caste sociale dominante, qu’elle suscite un rejet bien plus large que la base électorale de Syriza. Elle a dynamité le droit du travail et l’État social, généré un chômage de masse supérieur à ce qu’il était aux États-Unis au pire de la Grande Dépression des années 1930, mis hors d’état de fonctionner correctement les établissements d’enseignement public, privatisé un tiers de l’enseignement supérieur et supprimé un autre tiers, privé de toute couverture maladie un tiers de la population, faisant exploser le nombre des suicides et les troubles psychiques, la toxicomanie et les contaminations VIH (toute médecine préventive a disparu), la mortalité infantile (les taux de vaccination se sont effondrés faute d’accès aux soins). On ampute, on devient aveugle pour cause de diabètes non soignés, les cancers sont pris en charge trop tard, lorsqu’ils sont encore pris en charge, générant une hausse de la mortalité… Les salaires et pensions ont été réduits de 30 % à 40 % tandis que les impôts et taxes ne cessaient d’augmenter, conduisant à un processus rapide de disparition des classes moyennes. Des permis de saccage écologique ont été donnés à des multinationales minières et les résistances locales (Skouriès en Chalcidique pour une mine d’or) ont fait l’objet d’un emploi manifestement disproportionné de la force et des gaz. Le patrimoine archéologique a été mis en danger par les réductions d’effectifs, les vols et la multiplication des fouilles sauvages qui en ont résulté… Au total, la Grèce a perdu, dans cette « stratégie du choc », le quart de son PIB et le tiers de sa production industrielle. Pendant ce temps, cette politique censée réduire la dette (100 % du PIB avant la crise), la faisait grimper à 175 % du PIB en 2014.

On a peine à imaginer, d’ici, la violence et la rapidité du processus de paupérisation de masse visant en réalité à détruire les solidarités sociales et les capacités de résistance collective en renvoyant les individus à la nécessité de survie quotidienne.

Le vote du 25 janvier est donc l’expression d’une volonté de rupture avec cette politique qui a violenté et déstructuré une société tout entière – pour des résultats catastrophiques : les soi-disant indices de redressement de l’économie grecque sont des trompe-l’œil.

C’est aussi l’expression forte d’une volonté de retour à la souveraineté populaire, du désir d’un peuple de se réapproprier son propre destin…

Exact. Pendant cinq ans, des fonctionnaires européens sans aucune légitimité démocratique, ne connaissant rien ni au pays ni à la société grecque, se sont substitués aux autorités constitutionnelles pour imposer des mesures prises de manière technocratique, hors de tout contrôle démocratique. La Troïka a violé la Constitution grecque en ne respectant pas ses principes fondamentaux, elle a imposé l’adoption de nombre de mesures illégales, manifestant le peu de cas qu’elle faisait de l’État de droit – alors que celui-ci et la démocratie figurent dans les principes de l’UE. Elle a en outre piétiné les prérogatives du Parlement en le forçant, sous menace d’un arrêt des crédits, à adopter des mémorandums contenant des centaines de pages, sous la forme d’un article unique autorisant le gouvernement à transposer dans le droit les mesures contenues dans ces mémorandums, privant ainsi le Parlement de toute possibilité d’amender les textes – pourtant fondement essentiel de la démocratie parlementaire.

Aussi le nouveau Premier ministre, comme la nouvelle présidente du Parlement, ont-ils particulièrement insisté, dans leurs premiers discours, sur le respect scrupuleux de la Constitution, de la procédure législative qui y est fixée, sur la fin des abus des procédures d’urgence et le respect du droit d’amendement des députés.

J’avais écrit dans mon blog, avant le 25 janvier, que le résultat du scrutin dépendrait avant tout du nombre de gens qui, en 2012, pensaient avoir encore quelque chose à perdre et qui, après deux ans et demi de plus de Troïka, penseraient, à tort ou à raison, ne plus avoir rien à perdre. L’ironie de ce processus c’est que l’intransigeance, l’autisme, la morgue de l’Allemagne et de l’UE ont joué un rôle décisif dans la défaite de leurs collaborateurs locaux ND-PASOK. Sans doute, avec un peu plus de modération, de souplesse, d’intelligence, de respect pour la démocratie et pour le peuple grec, les apprentis sorciers de Berlin et de Bruxelles auraient-ils pu l’éviter : les responsables allemands et la Troïka ont incontestablement été les meilleurs agents électoraux de Syriza ! Comme aujourd’hui les pressions, les intimidations et les menaces venant d’Allemagne, de l’UE et de la BCE ont pour principal effet de souder les Grecs derrière le gouvernement dans un réflexe de type « salut public ».

Pour le reste, peu de Grecs, je crois, pensent que leur sort va s’améliorer rapidement mais, une fois sauté le pas, je crois aussi que la plupart d’entre eux refusent tout retour en arrière. Quel que soit le risque. Mon ami Panagiotis Grigoriou, historien et sociologue, qui tient l’indispensable bloggreekcrisis.fret a publié La Grèce fantôme, voyage au bout de la crise (2010-2013) chez Fayard (2013), m’écrivait la semaine dernière que l’ambiance ressemblait, à Athènes, à « quelque chose comme un août 1944 par exemple. Même ceux qui ont voté ND se disent à présent syrizistes. Les gens rejettent aussi l’euro et cela de plus en plus. Dans les mentalités l’UE est morte, sauf chez de nombreux jeunes, je crois, et chez les universitaires ! »

D’autres témoignages que je reçois vont dans le même sens : on ne souhaite pas la rupture, on ne souhaite pas la sortie de l’euro, mais si elles interviennent, on fera avec. Un sondage d’opinion indiquait au début de février que 9,5 % des Grecs espéraient une sortie de l’euro, que 33 % pensaient qu’elle n’interviendrait pas et que 35,5 % la redoutaient.

Quid du gouvernement Tsipras lui-même ? Il ne se distingue pas, loin s’en faut, par des prises de positions eurosceptiques. On le qualifie abusivement de « radical » mais il a toujours affirmé vouloir servir sa dette, vouloir demeurer dans l’union monétaire et tient un discours plutôt modéré. Pourrait-il durcir ses positions et dans quelles conditions ?

Syriza n’est pas un parti monolithique et cela tient à son histoire. En 1968, le KKE se scinde. Illégal en Grèce depuis 1947, sa direction en exil dans le bloc soviétique ne s’est déstalinisée que partiellement. Ceux qui font sécession dénoncent à la fois la gestion autoritaire de la direction, l’insuffisante critique de la stratégie qui a conduit à la guerre civile et veulent privilégier l’action clandestine contre la dictature à l’intérieur, qu’ils accusent la direction de négliger. Lors du retour à la démocratie, en 1974, la Grèce aura donc deux partis communistes. Le premier se momifie dans une idéologie immuable, réhabilite même ses dirigeants staliniens, refuse l’unité d’action avec Syriza dans les mobilisations populaires contre la politique de la Troïka et continue aujourd’hui à dire que la ND ou Syriza c’est bonnet blanc et blanc bonnet.
Le second parti communiste, dit de l’intérieur, va évoluer vers ce qu’on appelle alors l’eurocommunisme, critiquer le système soviétique, abandonner le léninisme, s’ouvrir aux revendications féministes ou homosexuelles… C’est ce parti-là qui est le noyau de Syriza, et autour de ce noyau vont progressivement s’agréger des intellectuels de gauche qui ne se reconnaissent ni dans le communisme ni dans la pratique du pouvoir du PASOK, des communistes critiques (l’actuel vice-Premier ministre Dragasakis siège au comité central du KKE jusqu’en 1991), des formations écologiste, trotskiste, maoïste, citoyennes d’où naît Syriza (Coalition de la gauche radicale) en 2004.

Durant des années, cette gauche intellectuelle qui coagule dans Syriza est la seule véritable « boîte à idées » d’une vie politique grecque dominée par le bipartisme, le clanisme de grandes familles et le virage libéral du PASOK sous l’égide du Premier ministre Simitis (1996-2004), le « Rocard grec ». Mais Syriza plafonne électoralement à 5 %. Quant à sa radicalité, elle est toute relative ! Les communistes et gauchistes des origines ont tous évolué vers le réformisme, le néo-keynésianisme, la redistribution. J’ai coutume de dire que Syriza aujourd’hui est notablement moins à gauche que la gauche gaulliste ou de la démocratie chrétienne italienne des années 1960 !

Ce n’est qu’en 2014 que les différentes formations coalisées dans Syriza ont décidé de se fondre en un parti unitaire. Pour autant, toutes les composantes de Syriza ne sont pas sur la même ligne. Car au Syriza originel s’est ajoutée une aile droite composée pour l’essentiel d’anciens du PASOK, en désaccord avec leur parti d’origine sur la soumission à la Troïka, Tsipras se trouvant en quelque sorte au centre. La politique qui sera suivie dépendra en partie des équilibres internes. La « plate-forme de gauche », par exemple, est ouvertement pour une sortie de l’euro. Et Tsipras vient d’être mis en minorité sur le choix du candidat à la présidence de la République : il voulait faire élire le commissaire européen Avramopoulos, un ancien rival de Samaras pour la présidence de la ND, ce qui lui aurait permis de nommer un commissaire proche de Syriza. Mais une majorité des instances de direction du parti a jugé ce candidat trop mémorandien, et Tsipras a été obligé d’y renoncer au profit du juriste Pavlopoulos, un centriste de la ND, lié au clan Karamanlis hostile à Samaras (il a notamment été conseiller du président Konstantinos Karamanlis en 1990-1995, à l’époque où celui-ci faisait figure de « père de la nation »), qui a dénoncé comme anticonstitutionnelles certaines des mesures prises en application des mémorandums. Tsipras a donc obtenu l’ouverture à droite qu’il souhaitait, mais la gauche du parti l’a forcé à choisir un conservateur acceptable pour elle – et soutenu par les Grecs indépendants, partenaires de la coalition, dont les positions à l’égard de la Troïka, de l’UE et de l’euro sont à certains égards plus proches de la gauche de Syriza que des anciens PASOK.
Syriza n’est donc pas un parti capolarisé où le chef décide de tout. Et ceci est important pour l’avenir.

Et donc, pour en revenir à la position de Syriza sur l’euro ?

Version 2015 de l’enlèvement d’Europe (dessin grec)

Je pense qu’elle se pose de la façon suivante : Syriza ne pouvait pas faire campagne en prônant une sortie de l’euro, comme l’ont fait d’autres petits partis de gauche (Plan B, EPAM, Antarsya). L’opinion reste majoritairement attachée à la monnaie unique, essentiellement par crainte des conséquences d’un retour à la drachme. Dire que la sortie de l’euro s’imposerait, c’était prendre le risque de perdre les élections et donc de la poursuite des mémorandums. Il ne pouvait non plus donner comme horizon un défaut sur la dette.

Mais en même temps, Syriza a répété qu’il n’y aurait plus aucun sacrifice pour l’euro et l’on a entendu certains de ses candidats, durant la campagne, dire par exemple que si la BCE, comme elle l’a fait à Chypre, cessait d’approvisionner la Grèce en liquidités, la Banque de Grèce devrait imprimer elle-même des euros… Les arbitrages définitifs sur ces questions ont-ils été rendus ? Je ne le crois pas, et dans une situation aussi mouvante, qui peut assurer que des arbitrages rendus hier seront encore valables au lendemain d’un coup de force des institutions européennes ? Nous sommes dans une dynamique, pas dans une guerre de tranchée.

Dès lors la question est celle des convictions. Les membres du gouvernement sont-ils convaincus qu’ils peuvent mener une « autre politique » à l’intérieur de la cage de fer de l’euro et des traités européens ? Et obtenir des partenaires européens les concessions qui leur permettraient de la mener ? Si oui, à mon avis ils se trompent, et s’ils n’ont pas préparé une option de rechange, ils se trouveront dans la situation de devoir capituler. A propos de la situation de Papandréou face à Merkel et Sarkozy en 2009-2010, j’ai écrit dans La Grèce et les Balkans : « en entrant dans la négociation sans alternative à son échec – moratoire sur le paiement des intérêts et le remboursement de la dette, défaut partiel voire sortie de l’euro, afin d’exercer des pressions sur l’Allemagne et la France dont les banques, importantes détentrices de dette grecque, avaient beaucoup à perdre –, le gouvernement PASOK s’est mis d’emblée en position d’accepter même l’inacceptable ». La situation de Syriza est la même aujourd’hui et s’il met ses pas dans ceux du PASOK, il subira le même sort, en ouvrant toute grande la porte aux néonazis d’Aube dorée.

Mais le gouvernement Grec sait probablement tout cela. D’abord ils ont dû étudier de près les raisons de l’effondrement du PASOK. Ensuite, Varoufakis, par exemple, a la réputation d’être un économiste assez brillant. Est-il imaginable qu’il n’ait pas compris que l’euro est condamné ?

Disons qu’il y a une autre possibilité, c’est que Syriza ait entamé des négociations tout en sachant qu’elles avaient peu