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La Nouvelle-Orléans: dix ans après «Katrina», ségrégation sociale et raciale
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Entretien avec Larry Bradshaw
et Lorrie Beth Slonsky conduit par Elizabeth Schulte
Lorsque, le 29 août 2005, l’ouragan Katrina frappa la côte du golfe du Mexique, Larry Bradshaw et Lorrie Beth Slonsky, collaborateurs du site SocialistWorker.org, ont été bloqués à La Nouvelle-Orléans. Ils participaient depuis plusieurs jours à une conférence de travailleurs de l’aide médicale d’urgence (EMS, emergency medical services) et ils n’ont pas pu s’en aller. Ils ont passé une grande partie de la semaine suivante piégés par les inondations ainsi que par le cordon, sous loi martiale, déployé autour de la ville.
Lorsqu’ils sont enfin arrivés à raconter ce qui leur était arrivé sur le site SocialistWorker.org, l’information se répandit à travers le monde, contribuant à révéler ce qui s’était véritablement passé à La Nouvelle-Orléans lors de Katrina. Ils étaient présents, en particulier, lorsque des centaines de personnes tentèrent d’évacuer la ville en passant sur un pont au-dessus du fleuve Mississippi avant d’être arrêtés par des policiers armés tirant à balles réelles au-dessus de leurs têtes. Dans cet entretien avec Elizabeth Schulte, Lorrie Beth et Larry, à la lumière de leur expérience il y a dix ans, parlent sur ce qui a changé – ainsi que sur ce qui n’a clairement pas changé – à La Nouvelle-Orléans.
*****
Il y a dix ans, vous avez décrit vos expériences à La Nouvelle-Orléans lors de l’ouragan Katrina pour Socialist Worker. En observant le passé, qu’en ressort-il pour vous aujourd’hui? Qu’est-ce que cela signifie pour vous, en ce 10e «anniversaire»?
Lorrie Beth: Aujourd’hui, ce qui ressort pour nous est le fait que les personnes qui ont été délaissées, oubliées et ignorées lorsque Katrina frappa sont, dans l’ensemble, toujours délaissées, oubliées et ignorées dans la récupération et la reconstruction de La Nouvelle-Orléans.
Larry: En regardant les émissions spéciales sur l’anniversaire de Katrina, nous avons été frappés par les vantardises et le triomphalisme de nombreux commentateurs et représentants gouvernementaux. Les politiciens et les élites entrepreneuriales nous présentent le super-travail qui a été le leur dans la reconstruction de La Nouvelle-Orléans. Mitch Landrieu, le maire [démocrate] de La Nouvelle-Orléans, ainsi que la Fondation Rockefeller ont lancé un projet appelé Katrina 10 lequel mentionne La Nouvelle-Orléans comme étant la «meilleure histoire de comeback de l’histoire américaine».
Sur le site internet www.katrina10.org, le maire Landireu se vante que «la Nouvelle-Orléans est devenue le laboratoire le plus rapide d’innovation et de changement de cette nation – et, à bien des égards, du monde. L’opportunité est actuellement de positionner La Nouvelle-Orléans comme un leader mondial de la résilience, de la ténacité.»
Les «partenaires de Katrina 10» font figurent de bottin mondain des entreprises et des organisations civiles, y compris la Chambre du commerce. Leur site internet raconte la version officielle, rose, de la «récupération» et il le fait à partir de la perspective de ceux qui ont réussi lors de la reconstruction. Le slogan du maire est «résilience». Il est répété ad nauseam dans les médias.
Lorrie Beth: Il est vrai qu’il y a eu de nombreuses reconstructions à La Nouvelle-Orléans et que les habitant·e·s ont fait preuve d’une ténacité remarquable. Mais il y a un autre récit de la reprise, de la récupération: une vue à partir d’en bas de La Nouvelle-Orléans 10 ans après Katrina.
Celle-ci peut être vue sur le site www.katrinatruth.org. Katrina Truth [truth: la vérité] raconte l’histoire de ceux qui ont été laissés de côté lors de la récupération. Son slogan est: résistance.
Larry: Le président Obama [dans son discours du 27 août 2015 à La Nouvelle-Orléans] reconnaît que bien que Katrina ait été une «catastrophe naturelle», la plupart des morts, des destructions, des inondations et l’absence d’évacuation de certaines personnes sont d’origine humaine. Les inégalités structurelles, de classe et de race, établissent un rapport entre ceux qui ont vécu, ceux qui sont morts et ceux qui ont souffert.
Par contre, ce que le maire et le président ne reconnaissent pas est que les inégalités économiques et sociales antérieures à Katrina sont revenues de manière vengeresse. Cela s’observe en ce qui concerne la pauvreté, les soins, le logement, le maintien de l’ordre, l’éducation et l’environnement.
Lorrie Beth: En nous déplaçant dans les rues de La Nouvelle-Orléans dans les jours qui ont suivi l’ouragan Katrina, nous avons été frappés par le grand nombre de familles ayant de jeunes enfants. Nous avons aussi vu un grand nombre de personnes âgées et de handicapés dans les rues ainsi que parmi le grand nombre d’êtres humains assis dans et autour du Centre de convention de la ville, au milieu d’une chaleur étouffante. Près de 40% des personnes qui sont mortes en raison de l’ouragan Katrina étaient des aînés. Les personnes abandonnées appartenaient le plus souvent aux couches vulnérables de la société.
Larry: En ce qui concerne le sort des enfants, la reconstruction doit être considérée comme étant un échec. Au début de l’année, une nouvelle enquête révélait que le taux de pauvreté chez les enfants à La Nouvelle-Orléans atteint désormais 39%. C’est-à-dire que ce taux est 17% plus élevés que le taux national de pauvreté chez les enfants et proche du niveau de 41% antérieur à Katrina. Plus de la moitié des enfants noirs vivent dans la pauvreté.
Lorrie Beth: Les experts en développement infantile nous avertissent du fait que la pauvreté produit du «stress toxique chronique» chez les enfants. Je dirais qu’un grand nombre de ces familles et de ces enfants abandonnés lorsque Katrina frappa ont souffert de «stress toxique aigu». Pour de nombreuses familles, la récupération a donc signifié remplacer un stress toxique grave par un stress toxique chronique.
Mais ce ne sont pas seulement les enfants, les aînés et les personnes handicapées qui ont été abandonnés. Les facteurs de race et de classe ont aussi déterminé qui a été délaissé. Aucun «millionnaire» ne campait dans les rues avec nous. Presque toutes les personnes que nous avions croisées appartenaient à la classe laborieuse ou étaient pauvres, la plupart Afro-Américains.
Larry: La vie et la mort à La Nouvelle-Orléans ainsi que la qualité de vie ont toujours été fortement biaisées par la race, la classe et la localisation dans la ville. Il y a dix ans, être Noir, pauvre ou appartenant à la classe laborieuse augmentait fortement vos «chances» de mourir lors de Katrina. Actuellement, dix ans plus tard, l’espérance de vie à La Nouvelle-Orléans varie jusqu’à 25 ans selon votre code postal (adresse) et la race à laquelle vous appartenez. Les codes postaux avec l’espérance de vie la plus basse sont ceux des endroits où l’on rencontre le pourcentage le plus élevé d’habitant·e·s pauvres et de gens de couleur.
Les Afro-Américains de chaque groupe d’âge ont, actuellement et à cause égale, une probabilité bien plus élevée de décéder que les Blancs. Les Afro-Américains à La Nouvelle-Orléans, par exemple, ont trois fois plus de probabilité que les blancs de mourir du sida ou de maladies rénales. On estime que 30% des décès des Afro-Américains âgés de 15 ans et plus, entre 2008 et 2010, étaient évitables. Cette catastrophe non naturelle se déroule en ce moment même, nous ne parlons pas de 2005.
Lorrie Beth: Un grand nombre d’habitant·e·s de La Nouvelle-Orléans n’ont pas accès aux prestations de soins couvertes par l’Affordable Care Act [plus connu sous le nom «d’Obamacare», ces nouvelles dispositions, assez limitées, sont censées assurer une couverture médicale à 32 millions d’Américains qui en sont privés] parce que le gouverneur [républicain] de la Louisiane, Bobby Jindal, refuse d’étendre le Medicaid [assurance maladie pour les personnes à très faible revenu] afin de couvrir un plus grand nombre d’adultes à revenus limités.
A l’instar de la plupart des villes américaines, le plus grand établissement psychiatrique de La Nouvelle-Orléans est tragiquement la prison de la paroisse [division administrative] d’Orléans (Orleans Parish Prison). On estime que 45% des prisonniers de cette prison souffrent de maladies mentales. Plutôt que de fournir un accès aux services psychiatriques, les politiciens de La Nouvelle-Orléans débattent sur la taille d’une nouvelle prison à bâtir.
Larry: En ce qui concerne la pauvreté infantile et l’accès aux soins, il y a clairement bien plus à faire.
Ce que vous avez écrit en 2005 contredisait les rapports «officiels» en provenance de La Nouvelle-Orléans selon lesquels les «désordres» étaient répandus. Pouvez-vous parler de cela et décrire certaines choses qui vous sont arrivées là-bas: comment les gens agissaient les uns envers les autres?
Larry: La couverture médiatique de l’époque affirmait que La Nouvelle-Orléans avait sombré dans l’anarchie. Un membre du conseil communal déclara que le quartier français [le centre historique et touristique de la ville] était soumis à un «siège» et les médias étaient remplis de reportages sensationnalistes de pillages massifs, d’enfants violés dans le Superdome [le grand centre sportif et accueillant de grands événements et baptisé Mercedes-Benz Superdome, car la transnationale a acheté en 2011 pour 10 ans le droit de lui attribuer son nom de marque] ainsi que de tirs contre les hélicoptères de secours.
Lorrie Beth: Je suis convaincue que certaines choses moches sont arrivées à certaines personnes dans les jours qui ont suivi Katrina. Mais les histoires médiatiques sensationnalistes, qui n’ont jamais été vérifiées, se sont révélées fausses. Le récit des «désordres» était indispensable pour justifier les efforts tristement inadaptés de l’Etat fédéral, de l’Etat et de la région. Il reflète également le racisme dans les médias et la société.
Larry: Je ne sais pas si les gens se souviennent de la distinction entre «pilleurs» noirs et les Blancs qui «trouvent»?
Une photo de l’époque de l’Associated Press montrait un jeune Noir pataugeant dans l’eau, jusqu’à la poitrine, portant un paquet de soda et un sac flottant derrière lui. La légende disait qu’il «avait pillé une épicerie». Comparez cela avec une autre photo d’agence montrant un couple blanc, l’eau aussi jusqu’à la poitrine, portant de l’eau et des sacs de nourriture. La légende disait qu’ils avaient «trouvé du pain et des sodas dans une épicerie du lieu». Quelqu’un a publié sur Internet les deux photos, côte à côte, ce qui a provoqué un débat intense sur le biais racial des journalistes.
Lorrie Beth: Avant que nous ayons dû évacuer notre hôtel, nous nous trouvions sur le balcon et avons vu certaines personnes s’approvisionnant au magasin Walgreens de l’autre côté de la rue. Une femme blanche, à peu près de mon âge, déclara: «C’est terrible, ces gens volent Walgreens.» Observant sa valise entrouverte, remplie de linges et de serviettes de l’hôtel, je lui ai demandé: «Dans quelle mesure le fait que vous preniez des serviettes et du linge de l’hôtel ne constitue-t-il pas un vol de l’Hotel Monteleone?» Elle se montra très indignée et me répondit: «Je ne vole pas! Je ne fais que prendre ce qui est nécessaire pour ma survie!»
Larry: Dans les jours qui suivirent Katrina, la machine de propagande de Karl Rove [célèbre spin doctor, alors responsable de la «communication» de George W. Bush] se mit en marche.
La réponse exceptionnellement insensible et inepte de la Maison-Blanche, du Département de la sécurité intérieure des Etats-Unis et de l’armée a été manipulée et reformulée pour affirmer: «Katrina a été une catastrophe naturelle imprévisible et la Maison-Blanche n’est pas responsable de l’absence de réponse adéquate à la catastrophe, ce sont les autorités locales et de l’Etat qui le sont.» En effet, le récit de la nouvelle administration Bush était que ceux qui n’avaient pas évacué étaient responsables de leur sort et, en outre, nombre d’entre eux étaient des criminels quoi qu’il en soit.
C’est ignorer le fait que parmi les 80’000 personnes qui ne purent évacuer la ville la majorité était pauvre, n’avait pas de voiture, était malade ou handicapée. Ou alors c’était des personnes qui restaient pour prendre soin d’un membre de la famille qui était malade ou handicapé. Ou il s’agissait, comme nous, de touristes dont les vols avaient été annulés lorsque l’aéroport ferma. Ou c’était des travailleurs de l’hôtellerie dont les patrons avaient demandé qu’ils restent. Ou, encore, il s’agissait de fonctionnaires indispensables, comme cette «dispatcher du 911» [recevant des appels d’urgence et répartissant les envois des services de secours] qui reçu l’ordre de rester jusqu’à ce que les eaux soient trop hautes, son chef la déposa alors au Centre de convention.
Lorrie Beth: Le problème en ce qui concerne le pillage est qu’il commença trop tard et qu’il n’était pas organisé. Une bonne partie de la nourriture dans les magasins et les restaurants était déjà détériorée lorsque les pilleurs affamés, assoiffés, épuisés et en colère commencèrent à casser des vitres. De toute façon, une bonne partie des biens non périssables qui furent saisis aurait été détruite par la chaleur, l’humidité, la crue et la moisissure.
Le maire et la gouverneure priorisèrent pourtant la propriété sur l’existence des gens. Ils déployèrent des centaines d’agents de police afin de poursuivre des petits «pilleurs» plutôt que de déployer la police pour distribuer de la nourriture et des biens de nécessité ou encore pour secourir les dizaines de personnes qui étaient encore coincées dans leurs greniers ou sur leurs toits. Honte soit du maire et de la gouverneure.
Larry: Nous pensons que le véritable pillage de La Nouvelle-Orléans commença par la reconstruction. Je ne me souviens plus qui a décrit Katrina comme la catastrophe la plus profitable de l’histoire des Etats-Unis.
Naomi Klein appelle cela la «doctrine du choc»: lorsque des entreprises privées travaillant avec les Etats prennent avantage d’une crise pour tondre le public et devenir riches. L’entreprise de sécurité Blackwater [qui était aussi contractée entre autres en Irak] a reçu un contrat, exempté d’appel d’offres, de 70 millions alors que Bechtel [la plus grande entreprise de travaux publics des Etats-Unis, dont les liens avec la famille Bush étaient étroits] et d’autres entreprises bien branchées politiquement reçurent des contrats similaires pour la reconstruction, sans appel d’offres. A juste titre, Klein et Caroline Heldman nomment cela le «capitalisme du désastre».
Lorrie Beth: Notre expérience dans les rues était bien loin des histoires effrayantes des médias. Nous avons rencontré des personnes généralement sympathiques, faisant attention les unes des autres et beaucoup tentant d’aider les autres.
Je ne veux pas exagérer cela et donner l’impression qu’être dans les rues de La Nouvelle-Orléans après l’ouragan Katrina était sans problèmes. Les rues étaient sous tension, les gens étaient épuisés, affamés et assoiffés et la chaleur était suffocante. La plupart des personnes n’avaient que les habits qu’ils portaient. Des personnes souffrant de maladies chroniques se trouvaient sans leurs médicaments et devenaient chaque jour plus malades.
Les gens étaient frustrés, certaines étaient découragées, d’autres encore pleines de ressentiment. Nous vivions dans un égout, la saleté et les excréments humains. Les «secouristes» – de la police à la Garde nationale en passant par de nombreuses agences fédérales – se sont montrés froids et indifférents et même, dans certains cas, ouvertement hostiles.
Larry: C’est un aspect des choses. Ainsi que nous l’avions écrit dans notre article de l’époque, nous avions pu établir un camp sur un pont autoroutier, à la vue des hélicoptères des médias. Une fois que nous avions pu nous procurer de la nourriture et de l’eau – quelqu’un nous apporta un camion de livraison d’eau et nous avions récupéré deux palettes de rations de survie apparemment perdues dans un virage serré un kilomètre et demi plus loin – la coopération et la communauté fleurirent.
Au milieu de la tragédie et de la misère, nous pûmes observer ce que l’esprit humain a de bon et de grand. Le problème est qu’aussitôt que nous nous rassemblions en plus grand nombre que quatre ou cinq personnes afin de travailler ensemble ou de réunir nos maigres ressources, les agents voyaient là une «foule» et nous percevaient comme étant une menace.
Lorrie Beth: La seule violence dont nous avions été personnellement témoins venait des services de police de Gretna [localité située à proximité de La Nouvelle-Orléans, de l’autre côté du fleuve]. Les agents de police de Gretna tirèrent afin de nous empêcher de sortir de La Nouvelle-Orléans, depuis le Greater New Orleans Bridge (Crescent City Connection).
Larry: En parlant de pillage, le pire pillage dont nous avons été les témoins a été commis par un agent de police de Gretna qui nous menaça de son arme alors qu’il volait la nourriture et l’eau de notre camp. Tout d’abord un hélicoptère «de secours» descendit et tourna au-dessus de notre fragile camp de carton réunissant environ 100 personnes et le réduisit en pièces: dispersant les femmes, les hommes et les enfants ainsi que les personnes handicapées.
Nous n’y croyions pas et nous avons tenté de «raisonner» l’agent de police qui chargeait le véhicule de police avec les «trouvailles» de notre camp. Certains de nos nouveaux compagnons de camp nous poussèrent physiquement en arrière, nous disant: «Le flic s’en fout de qui tu es ou d’où tu viens – il voit que tu es avec nous.»
Lorrie Beth: Sur la base de notre expérience, nous pouvons dire que ceux qui avaient le moins partageaient avec nous le peu qu’ils avaient alors que ceux qui disposaient de ressources agitaient une arme en direction de notre visage.
Un élément clé de l’histoire que vous avez racontée il y a dix ans portait sur ce que la police faisait aux pauvres et aux gens de la classe laborieuse de La Nouvelle-Orléans, en particulier l’affrontement sur le pont traversant le Mississippi, en direction de Gretna, sur l’autre rive. Les agents de police de Gretna tirèrent des balles réelles au-dessus de la tête des personnes qui tentaient de sortir de la ville.
Larry: Les faits sur ce qui s’est déroulé sur le Greater New Orleans Bridge, que nous avons décrits dans notre article du Socialist Worker, ne sont pas discutés. Le maire et le chef de la police de la petite localité suburbaine de Gretna prirent sur eux d’envoyer des agents armés sur le pont afin de le fermer aux piétons. Le pont, connu parfois comme la Crescent City Connection, était la seule route de terre permettant de sortir de La Nouvelle-Orléans.
Ce que les médias dominants ne vous disaient pas est que des survivants valides n’avaient aucune raison d’être piégés dans La Nouvelle-Orléans. Nombre d’entre nous auraient pu sortir de la ville si le pont n’avait pas été bloqué par des policiers armés.
Une fois que Socialist Worker fit sortir l’histoire, diverses agences de presse nationales et internationales interrogèrent le maire et le chef de la police. Les deux déclarèrent publiquement qu’ils avaient ordonné la fermeture du pont, qu’ils se tenaient à cette décision et, ce qui est le plus troublant, qu’ils feraient de même demain.
Un mois après que Katrina frappa, Arthur Lawson, le chef de la police de Gretna, fut cité par le New Orleans Times-Picayune disant: «Si vous êtes dans votre maison et qu’il y a des émeutes tout autour afin d’y entrer, allez-vous les laisser entrer? Nous avons sauvé notre ville et protégés nos gens.»
Lorrie Beth: Maintenant, imaginez-vous, tous les premiers intervenants, y compris la police, les pompiers et l’aide médicale d’urgence (AMU) reçoivent un entraînement de préparation aux catastrophes identique. Ainsi que nous l’avons écrit dans une Lettre ouverte aux habitants de Gretna, l’une des premières choses que l’on enseigne aux personnes qui répondent au 911 [le numéro des secours] en présence de tout incident impliquant une masse de victimes [débordant les services de secours], avant de traiter quiconque, est de diriger vers la sortie les gens et de les déplacer vers une zone sécurisée.
Ainsi que vous pouvez l’imaginer, le but de cela est de réaliser plusieurs choses: déplacer les personnes qui ne sont pas blessées ou qui ont des blessures légères vers un endroit sécurisé; permettre aux secouristes de se concentrer sur ceux qui ont des blessures plus lourdes. C’est une chose basique, aussi basique que de respirer! On ne devrait même pas réfléchir au-delà de ce simple plan de triage.
Cela m’irrite donc que la police ait déclaré qu’ils étaient débordés par l’urgence et que c’est pour cela que la police a enfreint la loi. Dès lors que le maintien de l’ordre ne semble pas fonctionner en cas d’urgence, ne devrions-nous pas investir autant dans les commissariats et plutôt reporter une partie des budgets pour entraîner les personnes désireuses et capables de suivre de simples plans catastrophe?
Larry: Nous nous demandons ce qui se serait passé si Socialist Worker n’avait pas raconté cette histoire: la fermeture du pont aurait-elle attiré l’attention des médias nationaux et internationaux?
Que signifie ce que vous aviez dit à propos du rôle de la police maintenant que de plus en plus de personnes savent le rôle raciste et violent de la police après la montée du mouvement Black Lives Matter?
Avant Katrina, le racisme, la pauvreté et l’oppression à La Nouvelle-Orléans faisaient rarement l’objet de sujets médiatiques. Cela n’avait pas de valeur médiatique. Cela n’était pas considéré comme étant suffisamment important pour faire l’objet de reportages. De même, par le passé, les médias faisaient rarement état du meurtre extrajudiciaire de jeunes Noirs. Ils n’avaient pas de valeur médiatique et ils n’étaient donc pas couverts.
Dans les deux cas, il s’agissait de désintérêt par négligence. Puis quelque chose comme Katrina ou Ferguson se produit, forçant la question vers le domaine public. La seule négligence et le déni ne fonctionnent plus.
La deuxième ligne de défense consiste à démoniser et à criminaliser les victimes. Mike Brown, par exemple, l’adolescent Noir qui a été tué par balle par un agent de police blanc à Ferguson, dans l’Etat du Missouri, est devenu l’agresseur, le «voyou» et chaque policier blanc qui tue un homme ou une femme noire sans armes nous raconte qu’il craignait pour sa vie.
Il en alla de même avec la population noire de La Nouvelle-Orléans après Katrina. Souvenez-vous du récit de Karl Rove: les habitant·e·s auraient dû évacuer et, en outre, nombre d’entre eux étaient des criminels vivant dans les grands complexes d’habitation, ils méritaient donc leur sort. Kathleen Blanco, la gouverneure [démocrate] de Louisiane, qualifia les pilleurs de «voyous» et émit un décret de «tirer pour tuer» [l’autorisation de faire usage de la force létale].
Enfin, lorsque les fautes de la police sont indéniables, les médias nous disent que c’est l’action d’un «policier voyou» ou d’un bout de «pommes pourries».
Lorrie Beth: Nous avons été convoqués pour faire des dépositions sur ce qui s’était passé au Greater New Orleans Bridge au bureau du procureur général de Louisiane ainsi que, plus tard, lors de poursuites en action collective.
Dans les deux cas l’interrogatoire se centra exclusivement sur les actions de policiers individuels et si nous pouvions identifier les agents qui avaient tiré. Nous avons tenté de manière répétée de retourner l’interrogatoire pour le déplacer des actions de policiers individuels pour se centrer sur les déclarations publiques explicites autant du maire que du chef de la police de Gretna: qu’ils avaient ordonné la fermeture du pont. Il est de notoriété publique que le bureau du shérif de la paroisse de Jefferson envoya également des policiers pour bloquer le pont.
Larry: L’une des contributions du mouvement Black Lives Matter est de saisir que les policiers particuliers sont simplement le dernier maillon d’une structure répressive légalo-politique et raciste. Black Lives Matter nous a aidés à regarder l’ensemble de la structure de pouvoir, de laquelle chaque agent n’est que la manifestation la plus visible.
Lorrie Beth: Dans le cas des policiers de Gretna qui fermèrent le pont, nous pûmes nous approcher suffisamment, une fois qu’ils cessèrent de tirer, pour parler en tête à tête avec eux. Nous avons entendu des justifications d’ordre raciste: «Ici, ce n’est pas La Nouvelle-Orléans» et «nous ne voulons aucun Superdome par ici». Il s’agissait clairement de mots de code pour dire: «aucun Noir n’approche ou n’entre dans notre ville».
Il est toutefois important de se souvenir que c’est le chef de la police et le maire de Gretna qui ordonnèrent la fermeture du pont aux piétons, précisément afin d’arrêter la population majoritairement noire de marcher vers des endroits sûrs parce que la route passait trop près de leur ville.
Larry: Qu’est-il arrivé aux responsables de Gretna? Absolument rien. Le procureur général de Louisiane ne prit aucune mesure. Blanco, la gouverneure d’alors, ne fit rien, ni même condamner publiquement ou interdire leurs actions. La Chambre des représentants [le législatif fédéral] produit un rapport de 600 pages sur les problèmes de la réponse gouvernementale à Katrina. Le Sénat réalisa un rapport de 800 pages, mais le Département de justice [le Ministère de la justice] ne poursuivit même pas les responsables de Gretna pour avoir interféré, par la fermeture du pont, dans le trafic entre Etats.
Lorrie Beth: L’action des responsables de Gretna soulève la question de savoir pourquoi des milliers d’entre nous se trouvaient sur le pont tentant de nous évacuer nous-même cinq jours après que Katrina a frappé? Pourquoi la FEMA [Federal Emergency Management Agency, Agence fédérale des situations d'urgence] n’a-t-elle pas été capable de rassembler quelques milliers de bus pour évacuer les quelque 80’000 personnes qui se trouvaient encore à La Nouvelle-Orléans?
Alors que plus de 1800 personnes sont mortes de cette catastrophe d’origine humaine, les responsables au sommet du gouvernement continuèrent leurs affaires dans l’indifférence et l’insensibilité pour les victimes, la plupart noires.
Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat, partit en vacances, s’arrêta à l’U.S. Open pour faire quelques trous [de golfe], fut observée alors qu’elle achetait des chaussures d’une valeur de plusieurs milliers de dollars et participa à une comédie musicale de Broadway. Le président Bush s’en alla aussi en vacances, apportant un gâteau d’anniversaire au sénateur de l’Arizona, John McCain. Le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, assista à un match de baseball des San Diego Padres et Michael Brown, le chef de la FEMA, se débattait avec son équipe sur ses réservations au restaurant.
Tout cela alors que des Noirs mouraient ou étaient piégés dans leurs maisons, croupissaient dans le Superdome ou dans le Centre de convention ou encore dans les rues. La vie des Noirs ne comptait clairement pas à Washington, à Baton Rouge [capitale de la Louisiane] ou à La Nouvelle-Orléans.
Larry: Je pense qu’un autre rapport entre ce qui s’est produit lors de Katrina et le mouvement Black Lives Matterest que les deux sont un produit du déplacement de l’Etat de l’Etat social vers la répression.
D’un côté, autant les démocrates que les républicains nous disent qu’il n’y a pas d’argent pour les services publics, pour le filet de sécurité sociale ou pour des choses comme les soins et l’éducation. Il n’y a pas d’argent pour reconstruire nos infrastructures. Le dernier rapport cherchant à savoir pourquoi les digues cédèrent lors de Katrina a conclu que la sécurité fut troquée contre la réduction des coûts. En d’autres termes, les services responsables coupent des coins pour économiser de l’argent. Il n’y a pas d’argent pour faire face au changement climatique qui est à l’origine de super-ouragans comme celui de Katrina.
Les néolibéraux qui sont au gouvernement et parmi l’élite des entreprises nous disent que nous devons réduire la taille de l’Etat et ils incitent à l’adoption d’agendas austéritaires aux niveaux fédéral, des Etats et locaux. En parallèle au rétrécissement du secteur public et à la diminution des ressources publiques, nous assistons pourtant à une croissance énorme des dépenses liées au «maintien de l’ordre» et à l’incarcération. Richard Seymour a souligné l’existence d’un autoritarisme moral au cœur du programme austéritaire. L’attaque idéologique contre la «culture de la dépendance», les «welfare queens» [terme très péjoratif, utilisé entre autres par Reagan, pour désigner les femmes noires émargeant prétendument aux aides sociales] et la criminalisation des jeunes Noirs en découle.
Parallèlement à l’attaque des standards de vie des travailleurs, nous assistons au développement du «law-and-order policing», de la «tolérance zéro», «de l’arrestation et de la fouille au faciès (stop and frisk)» ainsi qu’à la «broken windows policing» [tolérance zéro, expression célèbre d’une théorie de criminologie selon laquelle si l’on ne fait rien face à des délits mineurs, comme le bris d’une vitre, des plus grands désordres sont à venir; elle a été appliquée en particulier à New York à partir du début des années 1990 par le maire républicain R. Giuliani]. Tout cela a bien peu à voir avec la lutte contre le crime, mais tout avec le déplacement de ressources de l’Etat social vers la répression. Ceci explique la militarisation croissante des forces de police qui a été si bien illustrée à Ferguson et dans d’autres villes.
Lorrie Beth: Et cela explique, malheureusement, la militarisation croissante de la réponse lors d’urgences médicales ou lors de catastrophes. Je suis encore horrifiée aujourd’hui qu’un agent paramédical ait sorti, comme faisant partie du «secours», une arme plutôt qu’un kit de première aide.
Larry: A La Nouvelle-Orléans, le taux d’incarcération est quatre fois plus élevé que la moyenne nationale: 236 prisonniers pour 100’000 habitants contre 912 pour 100’000 à La Nouvelle-Orléans. 84% des prisonniers sont Afro-Américains.
Vous m’avez dit que vous étiez récemment à La Nouvelle-Orléans pour une autre convention. Qu’avez-vous vu lorsque vous vous y trouviez? Qu’a signifié la «reconstruction» pour La Nouvelle-Orléans?
Lorrie Beth: Il y a dix ans nous étions à La Nouvelle-Orléans pour une conférence du paramédical. Nous sommes retournés cette année afin que je puisse participer à une conférence d’interprètes en langage des signes.
L’une des premières choses qui nous a frappés est le contraste entre la gentrification de certaines parties du centre-ville et l’absence de reconstructions dans les quartiers historiquement pauvres, noirs et de la classe laborieuse. Nous voyons là, une fois encore, une intersection entre les questions de race, de classe et d’espace.
Le Times-Picayune rapporte que le prix des logements a grimpé de 46% depuis Katrina. C’est une moyenne, certains quartiers n’ont connu pratiquement aucune augmentation. Quatre parmi les quartiers les plus pauvres de la ville, y compris le Lower Ninth Ward, sont toujours en grande partie abandonnés. Pendant ce temps, d’autres quartiers populaires gentrifiés proches du centre-ville deviennent inabordables comme certaines zones de New York ou de Chicago.
Larry: Qui a pu bénéficier de la reconstruction et pourquoi on a eu ce résultat de décisions prises par le gouvernement et les entreprises qui ont priorisé la gentrification, les déplacements et de rediriger les ressources vers ceux qui sont financièrement aisés…
Lorrie Beth: Les logements sociaux ont été décimés. Cinq des plus importants complexes de logements sociaux ont été fermés et/ou démolis. Seulement un tiers des 5000 anciens habitants ont trouvé un logement de remplacement.
Plus de 13’000 familles, 98% d’entre elles afro-américaines, sont sur les listes d’attente de la section 8 du Housing Act [adopté en 1937, il permet de bénéficier de subventions pour les paiements de loyer, en 2008 plus de 4,8 millions de ménages en bénéficiaient]. Cette liste a été fermée en 2009. Le logement public a été remplacé par un système de bons. Une enquête récente indique que les habitant·e·s ayant des bons sont relégués dans les quartiers les plus pauvres et les plus ségrégués.
Larry: Il y a eu, en outre, une destruction complète du système d’écoles publiques de La Nouvelle-Orléans. Nous sommes passés au Louisiane Children’s Museum à La Nouvelle-Orléans et nous avons été frappés par le nombre d’enfants qui fréquentent actuellement des charter schools [écoles privées recevant des fonds publics]. Le musée examinait le type d’école suivi par les enfants: les chiffres pour les écoles publiques étaient si bas qu’elles ne faisaient même pas l’objet d’une catégorie propre.
Après Katrina, l’Etat déplaça 80% des 126 écoles publiques de La Nouvelles Orléans vers le Louisiana Recovery School District avec pour mandat de les transformer en charter schools. Actuellement, 90% des élèves des écoles publiques de la ville vont dans des charter schools. Arne Duncan, le secrétaire à l’éducation d’Obama, a eu le culot de dire: «L’ouragan Katrina a été la meilleure chose qui ait pu arriver au système éducatif de La Nouvelle-Orléans.»
Lorrie Beth: Les politiciens ont dit la même chose au sujet de la destruction des logements sociaux de la ville. Richard Baker, député fédéral républicain, a déclaré: «Nous avons finalement nettoyé les logements sociaux à La Nouvelle-Orléans. Nous ne pouvions pas le faire. Mais Dieu l’a fait.»
Cette déclaration est du même ordre que celle que fit l’ancienne première dame, Barbara Bush, à propos des survivants de Katrina relogés au Texas qui, selon elle, étaient «de toute façon défavorisés, cela se résout donc très bien pour eux».
Larry: Les partisans des charter schools citent l’augmentation des résultats aux tests et du nombre de diplômes comme étant une preuve des «améliorations impressionnantes amenées par les charter schools» à La Nouvelle-Orléans. Ce qu’ils ne vous disent bien sûr pas est que l’augmentation des résultats aux tests ainsi que du nombre de diplômes est aussi le produit de la sélection au recrutement des charter schools par la création d’un processus d’inscription complexe et restrictif, filtrant les enfants ayant des besoins spéciaux, évitant les élèves «compliqués», rejetant les enfants dont les résultats sont faibles, suspendant et expulsant ainsi que laissant de côtés les élèves qui en ont le plus besoin.
Lorrie Beth: Les partisans des charter schools laissent aussi de côté le fait que la FEMA accorda une allocation forfaitaire de 1,8 milliard de dollars aux charter schools. Pouvez-vous imaginer ce qu’auraient pu réaliser les écoles publiques avec cet investissement de près de 2 milliards de dollars?
Larry: Il y a ensuite la question de savoir ce qui se passe lorsque Katrina 2 frappe? La meilleure protection contre un autre ouragan est de restaurer les zones humides et les marais côtiers. Entre 1932 et 2010, La Nouvelle-Orléans a perdu plus de 2 450 km2 de zones humides et marais côtiers. La côte de Louisiane est désormais 40 kilomètres plus proche de La Nouvelle-Orléans. Des décennies d’exploitation pétrolière et gazière ont dégradé l’intégralité de ce qui restait des marais et des zones humides côtières [que l’on se souvienne, par exemple, du désastre de 2010 du Deepwater Horizon de BP]. Des canaux industriels sont devenus des «autoroutes» pour les ouragans. Ils ont dirigé le courant meurtrier directement vers les quartiers populaires noirs du Lower Ninth Ward.
Lorrie Beth: Le Times-Picayune indique que l’Etat dispose d’un plan directeur de 50 milliards de dollars, sur cinquante ans, pour la restauration côtière et la protection des inondations. L’article affirme que les responsables mentionnèrent cette «étiquette» de prix parce que c’était le maximum qu’ils pensaient pouvoir recueillir en 50 ans. Le coût réel est estimé au moins au double.
1 ou 2 milliards par année peuvent sembler énormément d’argent à moins que vous ne considériez le fait que les Etats-Unis ont dépensé des millions de milliards pour sauver les banques de Wall Street et d’autres milliards lors de la guerre en Irak.
Larry: L’autre chose qui nous a frappés au sujet de La Nouvelle-Orléans, c’est la pauvreté. Le tourisme est vivant et se porte bien. C’est le secteur qui emploie le plus de personnes. Ce secteur paie pourtant des salaires misérables. Le salaire minimum de la plupart des travailleurs à La Nouvelle-Orléans atteint 7,25 dollars de l’heure.
En étude récente indique qu’un travailleur seul doit gagner 22 dollars par heure pour pouvoir mener une «vie modeste mais digne». C’est 2,5 fois plus de ce que gagnent beaucoup de travailleurs dans l’industrie du tourisme. Un tiers des ménages gagne moins de 20’000 dollars par année. Des dizaines de milliers de femmes gagnent moins de 17’500 dollars par année. Quatre habitants de La Nouvelle-Orléans sur 10 consacrent au moins la moitié de leurs revenus au loyer.
Lorrie Beth: Alors que nous marchions à travers certaines zones de La Nouvelle-Orléans, j’ai été frappée par le fait que les trottoirs étaient inégalement pavés, avec des dalles de pierre faisant saillie et laissant de grands trous. Il était facile de trébucher sur la surface et de tomber dans l’une des grosses crevasses.
Nous sommes alors passés devant une mère et son enfant de 5 ans qui vendaient des Mardi Gras beads en plastique [grains utilisés pour former des breloques, colliers, etc. pour être ensuite lancés à la foule lors de la parade du carnaval] aux touristes. En bas de la rue, plusieurs aînés étaient alignés le long du trottoir pour la nuit.
Cela m’a frappé à quel point les grands écarts [trous] du trottoir constituaient une métaphore pour les plus grands écarts sociaux pour les habitant·e·s de la ville qui avaient été rejetés par la reprise économique.
Il faut une énorme résilience pour dormir sur le trottoir ou pour travailler à plein-temps pour gagner moins de 16’000 dollars par année ainsi que pour élever les enfants dans la pauvreté. Au lieu des platitudes avancées pour saluer notre résilience [allusion aux slogans mentionnés au début de l’entretien], pourquoi le maire, le gouverneur et le président ne promulgueraient-ils pas des politiques en vue d’aider les habitant·e·s pauvres et de membres de la classe laborieuse de La Nouvelle-Orléans.
Larry: Nous avons parlé avant de la pauvreté infantile. L’étude que nous avons mentionnée cite les bas salaires comme le contributeur principal de cette dernière. Les politiciens insistant sur les programmes d’austérité veulent nous dire que la pauvreté infantile est le résultat du dysfonctionnement familial parmi la classe laborieuse ou les familles noires, mais des recherches démontrent que la pauvreté infantile peut être pratiquement balayée en une nuit en élevant les salaires des secteurs économiques à bas revenus.
Lorrie Beth: Des lois en faveur des salaires minimums, le soutien aux logements sociaux, une amélioration dans l’accès aux soins: ce sont là toutes des politiques que les sponsors du Katrina 10 Project ont la capacité de défendre et de mettre en œuvre.
Larry: Attendre que les politiciens agissent est toutefois ce qui a conduit à la destruction de La Nouvelle-Orléans. Les gens ont attendu des années que le Bayou [les marais] soit restauré et les digues surélevées. Les habitants attendaient encore que les politiciens agissent lorsque la crue est survenue.
Lorrie Beth: Des personnes qui étaient, physiquement ou économiquement, immobiles attendaient d’être évacuées avant Katrina. Pendant ce temps, le maire Ray Nagrin expédia un train vide hors de la ville, refusa de mobiliser les bus de la ville et des écoles et hésita jusqu’à la dernière minute pour ordonner une évacuation obligatoire parce qu’il craignait d’être poursuivi par les entreprises de la ville. Les gens attendaient que les politiciens agissent jusqu’à ce que la crue les contraigne à s’enfuir ou ils sont morts. Nombre d’entre eux agirent et sauvèrent leurs voisins ainsi qu’eux-mêmes.
Larry: 80’000 d’entre nous avions attendu des jours après la tempête et l’inondation pour être évacués parce que les autorités locales et fédérales ne pouvaient élaborer ensemble un plan pour réunir un millier de bus à La Nouvelle-Orléans. Ceux d’entre nous qui tentèrent de nous évacuer ont été repoussés à l’entrée du pont.
Lorrie Beth: La patience et la résilience sont de grandes qualités. Mais elles doivent être complétées par la résistance et l’auto-activité. (Entretien publié sur le site SocialistWorker.org le 31 août 2015, traduction A l’Encontre)