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Grèce: "La gauche anticapitaliste a un rôle crucial à jouer"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
https://npa2009.org/actualite/grece-la-gauche-anticapitaliste-dorenavant-un-role-crucial-jouer
Entretien avec Fani, militante d'OKDE Spartakos – Athènes, 13 juillet 2015.
Vendredi dernier, seulement cinq jours après la victoire du « non » au référendum, le gouvernement Tsipras a fait approuver une nouvelle proposition de mémorandum par le parlement grec, avec de nouvelles mesures d'austérité. Comment interprètes-tu cette attitude du gouvernement ? Était-ce prévisible ?
Fani : Je pense que ceci était parfaitement prévisible, dans la mesure où le gouvernement Tsipras avait annoncé dès le départ sa volonté de poursuivre les négociations avec les créanciers et d'aboutir sur un accord avec les gouvernements européens à Bruxelles. Bien qu'ils aient appelé le peuple grec à voter « non » au référendum, Syriza a en fait été peu présent durant cette campagne. Le comportement du gouvernement Tsipras est en accord avec le fait qu'il n'a jamais souhaité être en rupture avec l'Eurozone et l'Union Européenne. J'ai du mal à interpréter le recours du gouvernement à un référendum, mais je suppose qu'ils ne s'attendaient pas à ce que le « non » l'emporte avec 61 % des voix. Ils souhaitaient probablement un score plus faible, afin de pouvoir négocier un plan d'austérité plus aisément après cela.
Après des négociations qui se sont étendues sur tout le week-end, les gouvernements européens ont finalement abouti à un accord sur un nouveau « plan d'aide » financier, qui imposera encore plus d'austérité au peuple grec. Les commentateurs ont parlé de nombreux désaccords entre les gouvernements européens afin d'aboutir à cet accord. Qu'en penses-tu ?
Fani : Nous avons entendu que le Ministre des finances allemand aurait demandé que les actifs issus des nouvelles privatisations des services publics grecs soient gérés par un fond privé au Luxembourg. Cela semble tellement exagéré qu'il ne s'agissait probablement qu'un moyen de pression supplémentaire sur Tsipras. Maintenant, ce dernier peut défendre cette nouvelle cure d'austérité en affirmant qu'il n'a pas cédé devant toutes les demandes des créanciers, en maintenant la gestion de ce fond en Grèce… Mais dans les faits, les propositions de Tsipras auprès de l'Eurogroupe de ce week-end étaient tellement similaires à celles qui ont été rejetées par le peuple grec lors du référendum de dimanche dernier, que je ne pense pas qu'il y ait eu de réel désaccord entre les gouvernements européens sur le contenu de ces mesures d'austérité. Les propositions de Tsipras étaient tout à fait correctes de leur point de vue, et les négociations ont d'ailleurs bien abouti à un accord consensuel.
En quoi consistent plus précisément ces nouvelles mesures d'austérité ?
Fani : Il s'agit principalement d'une nouvelle vague de privatisations, d'une augmentation de la TVA, et d'une nouvelle réforme du système de retraites. De nouvelles privatisations de services publics sont prévues dans des secteurs comme l'électricité, l'eau, les trains, les ports et les aéroports, à hauteur de 50 milliards d'euros. Le taux de base de la TVA va passer de de 13 % à 23 %, ce qui va avoir des conséquences importantes sur le coût des produits de la vie quotidienne, au supermarché ou encore dans les restaurants. Concernant les retraites, l'attaque est majeure : avant la crise de 2008, l'âge légal de départ à la retraite était de 57 ans pour les femmes et de 60 ans pour les hommes. Les gouvernements austéritaires du Pasok et de Nouvelle Démocratie avaient déjà fait passé cet âge à 63 ans pour tout le monde, mais maintenant le gouvernement Tsipras va le faire passer à 67 ans. Toutes ces attaques sont à peu de chose près exactement ce que souhaitaient les créanciers après le référendum. Si ces mesures sont présentées comme un compromis entre ce que souhaitaient Tsipras et Juncker, en fait, c'est encore pire que ce que Tsipras avait proposé à l'Eurogroupe avant le référendum. Cette propositions initiale était censée imposer 8 milliards d'euros d'économies à l’État Grec, mais maintenant cela est passé à 13 milliards d'euros, avec en plus 50 milliards d'euros de privatisations.
Comment la plateforme de gauche de Syriza réagit-elle à cette trahison ?
Fani : Les deux députés de Syriza membres de DEA à l'Assemblée nationale n'ont pas accordé leur soutien aux mesures d'austérité de Tsipras, en votant « non » à sa proposition vendredi dernier. Mais les autres députés de la plateforme de gauche ont décidé de s'abstenir, ou de ne pas être présent lors du vote. La plateforme de gauche de Syriza n'a publié aucun texte expliquant pourquoi il est important de s'opposer à de telles mesures, et de rompre avec cette logique de négociations avec les créanciers, alors même qu'il semble plus important que jamais d'avoir une position claire au sein et en dehors de Syriza sur ce qui est en train de se passer. En fait, Syriza n'a pas appelé à la manifestation de vendredi dernier à Athènes (contre un nouveau mémorandum). Certains militants de Syriza étaient présents, mais sur une base individuelle.
[NDT : depuis l'interview, la position de la plateforme de gauche par rapport au vote des mesures d'austérité à l'assemblée s'est clarifiée. Il n'y aura pas de vote de groupe, mais seulement des positions individuelles. Le ministre de l'énergie et député Lafazanis a par exemple annoncé qu'il ne soutiendrait pas les textes proposés par Tsipras.]
La campagne pour le vote « non » au référendum a bénéficié d'un soutien important de la part du peuple grec, avec plusieurs manifestations et rassemblements importants. Quelles ont été les réactions à la trahison de Tsipras jusqu'ici ?
Fani : Tout d'abord, je souhaite clarifier un point : je ne pense pas qu'on puisse dire que Tsipras et son gouvernement aient trahis le peuple grec et la classe ouvrière. Il a opté dès le départ pour une stratégie de collaboration de classe et de gestion du système capitaliste au sein des institutions. Ses choix actuels sont les conséquences des contradictions du réformisme. Ensuite, je pense que les personnes qui ont voté "non" au référendum se retrouvent dans une position inconfortable. Tsipras essaie de montrer que la situation est difficile, et qu'elle implique de continuer à négocier avec les créanciers même si on a voté "non" lors du référendum. Je pense qu'il cherche à éviter une réaction trop forte des travailleurs grecs face à ces nouvelles mesures d'austérité. Pour l'instant, les manifestations après le référendum n'ont pas été gigantesques, mais elles auraient aussi pu être largement moins suivies. En fait, les manifestations lors des précédents plans d'austérités étaient plus petites que celles-ci, sauf lors des journées de grève générale où elles étaient particulièrement massives.
La plupart des organisations d'extrême-gauche de Grèce, dont Antarsya et le KKE, se sont retrouvées ensemble lors de la manifestation de vendredi dernier à Athènes contre les propositions austéritaires du gouvernement Tsipras. Cette convergence dans la rue est un fait rare. Est-ce que cela pourrait constituer la base d'une opposition commune contre les politiques d'austérité ?
Fani : Il faut préciser une chose : le KKE a comme à son habitude appelé à sa propre manifestation, à un endroit différent des autres organisations de gauche. Le fait qu'ils aient décidé de rester avec nous sur la place Syntagma lors de notre arrivée est un point positif, même s'il peut très bien s'agir d'une réaction spontanée et pas d'un acte politique pensé en tant que tel. Mais jusqu'ici il demeure impossible d'entamer des discussions avec le KKE. Ce dernier considère que notre appel à voter "non" au référendum revenait en fait à un vote de confiance au gouvernement Syriza. Ils nous accusent donc de collaborer avec le gouvernement Tsipras, et ne nous considèrent pas comme des alliés potentiels pour l'instant.
Est-ce qu'il y a eu des tentatives pour étendre la lutte contre les nouvelles mesures d'austérité au sein des entreprises, avec des journées de grève ?
Fani : Avant le référendum, les membres d'Antarsya au sein d'ADEDY (confédération syndicale du secteur public) sont intervenus afin de pousser à la participation aux manifestations et pour que la confédération appelle à voter « non », même si dans les faits la situation est plutôt bloquée. Certains syndicats ont appelé à la manifestation d'hier, mais sans que je sache pourquoi, ces derniers ne se sont finalement pas rendus à la manifestation en tant qu'organisation.
Quelle est la stratégie d'intervention des camarades d'OKDE-Spartakos dans les syndicats de façon à construire l'opposition aux nouvelles mesures d'austérité ?
Fani : Je pense qu'on pourra répondre plus précisément à cette question dans les jours à venir, une fois que le gouvernement soumettra au vote les mesures qu'il souhaite faire passer. La seule information qu'on a pour le moment c'est que les pharmacien·ne·s vont faire une grève d'une journée ce mercredi (15 juillet) en réaction à une proposition de déréglementation de la profession, qui se traduirait notamment par la vente de médicaments sans prescription dans les supermarchés. Mais pour le moment nous ne savons pas s'il va y avoir des actions similaires dans d'autres secteurs.
[ndr : depuis l'interview, la centrale syndicale du secteur public ADEDY a décidé d'appeller à la grève contre les nouvelles mesures l'austérité ce mercredi, jour du vote des mesures par le parlement grec, notamment grâce à l'intervention des camarades révolutionnaires au sein de la centrale.]
Qu'en est-il des mobilisations dans la jeunesse ?
Fani : Le fait que nous soyons en été n'aide pas à la mobilisation dans les universités, dans la mesure où nous sommes en pleine période d'examens. Par exemple, l'EAAK (organisation étudiante liée à Antarsya) n'a pas cherché à organiser des réunions ou d'autres initiatives les dernières semaines. Pour autant, de nombreux jeunes étaient présents dans les différentes manifestations. Et il apparaît assez clairement que la situation politique impulse de nombreuses discussions dans la jeunesse, particulièrement chez les personnes organisées.
Plus généralement, quel est le rôle des révolutionnaires dans la construction d'une opposition au nouveau mémorandum et aux mesures d'austérité ?
Fani : Je pense que la gauche anticapitaliste a dorénavant un rôle crucial à jouer maintenant que le gouvernement propose ces mesures, avec l'appui des les partis bourgeois : Nouvelle Démocratie, le Pasok, Potami ; et que seuls le Parti Communiste (KKE) et malheureusement Aube Dorée s'opposent à ces mesures au sein du parlement. Nous, la gauche anticapitaliste, sommes les seuls à intervenir de façon radicale dans les syndicats, nous sommes les seuls à dire qu'Aube Dorée n'est pas l'alternative à Syriza – c'est ce qu'ils veulent faire croire, qu'ils sont les seuls à s'opposer à l'austérité. La position du KKE est désastreuse parce qu'ils demeurent dans une logique d'isolement, ils veulent montrer que leur position est la plus claire mais ils ne font rien concrètement pour mettre les masses en mouvement. Donc je pense que ce que les anticapitalistes doivent faire c'est intervenir autant que possible au sein des syndicats, pour appeler à manifester et montrer qu'il existe une opposition franche ce nouveau plan d'austérité. Et dans la jeunesse, à partir de septembre, il s'agira de faire la même chose dans les universités.
Est-ce que tu penses qu'Aube Dorée pourrait profiter de la déception des gens face à l'attitude de Tsipras ?
Fani : C'est la stratégie que poursuit Aube Dorée en ce moment. Ils se présentent comme la seule opposition au gouvernement Syriza ; ils disent que la gauche a échoué et se présentent comme le seul choix possible pour sauver « la dignité nationale ». Mais je demeure optimiste, récemment le mouvement antifasciste a défendu la tenue du procès d'Aube Dorée, il a réussi à montrer que les membres de cette organisation sont des criminels, des nazis. Donc je suis optimiste, ce n'est que mon avis, mais je pense que les gens ne seront pas déçus par Syriza au point de pencher de l'autre côté. Le sentiment général est et sera certes la déception, mais surtout avec l'idée que Tsipras a été obligé de négocier dans des conditions très difficiles, et que malgré tout les banques ont été sauvées, et que peut-être même que l'économie va repartir. C'est ce qu'a déclaré Tsipras ce matin (13 juillet) : on nous demande de mettre en place de mesures très dures, qui pourraient rendre les choses difficiles dans les prochains mois, mais au bout du compte nous nous retrouverons dans une situation meilleure. A la différence des gouvernements précédents, le gouvernement Tsipras bénéficiera sans doute d'une certaine clémence, parce qu'il semble avoir fait beaucoup d'efforts et a cherché à se positionner comme étant du côté des travailleurs.
Pendant la campagne du « non » il y a eu plusieurs manifestations de solidarité en Europe. Est-ce que cela a été utile pour la campagne ici ? Quelle forme devra prendre la solidarité internationale dans les semaines ou mois à venir ?
Fani : C'était très encourageant pour les gens de voir qu'il y avait de nombreuses manifestations de solidarité. Dans les prochains mois, les syndicats vont probablement descendre dans la rue contre les mesures d'austérité que le gouvernement voudra faire passer. La chose la plus utile sera que les syndicats d'autres pays manifestent leur solidarité, et que ça ne soit pas seulement les partis politiques qui occupent le pavé dans les différents pays d'Europe. Cela donnerait confiance aux travailleurs grecs, et permettrait peut-être même d'inverser le rapport de force à l'échelle européenne.
Propos recueillis et traduits de l'anglais par des correspondant·e·s sur place.