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Faut-il en finir avec les péages d’autoroute ?
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Bâtir, toujours bâtir. Mais qui doit payer ? Le contribuable, par l’impôt ? Ou l’usager, par le péage ? Cette vieille question est au cœur de la tragicomédie qui agite la majorité parlementaire. S’appuyant sur les rapports de la Cour des comptes, de l’Autorité de la concurrence et de la mission d’information de l’Assemblée nationale, elle dénonce des péages autoroutiers trop élevés. Ce qui a conduit le gouvernement à annoncer, le 27 janvier, le gel temporaire de l’augmentation de 0,57 % prévue en février, le temps de trouver une voie de sortie. Les sociétés d’autoroutes ont immédiatement déposé recours contre l’Etat au nom de la rupture du contrat. Jamais la tension entre l’Etat concédant et les sociétés concessionnaires n’a été aussi vive.
Pour sortir de ce conflit qui dure depuis l’automne, le premier ministre, Manuel Valls, a demandé à des parlementaires de reprendre le dossier. Un groupe de travail composé de quinze députés et sénateurs de la majorité et de l’opposition est chargé d’éclairer, rapidement, la décision du gouvernement. Un rapport est attendu aux premiers jours de mars. Mais où sont les issues de secours ? Petit retour sur les vrais enjeux d’une bataille qui concerne tous les Français.
Le rattrapage de l’après-guerre. En 1955, le code de la voirie routière pose que » l’usage des autoroutes est en principe gratuit « . Mais la France d’après-guerre n’a pas d’autoroutes, et veut en construire à marche forcée. Aussi est-il prévu que » la construction et l’exploitation des autoroutes peuvent être concédées à des sociétés « . La concession est un système par lequel une société achète l’exploitation d’une infrastructure, dont elle percevra toutes les recettes pour une durée donnée. A l’issue de celle-ci, elle devra la rendre à l’Etat en bon état de marche. Tout son équilibre financier repose sur les péages et subventions.
Dès 1955, il est prévu que, pour se financer, les sociétés concessionnaires pourront percevoir des péages dont l’évolution sera fixée par le contrat de concession. C’est un choix politique : » Alors que les fonds publics étaient limités, nous avons collectivement préféré faire payer l’autoroute aux usagers plutôt que l’université aux étudiants, dit Yves Crozet, économiste au Laboratoire d’économie des transports (LET), à Lyon. Le péage est légitime en ce qu’il repose sur un service utile pour lequel il existe un fort consentement à payer, chez des utilisateurs à la fois identifiables et solvables. «
Un choix qui s’est révélé judicieux : » Il a permis de construire plus de 9 000 km d’autoroutes, les plus performantes d’Europe, alors qu’on n’a pu en créer que 3 000 km gratuites, à proximité des grandes villes ou dans les régions défavorisées « , écrit Alain Bonnafous, chercheur au LET, dans un article à paraître dans la revue Transport Policy.
Jusqu’en 1984, les premières concessions fonctionnent avec des péages modérés, explique Claude Abraham dans son livre Les Autoroutes concédées en France : 1955-2010, (Celse, 2011). C’est parce que l’on a voulu construire des autoroutes nouvelles moins rentables, et ce sans subvention, que les prix ont dérapé. Pour les financer, on a permis, sous un gouvernement de gauche, aux sociétés qui exploitaient des tronçons très fréquentés d’augmenter leur péage pour financer la construction de nouveaux tronçons non rentables. Ce système fut néanmoins interdit par la loi Sapin de 1993 au nom de la concurrence.
La valse des tarifs. Si, à partir de 1999, toute nouvelle concession sera mise en concurrence, ce système créa un consentement collectif et durable à la hausse des péages. D’autant qu’en 1995, les contrats de plan autorisent les sociétés à les augmenter au-delà de 0,70 % de l’inflation pour compenser des travaux additionnels demandés par l’Etat. Voilà qui leur permis de financer tout et le reste par le péage : des voies et bretelles supplémentaires, mais aussi l’information routière, les barrettes sonores, les sanitaires et tables de pique-nique des aires de repos…
Bref, autant d’investissements qui devraient faire partie de l’entretien normal des autoroutes, donc à leur charge. La Cour des comptes a révélé que les contrats de plan entre 2008 et 2014 se sont traduits par un dérapage des péages sans précédent, et une augmentation de la capacité d’autofinancement de 500 millions pour Cofiroute et 415 millions pour APRR.
Quelques nouvelles autoroutes furent construites avec des subventions d’environ 40 % du coût total, mais la quête du » zéro subvention » revint avec force : » Quand il ya une telle rareté de fonds publics, résume Alain Bonnafous, ce qui détermine le choix d’un concessionnaire, ce n’est plus de maximiser l’utilité collective, mais de minimiser les subventions. » Dès lors, les offres sans subvention furent quasi systématiquement choisies, mais avec des péages hors normes et des durées de concession de soixante à soixante-dix ans. Ce fut le cas du Duplex A86, 10 km de tunnel, qui, entre 6 heures et 22 heures, coûtent entre 7 et 10 euros ! Même sans tunnels et viaducs, les nouvelles autoroutes sont beaucoup plus chères que les anciennes.
En l’absence de toute subvention, les péages augmentent alors beaucoup plus vite que le coût de la vie. Et dès que l’on cesse de bâtir, les actionnaires des sociétés d’autoroutes, pour la plupart des groupes de BTP, crient à la ruine du secteur des travaux publics, de ses emplois et en appellent… à un plan de relance public !
La privatisation par les gouvernements Jospin et Villepin des sociétés d’économie mixte, qui a rapporté en tout 19 milliards d’euros à l’Etat, n’a pas radicalement changé l’équation : « Les contrats d’origine ont été maintenus, assure Alain Bonnafous, et si, depuis le milieu des années 1980, les péages augmentent toujours plus que les prix à la consommation, l’écart entre les deux n’a pas augmenté avec leur privatisation. «
L’évolution de la rente. S’il y a un changement, il est davantage dans l’exploitation de la rente autoroutière, » dont les profits, note Yves Crozet, ont été davantage extériorisés par les acteurs privés que par un Etat qui tend à dilapider la rente par une gestion plus accommodante des effectifs et des salaires « . » La privatisation s’est soldée par d’importants gains de productivité dans des sociétés dont certaines, comme ASF, étaient notoirement mal gérées, confirme Claude Abraham. C’est ainsi qu’elles ont plus que compensé un trafic inférieur à ce qu’elles avaient prévu lors du rachat, et ont pu faire remonter des dividendes plus vite que prévu. «
Depuis leur rachat en 2006, Vinci Autoroutes a supprimé, selon la CGT, 1 661 emplois chez ASF (soit 29 %), dont certains étaient en CDD et en intérim, et 609 chez Escota (35 %), le tout sans plan social, donc à bas bruit. Pour autant, sont-elles » sur-profitables « , comme le dénonce l’Autorité de la concurrence ? Une concession s’évalue sur la durée totale, et non sur un exercice isolé en fin de concession. Cofiroute avait construit sa concession sur un taux de rentabilité interne (TRI) de 8,5 %. Le groupe affirme aujourd’hui que la baisse du trafic après 2008 l’a fait baisser de 1 point, à 7,5 %. Peut on parler de » sur-profitabilité « , pour une activité qui n’est pas sans risque ?
Autre changement lié à la privatisation, dans la relation entre l’Etat concédant et les sociétés. Le premier n’a jamais su gérer à son avantage un acteur privé puissant : Cofiroute a toujours négocié des augmentations très supérieures à celles obtenues par les sociétés d’économie mixte avant leur privatisation. Les contrats de concession les plus récents tentent certes de rééquilibrer la relation, mais la direction de l’équipement a été tellement affaiblie que son insuffisance est devenue criante : la Direction générale des infrastructures des transports et de la mer, la DGITM, les services techniques des routes sont tenus totalement à l’écart des discussions actuelles, qui se passent entre les sociétés et le ministère. Les autoroutes sont bel et bien devenues une affaire politique.
Que peut-on faire ? Pour l’instant, la seule mesure concrète résultant de ces tensions est le renforcement de la régulation des autoroutes. Un article de la loi Macron, adoptée le 19 février, transforme l’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) en Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer). Elle sera en mesure de contenir les tarifs des péages et de mettre plus de concurrence dans les marchés d’autoroutes. Ainsi, par exemple, ce sera à cette autorité, au nom de la transparence, de se pencher sur les contrats.
Elle dira par exemple s’il est justifié que l’automatisation des péages soit payée par les usagers, ou vérifiera si les sociétés concessionnaires, quand elles engagent des travaux, incluent bien dans leurs appels d’offres toutes les entreprises et ne privilégient pas celles des groupes de BTP dont elles dépendent.
L’automobiliste ne voit aucune mesure en sa faveur, hormis le gel de l’augmentation des péages. La balle est dans le camp du groupe de travail parlementaire qui étudie la résiliation anticipée des concessions et la renégociation des contrats existants. La première piste, jugée trop coûteuse – 50 milliards d’euros dont 31 milliards de dettes – aurait été écartée.
Les voies pour la renégociation s’annoncent très étroites, au vu des contrats signés entre le gouvernement et les sociétés concessionnaires. Les sociétés d’autoroutes suggèrent de lisser la hausse de 1,07 % prévue cette année en l’étalant sur les années suivantes. Sur cette question des péages, la piste d’un » tunnel tarifaire » a également été évoquée par les parlementaires. Il est basé sur l’évolution du trafic et donc des rentrées d’argent. En cas de hausse du flux par rapport aux prévisions, les sociétés baisseraient le prix de péage et à l’inverse, en cas de circulation inférieure aux attentes, l’Etat compenserait le manque à gagner. Une autre piste serait d’appliquer ce système à la durée des concessions.
Le groupe de travail examine également les conditions de la mise en vigueur du plan de relance autoroutier. Conclu en 2013 entre l’Etat et les sociétés autoroutières, ce plan d’un montant de 3,2 milliards d’euros vise à l’entretien et à la mise aux normes environnementales du réseau existant. Il entraînera la création de 10 000 à 15 000 emplois. En contrepartie, les sociétés demandent à l’Etat un rallongement de la durée de leur concession d’en moyenne trois ans.
On est loin du » grand soir » rêvé par certains politiques qui ont confondu un peu vite bénéfices et rentabilité.
Qui osera jamais revenir à la gratuité des autoroutes posée comme principe premier dans le code de voirie ? On voit mal l’Etat, qui tire 2 milliards d’euros de recettes des autoroutes (net de la récupération de la TVA par les usagers professionnels), mettre fin à ce système lucratif. La fin des péages n’est donc pas pour demain.