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    Philosophes, Grecs et exilés

    Lien publiée le 14 mai 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    (Le Monde) Deux essais et un recueil d'entretiens rappellent l'importance de Kostas Papaïoannou et Kostas Axelos dans la critique de gauche du totalitarisme

    Sans l'apport d'exilés grecs, la philosophie française contemporaine n'aurait pas été la même. On peut penser ainsi à Nikos Poulantzas (1936-1979), qui esquissa le projet d'une transformation socialiste et démocratique de l'Etat. D'une autre génération, -Cornelius Castoriadis (1922-1997) fut un des pionniers à gauche d'une dénonciation radicale du système bureaucratique communiste.

    Cette conscience aiguë de la catastrophe stalinienne, éprouvée au cœur de la guerre civile en Grèce, on la retrouve chez deux autres philosophes qui prirent en  1945 le même navire que Castoriadis, le Mataroa, pour l'Italie puis Paris : Kostas Axelos (1924-2010) et Kostas Papaïoannou (1925-1981). De ces amis de jeunesse qui -allaient jouer un rôle discret mais important dans la vie intellectuelle française, il restait beaucoup à -découvrir, tant leur apport a été éclipsé. Plusieurs publications récentes ressuscitent, à travers eux, tout un monde exigeant de l'édition et des -revues qui peut susciter quelque nostalgie face à la -dégradation médiatique du débat intellectuel aujourd'hui.

    L'ouvrage de François Bordes, Kostas -Papaïoannou (1925-1981). Les idées -contre le néant, apporte de précieuses lumières sur la critique de gauche du -totalitarisme, longtemps souterraine et minoritaire. Son travail historique rappelle que le prisme " générationnel " n'est pas la seule clé pour comprendre un intellectuel. De fait, il souligne les liens politiques profonds qui unissaient Papaïoannou à son père, Stratis, militant socialiste démocratique antistalinien. En un sens, Kostas poursuivra ce combat, dans les revues comme Le Contrat social (1957-1968)de Boris Souvarine, puis avec des libéraux comme Raymond Aron, dansPreuves (1951-1974). Mais cet homme plutôt de gauche, " éternel étudiant " préférant aux -conventions bourgeoises la vie de -bohème, et qui était apprécié des " situationnistes ", se nourrissait aussi de la -fréquentation de peintres et de poètes, en particulier son ami Octavio Paz.

    L'invention de voies nouvelles

    Portée par une méditation sur les archives et la mémoire, l'investigation de François Bordes restitue la singularité du -parcours de Papaïoannou, marqué par l'inachèvement : auteur notamment d'une somme en grec sur le totalitarisme, d'un brillant pamphlet contre le marxisme idéologisé – et dévoyé – des -régimes et -organisations communistes, intituléL'Idéologie froide (1967), et d'une remarquable anthologie, Marx et les marxistes (1965), ce Méditerranéen chaleureux, qui aimait tant converser, n'aura eu ni la force ni le temps de terminer son grand ouvrage, toujours remis sur le -métier, autour de Marx. Ce " livre fantôme ", on peut seulement en imaginer les traits à travers le recueil posthume que ses amis ont publié, De Marx et du marxisme (Gallimard, 1983).

    Différent était le profil d'Axelos, comme en témoignent un recueil de textes et d'études sur son œuvre, L'exil est la patrie de la pensée, et des entretiens réunis dans Une pensée à l'horizon de l'errance, -accompagnant la réédition de son célèbre Marx, penseur de la technique (Encre Marine, 464 p., 37  €). La soutenance de cette thèse avait suscité en  1959 un accrochage avec Raymond Aron, dont il était bien plus éloigné que Papaïoannou. Ses références philosophiques se situaient ailleurs, du côté de la pensée grecque antique et d'une critique de la technique inspirée de Heidegger, rencontré dès 1955, lors de la Décade de Cerisy, où il traduisit sa conférence et ses interventions. Ainsi joua-t-il un rôle clé dans l'acclimatation du philosophe allemand en France, sans relativiser la gravité de son engagement nazi.

    Cette orientation en partie heideggérienne se retrouve dans ses contributions à la revueArguments (1956-1962), dont il deviendra le rédacteur en chef : foyer d'une -gauche hétérodoxe, cette revue, également animée par Edgar Morin et Jean Duvignaud, prônait une révision du marxisme et l'invention de voies nouvelles, par-delà tous les " -ismes ". Un même esprit sous-tend la collection du même nom qu'il dirige, toujours aux Editions de Minuit, à partir de 1960, et qui traduit notamment Herbert Marcuse dont les dénonciations de la -société de consommation et de " l'homme unidimensionnel " fascinent alors la jeunesse contestatrice.

    Ce rôle capital de passeur ne doit pas -occulter l'œuvre propre d'Axelos : dans un style poétique et parfois énigmatique, il explique, contre Descartes érigeant l'homme en " maître et propriétaire du monde ", que nous sommes " traversés par un jeu " – le " jeu du monde ", à l'égard duquel " nous pouvons nous montrer plus ou moins ouverts ". Une philo-sophie qui a cherché à penser, avant d'autres, l'avènement planétaire de la techno-science.