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France 2 s’acharne sur Zyed et Bouna
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://television.telerama.fr/television/france-2-s-acharne-sur-zyed-et-bouna,124341.php
« D’un côté, les familles des deux adolescents, de l’autre, deux policiers dont une femme, annonce David Pujadas. Dix ans après, le procès des événements de Clichy-sous-Bois s’est donc ouvert à Rennes avec ce face-à-face inédit. » Des « événements » ? Comme en Algérie ? Ce lundi soir, le présentateur n’est pas pressé d’évoquer ce « face-à-face inédit » que TF1 place en ouverture de son 20 heures. Avant d’en parler, deux sujets sur « le retour des investisseurs » en France et un indispensable dossier de quatre minutes (!) consacré au « plus grand site français de démantèlement d’avions de ligne », avec indication du prix de boîtes noires de seconde main (14 000 euros) ou des moteurs d’occasion (2 à 3 millions d’euros) – pour les amateurs, sachez qu’il y a de bonnes affaires à faire sur les manettes de gaz car « elles sont en surabondance ».
Il faut dite que France 2 avait proposé dès dimanche soir une longue présentation des « événements de Clichy-sous-Bois », allant jusqu’à reconstituer les circonstances de la mort de Zyed et Bouna en images de synthèse. Pour l’occasion, Dominique Verdeilhan prend tous les risques, il n’hésite pas à enregistrer un plateau en équilibre sur le talus du cimetière surplombant vertigineusement le site EDF où sont morts Zyed et Bouna. Un faux pas de côté et il se trouvait électrocuté dans l’exercice de son métier.
Le lendemain, le chroniqueur judiciaire est à Rennes, où il donne d’abord la parole au frère d’une victime : « Ça fait dix ans qu’on attend ça. » Puis il raconte l’audience.« Lorsque les deux policiers pénètrent dans la salle d’audience, à l’abri des caméras, l’atmosphère se crispe, on se dévisage, on s’observe. » Si les caméras n’ont pas filmé l’arrivée des prévenus, elles ont auparavant capté des images des parties civiles. C’est donc un trio de parents qui est montré au moment où la voix off déclare : « On se dévisage, on s’observe… Mais aucun dialogue ne s’instaure », déplore Dominique Verdeilhan. Il attendait quoi ? Des embrassades ? Un échange de politesses sur le climat breton ?
Le reporter poursuit son compte-rendu. « “J’estime ne rien avoir à me reprocher”, déclare au tribunal très rapidement le principal prévenu. Le calme est relatif, précaire. » A ce moment, la caméra zoome sur une brochette de dangereux Noirs, les assimilant à une menace contre le calme relatif. Si la concomitance est sans doute fortuite, l’effet est désastreux.
« Les familles quittent l’audience éprouvées », conclut Dominique Verdeilhan avant qu’apparaisse un homme présenté comme étant « Loïc Le Couplier, syndicat de police Alliance » : « C’était très dur, on a évoqué un peu la mémoire de mon frère, c’était presque insupportable. » Accroché aux basques du faux policier mais vrai frère (en réalité, il s’appelle Adel Benna), Dominique Verdeilhan s’emploie à lui faire perdre son calme relatif. « Le discours des policiers, vous l’avez ressenti comment ? Puisqu’ils disent : “Nous avons fait notre travail”… » « Pour l’instant, ils ont juste évoqué leur carrière », évacue « Loïc Le Couplier, syndicat de police Alliance » avec un calme précaire assez impressionnant.
« Quelques policiers sont venus soutenir les prévenus », enchaîne le reporter. Cette fois-ci, la parole est vraiment donnée à « Loïc Le Couplier, syndicat de police Alliance ». « Nos collègues n’ont fait que leur travail. On ne peut rien leur reprocher au niveau technique d’intervention. » Filmé devant le tribunal, Dominique Verdeilhan, devenu à son tour « Loïc Le Couplier, syndicat de police Alliance », achève son compte-rendu. « Dix ans n’ont visiblement pas apaisé les tensions, d’où cet exergue du président : “Le tribunal n’ignore pas les enjeux humains et médiatiques de ce procès.” » Pour bâcler à ce point le sujet, France 2 semble les avoir oubliés. Un acte manqué ?
Souvenez-vous. 10 novembre 2005. David Puajadas : « Depuis le début de cette vague de violence, beaucoup soulignent le sang-froid et le professionnalisme des forces de l’ordre. » Déjà, à l’époque, nous sommes tous policiers. « Mais, pour la première fois aujourd’hui, huit policiers ont été suspendus dans le cadre d’une procédure disciplinaire. » Une procédure disciplinaire initiée… par France 2 !!! Le présentateur ne le dit pas. Dix ans après, l’excellente enquêtes Emeutes en banlieue, la mécanique infernale, diffusée lundi dans Spécial investigation, sur Canal+, rétablit les faits.
Après plus d’une semaine d’émeutes, TF1 a montré dans Sept à Huit une vidéo dans laquelle des policiers contrôlent l’identité de jeunes en les insultant, en les provoquant et en se félicitant du « bordel » ambiant. « La séquence fait polémique,rappelle Julien Daguerre, l’enquêteur de Canal+. Fallait-il diffuser ces images ? Le même dilemme se pose le lendemain à France 2. » Une équipe de reporters a filmé à La Courneuve le passage à tabac d’un homme par huit policiers. « Arlette Chabot, directrice de l’information, décide d’abord de bloquer la diffusion par souci, selon elle, de responsabilité. »
Quel bonheur de retrouver Arlette Chabot ! Dix ans après, elle est toujours aussi droite dans des bottes aussi rigides. « On a une scène un peu particulière, se souvient-elle, donc a prévenu le ministère de l’Intérieur qu’on allait diffuser ces images. » « C’était votre rôle ? » « Oui. » Ne serait-ce que par politesse. « D’ailleurs, ils ont lancé une enquête. » N’est-ce pas le rôle de la télé publique de servir d’auxiliaire à la police avant même de chercher à informer le public ?
Non seulement le ministère est prévenu, mais les images ne sont toujours pas montrées. « Après trois jours de réflexion, le sujet est finalement diffusé dans le 20 heures de David Pujadas. » Qui, on l’a vu, présente l’affaire comme si elle avait été révélée à France 2 par une enquête de police… alors que c’est exactement l’inverse ! Le même soir, note Julien Daguerre, « dans la foulée de ce JT, Arlette Chabot donne longuement la parole à Nicolas Sarkozy sur le plateau d’A vous de juger. » « Une coïncidence, un hasard de calendrier », assure-t-elle aujourd’hui. Qui a permis au ministre de l’Intérieur de s’octroyer le beau rôle, celui d’un premier flic de France intraitable avec les dérapages de ses brebis galeuses.
Si le sens des « responsabilités » d’Arlette Chabot (et de David Pujadas) est remarquablement mis en valeur par l’enquête de Canal+, celle-ci pointe également l’intransigeant sens de l’Etat de Bruno Le Maire, alors conseiller du Premier ministre Dominique de Villepin (je passe sur le rôle de boutefeu de Nicolas Sarkozy, fort bien décrit). Julien Daguerre revient sur la réception par le Premier ministre des familles de Zyed et Bouna (traités de délinquants par Sarkozy), quelques jours après le drame. « Quand les familles arrivent à Matignon, elles découvrent sans avoir été prévenues que Nicolas Sarkozy a remplacé Azouz Beggag [ministre à la Promotion de l’égalité des chances], en dépit des volontés du grand frère de Bouna. » Ledit grand frère se souvient, dix ans après, de sa déception et de son incompréhension.
Puis Julien Daguerre interroge Bruno Le Maire sur le dilemme qui lui était soumis. « Le plus important, c’est de respecter la volonté du ministre de l’intérieur ou celle de la famille ? » « Le plus important, c’est de respecter l’unité du gouvernement de la République française, répond sans hésiter le récent candidat à la présidence de l’UMP. Quand vous avez une crise, tout ce qui peut affaiblir cette unité est mauvais. » Et de justifier l’exclusion d’Azouz Beggag, coupable de lèse-Sarkozy. « Y’a un prix à payer pour l’unité du gouvernement de la République. Il y a des choses un peu injustes ou incompréhensibles qui sont faites. » Je n’imaginais pas Bruno Le Maire capable d’un aussi vibrant plaidoyer pour l’injustice.
Second fait d’armes de Dominique de Villepin et Bruno Le Maire, « au treizième jour de la crise, ils instaurent l’Etat d’urgence ». Il n’avait alors été imposé que deux fois, dont la première en octobre 1961… pour réprimer le FLN. « Un symbole qui va profondément choquer dans les banlieues », rappelle Julien Daguerre. Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois, interviewé peu avant sa récente disparition, parle d’une décision « prise par des conseillers qui se disent : “Tiens, si on faisait un couvre-feu ? Ça va plaire aux gens.” L’objet n'était pas tant de ramener l’ordre que de plaire au reste de la population ».
On voudrait croire Claude Dilain aveuglé par son engagement partisan. On peine à imaginer que la décision ait pu être prise avec autant de légèreté. Mais Bruno Le Maire, l’un des « conseillers » incriminés par le maire de Clichy-sous-Bois, confirme leur inconséquence : « Je ne pense pas que nous ayons mesuré à ce moment-là qu’il pouvait y avoir un effet boomerang par rapport aux événements d’Algérie [tiens, revoilà les « événements »]. Soit on ne l’a pas assez mesuré, soit on n’a pas vu… En tout cas, ça n’a pas fait partie des éléments-clés de la décision. »Traduction : on n’y a pas pensé une seconde. « Sur place, vous vous rendez compte de l’effet ?, interroge Claude Dilain, imaginant le discours des jeunes révoltés : “Vous voyez qu’on a raison ! On nous traite comme le FLN, c’est la France colonialiste qui se réveille !” » Ne manquerait plus qu’on les qualifie de « musulmans », comme on désignait leurs parents du temps de la colonisation.
Justement, rappelle Julien Daguerre, « au dernier jour de la crise, un syndicaliste policier [tiens, revoilà « Loïc Le Couplier, syndicat de police Alliance » sauf qu’il s’appelle Bruno Beshizza et qu’il est de Synergie] affirme que derrière ces émeutes se cachent en réalité les islamistes. » Pour Azouz Beggag, c’est la « cerise sur le gâteau : il n’y a plus de Zyad et Bouna, il n’y a même plus de jeunes de banlieue, il n’y a plus que des islamistes. C’est l’islam. Les islamistes, les fondamentalistes… Et la boucle est bouclée. » Depuis, on tourne en rond.