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Antonio Martín, « Le Durruti de la Cerdagne »
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://bataillesocialiste.wordpress.com/2015/05/15/antonio-martin-le-durruti-de-la-cerdagne/
Article biographique par Antonio Gascón et Agustín Guillamón publié en novembre et décembre 2014 dansCatalunya, le journal de la CGT de Catalogne, traduit en français par nos amis du C.A.T.S. de Caen (traduction relue par Agustín Guillamón qui nous l’a envoyée, le CATS nous en ayant autorisé la publication).
Antonio Martín Escudero, plus connu sous le surnom péjoratif d’« el Cojo de Málaga » (« le Boiteux de Málaga ») naquit à Belvis de Monroy (Cáceres). Il était le fils de Celestino Martín Muñoz, cultivateur, et d’Ascensión Escudero Jara, « femme au foyer ». À la naissance d’Antonio, tous deux avait 26 ans. La boiterie dont il souffrait était dûe à une blessure reçue durant les journées révolutionnaires de la Semaine Tragique de Barcelone [1] (1909). Selon d’autres versions la cause de la boiterie fut une ostéite. Contrebandier spécialisé, avec César Flores, dans le passage d’armes par la frontière pour ravitailler les groupes d’action [2]. En 1922, tous deux furent des collaborateurs actifs et habituels du groupe Los Solidarios [3], dont ils faisaient partie.
Exilé en France de 1924 à 1934. Il géra une minuscule échoppe de cordonnier dans un recoin à coté d’une charbonnerie auvergnate, sur le Boulevard Montparnasse à Paris. En 1927, résidant à Aubervilliers, il eut avec une compagne, dont nous ne connaissons pas le nom complet, une fille appelée Florida Martín Sanmartín, qui survécut à sa mort en 1937. Dans cette ville il travailla d’abord dans la construction et ensuite dans un garage.
Après les faits révolutionnaires d’octobre 1934 [4], Martín rentra à Barcelone, on ne sait pas si c’est sur sa propre décision ou sur mandat de l’Organisation, ce qui démontre comme fausse la légende selon laquelle il aurait été emprisonné durant trois semaines à cause des Évènements d’Octobre, ou celle selon laquelle on le voyait conspirer dans quelques villages.
Ce fut alors qu’il décida de s’installer en Cerdagne, où il travailla dans diverses entreprises et métiers (maçon, journalier, serveur) des deux cotés de la frontière : ouvrier à la laiterie SALI à Puigcerdá, maçon à Bellver, journalier à Sallagosa, serveur à Font-Romeu, ou piochant la pierre sur la route de Meranges, au forfait selon les mètres cubes extraits, ou dans l’entreprise Py de Osseja, en Cerdagne française.
En mars 1936, il agit à Puigcerdá comme leader et porte-voix syndicaliste face au patronat, participant à divers meetings locaux. En mai 1936, il assista au Congrès de la CNT à Saragosse, comme délégué pour les syndicats de la Cerdagne. Ces deux faits démontrent qu’il était un militant cénétiste connu.
Il avait un demi-frère, Blanco Martín Milar, qui au début de la guerre fut au Conseil de Défense [5], se faisant appelé Rojo au lieu de Blanco, et dont nous ne savons rien de plus.
En juillet 1936, il n’y eut à Puigcerdá aucun affrontement ni lutte d’importance, étant donné que la fuite des militants de droite vers la France fut très facile. Il est faux d’avancer que Martín sortait de prison en ces journées, comme l’affirment certains, car il n’était pas prisonnier mais client de l’Auberge de Ca l’Aragonais, où logeait également son ami Segundo Jordá Gil, mort prématurément, fusillé à Gérone en 1943.
À partir de la Mutua Puigcerdanesca (La Mutuelle de Puigcerdá), et grâce à diverses collectivisations du commerce et à l’expropriation de diverses industries locales, il se constitua une Coopérative Populaire, qui tendit à la création d’un monopole commercial à Puigcerdá et aux alentours, et qu’on tenta d’étendre à toute la Cerdagne, avec la création de nouvelles coopératives dans différentes localités.
Le Comité de Puigcerdá, présidé par Antonio Martín, contrôlait la frontière et, par conséquent, le passage d’armes et d’aliments, ainsi que la fuite de curés et de militants de droite, et bien entendu la fuite de déserteurs de la cause républicaine. Il tenta d’imposer progressivement à toute la Cerdagne un prix juste pour le blé, le lait et la viande produite, avec l’objectif d’empêcher la spéculation des propriétaires et de fournir à une Barcelone affamée une production alimentaire à des prix accessibles.
Le 9 septembre 1936, Martín était en train d’effectuer une tournée en France, collectant argent, armes et aliments pour la Révolution. Il ne se trouvait donc, par conséquent, pas à Puigcerdá au moment de la tuerie de 21 militants de droite. Mais quelques jours après, il revendiqua, en assemblée populaire, ces exécutions de fascistes, posant comme alternative, en cas de refus de cette action répressive, la démission en bloc du Comité Révolutionnaire de Puigcerdá. L’assemblée décida la continuité du Comité, qui à la fin octobre prit le nouveau nom de Comité Administratif, dans lequel Martín avait le portefeuille de l’Intérieur.
Joan Solé, le maire de Bellver, négociant en bétail et petit propriétaire éleveur et cultivateur du canton (une mule, environ 20 vaches et occasionnellement un taureau), prit la tête de la résistance de ce village, dans lequel l’Esquerra (ERC) avait réussi à maintenir sa force en ne participant pas au soulèvement d’octobre 1934. D’autre part, Solé apparaissait sous la cape d’une entité civique locale : le Bloc Républicain Catalaniste. Joan Solé s’opposait aux prétentions hégémoniques du Comité de Puigcerdá, tentant de défendre ses intérêts économiques particuliers. Comme négociant de bétail, il était partisan du libre marché et il s’opposait viscéralement, comme beaucoup d’autres propriétaires de Bellver, à la politique collectiviste et « monopolisatrice » du Comité de Puigcerdá.
Il n’y avait rien de personnel, ni non plus d’affrontement idéologique, Antonio Martín et le Comité révolutionnaire de Puigcerdá, étaient, aux yeux des négociants de bétail et des petits propriétaires de Bellver, des « étrangers », anarchistes et sauvages, qui portaient atteinte à leur mode de vie traditionnel, pour s’enrichir personnellement sur leur dos à eux, catalans défenseurs de la propriété privé et de l’ordre
civilisé « de toujours ».
Là est l’origine de la légende noire du « Boiteux de Málaga ». Antonio Martín était un authentique diable pour les propriétaires de Bellver, parce qu’il essayait de leur imposer un prix inférieur pour le kilo de viande, 1,25 peseta de moins que ce qu’ils voulaient, et parce qu’il essayait de faire de même avec le lait et le blé, et parce qu’en plus il voulait leur fermer une autre source traditionnelle de revenus, très lucrative : la contrebande (y compris celle de bétail) et le passage clandestin de personnes par la frontière, opération dont se chargeaient des gens d’Estat Català et du PSUC, qui percevaient ainsi d’importantes quantités d’argent.
Le Comité révolutionnaire de Puigcerdá avait créé La Comunal, une coopérative de production et de consommation, qui tendait à monopoliser toute la production agricole et de bétail de la Cerdagne, avec l’objectif d’éviter la spéculation et de vendre à des prix bon marché le blé, la viande et le lait à une Barcelone affamée. Ce fut le « grand délit » de Martín le Boiteux : éviter que les petits propriétaires de Bellver s’enrichissent en profitant de la faim des travailleurs et travailleuses de Barcelone.
Après l’échec du coup indépendantiste contre Companys [6], en novembre 1936, grâce à l’intervention de la CNT, une des unités qui devait participer à ce coup d’État, le Régiment Pyrénéen N°1 de Catalogne, décida d’envoyer sa compagnie de skieurs à La Molina, en décembre, avec l’objectif d’en finir avec l’hégémonie des anarchistes de Puigcerdá. Sous le prétexte de garder et protéger la frontière, ils établirent des patrouilles permanentes à Bellver, ce qui permit à ce village de créer une série de conflits avec le Conseil de Puigcerdá, conflits derrière lesquels se cachait la défense à outrance des intérêts économiques des propriétaires de bétail. Entre janvier et février 1937, se concentrèrent à Bellver divers groupes armés, avec les excuses les plus bigarrées, composés de gens d’Estat Catalá, de l’ERC et du PSUC, et y compris un groupe de mercenaires commandés par « el Penja-robes », probablement un sympathisant stalinien infiltré parmi les cénétistes de Puigcerdá.
Le 10 février 1937, Joan Solé Cristòfol obtint de nouveau la mairie de Bellver, qu’il avait tenu depuis janvier 1934 jusqu’à octobre 1936.
À son tour, Martín, fatigué de tant d’ingérences et en accord avec les miliciens du POUM en garnison au Sanatorium d’Alp, décidèrent de donner l’assaut au Chalet de La Molina et de faire prisonnier toute la compagnie de skieurs. L’opération militaire se déroula à l’aube du 1er mars 1937. Le succès fut total, étant donné que, sans tirer un coup de feu, on fit prisonnier tous les skieurs, officiers compris. Ces derniers furent envoyés immédiatement à Puigcerdá, comme otages.
Les officiers retenus, les hommes de Martín expédièrent la troupe en direction de Barcelone, où ce même jour étaient parvenues des nouvelles téléphoniques concernant ce qui s’était produit, grâce à deux skieurs qui s’étaient enfuis du Chalet dans un moment de confusion.
Le samedi 6 mars Tarradellas et Santillán [7] sortirent en auto à destination de Puigcerdá et de Bellver pour s’informer des graves faits qui s’y étaient déroulés. Le 8 mars, Tarradellas informa la presse barcelonaise de son voyage en Cerdagne.
Tarradellas avait commencé précipitemment des négociations avec la CNT pour obtenir la rapide libération des otages. Ses interlocuteurs furent, en plus de Santillán, le Conseiller de la Défense Francesc Isgleas et Antonio Martín lui-même, qui passèrent avec Taradellas un accord entre gentlemen : les officiers ne seraient pas fusillés, comme le menaçait au début le « Consell de Puigcerdá », mais remis en liberté, à la condition que les troupes pyrénéennes ne réapparaissent pas dans ce secteur, la Généralité s’engageant en plus à ne pas envoyer là-bas d’autres forces, de quelque type que ce soit. Les officiers otages furent immédiatement libérés, mais le gouvernement de la Généralité ne tint pas son engagement.
À six heures et demi de l’après-midi du 8 mars 1937 se réunit le Conseil de la Généralité, sous la présidence de Tarradellas, avec l’assistance de tous les Conseillers, à l’exception de celui de la Justice. Tarradellas informa sur son voyage en Cerdagne, qu’il fit en compagnie de Santillán. Il expliqua qu’ils tinrent une réunion avec toutes les organisations représentées dans le gouvernement, étant informé de la situation dans la comarque [8]. Accompagnés de Juan Montserrat, délégué à la Défense, et par une section du Bataillon de la Mort, ils montèrent au Château d’Alp, occupé par environ 80 militants du POUM, où « ils s’étaient fortifiés sous l’excuse d’un sanatorium, qui est une espèce d’hôtel de passe, avec des miliciens et de prétendues infirmières. Tous ces miliciens touchent une solde de la Généralité et terrorisent la comarque ».
Cette calomnie si grossière qui diffamait les Poumistes était seulement possible du fait de leur expulsion du gouvernement, et elle s’ajoutait au processus de marginalisation et de mise en accusation de ce parti, auquel on attribuait toutes les difficultés du gouvernement d’unité antifasciste. Le Château d’Alp était un sanatorium pour les miliciens du POUM. Il s’agissait de discréditer ces militants comme premier pas à leur expulsion de la comarque, vu que leur présence affaiblissait les forces contre-révolutionnaires du
PSUC, de l’ERC et du gouvernement de la Généralité.
Antonio Martín fut requis à Puigcerdá pour que « soient retirées toutes les forces avec lesquelles il maintenait bloqués différents villages, en attendant la requête ». Tarradellas retira du lieu un lieutenant qui, par son comportement et son caractère, tendait à aggraver les conflits et il ordonna la remise en liberté de tous les prisonniers.
Tarradellas informa sur les « innovations irréalisables » qui constituent « le programme de ceux qui gouvernent Puigcerdá et le canton », qui « sous le prétexte d’une coopérative générale se sont emparé de tout le village et ne se privent pas de contraindre pour acheter tous les produits à bas prix et les vendre plus chers à Barcelone », créant un problème économique à la solution difficile.
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Notes:
1 Soulèvement populaire contre l’envoi des réservistes pour faire la guerre au Maroc.
2 Le terme désigne des groupes anarchistes armés qui menaient dans les années 1920 des attentats et des opérations de représailles contre le patronat, des dignitaires religieux, des politiciens, des officiers connus pour persécuter et assassiner les militants anarchistes. Ils affrontaient la terreur conjointe du patronat et de l’État contre les syndicalistes.
3 Célèbre groupe d’action anarchiste dont faisaient partie, entre autres, Durruti, García Oliver et Ascaso.
4 Tentative avortée de soulèvement populaire contre le gouvernement de droite. Le mouvement catalaniste tenta de prendre le contrôle de Barcelone mais se débanda dès que les forces de répression sortirent dans la rue. Il n’y eut que dans les Asturies que l’insurrection fut réelle et elle fut sauvagement réprimée par l’armée.
5 Le terme désigne le ministère de la défense du gouvernement semi-autonome de la Catalogne, la Généralité.
6 Tentative rocambolesque de renversement du président de la Généralité par un coup d’État fomenté par des ultras catalanistes très marqués à droite. Ils avaient l’intention de proclamer l’indépendance catalane et de réprimer brutalement toute expression anarchiste. La conjuration fut éventée par les services de renseignements cénétistes.
7 Tarradellas était le premier ministre dela Généralité, Santillan (CNT) était le ministre de l’économie de la Généralité.
8 Le terme désigne une entité administrative propre à l’Espagne dont la taille se situe entre celle d’un gros canton et d’un petit département.