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Grève des enseignants en Serbie
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Par Jelena Lalatović
Grèves des étudiants, des avocats et des enseignants : l’automne 2014 s’est déroulé sous le signe de la résistance aux politiques néolibérales. Le mouvement étudiant s’est achevé en débâcle, tandis que les avocats ont réussi à obtenir un accord avec l’État. Aujourd’hui, la colonne vertébrale de la résistance aux mesures d’austérité, c’est la lutte des enseignants pour des conditions de travail dignes. Ils sont à présent en grève depuis près de quatre mois. Vraisemblablement, le mouvement évolue vers une radicalisation des manifestations plutôt que vers un accord avec le gouvernement et un arrêt de la grève.
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Plus de 50 000 fonctionnaires de l’Éducation et plus de 700 écoles : cette grève des enseignants est la plus longue de l’histoire récente. Comment tout a commencé ? Sous le prétexte d’économies et de la rationalisation, les salaires du secteur public ont été réduits de 10 %. Or, les enseignants sont la partie la plus vulnérable du secteur public, étant donné que leur salaire, à condition qu’ils travaillent à temps plein, est d’environ 350 euros. Le salaire mensuel des enseignants travaillant à temps partiel est de 200 euros, alors que les dépenses moyennes mensuelles d’un ménage sont estimées à 550 euros. Une baisse du salaire des enseignants les précipite donc à la limite du seuil de pauvreté.
L’éducation, « une dépense inutile » ?
Les élites gouvernantes trouvent leur justification idéologique pour précipiter les enseignants dans une misère de plus en plus noire dans le mythe néolibéral de la nécessité des économies et dans la soi-disant paresse des enseignants qui « passent plus de temps en vacances qu’au travail ». Étant donné que l’éducation est un secteur pas encore complètement soumis aux besoins du marché, et qu’il représente un État libéral une dépense inutile, et non une ressource de développement, les enseignants sont traités par les gouvernements et les médias à leur botte comme un mal nécessaire, qualifiés d’incapables, rendus responsables de leur effroyable situation matérielle, mais également de tous les manquements du système éducatif en Serbie.
L’année scolaire 2014-15 a commencé avec l’annonce de la grève. Des revendications ont été envoyées au ministre de l’Éducation, demandant l’exemption des enseignants du programme de baisse des salaires dans le secteur public, ainsi que l’introduction de niveaux de salaire de référence. Au début, les manifestants ont semblé reproduire les erreurs du mouvement étudiant, en insistant sur des revendications particulières et en demandant une exemption du programme d’austérité au lieu d’appeler à la résistance. Pour ce qui est de la pratique syndicale dans le contexte néolibéral (le maintien des luttes individuelles dans un cadre restreint dans le but d’arracher au pouvoir de maigres concessions), une telle approche n’avait rien d’inattendu.
Comme les enseignants exercent une fonction d’intérêt public, d’après la législation sur le droit de grève, ils ne peuvent pas complètement arrêter le travail. En même temps, suivant la loi et les conventions collectives, protégés d’un licenciement pour cause de grève, ils sont en position d’élargir la lutte au sein du secteur public, mais également au-delà. Face aux grévistes, le gouvernement a tout d’abord réagi selon son mode opératoire habituel : l’ignorance pure et simple, ce qui a été la réponse du pouvoir à toutes les formes de protestations sociales, qu’il s’agisse de grèves ouvrières, de manifestations étudiantes ou de la grève des avocats.
Face aux tentatives désespérées des mouvements en apparence radicaux d’obtenir une réaction, L’État s’en est tenu à la politique de l’épuisement, attendant que l’adversaire abandonne de lui-même. Cette méthode est facilitée par le fait que la grève ne signifie pas l’arrêt de travail, mais la réduction des heures de cours de 45 à 30 minutes, ce qui permet au système de continuer à fonctionner en apparence, et laisse à l’État le loisir de ne pas réagir.
Le 17 novembre 2014, quatre syndicats sont entrés en grève : l’Union des syndicats des enseignants de Serbie (USPRS), qui rassemble plus de la moitié des membres de tous les syndicats serbes, le Syndicat des enseignants de Serbie (SRPS), la Confédération syndicale Indépendance (UGS Nezavisnost) et le Syndicat de l’Éducation de Serbie. L’une des étapes vers la radicalisation du mouvement, qui a poussé le mutique ministre de l’Éducation Srđan Verbić à entamer les négociations, a été l’arrêt total des cours pendant une journée, environ un mois après le début de la grève.
Diabolisation des enseignants
Le ministre, ne renonçant pas à son mantra néolibéral des caisses vides de l’État, a tenté d’intimider les grévistes par la menace d’une baisse supplémentaire des salaires et de mesures disciplinaires à l’encontre des grévistes. Les enseignants se sont vus contraints de réduire leurs revendications à un nouveau minimum quand on leur a proposé, au lieu d’un retour de leurs salaires au niveau précédent, une aide financière à hauteur d’un mois de salaire. Le ministère de l’Éducation s’en est, une fois de plus, tenu à la position qu’il avait adoptée lors des manifestations étudiantes et du blocage de la Faculté des Lettres et Sciences humaines fin 2014 : après une longue période d’ignorance et de manipulations, il a ouvert des négociations, mais au sujet de revendications représentant en réalité une version modifiée et édulcorée des revendications initiales, extorquant de fait une solution à l’amiable.
Après plus de deux mois de négociations, le ministère et les enseignants ne sont toujours pas parvenus à l’accord minimal indispensable à l’arrêt de la grève, dont la durée commence à susciter l’inquiétude parmi les parents et l’opinion publique. L’ampleur et l’unité du mouvement et la nonchalance instrumentalisée des autorités ont permis aux grévistes de ne pas céder sous la pression de l’opinion publique, qui les a sans pitié catégorisés comme feignants (et ce, alors que le ministre des Finances leur a suggéré de réfléchir à prendre un deuxième emploi pour compenser leur baisse de salaire !), et de résister aux menaces à peine voilées du ministre de l’Éducation, selon lesquelles les enseignants qui continueraient la grève verraient leur salaire déjà réduit amputé de 16 % supplémentaires. Une rhétorique de chantage qui s’est finalement révélée contre-productive.
Les autorités tentent de s’en tirer par des pirouettes. Ainsi, selon l’Accord sur la résolution des contentieux, les négociations sur la hauteur des compensations devant être versées aux grévistes ne commenceront que le 1er juin. À la différence des deux autres syndicats, l’USPRS et le SRPS ont refusé de signer cet accord. Mais le manque de scrupule des autorités ne s’arrête pas là.
Le ministre Verbić a posé comme condition pour arriver à un accord la signature d’une Convention collective spéciale. Il a envoyé aux directeurs d’écoles la consigne officielle de déduire du salaire des enseignants grévistes le temps passé à faire grève. Le gouvernement utilise à présent des moyens non seulement illégitimes mais également illégaux, qui représentent une violation flagrante de la loi sur le droit de grève. Avec de telles méthodes, le ministère ne fait que renforcer la résistance et la solidarité des enseignants, qui appellent à une radicalisation de la lutte. Jusqu’alors, les heures de cours étaient certes raccourcies de 15 minutes, ce qui ne perturbait pas outre mesure leur tenue, mais les enseignants en grève s’acquittaient encore de toute une série de tâches scolaires, telles que l’organisation de concours, les cours supplémentaires ou de soutien, et la préparation au bac et aux examens d’entrée à l’université. En s’en tenant aveuglément au diktat néolibéral du gouvernement, le ministère de l’Éducation a contraint les enseignants à une opposition radicale, qui pourrait bien prendre la forme d’un refus d’organiser et de préparer les examens du bac.
Le gouvernement ayant épuisé ses cartouches, il ne lui reste qu’une manière de contraindre les grévistes à signer l’accord controversé : diaboliser les enseignants auprès de l’opinion publique et semer la panique chez les parents d’élèves. Pour cela, il suffit de répandre des rumeurs infondées selon lesquelles les examens du bac n’auront pas lieu, et que les notes ne seront pas définitives à la fin de l’année scolaire, tout en agitant le chiffre terrifiant de la centaine de cours que les élèves auraient manqués à cause des grèves.
Éducation, exploitation
Cependant, il semble bien que l’État néolibéral ne tienne compte de l’intérêt des enfants que dans le but de mettre à mal les intérêts des enseignants. Ne souhaitant pas s’occuper de l’actualité brûlante, le Premier ministre annonce la prochaine mise en place d’une éducation duelle : l’introduction de réformes néolibérales dans l’éducation primaire et secondaire qui, à la différence de l’université, avaient pour l’instant été épargnées par cette tendance. L’éducation duelle, qui sous-entend une professionnalisation en parallèle de la scolarisation, inaugure la sélection des acquis culturels de l’éducation en fonction des besoins du marché. Ainsi, la frontière entre la période de scolarisation et l’entrée sur le marché du travail se dilue progressivement, et l’exploitation est normalisée.
Certes, le système scolaire serbe a besoin de réformes, mais de réformes conçues en fonction de l’intérêt des élèves, et non des futurs employeurs. De telles réformes, qui rendraient à l’éducation son statut de bien commun et de ressource de développement, devront être menées par des enseignants qui ne seraient pas continuellement soumis à des humiliations et à des menaces sur leurs moyens d’existence.