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Oaxaca ou quand le business des fringues s’approprie la culture indigène...

international Mexique

Lien publiée le 7 juin 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://bellaciao.org/fr/spip.php?article146302

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A gauche, la blouse traditionnelle telle qu’elle est encore fabriquée et portée par les femmes de Tlahuitoltepec : ça s’échange dans du troc, ou ça se vend à un prix raisonnable pour les modestes revenus des Mixes. SA droite, un vêtement dont Isabel Marant prétend être l’auteur et qui se vend fort cher dans des boutiques chics. A part ça, elle prend pas les gens pour des cons, la firme Marant...

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Voici donc, (traduit par Alèssi Dell’Umbria), la déclaration publique de la municipalité de Tlahuitoltepec sur cette sordide affaire de la Isabel Marant (fotos ci-dessus). Au-delà des appels à l’action institutionnelle nationale et internationale, qui sont surtout formels (les gens de Tlahuitoltepec ne sont pas tombés de la dernière averse, et ils savent bien ce qu’ils peuvent attendre d’un régime qui brade méthodiquement les territoires indigènes aux multinationales), je retiens deux points fondamentaux dans ce texte. Le premier, c’est qu’un habit traditionnel et fabriqué dans la communauté n’est pas une simple défroque dont on change comme on change de T shirt ou de chemise, c’est l’expression d’une cosmovision (ce qu’ils m’avaient expliqué d’ailleurs, à propos des motifs de maguey). Le second, c’est que la conception indigène de la propriété collective entre directement en collision avec la conception occidentale & bourgeoise de la propriété privée, laquelle autorise précisément toutes les spoliations du moment qu’elles se revêtent de la camisole du Droit (en l’occurrence celui consacré par le copyright, et dont on a pu voir à propos de la bio-piraterie ce qu’il autorise...). Comme je le pense depuis une bonne vingtaine d’années, nous avons encore beaucoup à apprendre des indigènes et de leurs luttes.

DÉCLARATION DE LA PRÉSIDENCE MUNICIPALE DE TLAHUITOLTEPC

Santa Maria Tlahuitoltepec Mixe est une communauté indigène qui conçoit le monde comme l’espace où se déploie le collectif, de sorte qu’exprimer son être au monde soit un lien respectueux qui se présente dans le quotidien de ses habitants, à travers la langue, des pratiques sociales comme le tequio ou le service communautaire, la cosmovision, la musique et l’habillement. En ce sens, la Blouse de Tlahuitoltepec xaamnïxuy, constitue un élément qui convertit la manufacture artisanale en une activité socio-économique -parce que sa production est pour la subsistance- mais surtout la matérialise bio-culturellement parce que Tlahuitoltepec est une entité vivante, parce aue ce n’est pas du passé, ce n’est pas un musée, ce n’est pas du folklore mais c’est porteur d’une culture qui fait référence à la bio-diversité de la région. Ainsi Tlahuitoltepec est une communauté fière de partager son inspiration dans l’art, la musique et la danse -comme les tournées de la Bande Municipale, de la Bande du CECAM, aux USA en 1987, en Suisse en 2007, de la Bande RM en Russie en 2012 et du groupe de danse Xëmtupë au Brésil en 2014- et dans la construction de la reconnaissance des droits des peuples indigènes.

Isabel Marant est une marque et le nom d’une modiste française dont la ligne "Étoile" printemps-été 2015 inclut une collection dont les patrons graphiques ont été pris incontestablement à la Blouse de Tlahuitoltepec et qui ne donne pas les crédits correspondants, privatisant de fait une propriété collective, ce qui constitue un plagiat de dessin.

L’appropriation de l’expression de l’identité d’un peuple indigène, certainement n’est pas l’unique cas, de la part d’Isabel Marant elle attente directement la communauté par ce que son acte "dénude" l’identité de Tlahuitoltepec. Sans aucun doute, cette atteinte est plus grave de ce qu’a pu imaginer la modiste, vu que, comme le signale la Constitution des États Unis du Mexique dans son article 2, la Nation a une composante pluriculturelle fondée sur les peuples indigènes, c’est-à-dire que perdre un aspect essentiel de la culture blesse et réduit la diversité culturelle du pays, contrevenant à ce qui a été établi dans la Grande Charte et les autres instruments internationaux auxquels le Mexique a souscrit, comme l’article 1.2 de la Convention 169 sur les Peuples Indigènes et Tribaux de l’OIT et l’article 33 de la déclaration de l’ONU sur les droits des peuples indigènes.

Pour cette raison l’autorité communautaire de Santa Maria Tlahuitoltepec, assumant la responsabilité qui lui a été octroyée par l’Assemblée, élève la voix contre Isabel Marant, contre toute institution ou entreprise publique ou privée, nationale ou internationale, qui dans un but lucratif s’approprie les éléments culturels de Tlahuitoltepec, ainsi comme de toutes les manifestations qui identifient et caractérisent les peuples indigènes.

Vu ce qui précède :

Tlahuitoltepec est une communauté qui questionne la temporalité, qui se meut dans un autre temps et espace, qui altère la gravité pour ouvrir au "ayuujk jää" et à la possibilité de traduire son environnement en lignes et couleurs. La Blouse de Tlahuitoltepec étend des figures imaginaires qui se réfèrent à l’équilibre de la langue ayuujk. C’est une carte, une forme de relation au monde. Elle recrée le quotidien. Elle préside au collectif. Elle introduit la communauté. Elle sauvegarde le patrimoine matériel et immatériel de la communauté et elle témoigne de la continuité de ses pratiques culturelles essentielles. La Blouse de Tlahuitoltepec est identité.

Tlahuitoltepec ne considère pas que la couturière Isabel Marant aurait une affinitié avec la Blouse, mais considère au contraire qu’il y a là appropriation d’un patrimoine culturel à des fins commerciales. Une appropriation qui porte atteinte à l’idée du collectif, une appropriation qui n’a rien d’une source créative appellée inspiration ou influence parce qu’elle ignore que les dimensions sociales et culturelles de la Blouse de Tlahuitoltepec prévalent sur celles économiques, occasionant des préjudices contre les communautés indigènes en général, contre le dessin, contre l’originalité de l’industrie de la mode.

Nous lançons un appel à Isabel Marant, à l’État mexicain, aux Autorités locales, aux secteurs publics et privés, aux peuples indigènes, à la société civile ;

Premier

Reconnaître que la "Blouse de Tlahuitoltepec" et les "Éléments et patrons graphiques" qui la composent représentent l’identité de la communauté.

La "Blouse de Tlahuitoltepec" ainsi que ses "Éléments et patrons graphiques" ne se limitent pas à des dessins, à de la confection, à de l’usage ou de l’application, mais bien plutôt illustre le mouvement de la tradition vivante. D’accord avec l’interprétation indigène de la propriété, c’est un patrimoine collectif qui recrée et représente la culture, et qui pour cela ne permet pas la possibilité d’un auteur.

Second

Tlahutoltepec à la construction de la reconnaissance des droits de peuples indigènes au niveau national et international.

Tlahuitoltepec a promu la reconnaissance des peuples indigènes bien au-delà des scénarios "folkloriques" d’assimilation de la part de l’État, étant donné que dans d’autres espaces publics on les discrimine et les exclue.

Troisième

Contrairement à ce que supposent certains médias ISABEL MARANT n’avait pas nécessairement à se transférer dans la Sierra Mixe pour "s’inspirer".

ISABEL MARANT COMMET UN PLAGIAT parce que la collection "Étoile" du printemps-été 2015 a un patron graphique qui a franchi les frontières, ce n’est en rien une création originale comme le prétend la modiste. Pour cette raison nous exigeons qu’elle cesse la production sous sa signature et répare les dommages occasionnés.

Quatrième

Comme pueblo de Tlahuitoltepec

Nous invitons les communautés indigènes à se manifester contre l’appropriation bio-culturelle, contre les intérêts particuliers, de manière à ce que s’arrête la production et la vente sous quelque signature exclusive que ce soit, que s’arrête le plagiat et le saccage dont les peuples indigènes sont l’objet.

Nous appelons les organisations civiles, communautaires et académiques du pays à se joindre à cette juste réclamation pour le respect et la protection des droits collectifs des peuples indigènes ainsi que de leur patrimoine bio-culturel.

Nous demandons aux institutions nationales et internationales correspondantes d’assumer leur responsabilité de garantir les pratiques essentielles des peuples indigènes qui soutiennent la pluriculturalité du Mexique, reconnus par les internationaux et nationaux.

Nous lançons un appel à l’État mexicain pour qu’il institue les instruments et mécanismees effectifs qui protègent la propriété collective, intellectuelle et bio-culturelle des peuples indigènes, autrement dit convertir les lois abstraites en véritables outils de légalité.

Oaxaca de Juarez, 3 juin 2015.

Avec attention,

Santa Maria Tlahuitoltepec Mixe, Oaxaca.