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Piketty recommande chaudement un ouvrage... de sa femme
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Arrêt sur images) Ça vous dit de lire "un petit livre tonique et optimiste" ? Dans sa chronique publiée mardi 24 février dans Libé, l'économiste Thomas Piketty recommande un ouvrage consacré au financement des médias. L'auteur ? Julia Cagé, une économiste mariée à... Piketty Thomas.
Au sujet de Ledoux, actionnaire du journal dans lequel Piketty publie sa chronique depuis dix-sept ans, l'économiste se veut pourtant nuancé : "ALibération, on se souvient encore des propos méprisants de l’actionnaire Ledoux à l’égard des journalistes («je veux prendre à témoin tous les Français qui raquent pour ces mecs»). Et, en même temps, chacun conviendra qu’un journal vivant et maltraité vaut peut-être mieux qu’un journal mort et respecté".
Pour "sauver les médias", titre du livre de Julia Cagé, il y a pourtant une solution : créer un nouveau statut juridique, une "société de media à but non lucratif" dans lequel serait créé un réel équilibre entre petits et grands actionnaires. Objectif ? Garantir la liberté et l'indépendance de la presse.
Et question indépendance, Thomas Piketty s'y connaît. L'auteure de l'ouvrage qu'il recommande n'est pas vraiment une inconnue : c'est sa femme. Dans un portrait publié dans Le Monde en juin 2014, on apprenait que Piketty se rend souvent aux États-Unis pour retrouver "sa nouvelle femme, Julia Cagé, également normalienne et économiste des médias, [qui] est allée perfectionner ses talents à Harvard, où elle vient d'obtenir son doctorat".
Dit autrement : tout comme Le Point qui avait adoré la pizza du fils de Giesbert, Piketty a donc aimé le livre de sa femme... au point d'en faire une chronique dans Libé, sans mentionner ses liens avec l'auteure. Un peu gênant pour une chronique sur l'indépendance des médias. Surtout que Cagé avait déjà eu le droit, il y a dix jours, à une interview dans Libé pour son livre. Une chronique supplémentaire dans le même journal n'était donc pas vraiment indispensable.
PIKETTY A REFUSÉ UNE NOTE DE BAS DE PAGE MENTIONNANT SES LIENS AVEC L'AUTEURE
"Est-ce que le chroniqueur est soumis aux mêmes règles de conflits d'intérêts que les journalistes ? On en a discuté avec Piketty, il a invoqué sa liberté de chroniqueur, on lui a laissé sa liberté de chroniqueur", nous explique-t-on du côté de Libération. Ne pouvait-on pas indiquer en note de bas de page les liens entre le chroniqueur et l'auteure de l'ouvrage ? "On lui a demandé, il a refusé". Aïe.
Jointe par @si, Mme Piketty (Julia Cagé) ne voit pas de problème : "J'ai lu sa chronique avant qu'il l'envoie, je la lis tous les dimanches". A-t-elle alerté son mari du risque de conflit d'intérêts ? "Je ne vois pas fondamentalement le problème, ça ne me choque pas personnellement, je pense que tout le monde s'en fout. Il a écrit plein d'articles sur des bouquins écrits par des collègues. Ses collègues ont écrit des articles sur ses livres. Dans ce cas-là, on ne peut plus écrire sur des bouquins sur les sciences sociales car tout le monde se connaît". Enfin là, il s'agit de votre mari. "Il y a d'autres gens qui ont écrit sur mon bouquin, ce n'est pas comme s'il y avait eu zéro article, poursuit Cagé. C'est plutôt au journal de décider de mettre une note de bas de page pour préciser que je suis sa femme". Oui, sauf que Piketty a précisément refusé cette précision.
Après plusieurs messages, M. Cagé (Thomas Piketty) a fini par se justifier par texto : "Je fais référence aux travaux de Julia Cagé dans la mesure où ils sont pertinents pour les questions dont je traite, exactement de la même façon que pour les travaux de toute autre personne. Je l'ai déjà fait dans le passé [au détour d'une autre chronique, en février 2014], et je continuerai de le faire, dans des articles scientifiques comme dans des articles de presse, que cela vous plaise ou non !"
Dans un deuxième texto aussi tonique et très optimiste sur la notion de conflit d'intérêts, Piketty justifie son refus de la note de bas de page : "Ce n'est pas pertinent pour juger des arguments de fond du livre exposés dans l'article. C'est la différence entre les intérêts financiers d'une part et les relations amicales, privées et intellectuelles d'autre part. La suspicion est de mise dans le premier cas, et non dans le second. Remettre en cause la compétence professionnelle de Julia Cage, la mienne, et la probité des arguments échangés, sans même chercher à les examiner, simplement en évoquant telle ou telle relation privée, ne me semble pas justifié". Pas sûr qu'une conception aussi souple du conflits d'intérêts permette de "sauver les médias".