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La Grèce expose ses projets de réformes
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.anti-k.org/2015/03/28/la-grece-expose-ses-projets-de-reformes/
(Le Monde du 29 mars 2015) Athènes a transmis à ses créanciers une liste d’une vingtaine de mesures. Elles sont examinées ce week-end
Ces recettes supplémentaires ne seront en aucun cas le produit d’une réduction des traitements ou des retraites. La liste ne comporte pas de mesures à caractère récessif, mais s’attaquera pour la première fois au revenu des riches « , ont indiqué des sources gouvernementales grecques.
Le document du gouvernement d’Alexis Tsipras évoque, par ailleurs, le fait qu’il entend bâtir un budget dont l’excédent primaire (c’est-à-dire hors service de la dette) sera de 1,5 % du produit intérieur brut (PIB) en 2015, soit moitié moins que l’objectif figurant dans le programme de renflouement de l’Union européenne et du Fonds monétaire international, ce qui permettra de dégager quelques marges de manœuvre financières. Le gouvernement grec table, d’autre part, sur une croissance de 1,4 %.
Dans les mesures évoquées figure en première ligne la lutte contre la fraude fiscale, avec la mise en place, par exemple, de connexions directes entre les entreprises et les services fiscaux. On y trouve aussi une augmentation possible de la TVA sur certains produits, sans toutefois plus de précisions à ce stade sur le type de produits concernés, ou encore la taxation des jeux en ligne.
Redevance audiovisuelle
Dans le cadre d’un changement total de l’attitude de l’Etat vis-à-vis des chaînes de télévision grecques, le gouvernement de M. Tsipras envisagerait, ainsi que la loi l’exige, même si cela n’a jamais eu lieu jusqu’à présent, que ces antennes paient des redevances pour l’octroi de leurs licences.
Le programme détaillé devrait aussi aborder le fonctionnement du système de retraites, même si Athènes a d’ores et déjà exclu un report de l’âge de départ. » C’est une liste qui ne touche ni aux retraites ni aux salaires « , affirme une source grecque proche des négociations. Le gouvernement devrait aussi chercher à lutter contre le travail clandestin et s’engager à ne pas entraver les privatisations, même s’il compte toujours exercer un contrôle sur les sociétés concernées après leur cession au privé.
En dehors du montant global de 3 milliards d’euros de revenus supplémentaires annoncé pour cette année, aucun autre chiffre n’a filtré. Cette liste va probablement faire pas mal d’allers-retours entre Athènes et Bruxelles dans les heures qui viennent. » Le but est qu’elle soit, au final, susceptible de passer la barre de l’Eurogroupe - instance regroupant les ministres des finances des pays de la zone euro – . Donc qu’elle soit conforme à ses prérequis « , explique une source bruxelloise.
Dans l’esprit des Européens, pas question de convoquer un nouvel Eurogroupe si les propositions sont trop éloignées de ce qu’ils attendent, à la suite des accords du 20 février. Les prêts restant à verser dans le cadre du dernier plan d’aide à la Grèce ne seront débloqués qu’une fois que l’Eurogroupe aura donné son feu vert à ces réformes.
De quoi dépend ce feu vert ? C’est là que les choses deviennent un peu floues, du côté des créanciers d’Athènes. Ils n’attendent pas une liste précise, mais veulent des réformes » réalistes « , » utiles « et, surtout, qui préservent l’équilibre des finances publiques du pays. C’est-à-dire que, idéalement, chaque réforme correspondant à des dépenses doit être financée par une autre qui entraîne des rentrées d’argent.
L’heure n’est plus à l’urgence
Il y a donc une marge d’appréciation et de négociation. Le président de l’Eurogroupe, Jerœn Dijsselblœm, a déjà fait savoir à plusieurs reprises que, si des progrès significatifs avaient été accomplis par Athènes et si un accord était obtenu en Eurogroupe, alors le versement d’une première tranche de prêt (1 à 2 milliards d’euros, sur les 7) pourrait advenir rapidement.
A Bruxelles, vendredi, les » institutions » ne semblaient plus si pressées d’examiner la liste des réformes. Elles disaient vouloir prendre le temps. Pourtant, en début de semaine, l’heure était encore à l’urgence. Beaucoup assuraient qu’il fallait la tenue d’un Eurogroupe au plus tard le lundi 30 ou le mardi 31 mars.
La situation financière de la Grèce n’est-elle plus aussi urgente ? Là encore, les informations contradictoires se succèdent depuis quelques jours. En début de semaine, la rumeur courait à Bruxelles que l’Etat grec était menacé d’un défaut de paiement le 8 avril. Maintenant, » on s’aperçoit qu’il reste encore des réserves de cash dans différentes administrations en Grèce « , glisse une source européenne.
Le pays ne serait plus au bord du gouffre et les Européens pourraient en profiter pour pousser leur avantage dans la négociation. Le 9 avril, Athènes doit rembourser plus de 450 millions d’euros au FMI, le 14, il doit racheter pour 1,4 milliard d’euros de bons du Trésor. Et encore 1 milliard le 17 avril. Des sources proches du premier ministre grec qualifiaient, vendredi soir, de » scénarios fantaisistes « les rumeurs d’un défaut de paiement en cas de non-versement de la tranche de prêt de 7,2 milliards d’euros.
Cécile Ducourtieux et Adéa Guillot
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Le rude apprentissage européen de la Grèce
Cela fait un peu plus de deux mois que l’Europe vit à nouveau au rythme de la crise grecque. Il y a eu 2010, puis 2012, où la zone euro a dû trouver, dans l’urgence, des centaines de milliards d’euros pour sauver le pays de la faillite et surtout éviter qu’il n’entraîne tous les autres dans le chaos. L’euro a été préservé, mais la Grèce s’est enfoncée dans la crise économique : un jeune sur deux est au chômage, la dette publique a explosé, à 170 % du PIB… Le 25 janvier, Alexis Tsipras, président de Syriza, est devenu le premier dirigeant de l’eurozone issu d’un parti de la gauche radicale. Le quadragénaire veut rebattre les cartes, en finir avec cette dette aliénante, avec ces politiques d’austérité désespérantes. Mais ses dix-huit partenaires de l’eurozone, à commencer par l’Allemagne, ne l’entendent pas ainsi. La confrontation, rude, parfois violente, s’éternise. Le temps et l’argent sont comptés pourtant. Bien davantage qu’économique, le ressort de cette crise grecque est avant tout politique.
La leçon d’EuropePeu de chefs de gouvernement ont eu droit au traitement réservé à Alexis Tsipras par Angela Merkel, ce lundi 23 mars. Sept heures de tête-à-tête. Il fait beau sur Berlin, alors qu’il pleut à Athènes. Devant les grilles de la chancellerie, des manifestants brandissent des pancartes insolites : » Germany loves Greece « . Le soir, le dîner est 100 % allemand : magret de canard, purée de pommes de terre et chou rouge. Le menu de la rencontre qui suit est tout aussi roboratif. La chancelière a devant elle la liste des mesures signées entre la Grèce et la » troïka « . Crayon à la main, elle passe en revue avec le premier ministre grec tous les points en lui demandant ce qu’il veut garder ou modifier. Et, dans ce cas, comment il finance le changement. Quand ils arrivent à la question des privatisations, M. Tsipras lui explique qu’il est prêt à faire entrer des actionnaires, mais que l’Etat garderait 51 %. » Ça n’intéresse personne « , tranche Mme Merkel. Et l’examen se poursuit. » Je pense que cela a été éprouvant, à la Merkel, mais en même temps pédagogique « , juge un dirigeant européen.
En une semaine, de fait, Alexis Tsipras a pris des cours accélérés d’Europe. Pour le jeune premier ministre, la leçon a commencé à Bruxelles, le 19 mars, lors du minisommet organisé en marge d’un Conseil européen. Il a réclamé, et obtenu, de s’asseoir à la table d’Angela Merkel, de François Hollande et des présidents des grandes institutions européennes : Jean-Claude Juncker (Commission),Donald Tusk (Conseil européen), Mario Draghi (Banque centrale européenne), Jerœn Dijsselblœm (Eurogroupe). Sur la photo, les sourires sont un peu figés.
Il est déjà 22 heures quand la réunion commence, dans un salon perdu au milieu de l’immeuble sans âme du Conseil. Tsipras n’a toujours pas de cravate, mais un costume bien taillé. Angela Merkel arbore une veste rouge écarlate pour s’asseoir en face du chef de la gauche radicale. Mario Draghi a la mine grave. » L’ambiance a été constructive « , diront les conseillers des présidents, en langue diplomatique. C’est vrai, personne ne cherche à enfoncer le jeune politique, au contraire. Il s’agit de jouer serré : il réclame de l’argent, son pays est au bord du dépôt de bilan ? Tout le monde est prêt à l’aider. Mais pas à signer un chèque en blanc.
» Ils ont fait de la pédagogie, à l’allemande, à la française, à la Draghi. Ils voulaient faire passer le message : on te comprend, tu dois comprendre comment l’Europe marche « , décrypte un ministre français. Hollande est bienveillant et Merkel pragmatique, comme toujours. Elle insiste, comme le président français, sur la nécessité de respecter les règles. Elle tente aussi de dédramatiser les interventions de la » troïka « , rebaptisée les » Institutions » (BCE, Commission, Fonds monétaire international : les principaux créanciers du pays). Draghi rappelle que la BCE – devenue la tête de turc du gouvernement grec – est indépendante, contrairement à ce que ce dernier peut penser. D’habitude impassible, il est au bord de la colère quand il demande que les » Institutions « soient laissées libres de travailler à Athènes. Les » men in black » dépêchés en Grèce n’osent alors plus sortir de leur chambre du Hilton ou du Divani Palace, traqués par les médias grecs et déclaréspersona non grata dans les ministères.
L’objectif de ces rencontres entre le jeune chef du gouvernement grec et ses pairs ? Déminer une situation qui n’en finit plus de pourrir. Il y a urgence. Le 15 mars, il leur a envoyé une lettre. Il redoute d’être en défaut de paiement et craint » qu’une faible somme d’argent et une certaine inertie des institutions n’entraîne une grave crise pour la Grèce et l’Europe « . La Grèce a dû en tout débourser près de 6 milliards d’euros en mars. Le 9 avril, elle doit » sortir » encore près de 450 millions d’euros, plus 1,4 milliard en remboursements de bons du Trésor le 14 avril, et encore 1 milliard le 17… Les caisses sont vides. Une telle éventualité serait grave : panique des épargnants, risque d’effondrement du système bancaire national, voire sortie de la Grèce de la zone euro. Le fameux » Grexit « .
A Bruxelles comme à Berlin, Tsipras demande un peu de marge de manœuvre politique pour pouvoir » vendre » à Athènes, où la gauche de Syriza l’attend au tournant, les réformes exigées par ses partenaires. » Tsipras n’a confiance en personne, ni dans la “troïka” ni dans son administration « , note un dirigeant européen, qui souligne : » Il ne faudrait pas dire aux Grecs qu’il appelle la chancelière “Angela” pendant les conseils européens ! «
Course contre le » Grexit « Début mars, personne ne veut l’avouer, mais tout le monde, à la BCE, à la Commission, dans les capitales, commence à réactualiser ses scénarios de Grexit, échafaudés pendant les crises de 2010 et de 2012. Le 13 mars, dans un entretien à la télévision autrichienne, le ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble – qui avait déjà indiqué en offque les marchés avaient intégré une sortie de la Grèce –, évoque publiquement la possibilité d’un Grexit » par accident » : » Parce que nous ne savons pas exactement ce que font ceux qui sont aux responsabilités en Grèce, nous ne pouvons pas l’exclure. «
En réalité, Paris, Berlin et Bruxelles s’organisent pour éviter l’irréparable. Si certains considèrent que l’euro peut survivre à un Grexit, les conséquences sur les autres pays inquiètent. Et l’événement serait perçu comme un échec de l’Europe. Jean-Claude Juncker, à la Commission, en est très conscient, et passe ses journées, discrètement, à faire le lien au téléphone entre les capitales et les » Institutions « . Le 20 février, François Hollande et Angela Merkel se rencontrent pour parler de la Grèce, le matin même d’un Eurogroupe décisif, qui acte le prolongement de l’aide financière des Européens à Athènes.
A mesure que les négociations patinent avec Athènes, et que les caisses grecques se vident, les contacts deviennent incessants, entre Paris, Berlin, la BCE, la Commission et la présidence de l’Eurogroupe. « Nous avons travaillé dans un groupe restreint pour voir comment éviter un tel accident. Nous n’allons pas conduire l’Europe à un échec politique et historique pour un défaut de paiement de 300 millions d’euros ! Il s’agit de mettre en place les moyens pour pouvoir régler le problème en 32 secondes s’il se présente « , explique une source gouvernementale française. Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques et financières, assure : » J’ai interdit à mes équipes de travailler sur un plan B. « Mais une source européenne au cœur des négociations confirme : » Il y a toutes sortes de contacts à tous les niveaux pour éviter un Grexit ou un Grexident. «
Le paradoxe de cette nouvelle crise grecque, c’est que les sommes en jeu sont minimes au regard des précédentes. Un, deux, dix, vingt milliards d’euros tout au plus, pour éviter à Athènes de rater la marche. Mais pendant deux mois de psychodrames, la crise a pris un tour irrationnel.
L’odyssée avortée de Tsipras et VaroufakisQuand il gagne largement le scrutin législatif du 25 janvier, Alexis Tsipras pense que la victoire de Syriza va changer l’Europe. Il veut aller vite. Pour avoir une majorité, il fait alliance avec le parti populiste et souverainiste dePanos Kammenos, les Grecs indépendants, aux antipodes de l’échiquier politique sur les questions de société mais qui partage avec Syriza le rejet de l’austérité. Il donne ainsi le signal d’une ligne dure face à l’Europe et à l’Allemagne. Quelque 7 milliards restent à verser à Athènes. Tsipras pense pouvoir s’en passer. Et ne veut plus traiter avec la » troïka « , symbole de l’asservissement du pays à des » technocrates « européens sans âme venus lui imposer leurs règles.
Ses nouveaux ministres multiplient les annonces : arrêt des privatisations, embauche de fonctionnaires, hausse du salaire minimum… A Athènes, c’est l’euphorie. » C’était une semaine de grande joie, et toutes ces déclarations étaient un véritable appel d’air, car elles montraient au peuple grec que ce gouvernement allait être différent « , se rappelle l’économiste et nouveau député Syriza Costas Lapavitsas. Au sein du parti conservateur européen, le PPE, la peur d’une réaction en chaîne avant les élections en Espagne et au Portugal se propage. Les premiers pas du nouveau gouvernement grec plongent Berlin dans une sorte de stupeur.
Une semaine à peine après leur arrivée au pouvoir, Tsipras et son ministre des finances, Yanis Varoufakis, se lancent dans un mini-tour d’Europe anti-austérité qui vire à la catastrophe. » Croire qu’il y aurait deux camps en Europe, avec la France et l’Italie du côté de la Grèce contre l’Allemagne, était une illusion. Ce n’est pas comme ça que l’Europe fonctionne « , explique pourtant Michel Sapin à Yanis Varoufakis lors de sa visite à Paris, le 1er février. Il lui donne un autre conseil, face à la stratégie du gouvernement grec qui tente d’obtenir des concessions de l’Europe en pensant que tout le monde a peur d’une sortie de la Grèce de la zone euro : » La dissuasion du faible au fort ne marche pas. Personne ne veut faire de vous des martyrs. Le chantage sur l’Europe, ça ne marche pas. « Mais cette première leçon sur l’Europe tombe à plat…
» Je ne m’attendais pas à ce que l’on me dise : “Bravo Yanis !” Mais j’aime l’Europe et je crois qu’il faut changer de cap « , plaide aujourd’hui le ministre grec des finances, dans son vaste bureau avec vue sur la place Syntagma et le Parlement. Le 4 février, il continue à donner son avis à Francfort face à Mario Draghi et à Berlin face à Wolfgang Schäuble. La rencontre gréco-allemande est un fiasco. » Nous sommes tombés d’accord pour ne pas être d’accord « , grince Schäuble en conférence de presse.Varoufakis réplique : » Nous ne sommes même pas tombés d’accord sur le fait de ne pas être d’accord. « Le Grec n’est pas près d’oublier cet affrontement. » Le peuple grec ne m’a pas demandé de tout bousculer, mais j’ai le droit de vouloir ouvrir la discussion, sans m’entendre répondre : “Le programme, c’est le programme.” L’Europe est en danger si l’on ne permet plus le dialogue et des opinions contraires. «
Le soir même, la BCE met un coup d’arrêt à l’odyssée européenne de Syriza. L’institution de Francfort, estimant que le gouvernement Tsipras est trop loin encore d’un accord avec le reste de l’Eurogroupe, coupe un des canaux de financement des banques du pays. La décision est reçue comme un coup de massue à Athènes. Et inquiète les épargnants. Les retraits s’accélèrent : 7,6 milliards d’euros en février. Le système bancaire est fragile. Tsipras et Varoufakis s’aperçoivent aussi, assez vite, que l’argent manque. Et que leurs marges de manœuvre à Bruxelles sont beaucoup plus réduites que prévu. Alors que l’Etat grec doit en tout payer entre 15 et 17 milliards de dollars à ses créanciers pour 2015. Il semble loin, le temps où Yanis Varoufakis expliquait qu’il n’avait pas besoin d’une nouvelle tranche d’aide, contrairement au précédent gouvernement qui l’attendait « comme un drogué attend sa dose « …
Le Minotaure dans le labyrinthe de l’EurogroupeYanis Varoufakis est un économiste star qui a l’habitude d’écumer les plateaux de télévision et qui tweete plus vite que son ombre. L’auteur du livreLe Minotaure planétaire (éditions du Cercle) a une carrure athlétique et un crâne rasé à la Bruce Willis. Son look rock – chemise déboutonnée, veste en cuir, arrivées au ministère des finances à moto – tranche dans le monde feutré des Eurogroupes, où ses collègues affichent une allure nettement plus passe-partout. Mais c’est surtout le ton de donneur de leçons qui horripile ses collègues. Et bien sûr, ses idées. » L’une des difficultés, c’est aussi la différence de culture politique. Moi, je connais un peu la rhétorique d’extrême gauche. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde autour de la table « , constate le socialiste Pierre Moscovici.
Le 11 février, lors du premier Eurogroupe depuis la composition du gouvernement grec, le Français est l’un des rares, avec son ancien collègue Michel Sapin, à dire clairement qu’il faut trouver une solution qui respecte le vote des Grecs. Le ministre slovaque des finances, Peter Kasimir, un social-démocrate, est le premier à doucher les espoirs grecs : » Je suis de gauche. J’ai déjà été au gouvernement, il y a quelques années, mais on a perdu les élections à cause de la Grèce. Je suis revenu au pouvoir car le gouvernement suivant est tombé, lui aussi, à cause de la Grèce. Je n’ai pas envie de le reperdre à cause d’Athènes. » Son homologue lituanien, Rimantas Sadzius, rappelle à Varoufakis que le smic, chez lui, est inférieur au salaire minimum grec, et qu’il essaie péniblement d’augmenter les petites retraites de 4 euros par mois, alors que la Grèce propose d’augmenter les siennes de 2 euros par jour.
Cette réunion bruxelloise est, elle aussi, un échec. Le Néerlandais Dijsselblœm, qui va se révéler l’un des plus fins négociateurs autour de la table, est arrivé avec un accord de quelques lignes. Il est discuté pied à pied cinq heures durant par les dix-neuf ministres de l’Eurozone. Vers 22 heures, Schäuble, après avoir obtenu un accord oral de Varoufakis, quitte la réunion pour rentrer à Berlin. Mais Alexis Tsipras demande à son ministre de refuser l’accord, après quarante-cinq minutes de conversation téléphonique… Dijsselblœm tente de recoller les morceaux entre 23 heures et minuit… En vain. Les dix-huit ministres sortent de la réunion excédés. Et soudés contre Varoufakis. » Le paradoxe, c’est que s’il avait accepté ce compromis, il aurait obtenu un accord plus favorable que celui du 20 février « , observe Pierre Moscovici.
Le deuxième Eurogroupe, le 16 février, toujours à Bruxelles, est encore plus catastrophique et va contribuer à marginaliser le ministre grec. Varoufakis arrive en retard, en plein exposé du respecté Draghi, tient des propos jugés très professoraux, alors que ses collègues attendent des propositions chiffrées. Une polémique entre différentes versions d’un texte vire à l’affrontement entre Varoufakis et Dijsselblœm. La réunion tourne court.
Pour arracher un accord à l’Eurogroupe du 20 février, on passe à l’échelon politique. Hollande et Merkel fixent le cadre lors d’un entretien à Paris, puis dans une conversation téléphonique de cinquante minutes avec Tsipras et le président du conseil italien, Matteo Renzi. La Grèce demande enfin officiellement une extension du programme d’aide des Européens (jusqu’à fin juin), et s’engage, en échange, à présenter un programme de réformes, qui devra être négocié avec les créanciers. Ce n’est qu’à l’issue de cette négociation qu’elle pourra recevoir les 7 milliards d’euros de prêts du plan d’aide qui restent à verser au pays.
Varoufakis a appris quelques règles. Dans les dernières réunions, il parle moins. » Il a mis du temps à faire la différence entre la parole d’un universitaire, qui doit être brillante pour séduire les amphithéâtres, et celle d’un ministre des finances, dont chaque mot est scruté. Il a dû apprendre le poids des mots « , résume Michel Sapin. Il va bientôt découvrir le choc des photos. Le reportage » people » dans Paris-Match, où on le voit tout sourire dans son bel appartement avec vue imprenable sur l’Acropole, est un désastre.
Les Européens s’appuient sur Tsipras pour court-circuiter Varoufakis. » Alexis Tsipras n’est ni un intellectuel ni un professeur. Il s’est construit une légitimité politique et il a la volonté de réussir dans la durée. Il faut qu’il fasse atterrir ses troupes et que Syriza s’adapte et redescende sur Terre « , explique Michel Sapin. Mais il est un des rares à reconnaître : » Qu’est-ce qu’on a été exigeants avec les Grecs ! On leur demandait de tout savoir sur tout. Mettre en place une alternance politique, ça prend du temps ! «
Certains demandent la tête de Varoufakis à Bruxelles comme à Athènes. » Il a mal joué au niveau européen. Il est trop intelligent, pas assez politique « , estime le politologue grec Elias Nikolakopoulos. Pour le soutenir, Alexis Tsipras organise, le 15 mars devant les caméras à Athènes, une promenade décontractée durant laquelle les deux hommes affichent leur complicité. « J’ai été choisi par mon premier ministre sur cette philosophie économique différente. Nous sommes totalement sur la même ligne « ,assure le ministre des finances.Vendredi 27 mars, Athènes bruissait de rumeurs de démission du flamboyant ministre, aussitôt démenties par le gouvernement.
Le difficile retour à IthaqueChez lui, Tsipras tente de vendre l’accord du 20 février comme une victoire. » La question est de savoir, maintenant, si le gouvernement grec est capable de présenter un programme de réformes sur lequel il n’a pas été élu « , s’interroge Pierre Moscovici. Mais le premier ministre a du mal avec la gauche de son parti. Elle ira même jusqu’à proposer, sans succès, une motion interne appelant à voter contre l’accord. Lors d’une réunion du groupe parlementaire de Syriza le 25 février (qui dure onze heures !) l’ambiance est houleuse. » Chacun a dit ce qu’il pensait de cet accord qui ne résout rien. Il nous maintient seulement vivants mais nous restreint beaucoup dans notre liberté de légiférer puisqu’il nous interdit toute mesure unilatérale. Et nos créanciers considèrent toute loi comme une mesure unilatérale ! « , se désole l’économiste Costas Lapavitsas.
L’abandon du nom de la » troïka » n’a produit aucun effet sur le terrain. » Les interlocuteurs changent tout le temps, les experts européens ne peuvent pas travailler, ils ne peuvent pas se rendre dans les ministères « , se plaignent les Européens.
» Nous avons une volonté de transparence totale « ,se défend Yanis Varoufakis. » S’ils veulent, nous pouvons même relier notre ordinateur au leur pour qu’ils aient nos données en même temps que nous. Mais le régime colonial qui vise à aller comme bon leur semble dans nos ministères, c’est terminé « , clame le ministre sans craindre la contradiction.
Mais la situation se bloque totalement le 17 mars, quand le gouvernement grec fait fuiter une lettre de Declan Costello. Le représentant de la Commission au sein de la » troïka » explique que le vote au Parlement grec d’une loi destinée à soulager les Grecs les plus durement touchés par la crise est » une initiative unilatérale incompatible avec les engagements du 20 février « . A Bruxelles, c’est perçu comme une mauvaise manière de plus d’un gouvernement qui ne respecte décidément pas les règles.
L’affrontement greco-allemand pousse la tension à son comble : relance de la commission d’enquête sur les réparations de guerre, menace de saisie de biens allemands. La presse populaire dans les deux pays en rajoute : caricature de Schäuble en nazi à Athènes, faux doigt d’honneur attribué à Varoufakis à Berlin. Il est urgent de calmer les esprits et d’apaiser la tension.
Après la leçon d’Europe du 23 mars par Angela Merkel, Alexis Tsipras a pris goût à Berlin et cherche des alliés. Le lendemain, il tient table ouverte à l’hôtel Marriott, où il reçoit deux membres sociaux-démocrates du gouvernement, Frank-Walter Steinmeier et Sigmar Gabriel, ainsi que des dirigeants de Die Linke et des Verts. Au SPD, on juge que ses propositions restent vagues.
Dès qu’il rentre à Athènes, le gouvernement grec s’attelle à la tâche pour envoyer à Bruxelles une liste de mesures concrètes. De cette liste dépendra le déblocage d’une partie des 7 milliards de prêts, attendue fébrilement à Athènes. Vendredi 27 mars, dans l’après-midi, la liste est envoyée à Bruxelles, pour examen par les » Institutions « .
Passera-t-elle la barre ? Pas sûr. » Nous sommes dans un moment plus serein, mais quand vous roulez sur une route, il y a des virages qu’il ne faut pas rater. Il faut faire très attention, surtout quand il y a plusieurs conducteurs « , prévient Michel Sapin. Car si la leçon d’Europe semble avoir profité à Alexis Tsipras, une minorité agissante de ministres grecs appelle toujours à la résistance face aux exigences européennes. Au risque de relancer la crise de nerfs entre l’Europe et la Grèce.
Cécile Ducourtieux, Adéa Guillot, Frédéric Lemaître et Alain Salles