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Le soulèvement de mars 1991 au Kurdistan irakien
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Transcription de la conférence organisée le 18 février 2010 à Lyon par l’association Table rase. (texte en anglais :http://bataillesocialiste.files.wordpress.com/2010/06/text-of-llyon-seminar-by-muayad-ahmed.pdf)
Bonsoir et bienvenue à vous. Merci aux organisateurs de cette conférence, aux camarades de l’association Table Rase.
Mon nom est Muayad Ahmed, je suis membre du bureau politique du Parti communiste-ouvrier d’Irak et directeur éditorial du journal Asheoiya al Omalya (Communisme Ouvrier).
Le sujet de cette conférence est le soulèvement de Mars 1991, qui s’est déroulé au Kurdistan d’Irak.
C’est la première fois que je vais revenir publiquement sur cet épisode, bien que j’ai été interviewé à son sujet par le camarade Nicolas Dessaux, en 2006.
Cette conférence servira donc à mettre en lumière certains aspects de ce soulèvement, et en son sein, en particulier, le rôle qu’ont joué les organisations communistes ouvrières et les organisations de gauche. Ce travail est donc une première étape pour établir un tableau plus profond, plus détaillé de ce qui s’est passé.
Quelques points préliminaires
Pour commencer, je voudrais souligner quelques points. Tout d’abord, ce qui s’est produit au Kurdistan en Mars 1991 ne fut pas une révolution, ni une situation révolutionnaire. Il s’agit d’un soulèvement, un soulèvement de masse de la population du Kurdistan contre le régime Baath, régime dont le règne a été renversé au Kurdistan, lors de ce mois de mars 1991.
Ensuite, le soulèvement est survenu durant la seconde guerre du Golfe, l’intervention U.S., et l’engagement des troupes irakiennes au Koweït. En conséquence, ces faits se sont déroulés dans un environnement global d’illusions à propos de la guerre réactionnaire des U.S.A., dont l’objectif était de consolider sa position d’unique superpuissance dans le monde.
Troisièmement, la perspective politique objective et l’horizon qui dominaient dans la société au Kurdistan était le nationalisme kurde. Cela veut dire que ce qui a dominé les pensées et les actions des masses durant le soulèvement était cette perspective politique nationaliste.
Quatrièmement, dans cette situation unique et compliquée, le mouvement communiste ouvrier et ses organisations, qui formaient les forces principales de la gauche au Kurdistan, ont pris l’initiative et ont déclenché le soulèvement. Ce mouvement fut capable de mobiliser les ouvriers, les travailleurs, les gens de gauche et les jeunes progressistes, femmes et hommes, dans un large mouvement armé autour des conseils de travailleurs et des conseils populaires, et a créé un courant de gauche indépendant au Kurdistan.
Pendant comme après le soulèvement, la gauche a contesté courageusement les partis nationalistes kurdes et leur effort pour s’imposer comme les nouveaux maîtres du Kurdistan. Les principales organisations de la gauche dans le soulèvement, le mouvement des conseils et durant les deux ans qui ont suivi étaient les suivantes : Courant Communiste (rawti komunist) ; Lutte unie du Communisme Ouvrier (yakyati khabati komunisti krykari) et Perspective ouvrière (sernji krykar). Le 21 Juillet 1993, le Parti communiste-ouvrier fut fondé, avec la participation de ces trois organisations.
Pour terminer, comme j’étais membre de l’équipe de direction du Courant Communiste, je me référerais au rôle de cette organisation et au rôle que j’y ai tenu, autant que cela est nécessaire pour clarifier la position du communisme ouvrier dans le soulèvement et ses suites.
La situation avant le soulèvement
L’Irak et l’Iran ont été en guerre pendant huit longues années, de septembre 1980 à l’été 1988. L’Irak avait attaqué l’Iran en septembre 1980 sous prétexte de campagnes terroristes iraniennes sur son territoire.
Plus d’un million de personnes innocentes ont été tuées des deux côtés et une grande tragédie a été imposé aux populations de ces deux pays durant ces huit ans de guerre. Le peuple, dans les deux pays, n’avait aucun intérêt dans cette guerre. Elle lui fut imposée par deux régimes oppressifs et régressifs, le régime Baath en Irak, et le régime Islamique en Iran.
L’Irak a été encouragé et financé dans cette guerre par les U.S.A. et les principaux pays arabes tandis que le régime iranien voulait étendre son expérience en Irak et atteindre ses buts pan¬islamiques. 10 milliards de dollars ont été prêtés au régime Baath pour continuer cette guerre. Saddam a été soutenu financièrement, militairement, politiquement et économiquement par les USA, l’Occident et ses riches voisins du Golfe arabe.
Lorsque la guerre fut finie, le régime Baath a été confronté à un risque : libérer des centaines de milliers de conscrits de leurs obligations militaires, sans aucune chance de retrouver un emploi, au vu de la situation économique créée par cette même guerre.
Dans les deux ans qui séparent l’été 1988 et le 2 août 1990, le peuple en Irak et au Kurdistan a pu souffler un grand soupir de soulagement suite à cette longue guerre. Les Baathistes contrôlaient alors la totalité du Kurdistan après avoir commis leur génocide contre les Kurdes lors du bombardement chimique d’Halabja et de la campagne Anfal en 1987-1988.
Les forces de guérilla de l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) et du Parti démocratique du Kurdistan (PDK) – les deux principaux partis nationalistes kurdes – avaient été terrassées. Elles avaient été contraintes à évacuer la plus grande partie du Kurdistan irakien et leurs organisations à l’intérieur du territoire étaient démoralisées et dysfonctionnelles..
Le 2 août 1990, le régime Baath envahit le Koweït. L’ONU impose alors une série de sanctions économiques contre l’Irak : elles visent le peuple, mais également le régime qu’il fallait affaiblir car les U.S.A. se préparaient à la guerre pour forcer l’Irak à retirer ses troupes du Koweït.
Les raisons de l’invasion du Koweït pouvaient, pour Saddam Hussein, être nombreuses : économiques, politiques et stratégiques. Mais la plus importante de ces raisons, qui lui a donné le courage de s’engager dans cette aventure, était le chaos international créé par la chute de l’Union Soviétique et du bloc de l’est. Mais Saddam a fait un mauvais calcul. Dans ce contexte, il pensait que les États-Unis allaient l’autoriser à partager le contrôle de cette région.
Les objectifs pan-arabiques du régime lui ont donné une seconde jeunesse, de courte durée. Il a reçu le soutien des nationalistes arabes à l’extérieur de l’Irak et également celui de larges secteurs des masses pauvres du monde arabe, qui n’avaient pas l’expérience de la vie sous la dictature de Saddam et de son régime fasciste. Ces masses étaient pétries d’illusions désastreuses sur ce sujet. Elles voyaient l’invasion du Koweït comme la tentative d’instaurer une redistribution plus juste des richesses dans le monde arabe et une réponse au fossé qui oppose les pétromonarchies du Golfe et le reste du monde arabe, qui vit dans la souffrance.
Mais la grande majorité du peuple en Irak, et spécialement au Kurdistan et au Sud de l’Irak, était farouchement opposée au régime de Saddam et voulait qu’il s’en aille. Pour se débarrasser de lui, elle était déterminée à se servir de la moindre opportunité créée par l’escalade de la crise du golfe et par l’invasion du Koweït. Structure sociale et de classe de la société au Kurdistan
Durant les années 70, l’Irak et le Kurdistan ont connu un énorme développement économique, en particulier dans le secteur public – l’industrie d’état ou les services – mais également dans le secteur privé. Il y a eu un grand boom économique dans l’industrie de la construction dans ces années, qu’ont également connu les petites et moyennes entreprises privées. Le système d’éducation a franchi une grande étape, et une éducation gratuite et obligatoire a été introduite. L’agriculture a été mécanisée, et de grandes et profitables entreprises se sont mises en route un peu partout. Les femmes pouvaient facilement trouver un emploi dans les services comme dans l’industrie, et jouissaient d’un bon statut et d’une liberté relative dans les années 70. Cette génération de femmes était à bien des égards soumise à un traitement moins restrictif, et bénéficiait de beaucoup plus de libertés qu’aujourd’hui. Cela étant dit, l’objectif principal du régime fasciste Baath dans cette situation était de consolider son emprise sur le pouvoir.
En 1975, la guerre de guérilla des nationalistes kurdes, sous la direction du PDK, s’est écroulée suite au fameux pacte de Saddam avec le Shah d’Iran. Un nouveau round de guerre de guérilla a éclaté l’année suivante en 1976 sous la direction de l’UPK, et le régime Baath lança alors une grande campagne de déplacement des populations au Kurdistan. Les villageois durent quitter leurs villages et furent contraints à rejoindre des camps dans les banlieues des principales villes du Kurdistan, en 1977.
La majorité du peuple au Kurdistan résidait, à la fin des années 70, dans les villes et les cités, et dans les camps alentour. Les effets de ce déplacement de population ont été énormes. En un sens, il a transformé l’ensemble des régions rurales en régions urbaines. Les détails de ce phénomène, ses impacts sociaux, politiques et culturels doivent être étudiés séparément. Mais il est important de noter que ces camps étaient des zones résidentielles extrêmement grandes et concentrées et devenaient potentiellement des bases sociales et politiques, aussi bien pour la gauche que pour les nationalistes. Notre influence sur elles dépendait de jusqu’à quel point nous pouvions répondre aux aspirations des résidents à une vie meilleure, de comment nous les engagions dans un mouvement indépendant autour des Conseils durant le soulèvement de 1991 ; en cas d’échec, elles deviendraient une base pour les nationalistes.
Les grandes industries n’étaient pas si développées au Kurdistan, mais il y en avait quelques unes, comme l’industrie du sucre, du ciment, du textile, des cigarettes, du marbre, des briques et de la grande construction, dans les villes de Suliemanya, Erbil, Kirkouk et Duhouk. Elles employaient des milliers de travailleurs. Bien sûr, les champs pétrolifères de Kirkouk étaient une industrie majeure. L’industrie du poulet, toutes sortes d’industries alimentaires et quelques sections de l’agriculture étaient basées sur la grande production. Il y avait également un réseau de petites usines et ateliers d’équipementiers mécaniques et électriques.
La guerre de 8 ans Irak / Iran a encore augmenté le nombre d’habitants des villes en occasionnant d’autres déplacements de population, en particulier dans les régions frontalières à l’Iran. Le taux de développement économique a alors chuté et le chômage a augmenté considérablement. Avant le soulèvement, la majorité de la population était dans une situation économique sévère et difficile. La perspective de trouver un emploi était lointaine, y compris pour les diplômés de l’université ou de l’enseignement technique. La majorité des jeunes au Kurdistan étaient des insoumis et des déserteurs, qui ont été officiellement libérés de leurs obligations en 1988-1990.
Les relations économiques au Kurdistan avant le soulèvement était celles d’un système capitaliste, qui s’était développé depuis plusieurs décennies. La structure de classe de la société n’était pas hautement développée, mais c’était une structure de classe caractéristique du système capitaliste, basé sur une économie mixte, étatique et privée. La structure de classe et sociale de la société au Kurdistan était également celle d’une société urbanisée, où la majorité de la population vivait dans des zones urbaines et subsistait grâce à un travail le plus souvent salarié, dans l’industrie d’état ou les petites et moyennes entreprises commerciales et industrielles en général. La base de classe du communisme ouvrier et de la gauche était la classe ouvrière et les couches déshéritées, les jeunes des familles pauvres et petites-bourgeoises du Kurdistan.
Le nationalisme kurde : un mouvement de la bourgeoisie
Les rapports de forces entre les tendances idéologiques dans la société balançaient vers le nationalisme kurde et vers les intérêts des classes bourgeoises, qui étaient plus ou moins reflétées par les différents partis du Mouvement Nationaliste Kurde (KURDAYATI). Le conservatisme et le background féodal de la classe bourgeoise au Kurdistan étaient représentés principalement par le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK). La bourgeoisie petite et moyenne était principalement représentée par l’Union Patriotique du Kurdistan (UPK). Il n’est pas aisé de tracer une ligne claire entre ces deux partis mais les idées nationalistes, réactionnaires et les survivances tribales sur lesquelles ils s’appuyaient dans la société étaient en conflit avec les changements sociaux, économiques et politiques qui s’étaient imposés au Kurdistan. Ces deux partis du mouvement nationaliste représentaient en fait un seul front, qui défendait politiquement les intérêts de la bourgeoisie du Kurdistan, en opposition à ceux des ouvriers, des travailleurs, de la majorité de la jeunesse, hommes et femmes.
Aujourd’hui, la plate-forme politique unique autour de laquelle ces deux partis gouvernent le Kurdistan prouve leur nature capitaliste. Même la récente scission de l’UPK et l’émergence du mouvement Goran (« le changement »), ne changent rien à l’orientation capitaliste et bourgeoise des deux principales factions nationalistes Kurdes. Ce « mouvement pour le changement » est le même mouvement nationaliste, avec un programme nationaliste qui réclame l’établissement d’un gouvernement régional séparé du contrôle direct des partis de type miliciens PDK et UPK. Ce que Goran demande, en dernière analyse, c’est un gouvernement fédéral et régional basé sur une idéologie régressive. Ils peuvent entraîner des secteurs dominés et déshérités de la société vers leurs propres objectifs politiques, mais les réseaux dominants et dirigeants de ce mouvement sont les vieilles et les nouvelles générations nationalistes qui ont une politique anti-gauche et anti-socialiste.
La perspective nationaliste et la politique populiste anti-régime avant le soulèvement
La majorité des jeunes kurdes n’ont pas servi dans l’armée. Ils utilisaient des faux documents pour éviter d’être arrêtés, ou s’enregistraient comme paramilitaires grâce à des connexions tribales, mais sans être contraints à des obligations militaires particulières. L’hostilité au régime était très grande. Pour cette raison, le régime Baath n’avait aucune base sociale au Kurdistan. Même ses forces de sécurité ne pouvaient vivre dans le centre des villes et des localités. Le régime avait par exemple créé un quartier spécifique à Suliemanya, appelé le « quartier des maisons de sécurité ». La vaste majorité de la population était contre le gouvernement. Les crimes génocidaires à Halabja et la campagne Anfal commis par le régime deux ans plus tôt constituaient une tragédie, encore douloureusement présente dans les pensées du peuple et qui marquait encore la vie quotidienne des gens.
Le gouvernement était déjà affaibli par un mouvement que nous pourrions qualifier de résistance nationale et populaire et de désobéissance civique, mouvement qui était très fort parmi la population, et en particulier parmi la jeunesse. C’était une source massive de changement pour le Kurdistan.
Ces sentiments anti-régime et cette sorte de résistance civile et politique a ouvert un champ unique d’opportunités pour le communisme ouvrier pour intervenir et proposer des perspectives progressistes et socialistes à ce mouvement potentiel. Cela était possible en organisant la classe ouvrière et les couches travailleuses dans un mouvement politique indépendant : un mouvement qui lutterait contre le régime Baath, contre l’oppression nationale visant les kurdes et qui exposerait dans le même temps la nature réactionnaire des partis nationalistes kurdes, de leur programme politique et de leurs traditions.
Ces partis nationalistes, et tout particulièrement l’UPK et le PDK, avec leurs forces armées, étaient relativement faibles dans les temps qui ont précédé la soulèvement. Ils n’avaient pas d’organisation clandestine profonde et large et n’ont pu résister à la répression du régime. Leurs appareils clandestins étaient presque paralysés et ils ne possédaient pas un fort réseau de dirigeants et d’activistes populaires et politiques pour influencer de manière rapide le déroulement des événements.
Cependant, la perspective nationaliste était toujours très forte parmi les masses et dominait objectivement leurs pensées. De plus, la tradition de la guerre de guerilla et l’expérience historique de zones autonomes sous le contrôle de l’UPK et du PDK ont donné à ces partis l’image de deux partis rivaux, mais structurants et aptes à prendre le pouvoir. Dans plusieurs sections de la société, ils avaient la réputation d’être les deux seuls partis aptes à gouverner le Kurdistan si le gouvernement venait à être défait. Ils avaient, de plus, établi un front uni entre eux, appelé le Front Kurde. Les nationalistes comptaient sur ces deux facteurs, et se sont appuyés fortement sur eux.
En dépit de tout cela, les échecs récents de ces deux partis et leurs politiques, tactiques et méthodes anti-populaires les avaient également rendu incohérent aux yeux de la population. Ils étaient d’ores et déjà identifiés comme un obstacle au changement par de larges secteurs de la société, et en particulier parmi la jeunesse qui avait été influencée, d’une manière ou d’une autre, par les idées et les activités du communisme ouvrier.
Position de la gauche et des organisations communistes-ouvrières avant le soulèvement
Notre point fort a été d’être capables de faire du communisme ouvrier une alternative de gauche à cette situation, au départ parmi les jeunes. Les organisations communistes-ouvrières ont été ainsi capables de les mobiliser pour prendre des initiatives dans la formation des conseils ouvriers et des conseils populaires dans les quartiers (Shouras). La majorité des activistes de gauche étaient issus de la classe ouvrière et des couches inférieures des familles petites-bourgeoises du Kurdistan. Egalement, des hauts diplômés, docteurs et ingénieurs étaient très actifs dans les organisations de gauche, et, plus tard, dans le mouvement des conseils. Avant le soulèvement, la gauche au Kurdistan n’était pas une force unie, mais un courant populaire parmi les jeunes, les étudiants, hommes et femmes, et actif non dans une seule partie, mais dans tout le Kurdistan.
Nous, les organisations communistes ouvrières, avions établi la réputation d’être une tendance sérieuse et critique du nationalisme kurde et de ses partis et qui expose sa vraie nature de classe, son programme et ses pratiques anti-populaires.
Le travail théorique et politique de notre groupe, le Courant Communiste (Rawti Kommunist), accompli au milieu des années 1980 a grandement contribué à établir une orientation marxiste, une attitude et une approche sans compromis vis-à-vis du nationalisme et des partis nationalistes. Il s’agit d’un acquis politique issu de longues controverses et discussions internes et débats depuis le début des années 80. Au milieu des années 80, nous avions réussi à nous dégager de l’hégémonie et de l’influence du mouvement nationaliste populaire de l’UPK et de ses différentes prétendues ailes gauches.
Nous avions de plus liquidé une longue série de luttes fractionnelles en dissolvant notre précédente organisation, Lutte unie des travailleurs (Yakyati Tekoshani Kargaran), et en formant Courant Communiste.
Notre travail déterminé de défense du marxisme, du programme et de la pratique communiste internationaliste a été le résultat de notre opposition aux conceptions nationalistes kurdes et au populisme radical de gauche et d’une étude intensive du marxisme. Nous avons adopté les idées et la critique identifiées comme le Communisme Ouvrier par Mansoor Hekmat, le dirigeant influent du mouvement communiste-ouvrier. J’ai ainsi écrit deux petits livres en 1989 en soutien à l’adoption d’un programme communiste internationaliste par le mouvement communiste ouvrier en Irak, appelé : « Un programme concret ou un programme international ? ».
Avant le soulèvement nous avions donc derrière nous six ans de luttes internes entre les différentes factions de la gauche qui étaient, d’une manière ou d’une autre, en dehors de la tradition nationaliste kurde ou de la tradition du Parti communiste d’Irak, pro-soviétique. Cette nouvelle gauche dont mon organisation faisait partie s’est endurcie comme une tendance critique des partis nationalistes kurdes comme du stalinisme et du PC d’Irak. L’origine de ce phénomène peut être trouvée dans les années 70. La gauche a changé significativement sous l’influence de l’expérience de Komala dans la révolution iranienne et de la publication des idées marxistes révolutionnaires de Mansoor Hekmat et ses camarades durant et après la révolution de 1979 en Iran. Cependant, une chose est importante ici : cette nouvelle gauche au Kurdistan et ses réseaux de militants et de soutiens n’étaient pas complètement dégagé de la perspective nationaliste kurde et de ses pratiques. Même Komala en Iran n’était pas indemne de cette influence et n’était pas complètement dissocié du nationalisme kurde, comme les événements qui ont suivi l’ont montré.
Pour avoir une perspective socialiste, communiste ouvrière, et une perspective communiste internationale, il faut travailler et aiguiser tous ces aspects idéologiques et politiques dans la pratique. C’était ma croyance personnelle et ce à quoi nous avons travaillé avec la direction et les cadres de Courant Communiste, et en particulier avec deux autres camarades de la direction : Amjad Gafur et Nadir Abdulhamid. La dissociation et la séparation pratique d’avec le nationalisme, l’UPK et les nationalistes kurdes n’étaient pas, et ne sont toujours pas des tâches faciles. Lorsqu’il y a une oppression nationale, et une résistance nationaliste face à elle, lorsqu’il y a une question nationale et qu’il n’y a pas encore un fort mouvement de la classe ouvrière et socialiste, vous êtes facilement sujets à l’influence de la perspective dominante et de l’idéologie du nationalisme. Les masses étaient d’ores et déjà sous l’influence de celles-ci.
Avant le soulèvement, la gauche était très élargie. Comme je le disais, la majorité de la gauche – dont nous -était influencée par les concepts et les idées du communisme-ouvrier et de la nouvelle expérience de Komala en Iran, cette organisation de gauche qui comptait beaucoup de « peshmergas », c’est-à-dire de combattants armés, et qui contrôlait presque la moitié de la région.
La position exceptionnelle de notre organisation Courant Communiste pendant et après l’insurrection était due au fait que nous avions une forte cohérence idéologique et politique marxiste, un leadership très bien organisé et discipliné, qui avait adopté une tactique politique couronnée de succès lors du soulèvement et de ses conséquences.
Notre organisation possédait un vaste réseau de dirigeants socialement reliés et bien connus dans la population des districts. Des militants communistes ouvriers énergiques nous ont rejoint, faisant de la progression de la cause communiste leur priorité et leur devoir. C’est cela qui nous a permis de gagner en popularité très rapidement pendant et après le soulèvement, et qui a permis que Courant Communiste soit bien connu sur l’ensemble du Kurdistan irakien, dans un laps de temps très court.
Les autres organisations du communisme ouvrier, en particulier l’Union des Communistes Ouvriers en Lutte ( SUWC) et Vision Ouvrière (WV) ont eux aussi été très actifs, avec un vaste réseau de militants, des jeunes hommes et femmes ; malheureusement une organisation solide et disciplinée leur faisait encore défaut. Sur le plan organisationnel, ils étaient dispersés et avaient en quelque sorte des connexions desserrées. Leur principale force résidait dans leur capacité à intégrer et à agir au sein des conseils de districts, et dans une moindre mesure dans les conseils ouvriers. De nombreux dirigeants des conseils populaires faisaient partie de leurs organisations, notamment dans les villes de Suliemanya, Erbil et Kirkouk, etc.
Le soulèvement du Kurdistan en Mars 1991 et le rôle de la gauche
De fait, les militants et organisations communistes ouvrières ont été à l’initiative du soulèvement dans les plus grandes villes. Nous avions tout ce qu’il fallait pour cela : une plate-forme, les organisations, la direction et les militants sur le terrain pour lancer le mouvement. Mais quand les gens s’enhardissent pour prendre des initiatives, le cours des événements échappent au contrôle des partis même les plus organisés. Le soulèvement a été une énorme action violente dans les grandes villes et dans presque toutes les villes du Kurdistan, dans lesquelles les masses sont sorties pour exprimer leur colère et prendre leur revanche contre tout ce qui était lié au régime de Saddam. Il s’agissait d’une action massive pour donner forme à quelque chose de différent.
Le rôle de la gauche n’a pas été seulement celui de prendre l’initiative de l’insurrection, il a été beaucoup plus que cela. La gauche a commencé tout de suite à former des conseils dans les quartiers et plus tard dans les usines et les lieux de travail. Ces conseils ont pris forme un peu partout, principalement grâce au travail des militants et organisations de gauche. Le C.C avait déjà publié des milliers de tracts reprenant la plate-forme appelée « Nos tâches immédiates » que j’avais écrite après une discussion au sein du leadership. La plate-forme était une sorte de guide simplifié au sujet de ce qui est à faire pendant un mouvement populaire.
La thèse principale de la plate-forme consistait en la construction d’un mouvement social et politique indépendant de la masse de la classe ouvrière, des travailleurs, des personnes précaires, qui seul leur permettrait de prendre le pouvoir entre leurs mains et de le défendre au cas où les nationalistes kurdes essayaient de le leur reprendre. Dans cette plate-forme, nous appelions les gens à former des conseils ouvriers et populaires pour construire le mouvement et ainsi prendre leur sort en main. Les conseils devraient diriger le Kurdistan. Nous appelions à défier les partis nationalistes kurdes et le Front du Kurdistan (KF) sur le sort politique de la société. Nous avons dit à la population et les travailleurs de ne pas laisser le Front du Kurdistan leur voler les fruits de leurs propres actions et de les en priver. Nous avons appelé toutes les personnes à s’armer, à pousser les forces du régime Baath hors du Kurdistan, à prendre le pouvoir entre leurs mains, et à établir des procès publics et justes pour punir les criminels.
Comme je l’ai souligné plus tôt, la majorité des organisations de gauche comme le WV, SUWK et d’autres ont joué un grand rôle dans l’organisation des conseils populaires dans les districts, mais CC insistait particulièrement sur la mise en place des conseils ouvriers comme base et force principale du mouvement. Il y a eu un malentendu à cet égard parmi nous, les organisations de gauche, mais ce n’était pas crucial dans la définition de la pratique de chacun. Même la différence de slogans n’était pas très importante pendant cette période. Le slogan de CC disait : « Liberté, Égalité et Etat ouvrier », mais dans la majorité de la gauche émergeait le slogan « Du pain, du travail, la liberté et le pouvoir aux conseils ouvriers ». Quelles qu’aient été les différences entre nous, dans la pratique nous donnions le pouvoir au peuple et à la gauche par nos actions.
Par conséquent, au moment de la contre-attaque du régime Baath au début du mois d’avril 1991, les conseils étaient effectifs : ils organisaient des réunions et se chargeaient des tâches quotidiennes pour soutenir la population et les travailleurs. Mais simultanément, les Peshmarga (la branche armée du KF) et les partis kurdes nationalistes se renforçaient, construisaient leur armée et recrutaient des milliers d’anciens paramilitaires dans leurs rangs. Ils étaient très occupés à travailler à se construire en tant que parti capable de gouverner la région, et de fait, ils possédaient un réel front uni dans ce but à ce moment-là. Ils se présentaient comme étant les nouveaux dirigeants du Kurdistan. Ils tentaient de contrôler les points de contrôle et de montrer une sorte d’image de pouvoir au peuple. Ils ont, plus tard, essayé de harceler les militants des conseils, provoqué une agitation publique contre le mouvement des conseils et ont même essayé de fermer les bureaux des conseils par la force.
Les partis nationalistes kurdes voyaient d’un mauvais œil le mouvement des conseils, il représentait pour eux un défi autant qu’un rival. Une lutte intense a eu lieu entre les conseils et la gauche d’un côté, et le Front du Kurdistan (KF) et ses forces de l’autre. Les partis du KF étaient conscients qu’ils ne jouaient pas un rôle important dans le soulèvement, et donc qu’ils n’étaient pas facilement acceptés par le peuple et les conseils. Cependant, une lutte de plus en plus forte se développait entre les deux fronts politiques, surtout dans la période du mouvement des conseils entre le 7 Mars et le 1e avril 1991, date à laquelle le régime Baath lança sa contre-attaque militaire.
Les conseils étaient armés, et toutes les organisations de gauche se sont engagées à les organiser et les diriger. Mais lorsque nous regardons en arrière, à cette époque, il apparaît que les partis du KF se renforçaient toujours plus, en se constituant en véritable milice et en recrutant parmi les différentes forces réactionnaires de la société. Par tradition et par expérience, ils savaient comment un parti armé pouvait reprendre en main et résoudre la situation critique du pouvoir au Kurdistan.
Nous, à CC, nous avions déjà réalisé à quel point nous serions efficaces pour contrer cette stratégie des nationalistes si l’on arrivait à se soulever, et si nous avions réellement le courage d’entrer dans l’arène en tant qu’organisation communiste armée et en tant que challenger pour les forces nationalistes et leurs prétentions au pouvoir.
Par conséquent, CC a créé des bureaux, et s’est renforcée en tant qu’organisation armée décidée à défendre ces bureaux. Autant que je me souvienne, dans Suliemanya, Erbil, Kirkuk et Akra et plus tard, lorsque le parti Baath avait repris tout le contrôle du Kurdistan, nous avons continué à soutenir nos bureaux de Halbja et Rania. Les cadres et les membres du CC ont montré un niveau élevé de capacité à réaliser cette tâche. [voir en annexe]
Nous avons fait face militairement aux nationalistes et cela a été un choc pour eux. À un moment donné, en mai 1991, l’UPK a encerclé notre base de Halbja dans l’intention de nous attaquer, mais nos camarades les ont affronté ; et les ont forcé à retirer leurs forces.
La fonction des Conseils
Les conseils populaires et de travailleurs étaient partout : dans les usines, dans les quartiers, dans les camps résidentiels et même à Kirkouk, dans ce court laps de temps qu’a duré le mouvement insurrectionnel [1]. Durant trois semaines, à partir du 7 Mars, personne ne contrôlait vraiment la situation. Les forces du Front du Kurdistan et les conseils armés avec les organisations de gauche étaient les deux forces qui gouvernaient réellement le Kurdistan.
Les activités des conseils étaient nombreuses. Elles incluaient les différents aspects de la vie sociale et politique du peuple : du travail et des tâches quotidiennes dans les quartiers et les usines à l’organisation de réunions, ainsi que la mise en place de votes de résolutions qui définissaient les futures mesures prises et appliquées par les conseils. Les conseils ouvriers dans les usines à Suliemanya et Erbil, par exemple, avaient expulsés les anciennes directions et les avaient remplacées par des conseils composés de représentants de travailleurs essentiellement. Expliciter réellement et en détail ce que faisaient les conseils nécessitent une présentation bien détaillée et argumentée, ce que nous ne pouvons faire dans le cadre de cette conférence.
Toutefois, les conseils étaient armés et si la gauche avait su soutenir et alimenter leur influence, si elle avait eu la volonté politique de devenir un acteur majeur dans la lutte pour le pouvoir, unie dans un parti ou même d’accord sur un ensemble d’actions communes, ils auraient pu devenir de facto un réel gouvernement, et ce sans aucun doute.
Malheureusement, la situation ressemblait à une sorte de chaos et toutes les forces et les différentes organisations de la gauche ont agi séparément. Toutefois, le principal point faible était de nature politique, je veux dire par là que la gauche, y compris CC n’a pas eu suffisamment de détermination ni de stratégie politique claire pour devenir une force politique au pouvoir dans cette société.
Cette expérience a été très courte, puisqu’elle n’a durée que trois semaines. Toutefois, la gauche a réalisé qu’elle représentait une force réelle sur le terrain avec la possibilité de mobiliser les travailleurs et les masses dans les conseils. Le mouvement des conseils a défié les nationalistes et n’a pas accepté leur domination [2]. Cela a été une manifestation importante de la ténacité de la gauche et des masses organisées indépendantes. Cette période a été une expérience importante d’engagement de la gauche dans un soulèvement de masse et un mouvement de conseils. La tâche qu’avait à affronter la gauche était immense, et elle a montré une volonté fantastique pour s’en acquitter.
Personne ne contrôlait vraiment la situation, et personne n’avait conscience de la rapidité avec laquelle le gouvernement pouvait mettre en place sa contre-attaque. Nous espérions que les masses dans le reste de l’Irak pourraient renverser le régime mais cet espoir ne s’est pas matérialisé.
La contre-attaque militaire du régime Baath s’est mise en marche, et la tragédie du grand exode du Kurdistan a suivie. La majorité de la population kurde a quitté les villes et villages par crainte des représailles du régime, et dans la peur d’une autre tragédie de bombardements chimiques, comme celle de Halabja. L’exode a concerné tout le monde : la population bien sûr, mais aussi le Front du Kurdistan, la gauche et les militants des conseils. Les uns et les autres semblaient impuissants devant les atrocités du régime Baath. Cela a été une catastrophe, et cela a ouvert des discussions et des débats intenses à l’intérieur du mouvement communiste-ouvrier en Iran et en Irak pour évaluer ce qui s’était passé.
Les principales forces et les perspectives de l’insurrection
De fait, la perspective politique qui a dominé les actions à une échelle aussi importante que celle de l’insurrection de Mars 1991 ne peut être éludée. En effet, si les militants et les principales forces qui ont initié le soulèvement étaient celles de la gauche, la perspective politique qui a mis en mouvement la population n’était pas une perspective de gauche, mais bien une perspective nationaliste, qui reposait sur une politique populiste anti-régime. La gauche elle-même n’était pas totalement libérée de cette illusion non plus. La politique populiste de gauche sur le terrain était un fait, qui se reflétait dans la littérature des organisations de gauche, y compris CC. Nous avons critiqué plus tard cette politique populiste anti-régime.
Cependant, le CC s’est opposé aux sanctions américaines et à la guerre contre les troupes irakiennes au Koweït. Nous avons critiqué la stratégie et la politique américaine qui visait à s’imposer comme la seule superpuissance du monde, mais ça n’était que des mots, comme « Non à la guerre », qui n’est jamais devenu notre slogan principal. Nous pensions que le régime Baath était également responsable de cette guerre. Par conséquent, nous avons mis en avant la régression et la dictature du régime, ainsi que le rôle qu’il jouait en conduisant les irakiens à une situation désastreuse.
La vraie politique qui nous animait était la chute du régime et de ses atrocités et nous pensions que la guerre et ses conséquences ne pourraient nous empêcher de construire un fort mouvement socialiste. Cependant, bien que nous ayons eu des illusions à bien des égards, cela n’a pas compté beaucoup dans le cadre de ces événements ; car même si la gauche avait adopté cette politique de résistance contre la guerre et n’avait pas œuvré pour l’insurrection, elle ne pouvait pas arrêter le cours des événements et l’insurrection aurait quand même eu lieu. Ce qui est important ici, c’est de savoir ce qu’aurait fait la gauche dans cette situation. La gauche en Irak était une force déterminée, pleine d’énergie et d’espoir. Elle s’est engouffrée dans cet évènement, et elle a écrit une page d’histoire importante pour le communisme.
Personnellement, je pense que le soulèvement aurait eu lieu même si la gauche n’y avait pas participé. Certains camarades pensent quant à eux que si la gauche n’avait pas lancé l’insurrection, rien de tout cela ne se serait produit. J’en doute, étant donné que la situation générale était mûre pour un tel soulèvement au Kurdistan.
Cependant, la chose la plus importante a été que la gauche a réussi à se renforcer durant l’insurrection, et qu’elle a su faire du communisme-ouvrier une puissance réelle dans la société. Nous étions conscients que les forces du régime nous écraseraient, mais notre devoir était d’empêcher le Front du Kurdistan de prendre le pouvoir de la région. Quelles que furent nos ambigüités théoriques et pratiques pendant le soulèvement, dans la pratique nous avons fait ce qu’il fallait. Nous, la gauche, sommes entrés dans l’arène en tant que force indépendante face aux nationalistes, avec le soutien de nos forces sociales sur le terrain, les forces des travailleurs, les masses et la gauche dans son ensemble. C’est ce que nous avons fait, et cela a donné des résultats pour nous et pour le peuple. En fait, deux forces socio-politiques ont mené une lutte durant les événements de Mars pour déterminer le sort de la société, le nationalisme kurde et le communisme-ouvrier. Mais, malheureusement, nous n’avons pas été en mesure de conclure la lutte par le triomphe du socialisme et du communisme-ouvrier dans les années qui ont suivi le soulèvement. Cela doit être étudié, et les fautes et les points faibles doivent être identifiés.
Débat sur le bilan de l’insurrection
Ayant dit tout cela, voici mon évaluation. Durant le soulèvement, deux forces sociopolitiques majeures, le Communisme-Ouvrier et le Nationalisme Kurde, luttaient l’une contre l’autre pour déterminer le sort de la société kurde. Malheureusement, le communisme-ouvrier n’a pas été en mesure de remporter cette bataille contre le Nationalisme, que ce soit durant les suites immédiates de l’insurrection ou pendant la crise politique prolongée qui a suivi au Kurdistan.
Les raisons de l’incapacité du mouvement communiste-ouvrier à acquérir le pouvoir, à se transformer en un force cruciale dans le paysage politique kurde, en dépit de son immense succès pendant et après l’insurrection nécessitent d’être particulièrement analysées et critiquées. Par ailleurs, une analyse profonde et critique de ce qui a fait obstacle au mouvement communiste-ouvrier -lequel fut unifié dans un parti ( le Parti Communiste-Ouvrier d’Irak ) -pour se saisir d’opportunités ultérieures doit également et impérieusement être menée. Je présenterais pour ma part mon propre point de vue et ma critique sur cette question importante lors d’une prochaine occasion. En un mot, l’évaluation marxiste de cette expérience est une question très importante, surtout pour le mouvement communiste ouvrier actuel en Irak.
Ici, je ne mets l’accent que sur les points faibles de la gauche, que je viens de mentionner : le manque de détermination politique et de stratégie pour devenir une force puissante, qui permette d’engager les travailleurs et le peuple dans la lutte entre la gauche et les nationalistes kurdes pour le pouvoir. Je ne suis pas d’accord avec l’idée que le factionnalisme au sein de la gauche est la principale raison de l’absence de progrès dans la gauche pendant cette période et jusqu’à la formation du PCOI. Au contraire, les factions étaient un sous-produit de l’absence de volonté politique de la gauche et l’absence de volonté de s’engager dans une lutte de classes pour le pouvoir.
Toutefois, le débat qui a éclaté au sein du mouvement communiste-ouvrier hors d’Irak, immédiatement après les événements tragiques qui ont suivi l’attaque militaire du régime de Baath contre le Kurdistan et les exodes de masses, a été un débat important. Ce débat a finalement permis de faire émerger un point de vue, une analyse marxiste des événements de Mars 1991, notamment après qu’il est apparu clairement aux camarades du mouvement communiste ouvrier d’Iran, que la gauche au Kurdistan a eu un rôle important et a été une force efficace dans l’équilibre du pouvoir dans la société et dans la lutte politique contre les nationalistes kurdes. D’ailleurs, ce débat a conduit à la rupture d’une tendance nationaliste dans le Parti Communiste d’Iran, et a ouvert la voie à la construction du parti communiste ouvrier d’Iran.
L’appréciation de cet événement historique est une question de grande importance pour le communisme et son avenir au Kurdistan et dans le reste de l’Irak, sans parler de son importance en tant que faisant partie de l’histoire de la gauche dans le monde.
Conclusion
À mon avis, une chose est extrêmement importante à retenir dans cette évaluation des faits : le Communisme Ouvrier ne peut pas gagner sans un grand parti politique capable de mobiliser jusqu’à la victoire les forces du socialisme dans nos sociétés modernes. Le communisme et le socialisme ne peuvent pas gagner sans un parti dont la base sociale se trouve parmi la classe ouvrière et le mouvement des travailleurs ; ils ne peuvent pas gagner sans avoir une ligne théorique claire et un programme politique marxiste, ni sans un leadership communiste. Le communisme et le socialisme ne peuvent pas gagner sans un parti organisé pour être le parti de la masse des militants communistes ouvriers, sans un parti qui ait la capacité d’organiser et de mener les travailleurs et les masses à la réalisation d’un monde meilleur, un parti qui soit un parti de masse moderne, transparent, flexible et qui garantisse la liberté d’opinion et l’unité dans l’action.
ANNEXE
En annexe au texte de ce séminaire, je voudrais rajouter en complément d’information une liste de noms, qui devra être complétée lors d’une prochaine occasion. Je présente mes excuses à l’avance pour les noms qui ont été omis ici. En outre, il est clair que je n’ai pas énuméré tous les membres du Courant Communiste car cela nécessite plus de recherches et d’informations.
À la fin du mois de Mars 1991, une équipe de 4 membres s’est ajoutée au trio déjà existant des leaders de CC : Awat Saied, Aziz Sadiq, Karim et Samir Muhsin Noori.
A la fin des années 80 certains cadres ont joué un rôle essentiel dans la gestion du travail clandestin et technique d’impression de CC, dont Abdullah Salih, Nawzad Khaild, quelques autres membres et individus ont eu également un rôle important dans la maintenance du travail clandestin et la protection sociale du comité dirigeant : Mustafa Bahir, Maysoon Abdul Jabar, Soraya Tahir, Bizhari Sha’ir, Omer Mohammed Faraj, Abdullah Sherin et Raouf Aso.
Après le soulèvement, les activités de CC ont connu un développement majeur. Quelques cadres parmi ceux connus publiquement ont pris la responsabilité de diriger les bureaux et les activités publiques de notre organisation : Khabat Majid, Dr. Amin Osman, Nazar Akrwai, Jamal Koshish, Azad Hama Karim, Dara Munzir, Dlawer Munzir, Nazir Omer Ali ( assassiné par les forces du KPD en 1993 à Smiel, après la formation du PCOI ), Aras Maoulod (assassiné en Juillet 1991 par les forces du gouvernement et celles de l’UPK, à Erbil ), Jalil Shabaz, Peshraw, Kaywan Raouf, Kawa Ali Sheia, Anwer Ali, Mohammed Guafour, Abdullah Sleiman, Adil Osman, Jamel (Abdullah), Ako, Bzhari Ranya, Rebaz, Rebwar, Namik, Amanj, Kermanj, Serwan, Bahnam Mohammed, Mam Karim, Aso Jabar, Soran, Goran, Nazim Ali, Nawzad ( tué dans un accident ), Rahim Ahmed Amin.