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Interview de Sotiris (Antarsya)

Grèce international Sotiris

Lien publiée le 6 avril 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) Le gouvernement Tsipras a envoyé mercredi 1er avril, pour la quatrième fois depuis sa prise de fonctions, une liste de réformes détaillées à Bruxelles. Les négociations n'en finissent pas et les critiques se multiplient à la gauche de Syriza. Faut-il en finir avec les institutions européennes ? Entretien avec Panagiotis Sotiris, philosophe et membre du petit parti extraparlementaire Antarsya.

L'accord du 20 février donnait quatre mois à Athènes et à ses partenaires pour mettre en place un nouvel accord, durable, notamment sur la question de la dette publique grecque. Depuis, les allers-retours entre le gouvernement Tsipras et Bruxelles n'aboutissent pas et la pression européenne ne faiblit pas. Entretien avec Panagiotis Sotiris, philosophe et membre du petit parti extraparlementaire Antarsya (acronyme en grec pour « Front de la gauche grecque anticapitaliste », et qui signifie parallèlement « rébellion »).

Mediapart : Vous êtes philosophe et membre du comité de direction du parti Antarsya. Comment vous situez-vous dans le champ politique et théorique grec ?

Panagiotis Sotiris : Antarsya représente la gauche anticapitaliste grecque ; c’est un front de plusieurs organisations qui vient de la tradition révolutionnaire grecque. Nous défendons l'idée d’une rupture avec l’Union européenne et avec l’euro, et nous sommes pour l'effacement de l'intégralité de la dette publique grecque.

Effacer l'intégralité de la dette grecque, est-ce réaliste ?

C'est plus réaliste que d’essayer de la rembourser intégralement ! Cette dette a été créée par des politiques qui étaient censées nous « sauver » ; c’est l’aspect tragi-comique de la situation grecque. La crise de la dette a en effet éclaté en 2009 et le nouveau cycle d’endettement qui s'en est suivi pour la rembourser nous a mis dans une situation où la dette publique est encore plus importante qu'auparavant. (La dette publique grecque est passée de 120 à 175 % du PIB entre 2010 et 2015, malgré deux effacements partiels – ndlr.)

Êtes-vous aujourd'hui dans l’opposition au gouvernement Tsipras ?

Antarsya essaie de constituer une opposition au nom de l’espoir d'un changement, donc notre opposition au gouvernement Tsipras n'a rien à voir avec celle aux partis pro-austérité : Pasok et Nouvelle Démocratie. Nous sommes constructifs, nous pensons qu'un changement réel est possible aujourd'hui, mais à condition qu’on effectue les ruptures nécessaires. C'est là que nous nous distinguons du KKE, le parti communiste grec : ce dernier est, lui aussi, opposé au gouvernement de Syriza, mais son point de départ est que rien ne peut changer sans l'instauration d'un pouvoir populaire tel qu'il l’imagine. Nous, nous disons qu'il est possible d’avoir des ruptures et des changements positifs pour les couches populaires, de les inscrire dans une perspective anticapitaliste et révolutionnaire, mais l'on n'attend pas pour autant le Moment de la Révolution avec des majuscules partout !   

Pour nous, il s'agit d'abord d'effectuer une rupture avec l’Union européenne. On ne peut comprendre en effet la crise grecque sans faire référence à l’architecture financière, politique et institutionnelle de la zone euro et aux règlements de l'UE. Il nous paraît impossible d’avoir une politique en faveur des couches populaires dans le cadre de l’euro, qui n’est pas une question technique, une simple monnaie, mais l'émanation d'un libéralisme institutionnalisé et inscrit dans les critères du traité de Maastricht, la BCE, et l'absence de marge de manœuvre des banques nationales.

Sortir de la zone euro ne risque-t-il pas d'entraîner une récession encore plus importante ?

En 2009 et 2010, on nous a dit que si l'on sortait de l’euro, on aurait chômage, récession, pauvreté, émigration des diplômés… Or ce fut exactement le prix à payer pour pouvoir rester dans l’euro ! Certes, en quittant la monnaie unique, la Grèce vivra quelques mois difficiles, mais elle sortira d’un cercle vicieux fait de chômage et de privatisations, et elle récupérera le contrôle démocratique et social sur sa politique. Pour nous, c’est une question de démocratie.

Le retour à la drachme risque cependant d'entraîner une baisse de pouvoir d'achat par rapport aux autres pays européens, d'autant plus dommageable que l'économie grecque est très dépendante des autres économies européennes, que ce soit pour le tourisme ou les importations de produits manufacturés. Que répondez-vous à cela ?

On exagère toujours l’échelle et le rôle des importations dans l'estimation de l’inflation. C’est du terrorisme idéologique que de dire que le pays connaîtra une inflation de 50 % en cas de sortie de la zone euro, ou que la Grèce dépend des importations. En réalité, le pays a la possibilité de produire suffisamment de choses. Des économistes de Syriza comme Costas Lapavitsas ont fait des calculs et estiment que ce ne sera pas la catastrophe et que cela permettra, surtout, de se protéger contre la violence du capitalisme international et institutionnalisé.

Face à ce capital mondialisé, comment peut encore s’incarner la souveraineté populaire ? Dans l’État-nation ?

Ce n'est en tout cas pas dans l'Europe, qui n’est pas un État, et ne possède pas non plus de société civile. L’architecture institutionnelle de l’Union européenne est profondément antidémocratique. C’est une forme hybride entre une coopération gouvernementale et un fédéralisme sans démocratie. On peut penser qu’une série de ruptures, sous la pression de mouvements populaires, créera les conditions pour de nouvelles formes de coopérations et de solidarités européennes et internationales, mutuellement bénéfiques. Mais pour l'heure, l’Union européenne, ce n’est pas ça. Dans les années 1970, on a pu imaginer une Union européenne plus démocratique ou utiliser la CEE pour augmenter les acquis sociaux…

Mais je pense qu'à partir de l’Acte unique européen, en 1986, ce fut terminé : tout le processus qui a suivi, avec les traités de Maastricht, d’Amsterdam et de Lisbonne, a été de plus en plus antidémocratique et libéral. Nous sommes maintenant à l'heure de ladite gouvernance démocratique européenne, qui est en réalité une forme de surveillance disciplinaire.

Et ceci ne concerne pas seulement les pays de la périphérie ! Ici en France, vous êtes tout autant dans un moment critique, quand bien même vous êtes un pays du cœur de l’Europe : vous recevez comme nous des pressions pour mettre en œuvre des politiques d’austérité. La question de la rupture est donc importante aussi pour vous.

Vous êtes critique à l'égard du gouvernement Tsipras. N'aviez-vous pas d'espoir quand Syriza a été élu, en janvier dernier ?

Le problème avec la ligne de la direction de Syriza est son refus de discuter la question même de la rupture. C'est un problème que nous avons observé au cours de ces deux premiers mois de pressions extrêmes de la part de l’Union européenne pour que le gouvernement accepte la poursuite de l'austérité, à travers la signature d'un nouvel accord. Or si cela aboutit à une politique d’austérité imposée par un gouvernement de gauche, cela va créer dans la société le sentiment que rien ne peut changer, et cela ne va faire que favoriser les forces de droite. Nous aurons alors connu une « parenthèse de gauche », c’est-à-dire un gouvernement de gauche faible sous la pression des politiques d’austérité.

Pour autant, en janvier, nous avions mis de l'espoir dans l'élection de Syriza, l'espoir que le mouvement populaire exerce une pression suffisante sur le gouvernement, et cet espoir existe toujours. Après cinq années terribles, l’électorat grec a eu la possibilité, en changeant de gouvernement, de mettre un point final à la série de mesures d’austérité. Beaucoup d'électeurs d'Antarsya ont donc voté pour Syriza et notre parti a fait un score très faible, nous nous y attendions. Mais dans le mouvement grec, les positions d’Antarsya sont respectées, même si elles ne se traduisent pas pour l'heure électoralement.

Ce que nous essayons de faire à présent, dans cette période de négociations, c'est de pousser le mouvement populaire à intervenir contre la poursuite de l’austérité. Il faut compenser les pressions de l’UE par des pressions populaires. De fait, Syriza incarne toujours l'espoir en Grèce pour les couches populaires. Le Pasok est devenu un groupuscule, la droite est divisée et affaiblie.

Iriez-vous jusqu'à dire que le gouvernement Syriza a abdiqué devant les institutions européennes comme le Pasok et Nouvelle Démocratie, qui étaient auparavant au gouvernement ?

Non, je n'irais pas jusque-là. Antonis Samaras (premier ministre de juin 2012 à janvier 2015 – ndlr) et le Pasok ont d'abord été punis par les élections du 25 janvier, c’est en soi très positif. Le changement de gouvernement ouvre en outre de nouvelles voies d’intervention pour le mouvement populaire. Syriza n'a rien à voir avec les précédents partis de gouvernement, mais cela ne doit pas nous empêcher d'exercer une opposition de gauche pour faire de la Grèce un exemple qu’une autre voie est possible. Ce n’est pas facile ! L'option facile serait d'avoir une austérité un peu atténuée… Mais le peuple grec n'a pas fait des sacrifices et des luttes pendant cinq ans pour une austérité, même limitée.

Est-il possible, en fin de compte, d'avoir un gouvernement qui exerce une politique de gauche face à la réalité ?

Il n'y a pas beaucoup d'histoires de succès de la gauche au gouvernement, ce sont plutôt des tragédies comme celle d'Allende au Chili, qui avait essayé le changement radical et a été violemment écrasé. Puis on a les gouvernements de gauche des années 1980, où le radicalisme originel s’est converti au réalisme puis au social-libéralisme. En Grèce, ce fut le Pasok, qui a fini par faire beaucoup plus de privatisations et de dérégulations que la droite…

Quand on a un gouvernement de gauche, il existe une volonté politique, mais en même temps il existe la réalité institutionnelle de l’État et des stratégies matérialisées dans l’État, qui n’est pas un instrument neutre, mais le produit d’un rapport de force. Pour rendre possible une politique vraiment différente et radicale, on a donc besoin d'une rupture avec cette stratégie matérialisée dans l’État et il faut aller au-delà de la légalité actuelle, en mettant en place un processus constituant capable de penser la rupture avec les traités existants de l’Union européenne.

Pour cela, on a besoin d’un mouvement fort, afin que les partis de gauche ne se transforment pas en partis-systèmes de gouvernement. Ils doivent rester dans une position contradictoire. Car un excès de force en faveur du capital est inscrit dans l’État ; pour contrebalancer cet excès de force, il faut un mouvement toujours plus radical, de revendications et de pratiques d’autogestion. Pour cela, on a besoin d’une stratégie anticapitaliste, socialiste, sans verser toutefois dans la rêverie révolutionnaire.

Que cela signifie-t-il concrètement ?

Cela veut dire une vague de nationalisations, un mouvement autogestionnaire, de nouvelles formes de contrôle démocratique et social y compris dans les appareils répressifs, des interventions populaires à tous les niveaux. Or le groupe dirigeant de Syriza accepte le cadre constitutionnel actuel. Mais la gauche ne peut pas être seulement une version améliorée de la configuration politique et institutionnelle actuelle... Elle peut, bien sûr, prendre des mesures positives, mais une rupture réelle avec le néolibéralisme et l’austérité est nécessaire.

Jusqu'à présent, la gauche était une gauche de résistance : il s'agissait de résister à l'ordre néolibéral européen et aux politiques patronales, avec une référence idéologique ou morale au socialisme. Désormais, face à cette crise du capitalisme global, cette crise d’un paradigme entier, et au retour des formes de politique de masse, on a besoin d’une gauche non seulement de résistance, mais d’une gauche qui puisse affronter la question du pouvoir et celle de l’hégémonie culturelle, capable d'initier un processus de profond changement social afin de transformer les classes subalternes en classes dirigeantes de toute la société.

Un mouvement de gauche doit être à la fois stratégique, théorique et politique. Que manque-t-il aujourd'hui à la gauche européenne anti-austérité ?

Dans les années 1980, la gauche grecque et anticapitaliste était dans le cadre d’une crise stratégique, c'était une époque de recul pour la gauche dans toutes ses variantes et nous n'avons pas eu – ni la gauche européenne – les grands débats théoriques nécessaires. Nous n'avons pas non plus essayé de comprendre le nouveau cycle historique ouvert après 2008, avec cette question, par exemple, des "mouvements des places" : comment pouvions-nous incorporer ces mouvements ?

Syriza et Podemos n'ont-ils pas répondu aux mobilisations populaires d'Athènes ou de Madrid ?

Syriza dit qu’il représente ces mouvements et qu'il en est la traduction politique, mais il n’existe pas de relation organique entre les deux. Or la gauche, dans les plus grands moments de son histoire, avait une relation organique avec les couches populaires, elle était enracinée dans la vie quotidienne, elle constituait une forme d’éducation et de mise en intelligence politique… La traduction communiste en France, c’était ça – même si c’était une autre époque.

Or aujourd’hui, pour engager un processus de changement, on ne peut plus se contenter d’une simple représentation électorale. Il nous faut également un débat sérieux sur l’État, pour qu’il ne devienne pas un piège pour les gouvernements de gauche. Même les expériences latino-américaines ne discutent pas la nature et la forme de l’État… Nous sommes donc toujours dans une crise théorique et stratégique, qui concerne non seulement Syriza, mais aussi la gauche anticapitaliste. Syriza maintient certes une rhétorique assez radicale en comparaison des autres partis mais, en même temps, sa mentalité se rapproche selon moi d’un eurocommunisme de droite, c'est-à-dire d'une gouvernance progressiste dans le cadre européen.

Pourtant l'aile gauche de Syriza, le courant de la « Plateforme de gauche » qui conteste comme vous l'appartenance à la zone euro, a recueilli quelque 40 % des voix lors du dernier vote au sein du parti, en février… Elle est dans une remise en cause très forte des institutions européennes, et elle ne faiblit pas, au contraire !

Oui, c’est vrai, mais je parle de mentalité pour décrire la tradition d’où vient Syriza. Bien sûr, il y a une volonté de rupture avec l’UE à l’intérieur de Syriza, et il y a des débats.

De fait, si l'on avait encore des illusions sur les institutions européennes, c’est aujourd’hui terminé, au vu des pressions qu'elles exercent sur le gouvernement grec. La conjoncture actuelle rend donc la position de l’aile gauche de Syriza plus pertinente, mais la réalité gouvernementale l'oblige à faire partie de la tactique de Syriza.

On a besoin à présent d’un nouveau rapport de force au sein de la gauche grecque. Si l'on reste dans l’hégémonie d’une position européaniste, à savoir vouloir rester à tout prix dans la zone euro et l'Union européenne, ce sera une catastrophe. Cela ne peut conduire qu'à une politique d'austérité… par un gouvernement de gauche. C'est notre responsabilité, et celle de la Plateforme de gauche, d'empêcher cela.

Pourquoi, selon vous, n'y a-t-il pas de Syriza à la française ?

Les situations des deux pays sont très différentes, mais je crois que la gauche française n’a jamais fait le bilan de son soutien aux politiques sociales-libérales et aux gouvernements PS. Elle n'a pas mené non plus de débat assez sérieux sur l’Europe. En Grèce, malgré les différences que l'on observe aujourd’hui, l'ensemble de la gauche est opposé aux politiques de l’Union européenne. Alors qu'en France il y a un européanisme obstiné, notamment du côté du parti communiste. C'est tragique, car cela offre tout l'espace de l’euroscepticisme à l’extrême droite : c'est elle qui exprime les positions critiques vis-à-vis de l’UE. On a besoin d’un euroscepticisme de gauche, progressiste, démocratique et émancipateur.