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    La mécanique du défaut

    économie Grèce international

    Lien publiée le 27 mai 2015

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    Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

    https://russeurope.hypotheses.org/3866

    Il faut comprendre la logique d’un possible défaut grec vis-à-vis du FMI, et de ses créanciers. Pour ce faire, on rappelle ici certains éléments.

    A - Avaroufakis

    Les contraintes techniques.

    Le risque de défaut concerne aujourd’hui avant tout les prêts du FMI, qui se montent à un total d’environ 25 milliards d’euros. Ces prêts ont été accordés par le FMI à la suite des plans de sauvetage mis en place de 2010 à 2012. Les remboursements s’étagent (pour les semaines qui viennent) comme suit :

    1. Tout d’abord un montant de 308 millions d’euros exigibles au 5 juin.
    2. Puis, un autre montant de 347 millions d’euros exigibles au 12 juin.
    3. Un autre versement d’un montant de 578 millions d’euros devra être fait le 16 juin.
    4. Enfin, un dernier versement de 347 millions d’euros sera exigible le 19 juin.

    Ces quatre paiements sont prévus pour les trois semaines à venir. Ils portent donc sur un montant total d’environ 1,6 milliards d’euros. Mais, il faut savoir que les prêts du FMI sont libellés en Droits de Tirage Spéciaux (ou DTS), qui est une unité de compte constituées d’un panier de monnaie et jouant le rôle d’une monnaie de réserve potentielle depuis les accords des années 1960[1]. En fait la valeur des remboursements varie en fonction du taux de change entre l’Euro et les DTS. On doit ici ajouter que le FMI est un créancier prioritaire qui n’accepte ni délais ni renégociation ou annulation de ses créances. Il est possible que le gouvernement grec, en raclant les « fonds de tiroir » puisse faire le premier, voir le second de ces paiements. Mais la probabilité qu’il aille au-delà est aujourd’hui très faible. Par ailleurs, a Grèce pourrait demander un délai technique de paiement de 14 jours au FMI. C’est ce qui explique pourquoi l’on parle parfois du 5 juin et parfois du 19 juin. Mais, cette option semble aujourd’hui exclue par le gouvernement grec lui-même.

    Les conséquences d’un défaut et le rôle de la Banque Centrale Européenne.

    Si la Grèce est considérée en défaut par rapport au FMI, cela signifie que l’ensemble des bons du Trésor émis par le gouvernement grec et détenu par différents organismes cessent d’avoir une valeur « comptable ». En fait, tous les praticiens de la finance savent qu’une partie des dettes est finalement honorée dans le cadre d’une « réconciliation » avec le pays ayant fait défaut. Mais, un défaut aboutit toujours à une perte de valeur importante sur les obligations d’Etat concernées, entre 50% et 80%. En fait, sur un total de 315,5 milliards d’euros de dette il faut savoir que 141,8 milliards sont détenus par le Fond Européen de Stabilisation Financière (FESF), 52,9 milliards dans des prêts bilatéraux avec les pays de la zone Euro, 27 milliards sont détenus par la Banque Centrale Européenne et 25 milliards par le FMI. Autrement dit plus de 70% de la dette grecque est détenue par des acteurs publiques ou assimilés européens.

    La Banque Centrale Européenne (BCE) détient des bons du Trésor grecs mais surtout elle finance les banques grecques à travers un mécanisme appelé Emergency Liquidity Assistance ou ELA. Dans ce mécanisme la BCE refinance les banques grecques en acceptant les bons du Trésor grecs détenus par ces banques comme collatéral. On voit immédiatement où se situe le problème si les bons du Trésors grecs doivent être considérés « sans valeur » par la BCE à la suite d’un défaut Très concrètement, cela signifie que la BCE pourrait arrêter l’ELA et même demander le remboursement des crédits accordés aux banques grecques. Même si elle se contente d’arrêter l’ELA la situation des banques grecques, qui doivent faire face actuellement à une hémorragie des dépôts, deviendra très vite, quasiment d’un jour sur l’autre, intenable. De fait, les banques grecques sont actuellement très dépendantes de la BCE et cette dernière a usé de ce mécanisme pour chercher à étrangler le nouveau gouvernement issu des élection du 25 janvier dernier. Ce comportement en dit long sur l’absence de démocratie et même la haine pour tout gouvernement réellement démocratique que l’on a dans les institutions européennes.

    Si la BCE suspend donc l’ELA, il y aura très probablement une panique bancaire. Le gouvernement grec sera alors contraint de nationaliser (même temporairement) certaines banques et devra déclarer des « vacances bancaires » le temps que la situation s’éclaircisse. Il faudra aussi établir un contrôle des capitaux, sur le modèle de ce qui a été faite pour Chypre en 2013. Cependant, il faut savoir que la suspension de l’ELA sera perçue à Athènes comme l’équivalent d’une expulsion de la Grèce hors de la zone Euro, bref comme l’équivalent d’une déclaration de guerre ouverte (car les gouvernants grecs savent bien que l’Eurogroupe et la BCE mènent une guerre feutrée mais sans merci contre eux depuis le 25 janvier).

    Il est cependant probable que le gouvernement grec a d’ores et déjà établi un plan avec des mesures, tant techniques que politiques, qui correspondraient à cette situation. La suspension de l’ELA provoquera donc une grave crise entre la Grèce et les pays de l’Eurogroupe.

    Le chemin d’une sortie de l’Euro.

    Les conséquences d’un défaut et d’une suspension de l’ELA doivent alors être envisagées. Le gouvernement grec se retrouverait devant une pénurie de liquidités (en Euro) et un système bancaire auquel il devra porter assistance. Deux options s’offrent à lui. Il peut décider d’une réquisition de la Banque Centrale de Grèce, et l’obliger à émettre des euros. Mais, cette option est clairement une violation du traité instituant l’Union Economique et Monétaire. Il n’est pas dit que pour des raisons essentiellement politiques le gouvernement grec s’y résolve. Il est plus probable qu’il voudra faire porter la responsabilité d’une sortie de l’Euro à l’Allemagne et à l’Eurogroupe. La seconde option, qui est aujourd’hui la plus probable, est que le gouvernement grec émette, par le biais du Ministère des Finances, des certificats de paiements. Ces certificats de paiements seraient destinés au paiement des pensions et des salaires des fonctionnaires, mais aussi à la stabilisation des banques. Ils seraient libellés en Euro. Le gouvernement grec en garantirait le pouvoir libératoire en Grèce. Les personnes physiques ou morales pourraient payer donc leurs impôts en certificats de paiement et ces derniers seraient utilisés pour tous les paiements courants de la vie quotidienne. C’est une solution qui a déjà été ouvertement envisagée et qui s’inspire de ce qui a été fait en Argentine au début des années 2000. Mais, très rapidement, un taux de change apparaîtrait entre les « vrais » euros et les certificats de paiement. Les commerçants grecs, les entreprises, n’accepteraient ces certificats de paiement qu’avec une décote plus ou moins importante par rapport aux « vrais » euros. De plus, les certificats de paiements évinceraient rapidement les « vrais » euros de la circulation monétaire courante (la fameuse « Loi de Gresham »[2]).

    Cette situation de cohabitation de deux monnaies, l’Euro et les certificats de paiements serait très instable. Elle ne pourrait durer plus de quelques semaines. Il faudra soit que l’on revienne à l’Euro (et que la BCE reprenne l’ELA), soit que le gouvernement grec prenne le contrôle de la Banque Centrale de Grèce, assure les conditions de financement de ces certificats de paiement et les rebaptise «Drachmes ».

    On comprend alors qu’un défaut de la Grèce, accompagné d’une suspension des mécanismes de l’ELA et de l’émission de certificats de paiement amorcerait d’une manière quasi-irréversible une sortie de la Grèce de l’Euro. Bien entendu, si une telle situation ne durait que quelques jours, il serait toujours possible de faire machine arrière. Mais, après deux ou trois semaines, cela risque de s’avérer impossible. Dans ce cas, la Grèce ne rembourserait pas sa dette aux institutions européennes et aux Etats de la zone Euro. Le gouvernement grec n’acceptera alors une « réconciliation » avec ses créanciers qu’avec une annulation de 80% des montants. Le choc sur le système financier européen sera certainement important mais surtout pour des raisons psychologiques. Le prétendu « tabou » de l’irréversibilité ou de l’indissolubilité de l’Euro dont se délectent des soi-disant experts comme Jean Peyrelevade[3] aura été brisé. Les investisseurs des pays ne faisant pas partie de la zone Euro liquideront leurs positions sur les pays périphériques (Espagne, Portugal, Irlande et peut-être Italie), que ce soit les positions en dette des Etats (dette dite souveraine) ou les positions en dettes privées (dette dite corporate). Il est alors probable que d’autres pays sortiraient progressivement de l’Euro, en particulier ceux où, comme en Italie, le débat est déjà largement ouvert.

    [1] Ceci est expliqué dans Sapir J., « La fin de l’Après-Guerre ? », note publiée sur Russeurope, le 28 avril 2015, http://russeurope.hypotheses.org/3762

    [2] Mundell R., « Uses and Abuses of Gresham’s Law in the History of Money », Zagreb Journal of Economics, Volume 2, No. 2, 1998.

    [3] Voir http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/02176719490-leuro-est-indissoluble-1120887.php