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Au Burundi, le pouvoir écrase la contestation
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Elle est seule, elle marche dans Bujumbura. Chose rare, elle a mis un pantalon, pour le cas où il faudrait courir, ou se faire traîner par terre. Il y a du soleil, un bon vent qui vient du lac Tanganyika. Son cœur bat un peu vite, elle a laissé les enfants dans la voiture.
Valérie, appelons-la ainsi, se dit que, " obligatoirement ", il y aura " des violences, des coups " des forces de l'ordre, comme la dernière fois, lorsque des femmes, déjà à terre, ont pris des coups de rangers dans le visage, le dos, partout. Et puis des gaz lacrymogènes, s'il en reste à la police… Valérie est " fonctionnaire, veuve, catholique " et espère manifester contre le troisième mandat du président burundais, Pierre Nkurunziza. C'est un dimanche, le 31 mai, la rue est vide.
La crise a éclaté fin avril, lorsque Pierre Nkurunziza a été investi par le parti au pouvoir (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie, CNDD-FDD), pour se présenter à l'élection présidentielle du 26 juin. Une coalition de partis d'opposition et d'organisations de la société civile, qui s'y préparait, a lancé les premières manifestations contre ce troisième mandat, mettant en avant des contradictions dans les textes de la Constitution et de l'accord de paix d'Arusha, signé il y a quinze ans.
Depuis un mois, les manifestations n'ont plus cessé. Elles ont lieu dans des quartiers dits " périphériques ". C'est une manière de voir. Bujumbura ne se résume pas à son centre minuscule, art déco, hérité de la colonisation, avec son petit air provincial, mais compte une couronne de communes qui s'arrêtent au pied des collines ou au bord du lac.
DétonationsLes manifestations ont principalement lieu dans les quartiers où l'opposition a ses bastions, surtout le Mouvement pour la solidarité et le développement (MSD), dont les responsables sont dans la clandestinité ou en exil, ou encore le Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi). Mais pas dans les communes comme Kamenge, tenue par le parti au pouvoir, ou trop bourgeoises, comme Kiriri, tout en haut de la colline, où on peut observer les troubles de loin, et écouter les détonations dans l'air de la nuit.
Valérie vient de Kinanira III, un quartier de militaires, près des camps d'où les putschistes sont partis, le 13 mai, pour tenter de prendre la radio nationale. Dans Kinanira III, le matin, les jeunes qui refont les barrages interdisent aux véhicules de passer. Il faut mentir pour sortir, comme aujourd'hui, et rejoindre le point de regroupement. Celui-ci est secret. En général, la police est au courant.
Mais cette fois, il n'y a personne. Ni police, ni manifestants. La nuit dernière, la coordination anti-troisième mandat a annulé la marche. Trop risqué. La police tire à balles réelles. On a oublié de prévenir Valérie. La dernière fois qu'elles sont arrivées jusqu'ici, la tentative de coup d'Etat a eu lieu dans les heures qui ont suivi, alors que des dizaines de milliers manifestants tentaient de leur côté de gagner le petit centre-ville. Cela ressemblait à un coup monté, alors que le président était à l'extérieur, assistant à un sommet de chefs d'Etat de la région réunis en urgence à Dar es-Salaam, en Tanzanie.
A présent, l'échine du mouvement de contestation est en train d'être brisée. Les forces de police tirent tous les jours, et même, désormais, la nuit, assistées par des civils soutenant le parti au pouvoir, les Imbonerakure, mouvement de jeunesse dont certains sont armés en secret, selon les Nations unies.
Ce dimanche, les chefs d'Etat d'Afrique de l'Est se réunissent une nouvelle fois à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Le principal intéressé est absent. Pierre Nkurunziza n'a pas quitté le pays, absorbé officiellement par la campagne électorale. Pour le représenter, il a dépêché deux frères : Willy Nyamitwe, conseiller en communication du président, qui occupe depuis le début de la crise un rôle de premier plan auprès du chef de l'Etat, et son frère Alain, rappelé tout récemment de son poste d'ambassadeur à Addis Abeba pour devenir ministre des affaires étrangères.
" Désarmement urgent "L'autre grand absent du sommet est le président rwandais Paul Kagame, qui a manifesté son hostilité au troisième mandat de Pierre Nkurunziza, et déjà mis en garde sur l'éventualité que cette crise politique ne dégénère en tensions ethniques anti-tutsi, et en massacres. Il est opposé à la non-décision que les chefs d'Etat d'Afrique de l'Est, bien que s'affirmant " profondément inquiets ", sont en train de prendre ce dimanche : repousser le scrutin d'un mois et demi, encourager au dialogue et au " désarmement urgent de tous les mouvements de jeunesse armés ".
Les jours derniers, des grenades ou des engins ont explosé dans le centre de Bujumbura. Le président Nkurunziza, lui, est inflexible. Il sera candidat, qu'il n'a aucun risque de perdre. Il y a eu plus d'une quarantaine de morts depuis le début des manifestations. La Croix-Rouge burundaise a subi des intimidations et cesse de communiquer des chiffres. Mais une bonne source, qui compile des informations dans les hôpitaux, a recensé plus de cinquante morts, et plus de 500 blessés, souvent par balles. Plus de 800 manifestants ont été arrêtés, souvent détenus dans des cachots non recensés.
La contestation, désormais, dépasse le débat sur l'éligibilité de Pierre Nkurunziza. " C'est une crise profonde, et même si elle est résolue en surface, elle va laisser des traces ", affirmait au début des tensions Willy Nindorera, intellectuel respecté du Burundi. Depuis, celui-ci, comme tous ses pairs, s'est tu. " Je ne dors plus chez moi ", affirme Jérémie Minani, de la coalition Arusha (anti-troisième mandat), qui fait l'objet de poursuites. " Il y a une férocité extrême de la police ", affirme-t-il, mais promet : " On est dans la rue, nous y resterons, c'est notre unique arme. "
L'Eglise catholique s'est désengagée de la Commission électorale, dont deux dirigeants ont fui ou se cachent. La mission d'observation électorale de l'Union européenne a plié bagage depuis quelques jours. Frédéric Bamvuginyumvira, vice-président du Frodebu, s'inquiète de plus en plus : " Le pouvoir burundais est convaincu que les manifestations, ce n'est pas politique, mais un complot des Tutsi pour prendre le pouvoir. "
Jean-Philippe Rémy
2005
Pierre Nkurunziza, ex-chef de la rébellion, est élu par le Parlement au sortir de la transition post-guerre civile (1993 à 2005).
2010
Il est réélu au suffrage universel avec près de 92 % des voix. L'opposition boycotte le scrutin.
2015
Mars Des " réformateurs " au sein du parti au pouvoir s'expriment contre la troisième candidature de Pierre Nkurunziza en vue de la présidentielle du 26 juin et appellent à suivre l'avis du " conseil des sages " qui s'y oppose aussi. Ces injonctions sont ignorées. Le CNDD-FDD désigne M. Nkurunziza candidat.
26 avril Les premières manifestations débutent à Bujumbura dès l'annonce de la candidature.
13 mai Tentative de putsch, mis en échec le lendemain.
31 mai Le sommet de Dar es-Salaam appelle à un report des élections (locales et législatives, puis présidentielle) d'au moins 45 jours. Le bilan approche des 50 morts. L'opposition appelle à poursuivre les manifestations.