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Picquet : "Il faut ouvrir le débat sur l’euro comme monnaie commune"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Marianne : Quelles leçons tirez-vous de la capitulation forcée du gouvernement Tsipras à l’issue de ses tractations avec l’Eurogroupe ?
Christian Picquet : Je ne parlerais pas de « capitulation ». Tsipras a échoué, dans un contexte de rapport de force qui lui était éminemment défavorable avec l'économie de son pays dévastée, son peuple épuisé. Tsipras a fait preuve de beaucoup de courage en essayant de toutes les manières possibles et imaginables de changer le destin de l’Europe à partir de la Grèce. Avec le référendum, il a tout fait pour disposer des marges les plus importantes possibles face à l’Eurogroupe et face à l’Allemagne, qui étaient sur le point de décider de sortir la Grèce de la zone euro.
Comme disent les Economistes atterrés : on a organisé l’étranglement financier, l’asphyxie économique, l’isolement politique de la Grèce. Tsipras était confronté à un choix redoutable. Prendre la responsabilité de quitter l’euro — ce qui était techniquement faisable, en créant des lettres de créance, en nationalisant les banques — c'était conduire son pays au chaos. Il a donc consenti à un accord auquel il ne croyait pas.
Pour la Grèce, il n'y avait pas d'autres options que le Grexit ou l'austérité. Les Economistes atterrés eux-mêmes expliquent désormais qu'« une autre politique n'est possible qu'à condition d'ouvrir une crise en Europe ». Pensez-vous qu’il est encore possible de faire des politiques progressistes à l’intérieur de la zone euro ?
C’est la question. Le sommet de Bruxelles vient de démontrer trois choses. La première : avec l’accord imposé, on n’a rien résolu, ni pour la Grèce, ni pour les autres pays européens « malades » comment disent les eurocrates, où les politiques d’austérité mènent à la dépression et à la déflation. Deuxième chose, les critères et la conception sur laquelle on a voulu fonder la monnaie unique sont devenus intenables. L’euro est indissociablement lié à l’austérité. Troisième chose, en encourageant des trajectoires économiques de plus en plus éloignées entre les pays de la zone euro, et en laissant s’exprimer les volontés hégémoniques qui tirent bénéfice de l’ordolibéralisme, on réveille les égoïsmes nationaux. Ces trois éléments me paraissent annoncer une crise majeure de l’Europe.
Dans cette configuration, croyez-vous encore qu’on puisse « changer l’euro », changer les traités et l'Union européenne de l’intérieur comme le préconise traditionnellement la gauche radicale ?
Les conditions pour réorienter l’Europe continuent à exister. Certes, toutes les résistances populaires qui ont suivi la tourmente financière de 2007-2008 ont été mises en échec. Depuis les Indignés jusqu’aux immenses mobilisations en Europe. Evidemment, dans ce contexte-là, Tsipras en a payé le prix. Mais les possibilités de bifurcation ne peuvent venir que de la volonté politique des principaux Etats européens. Notamment la France. Ce que François Hollande a démontré dans cette négociation, c’est que la France quand elle parlait fort, en acceptant d’affronter la droite conservatrice allemande pesait encore. Hollande a interdit à l’Allemagne d’aller au Grexit. Par son statut de cinquième puissance économique, la France peut, si elle le veut, ouvrir les débats, et rassembler les Etats en proie au même sort que la Grèce. Il faut organiser une pression depuis la France qui a vocation à se faire entendre au-delà des frontières.
Ce ne serait donc pour vous qu’un problème de majorité politique ?
"NOUS DEVONS ACCEPTER L’ÉPREUVE DE FORCE POLITIQUE : LA CONFRONTATION AVEC L’ALLEMAGNE"Soit on attend que les peuples prennent conscience — en Espagne, les sondages montrent que Podemos piétinent — et l'on est dans le piège de la soumission permanente qui mène l’Europe au désastre. Soit on réoriente l’Europe parce que l’un des principaux pays (ou un groupe de pays importants) accepte la confrontation avec la logique mortifère dans laquelle l’Allemagne nous entraîne. Il faut sortir d’un piège : celui du faux choix entre d'un côté la sortie de l’euro, au prix d’involutions possiblement dangereuses, de replis nationaux, et de l'autre côté la soumission au cadre contraint. Il faut ouvrir le débat sur un euro, en le concevant comme une monnaie commune, comme le réclament Frédéric Lordon et Jean-Pierre Chevènement, et non comme un outil que les traités ont rendu disciplinaire.
La question de la monnaie unique, de son maintien, de sa sortie, de sa mutation en monnaie commune, charrie toutes sortes d’enjeux démocratiques, car c'est là un moyen de décider de nos politiques économiques et budgétaires. Pourquoi la gauche radicale déserte-t-elle depuis si longtemps cette question ?
Elle a refusé d’entrer dans un débat piégé. La réflexion sur la manière de réorienter la construction européenne a été largement insuffisante. En dépit de la situation qui est ubuesque — on vient d’étrangler une nation —, le débat est en train de s’ouvrir sur la manière de construire des majorités politiques pour sortir de ce carcan. Un double objectif : remettre sur la table le TSCG et revenir sur la conception de l’euro. La gauche radicale en Europe n’a pas su se servir de l’air frais qui venait d’Athènes pour avancer dans le débat et construire un front large autour d’idées fortes, y compris avec des socialistes qui disent des fois des choses pas si éloignées des nôtres, et faire in fine pression sur le gouvernement.
Pensez-vous que l’Allemagne acceptera une remise en cause de l’euro disciplinaire, étant que donné que l’ordre monétaire européen, calqué sur le sien, a été la condition sine qua none de sa propre appartenance à la zone euro ?
Plus on tarde, plus on laissera la zone euro exploser dans les conditions les plus désastreuses que l’on puisse imaginer. Les dirigeants allemands sont en train d’installer l’idée qu’il pourrait exister une alternative à l’euro en fonction de leurs propres intérêts. Plus on laissera cette logique se développer, plus on se rapprochera d’une explosion non-maîtrisée, et d'une remontée des égoïsmes nationaux. Nous devons accepter l’épreuve de force politique — la confrontation avec l’Allemagne. Chaque année perdue nous rapproche de l’explosion, qui n’aura que des conséquences négatives.