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La crise politique s’aggrave au Burundi
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
On couvre les corps de pagnes modestes et délavés avant de les emporter. Dans l'obscurité, on devine des flaques de sang sur le sol, des fruits et des légumes éparpillés, que piétinent à présent des policiers. Des grenades viennent d'être lancées sur le marché en plein air dans le centre de Bujumbura : trois morts, près de quarante blessés, en grande majorité des petites vendeuses de fruits et légumes, qui espéraient profiter de la trêve déclarée quelques heures plus tôt par la coalition qui mène la contestation contre la perspective du troisième mandat du président Pierre Nkurunziza lors de l'élection de juin.
L'espace d'un week-end, la capitale du Burundi espérait reprendre ses esprits, alors que les manifestations durent depuis un mois et paralysent une grande partie des activités. La contestation a été déclenchée par l'annonce, le 25 avril, de la nomination de M. Nkurunziza comme candidat à sa propre succession par le parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie (CNDD-FDD). Cette candidature avait suscité une vive opposition dans la société civile et l'opposition, mais aussi au sein même du parti. Dans le CNDD-FDD, des dissidents, qui avaient signé une lettre pour signifier leur désaccord, ont été réduits au silence.
Les divisions ont été masquées, mais une démonstration a été faite : l'opposition à Pierre Nkurunziza ne s'est pas faite sur une base ethnique mais politique. Les partisans de M. Nkurunziza ont tiré avantage d'une contradiction dans les termes des textes de la Constitution et des accords de paix d'Arusha, qui ont mis fin à la guerre civile en plusieurs étapes jusqu'à 2005. C'était il y a dix ans, et tout semblait alors sourire enfin au pays, au sortir d'un conflit qui avait fait, en une dizaine d'années, environ 300 000 victimes, le tout ponctué de nombreux massacres sur des bases ethniques.
Pendant la guerre civile, les attaques à la grenade étaient fréquentes : ce vendredi soir, Bujumbura est donc spécialement secouée par le retour de ces méthodes en plein centre-ville. Le lendemain, un nouveau coup est porté à la trêve du week-end : un responsable de l'opposition, Zedi Feruzi, est tué devant chez lui. Le 19 mai, il était à Musaga, le bastion de la contestation, où il déclarait : " Ils ont tout mis en œuvre pour nous terroriser (…) Continuez cette lutte, car nous avançons et nous rapprochons, près de la victoire. Je vous le dis, il reste peu de jours avant la victoire. " L'homme était un proche d'Hussein Radjabu, le cerveau politique du CNDD-FDD pendant la dernière phase de la guerre civile. Depuis 2007, il s'était brouillé avec M. Nkurunziza, avait été arrêté, condamné, emprisonné.
" Menace de mort "
Ni les grenades ni cet assassinat politique n'ont cassé la contestation. Le président Nkurunziza estime que le pays est " calme ", et que cette contestation ne touche que quelques quartiers de Bujumbura, épargnant " 99 % du Burundi ". Des quartiers tutsi, affirme Pascal Nyabenda, le président du CNDD-FDD. Désormais, des responsables du parti tentent d'ethniciser la situation. Voilà qui effraie encore un peu plus, au Burundi. Durant le week-end, la coordination de la campagne contre un troisième mandat avait annoncé un arrêt des manifestations afin de permettre aux habitants des quartiers de souffler, de faire des provisions, mais aussi pour que se tiennent de très discrètes négociations sous l'égide des Nations unies, à Bujumbura. Une source onusienne se disait, samedi soir, " confiante " dans l'avancée de ces discussions, parlait de " trois axes de négociations ".
A peine cette source avait-elle fait part de son espoir qu'on apprenait l'assassinat de Zedi Feruzi et la décision des anti-Nkurunziza de quitter les négociations, affirmant dans un communiqué : " On ne dialoguera pas dans le sang et sous la menace de mort. " Les responsables de la fronde anti-troisième mandat pensent qu'une liste d'assassinats politiques sur laquelle ils figurent a été établie. Les discussions se heurtent, de plus, à l'intransigeance de toutes les parties.
Les opposants à Pierre Nkurunziza exigent le retrait de sa candidature. Le pouvoir, de son côté, est déterminé à organiser des élections (locales et législatives le 5 juin, puis présidentielle le 26 juin) à toute force, et à maintenir cette candidature. La présidentielle est loin d'en être le seul enjeu. Les législatives, également, sont cruciales. Si elles avaient lieu dans ce climat d'intimidation, avec une commission électorale sous contrôle du CNDD-FDD, celui-ci emporterait sans doute une victoire écrasante. Cette majorité au Parlement lui permettrait de faire voter toutes sortes de textes. Notamment ceux, fondamentaux, qui requièrent pour être adoptés une majorité aux quatre cinquièmes, ouvrant alors la voie à la possibilité de mettre fin aux dispositions de l'accord de paix d'Arusha fixant des quotas ethniques dans l'armée, la police ou le Parlement. En somme, la fin de la protection de la communauté tutsi.
Faut-il organiser des élections, alors que la plupart des conditions ne sont pas remplies et que le pays tremble de basculer dans des violences plus graves ? Le pouvoir s'efforce de parvenir, à marche forcée, jusqu'au scrutin du 5 juin. Les bailleurs de fonds étaient en train de suspendre l'aide électorale et le Burundi n'était pas certain de pouvoir financer le processus. Comment payer les élections dans ce contexte ? Selon plusieurs sources, plus de 20 millions de dollars (18 millions d'euros) auraient été retirés des comptes des différents ministères pour financer le scrutin. Une manœuvre qui devrait entraîner une rupture avec les institutions financières internationales et accentuer la dérive du Burundi.
Jean-Philippe Rémy