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Jamel Debbouze, l’ami VIP de Mohammed VI
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.slateafrique.com/85373/jamel-debbouze-maroc-mohammed-vi-france
En France, Jamel Debbouze cultive une image de comique «vénère». Mais, au Maroc, il est plus considéré comme l’ami VIP de Mohammed VI, dont il tresse les lauriers.
Une semaine après son festival «Marrakech du rire», le comédien et réalisateur franco-marocain Jamel Debobouze prend le risque d'abîmer sa cote de popularité auprès des Français. Dans un entretien au journal marocain TelQuel, Debbouze a fait une sortie peu diplomatique en taclant la France, sans épargner l'Algérie et la Tunisie. L'occasion pour Slate Afrique de republier l'article ci-contre, qui date de 2012.
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Contrairement à Gad Elmaleh, son alter ego du spectacle, qui est né et a grandi au Maroc, Jamel Debbouze a vu le jour à Paris en 1975. Le comique qui est devenu l’idole des jeunes en France, grâce à ses vannes et son parler saccadé dans lequel ils se reconnaissent, n’a pas l’image d’une mega-star du bled. Les Marocains s’identifient davantage au style de Gad, le Casablancais. D’ailleurs, Gad se produit plus souvent au Maroc et ses sketches y font un tabac, pas Jamel, en tout cas, pas autant.
Etranger à la culture locale
Entre 1976 et 1979, la famille Debbouze s’était réinstallée au Maroc, avant de repartir définitivement à Trappes dans les Yvelines (région parisienne), en 1983. De cette parenthèse, Jamel en a gardé une nostalgie qui n’est certainement pas feinte, lui qui se dit très attaché à ses origines marocaines. Une vidéo postée sur Youtube le montre fier de faire découvrir ce Maroc qu’il aime. On y voit des badauds le saluer lorsqu’il déambule dans les souks. En réalité, il soigne l’image d’une popularité qu’il veut au moins équivalente à celle qu’il a en France.
Il n’hésite pas à poster lui même sur Twitter une autre vidéo tournée au Maroc dans laquelle il se met en scène (VIDEO), compréhensif avec les vendeurs de DVD piratés, qui proposent au milieu des blockbusters américains quelques uns de ses spectacles. Effet buzz garanti dans les médias.
Malgré cette sympathie qu’il peut susciter, au Maroc, il a l’image lointaine qu’on a des «zmagrias», des immigrés de deuxième ou troisième génération, des jeunes des banlieues françaises dont les codes, les références et forcément l’humour sont, pour ainsi dire, étrangers à la culture populaire locale.
Son image est celle d’un «p’tit gars de banlieue» qui a percé, mais bourré d’un talent qui ne résonne pas vraiment avec la culture populaire où ladarija, le dialecte marocain, est omniprésent et dont Jamel est, à tort ou à raison, soupçonné de ne pas maîtriser toutes les subtilités. Jamel est plutôt vu comme un jet-setter qui vient faire la teuf à Marrakech, où ce joyeux drille qui mélange promo d’une de ses productions cinématographiques et pub pour un opérateur de téléphonie marocain.
Le Maroc, un sujet tabou
Peu de Marocains savent que ses parents sont originaires de Taza, une ville du nord-est du pays, nichée entre le Rif et le Moyen-Atlas. Ceux qui l’apprennent aujourd’hui font vite remarquer qu’il est plus prompt à polémiquer sur l’affaire de Mohamed Merah, de la situation des banlieues, du duel Sarkozy-Hollande, de la vague Mélenchon, que de commenter par exemple le récent soulèvement de Taza, la ville de ses racines.
Il y a une raison à cela. Outre qu’il soit volontairement déconnecté des réalités politiques marocaines, son succès hexagonal a fait de lui un proche du roi Mohammed VI et des célébrités qui viennent se dorer au soleil du royaume. «Mohammed VI est la personnalité qui m’inspire le plus», dira sans trop convaincre l’humoriste franco-marocain dans un entretien aumagazine VH, en marge de la première édition du Festival international de l’humour, «Le Marrakech du rire».
Le spectacle parrainé en 2011 par le roi pour conjurer le drame de l’attentat de la place Djemaâ-el-Fna a été perçu comme une sorte de délocalisation de son Jamel Comedy Show où l’on verra plus de touristes et de résidents français au Maroc dans le public que de Marocains.
Pour Jamel, le roi du Maroc «possède une grande capacité d’écoute de l’autre, ce qui le différencie des autres chefs d’Etat de la région», ajoutant que «le roi a écouté son peuple et répondu à ses aspirations et a choisi depuis longtemps le chemin des réformes». Une opinion très controversée qui fait de lui un ambassadeur du Palais royal, mais qui lui vaut aussi bien des critiques. Quitte à être accusé d’être l’obligé de son ami le roi dont il se garde de tourner en dérision la politique «en trompe l’œil».
Sam Touzani, un autre comique belgo-marocain n’a pas manqué de le lui rappeler… A l’évidence, Jamel n’est pas prêt de parodier le souverainmarocain comme il l’a fait en créant le personnage de Sadafi, un mix hilarant de Saddam et de Kadhafi.
Il a recemment affirmé au magazine Les Inrocks rester «un comique vénère».
«Au lieu de nous faire la leçon en France, je voudrais bien avoir son avis sur la politique sociale au Maroc. À le voir baiser les pieds du souverain à chacunes de ses visites, tout laisse à penser qu'il approuve la politique de Mohammed VI», commente durement un internaute.
Au Maroc, même son de cloche auprès des démocrates qui appellent à une réelle ouverture du régime qui se disent agacés par son attitude.
Aussi est-il normal qu’il suscite plus généralement l’indifférence. Pas un journal marocain n’a commenté l’appel de Jamel a voter Hollande. Ses histoires franco-françaises n’interessent guère.
Lobbyiste VIP bien en cour
C’est évident, le Maroc est une question taboue pour Jamel, dont la proximité avec le trône alaouite l’encourage à regarder ailleurs comme le décrypte le magazine Arrêt sur images:
«S'il lui arrive de donner un sentiment sur les révolutions arabes en cours, pas un mot ne lui échappe sur le Maroc. "La démocratie, c'est une excellente nouvelle. J'espère qu'elle aura lieu en Egypte", répond-il à Pujadas...»
Et cela ne date pas d’hier. Et pour cause, en 2001, lors du premier festival international du film à Marrakech, il est assis à la place d'honneur, aux côtés de Mohammed VI. Un an plus tard, après le tournage de Mission Cléopâtre à Ouarzazate (14,3 millions d'entrées), il annonce son intention de construire des studios de cinéma dans la ville rose. Après dix ans de tergiversations, son rêve de doter son pays d’origine d’un «Hollywood du désert» devrait bientôt se réaliser, Mohammed VI a fini par convaincre les emirs du Golfe de souscrire à cette aventure. Cela vaut bien quelques silences.
En 2002, la jet-set internationale est invitée par P. Diddy, la star du rap américain, qui a choisi le Maroc pour souffler ses 33 bougies. Sont arrivés à bord de deux avions spécialement affrétés de New York et de Paris par la Royal Air Maroc: Naomi Campbell, Ivana Trump, Tommy Lee Jones, Joey Starr ou encore Gérard Depardieu. De nombreux artistes de la scène musicale new-yorkaise dont les chanteurs Usher ou Billy Crawford ont également fait le déplacement pour trois jours et trois nuits de libations à l’orientale. Coût de l’anniversaire: un million de dollars, selon la très people «Page Six» du New York Post et le tabloïd anglais The Sun, qui affirmeront que la somme pour régler la note salée provenait de la cassette personnelle de Mohammed VI.
L’information est relayée par toutes les gazettes mondaines de la planète et devient vite incommodante pour le jeune roi que l’on voit à la veille du mois sacré du ramadan distribuer lui-même, à grand renfort de propagande, la soupe populaire aux nécessiteux du royaume. Jamel, ordonnateur de ces soirées dignes des Mille et une nuits, est appelé à la rescousse. Il dira qu’il a organisé lui-même ces festivités à travers Kissman Events, la société d’événementiel qu’il a créée au Maroc à cette occasion.
Son agent, Jean-Pierre Domboy, affirmera qu’en réalité l’opération n’a été possible que «grâce à une conjonction de partenaires comme l’office marocain du tourisme, la compagnie Royal Air Maroc, de grands palaces de Marrakech, ainsi que la chaîne de supermarchés Marjane». Une bien fortuite conjonction de grandes entreprises publiques et de l’enseigne de grande distribution qui appartient à une holding royale. Toujours est-il qu’officiellement, le roi Mohammed VI n’a en aucun cas offert quoi que ce soit, sinon, toujours selon l’agent de Jamel Debbouze, «l’utilisation d’une quinzaine de voitures avec chauffeurs, attachés au Palais». L’intention de Jamel, «qui s’implique de plus en plus dans la promotion de l’image de son pays d’origine, était de faire découvrir à P. Diddy et à ses amis américains, la beauté du Maroc, le sens de l’hospitalité et de la fête de ses habitants et surtout de leur montrer qu’un pays musulman pouvait être tout à fait fréquentable».
Cajolé par le Palais
Le Palais royal ne lui refuse rien et le cajole même. En 2008, le comédien a célébré son union avec Mélissa Theuriau à Marrakech. Entouré de 150 proches, les jeunes mariés ont festoyé pendant 72 heures dans la villa de maître que Jamel s’est fait construire dans le quartier résidentiel cossu de Targa. Le couple avait été reçu par le souverain chérifien pour la circonstance. Pour ses 35 ans, Mohammed VI lui a réservé une autre belle surprise: un séjour tous frais payés dans le palace le plus chic et le plus luxueux de Marrakech, le Royal Mansour. Jusqu’à leur arrivée à l’aéroport de la ville ocre, Jamel et Mélissa ignoraient apparemment tout du cadeau royal: la nuit dans le palace, propriété du roi, peut coûter jusqu’à 35.000 euros.
Même le concours de l’armée royale ne lui est pas refusé, quand le besoin s’en fait sentir. Officiers, soldats et matériel des Forces armées royales (FAR) seront mobilisées pour le tournage de son film Indigènes, évoquant le passé de son grand-père qui fut tirailleur marocain de la Seconde Guerre mondiale.
La sollicitude royale lui vaudra d’être indésirable à Alger pour l’avant-première d’Indigènes. Une décision malheureuse, commentée en ces termes par Libération:
«Le comique d'origine marocaine se voit en effet reprocher de soutenir le... Maroc dans le conflit du Sahara occidental, d'avoir ses entrées auprès du roi Mohammed VI et d'avoir eu le mauvais goût de se marier en grande pompe à Marrakech! Les autorités algériennes auront du mal à convaincre du contraire compte tenu de la campagne virulente lancée sur ces thèmes à Alger contre Jamel Debbouze.»
A une autre occasion, trois gros porteurs Hercule C-130 seront mis à disposition de Jamel sur ordre de Mohammed VI pour assurer la logistiqued’une ONG française qui s’active à Gaza.
«Le mécénat royal est parfois à double tranchant, car les gens aidés par le roi peuvent être soupçonnés d’avoir perdu leur indépendance et d’être des lobbyistes du royaume», avait confié à propos de Jamel un observateur proche des milieux artistiques à la presse. Exemple parmi d’autres, surNessma TV, il appelle à l’ouverture de la frontière algéro-marocaine, au moment où Rabat le souhaite et qu’Alger s’y refuse ou encore au lendemain des attentats de Casablanca en 2003, il ira sur le plateau de l'animateur français Thierry Ardisson, pour soutenir la journaliste envoyée par le Palais pour vendre à l’opinion française l’image de tolérance du royaume.
A force de jouer à l’équilibriste entre la France et le Maroc, le retour de manivelle est parfois cinglant pour Jamel sur d’autres sujets sensibles. Lorsqu’il pose à la une de Têtu, en défense des artistes homosexuels, les commentaires des internautes sont sans appel:
«J'aimerai voir Jamel Debbouze défendre la même cause au Maroc, chez son grand ami Mohammed VI. Ce serait là un vrai combat», écrit un lecteur du magazine.
«Pour ceux qui ne le savent pas, dans le deuxième pays de Jamel, l'homosexualité est hchouma et haram (honte et péché). L’article 489 du Code pénal marocain condamne l’homosexuel à des peines allant de 6 mois à 3 ans de prison. Et, evidemment, le magazine Têtu est totalement interdit au Maroc...»
Il y a quelques années, il faisait partie de la liste des «60 qui plombent le Maroc», publiée par Le Journal Hebdo:
«La star à l’immense talent d’humoriste et de comédien fait la une de tous les magazines en France, elle est sur toutes les télés et adore y parler du Maroc. Avec une sensibilité toute patriotique... Mais sans que son discours ne fasse écho aux dossiers qui nous importent.»
Ali Amar
Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.