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Grèce: pourquoi Syriza risque la défaite
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Un sondage a donné pour la première fois les Conservateurs de Nouvelle Démocratie devant Syriza. Le parti d'Alexis Tsipras voit sa popularité se réduire rapidement. C'est le fruit de plusieurs erreurs de l'ancien premier ministre.
Les élections grecques du 20 septembre pourraient déboucher sur une surprise de taille. Chacun croyait acquise une victoire du parti d'Alexis Tsipras, Syriza. Voici trois semaines, une majorité absolue semblait possible. Mais voici que, mercredi 2 septembre, un sondage réalisé par GPO donne le parti conservateur grec Nouvelle Démocratie (ND) en tête devant Syriza, avec 29 % des intentions de vote contre 28,7 %. L'avance est certes courte et les sondages helléniques n'ont jamais brillé par leur exactitude ni leur indépendance. Un sondage Alco du même jour donne Syriza légèrement en tête (29,2 % contre 28,7 % à ND). Il faut donc se montrer prudent. Mais enfin, cette enquête vient confirmer une tendance marquée dans la plupart des sondages depuis deux semaines : la cote de Syriza se réduit rapidement, celle de ND remontant plus progressivement.
Un gouvernement sous surveillance de la troïka
Ce mouvement, en réalité, ne saurait constituer une surprise. Car quel est l'enjeu de ces élections ? Le gouvernement d'Alexis Tsipras a signé le 11 août dernier un troisième protocole d'accord avec ses créanciers. Ce nouveau « mémorandum » place la démocratie grecque sous étroite surveillance. « Le gouvernement s'engage à consulter la Commission européenne, la BCE et le FMI, et à se mettre d'accord avec eux, en ce qui concerne toutes les actions liées à la réalisation des objectifs de ce protocole avant qu'elles soient finalisées et légalement adoptées », indique le texte. Compte tenu de l'importance des sujets concernés par ce mémorandum, ceci conduit à faire du gouvernement grec, quel qu'il soit, un fondé de pouvoir de la troïka.
La faiblesse du vote anti-mémorandum
Dans ce contexte, le choix des électeurs grecs est de deux ordres. Le premier consiste à utiliser l'élection du 20 septembre comme un nouveau « référendum » sur ce mémorandum. En votant pour les partis qui le rejettent, autrement dit pour le parti communiste (KKE), les néo-nazis d'Aube Dorée (XA) ou le parti issu des dissidents de Syriza, Unité Populaire (LE), on vote pour le rejet de ce texte. Ce choix n'est pas marginal, mais il est largement minoritaire. Selon GPO, ces trois partis totalisent 16,4 % des intentions de votes, selon Alco, 19,8 %. Ceci est assez compréhensible. Après six mois de discussions avec les créanciers, le gouvernement Tsipras n'est pas parvenu à tenir son pari d'en finir avec l'austérité dans la zone euro. L'économie grecque a été mise à rude épreuve à partir de fin juin lorsqu'a été établi le contrôle des capitaux. Le pays est épuisé et tente de retrouver une certaine normalité. Même si ce mémorandum va entretenir la récession, il est logique que les Grecs ne soient guère tentés par un nouveau bras de fer. Le moment historique est passé et beaucoup seront sans doute tentés par l'abstention ou le vote blanc plus que par le vote protestataire.
Du reste, en signant le troisième mémorandum, Alexis Tsipras a désarmé le vote anti-austéritaire qui avait été majoritaire trois fois depuis 2012. Les deux partis de sa coalition gouvernementale, Syriza et les Grecs Indépendants (ANEL), sont passés dans le camp d'en face. Dès lors, pour la première fois depuis 2012, les créanciers sont sereins avant les élections du 20 septembre, ils savent que le mémorandum sera, pour la première fois majoritaire. Aussi n'ont-ils pas, cette fois, à donner de consignes de vote. La démocratie grecque a été « neutralisée. »
Le manque de crédibilité du positionnement de Syriza
Pas totalement, il est vrai. Il reste aux Grecs la possibilité de choisir celui qui appliquera « le mieux » ce mémorandum. De ce point de vue, les électeurs helléniques n'ont que l'embarras du choix. Tous les partis de Syriza à ND, en passant par les Socialistes du Pasok et les centristes de To Potami, veulent l'appliquer au mieux, même si le discours peut être infléchi par des promesses électorales bien peu crédibles. Mais la situation de Syriza est particulièrement délicate. Alexis Tsipras doit maintenir un discours de façade contre l'austérité tout en défendant une politique d'austérité qu'il a accepté. Ce discours est logiquement fort peu audible et de moins en moins crédible. En face, Nouvelle Démocratie peut rappeler le fait qu'entre août 2014 et janvier 2015, l'ancien Premier Ministre Antonis Samaras avait refusé les conditions des créanciers. Mieux même, le nouveau leader du parti, Evangelos Meimarakis, prétend vouloir « renégocier » certains aspects du mémorandum. ND est donc en capacité de renverser les rôles par rapport à janvier dernier et de faire de Syriza le parti de l'austérité.
En réalité, ces promesses de ND sont peu crédibles. Mais elles n'ont que peu d'importance. L'essentiel est que, puisqu'il n'est plus question de défier les créanciers et que le mémorandum limite la capacité de résistance du gouvernement grec, le discours d'Alexis Tsipras selon lequel il est mieux pour le pays qu'un gouvernement « de gauche » gère le mémorandum ne peut guère convaincre. D'autant que le refus de s'associer avec les partis du centre et de la droite, affiché par Alexis Tsipras est peu crédible. ANEL pourrait ne pas passer les 3 % nécessaires à son entrée au parlement et, au sein du camp pro-mémorandum, il n'y a guère d'autres alliés possibles. Bref, Syriza semble vouloir payer le peuple grec de mots. Et ce peuple s'est trop longtemps payé de mots. Il est impossible de savoir si le nombre d'électeurs (et non la proportion) en faveur de Nouvelle Démocratie croîtra par rapport à janvier 2015, mais il est certain que la mobilisation ne pourra être que meilleure en faveur de ND qu'en faveur de Syriza.
La question migratoire instrumentalisée par Nouvelle Démocratie
D'autant qu'un autre enjeu est au centre de l'élection, celui de la crise des migrants, dans laquelle la Grèce est en première ligne. Or, l'UE n'a guère aidé le pays dans ce domaine, alors même que le budget grec n'est pas capable de faire face à un tel défi. Si l'on doit prendre conscience de l'absurdité de la situation, on remarquera simplement qu'en juillet et août, alors que des milliers de migrants arrivaient par la mer sur les îles grecques, la Grèce a utilisé 6,7 milliards d'euros versés par l'UE pour rembourser sa propre banque centrale. Cette somme a été utilisée pour réduire le bilan d'une BCE qui a pour ambition affichée de l'augmenter... Et parallèlement, Bruxelles a débloqué 474 millions d'euros sur six ans pour la Grèce afin de la soutenir dans l'accueil des migrants. La Grèce est donc non seulement laissée à elle-même, mais les créanciers n'ont jamais pris en compte cet élément dans les négociations.
Nouvelle Démocratie, fidèle à son positionnement traditionnellement xénophobe et hostile à l'immigration, joue évidemment sur le phénomène. Nikitas Kaklamanis, député ND et ancien ministre de la santé de 2004 à 2006, a ainsi publié un tweet qui affirme : « ce qui se passe dans nos îles n'est pas un phénomène migratoire, c'est une invasion islamiste qui sert Alexis Tsipras. »
Très clairement, ND joue donc sur le terrain d'Aube Dorée pour tenter de canaliser en sa faveur le mécontentement. Et là aussi, Alexis Tsipras est désarmé puisque l'Europe n'a guère montré de sollicitude envers le pays durant son mandat sur ce sujet.
Le désarroi des électeurs grecs
Ce que trahissent ces enquêtes d'opinion, c'est, en réalité, le grand désarroi des Grecs soumis à un mémorandum dont ils avaient rejeté l'essentiel lors du référendum du 5 juillet et à des phénomènes migratoires qui les dépassent. Le nombre d'abstentionnistes risque donc d'être très élevé et celui des indécis demeure important, entre 12,5 % et 15 %, selon les sondages cités. Citons deux preuves de ce désarroi. D'abord, l'absence de poussée du parti To Potami (« La Rivière »), donné en dessous même de son niveau de janvier dernier (6 %). Or, ce parti est clairement celui des institutions européennes. Son président, l'ancien journaliste Stavros Theodorakis, a été reçu en grande pompe à Bruxelles. Logiquement, pour s'attirer les bonnes grâces des institutions, les Grecs auraient dû se tourner vers ce parti. Ce n'est pas le cas, et ceci traduit une défiance profonde envers une Europe qui reste un choix pour les Grecs, mais un choix bien peu enthousiaste désormais.
Autre preuve de ce désarroi : la poussé de l'Union des centristes (EK), qui devrait entrer pour la première fois au parlement et qui est donné entre 3,5 % et 5 % des intentions de votes. Ce parti est celui d'un homme, Vassilis Leventis, ancien du Pasok et de ND, qui a fondé le parti en 1992 sur une ligne très anti-establishment. En janvier, son parti, qui n'avait obtenu jusqu'ici au mieux que 0,6 % des voix a gagné 1,7 % des suffrages. Il semble apparaître pour beaucoup comme une alternative au jeu politique et il devrait donc entrer cette fois à la Vouli, compliquant encore le jeu politique post-électoral.
Alexis Tsipras a surestimé sa propre popularité
Au final, Alexis Tsipras semble avoir commis plusieurs erreurs qui lui coûteront peut-être sa place à Maximou, le Matignon grec. D'abord, il a pensé que sa popularité était un socle sur lequel il pouvait compter après sa capitulation. Or, cette popularité n'a été forte que lorsqu'il a mené la résistance aux créanciers. Une fois cette résistance abandonnée, cette popularité n'avait aucune raison de persister. Son calcul qui a été de convoquer des élections rapides pour profiter du « soulagement » de l'opinion après la fin des négociations et ne pas être pénalisé par la hausse rétroactive des cotisations santé des retraités le 1er octobre a été une autre erreur. Les électeurs ne sont pas tombés dans le piège, sachant bien ce qui les attend.
Par ailleurs, Alexis Tsipras a souhaité se « débarrasser » de sa gauche pour avoir les mains libres. Son calcul était que sa gauche disparaîtrait si elle faisait sécession et serait écartée si elle restait au sein de Syriza. Là encore, l'erreur est patente : si Unité Populaire réalise un score modeste (entre 4,5 % et 5 % des intentions de vote), c'est suffisant pour peser sur l'élection et sur le score de Syriza. Si on additionne les intentions de vote de Syriza et Unité Populaire, on obtient 34 % environ, soit un niveau assez proche des 36 % de janvier. La scission de la gauche de Syriza est donc un désastre pour ce parti. Alexis Tsipras a, là encore, surestimé sa position personnelle, pensant qu'il rallierait sur son simple nom et sur son caractère affirmé de « gauche », l'essentiel des électeurs de Syriza.
Enfin, dernière erreur, l'ancien premier ministre grec a sous-estimé la déception de l'opinion, notamment après le référendum du 5 juillet. Beaucoup de Grecs refuseront de participer au vote, estimant non sans raisons que ce rituel démocratique est devenu caduc en Grèce. Et ce sera autant de voix qui manquera à Syriza.
Nouvelle crise politique
Au final, le parti d'Alexis Tsipras devrait payer un lourd tribut à ces erreurs tactiques. La première place signifie le gain de 50 des 300 députés de la Vouli. C'est un bonus qui permet souvent, sinon d'être majoritaire, du moins d'être en position de force pour négocier une coalition. En réalité, si la situation n'évolue pas, la Grèce risque de se retrouver sans réelle majorité, comme en mai 2012.
Ni Syriza, ni l'alliance ND-Pasok-Potami ne pourront alors se retrouver capables de former une coalition. Alexis Tsipras devra alors choisir entre une « grande coalition » qui finira de détruire son dernier argument, celui d'un « gouvernement de gauche » ou de nouvelles élections, les cinquièmes en trois ans et demi. Et il est peu probable qu'alors, Syriza n'en sorte victorieuse.
En voulant appliquer tranquillement « son » mémorandum, Alexis Tsipras a sans doute signé outre l'affaiblissement de son parti, l'ouverture d'une nouvelle crise politique en Grèce. Quant aux créanciers, ils seront payés de la monnaie de leur pièce : en voulant ignorer le résultat des élections de janvier, ils ont semé les graines d'un désaveu du politique dans un pays qui n'en a guère besoin.