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Dans le Morbihan, des paysans produisent autrement... et ça marche!

agriculture

Lien publiée le 3 septembre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Mediapart) En Bretagne, dans le Morbihan, Mediapart est allé à la rencontre de paysans qui ont renoncé au modèle productiviste et s’en portent très bien. Ils font vivre leur famille, leurs employés, leur ferme. Bien loin des manifestations passées et à venir – ce jeudi à Paris – où la FNSEA demande des « rallonges » à l’État.

De notre envoyé spécial dans le Morbihan  Le petit camion frigorifique s’enfonce sur un chemin sinueux de la campagne bretonne. Les clairières se succèdent, et en passant devant la ferme d’un de ses voisins les plus proches, Sébastien Le Bodo lance, la mine un peu désappointée « Dans ce hangar, tu as 5 000 porcs, c’est un truc de dingue ! » Au cœur du Morbihan, non loin de Vannes, avec ses méthodes bien éloignées de l’agriculture intensive, cet éleveur de vaches laitières est ultra-minoritaire dans sa région.

Autour de sa ferme labellisée bio, de son laboratoire où il fabrique lui-même ses yaourts et son fromage blanc pour la restauration collective de la région, on ne compte plus les fermes-usines. « On est de la même race, des agriculteurs, des fanatiques de la terre, mais au fond, on ne fait plus le même métier », soupire Sébastien Le Bodo, en pensant à ses voisins. Breton, paysan et fier de l’être, l’homme a choisi un modèle alternatif à la filière intégrée. Syndiqué à la Confédération paysanne, il fait partie de ces quelque 4 % d’agriculteurs de Bretagne adeptes des circuits courts et d’une autonomie alimentaire maximale de la ferme. « Lorsque vous avez 96 personnes qui disent le contraire du message que vous essayez de faire passer, c’est compliqué », explique-t-il encore.

Sébastien Le Bodo, paysan du Morbihan, à côté de sa génisse "Juste".Sébastien Le Bodo, paysan du Morbihan, à côté de sa génisse "Juste". © JS

Pour lui, il est « difficile de se faire entendre », mais contrairement à une bonne une partie des 96 autres, Sébastien Le Bodo n’ira pas manifester avec la FNSEA à Paris, jeudi 3 septembre. Il refuse d’aller grossir le cortège des « 1 000 tracteurs » que Xavier Beulin, le très médiatique président du syndicat agricole majoritaire, a promis à François Hollande, dans l’attente de ses annonces et des « 3 milliards d’euros » censés sauver les filières françaises.

Sébastien restera chez lui, en Bretagne, à traire ses vaches et à brasser son yaourt, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que le modèle de l’agriculture intensive et productiviste prôné par la FNSEA n’est pas le sien. Pas plus que les demandes de« rallonges » des aides étatiques ou encore de « modernisation de l’agriculture face aux concurrents européens ». Mais aussi, tout simplement, parce que Sébastien Le Bodo n’a pas de problèmes d’argent. Son exploitation est viable économiquement. Il se verse un salaire d'au moins un Smic tous les mois, ainsi qu’à sa sœur et à sa mère. Il ne fait pas partie de ces paysans qui perdent des milliers d’euros chaque mois, alors qu’ils produisent toujours plus de matières premières.

En Bretagne, Mediapart est allé à la rencontre de cette poignée d'agriculteurs qui gardent la tête hors de l'eau malgré les crises à répétition. Ils ne font pas comme les autres mais réussissent à faire vivre leur famille, tout en respectant l’environnement. Ils n’ont que faire des subsides étatiques et sont souvent très peu endettés, alors qu’ils peuvent engager et payer une ou plusieurs personnes pour les aider sur leur exploitation. Leurs méthodes ne sont pourtant pas révolutionnaires : circuits courts, transformation des produits à la ferme, refus des produits chimiques phytosanitaires, taille limitée des exploitations, diversification des clients…

« Mon collègue, mais aussi voisin et ami, Jean-Michel, était pris à la gorge par le système de l’agriculture conventionnelle. Il avait repris la ferme de ses parents mais n’était pas assez rentable pour l’intégrateur, une grosse coopérative : il lui aurait fallu emprunter 800 000 euros pour pouvoir moderniser son outil et produire encore plus de porcs, alors nous avons fait le choix inverse et converti son bâtiment hors-sol en porcherie bio », résume Pierre-Yves Floch. Cet éleveur de cochons d’une ferme distante de quelques kilomètres seulement de celle de Sébastien Le Bodo, est un peu essoufflé. Il vient de courir derrière un porcelet afin de l'attraper et de poser pour la photo.

Pierre-Yves Floch, dans sa porcherie bio.Pierre-Yves Floch, dans sa porcherie bio. © JS

Devoir courir derrière un petit cochon pour l’attraper, voilà déjà un indice qui prouve que Pierre-Yves Floch ne vend pas ses porcs au marché du cadran de Plérin et qu’ils ne sont pas 5 000 dans son hangar. Modifié depuis que les deux voisins ont monté un Groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC), l’endroit correspond d’ailleurs aux normes bio les plus strictes : de la paille sur le sol, des ouvertures qui laissent passer la lumière naturelle, de l’espace pour que les animaux gambadent, un accès à l’extérieur.

Pierre-Yves Floch ne fait pas partie de la filière en concurrence avec l’Espagne ou les Pays-Bas. Il vend son porc 3,50 euros le kilo vif (avant que la bête ne soit abattue) quand les autres éleveurs ne parviennent pas à imposer le fameux plancher de 1,40 euro.

«Nous sommes complètement libres»

La méthode de Pierre-Yves Floch repose sur plusieurs piliers de ce que leur syndicat, la « Conf’ », appelle « l’agriculture paysanne ». D’abord, il n’achète aucun aliment pour ses animaux. « Nous cultivons sur nos parcelles du blé, de la féverole, des pois, de l’avoine, du triticale et sept hectares de maïs », détaille l’éleveur-agriculteur.

Ensuite, les deux associés ne souhaitent pas grossir davantage. Avec seulement 28 truies en permanence à la ferme, quand un seul bâtiment conventionnel d'une ferme moyenne peut en compter des centaines, Pierre-Yves Floch ne joue pas dans la même catégorie que la moyenne des éleveurs bretons. Ces derniers préfèrent vendre leur production de céréales à un intégrateur (une grosse coopérative du genre de Cooperl, par exemple) avant de racheter des granulés qui serviront à alimenter les cochons.« Lorsqu’on est intégré, on vous dit quoi donner aux animaux, à quel moment, quand il faut les envoyer au camion, quand il faut investir, emprunter à quelle banque. Et ensuite, on vous dit : ah, il y a un embargo, un incendie en Ukraine, le prix a changé… », théorise l'éleveur bio.

« Nous n’achetons que des minéraux bio, mais pour le reste, nous sommes complètement libres », se félicite l’éleveur de porcs. Libres de fixer leur prix, puisqu’ils vendent en circuit court. « Nos bêtes sont abattues à Vannes et nous faisons transformer la viande par un boucher que nous employons, à quelques kilomètres d’ici. Ensuite, dans des magasins de producteur ou sur des marchés, nous vendons de la saucisse fraîche, des pâtés, des rillettes, etc. » Même s’il est « petit », cet éleveur n’est pas minuscule. Il abat 400 porcs par an et écoule une partie de sa production en filière longue, via la coopérative bio Bretagne Viande Bio (BVB), où les cotations n’ont pas lieu une fois par semaine, mais une fois par an. Surtout, il éprouve une grande fierté à vivre d’un modèle économique viable qu’il a créé.

Une fierté partagée par l’un de ses amis, éleveur de volailles, Jean-Charles Metayer. « Je fais tout, je suis éleveur, agriculteur, abatteur, transformateur, publicitaire, livreur : je travaille 70 heures par semaine », s’enorgueillit-il. Le tout pour un salaire modeste, d'environ un Smic là encore, mais qu’il se verse depuis le début de son installation, en 2007. En bio, dès le début. « Nous avons un bilan excédentaire à la fin de chaque année, avec un salarié. Notre ferme peut faire vivre deux personnes à plein temps. »

Jean-Charles Metayer, éleveur de volailles.Jean-Charles Metayer, éleveur de volailles. © JS

En liberté, dans de très vastes enclos, les volailles de Jean-Charles Metayer s’ébattent, malgré un crachin breton froid et persistant. Sa ferme ressemble à celle des livres d’enfants : ici, les poulets (croissance lente, 100 jours à la ferme contre 40 dans l’agriculture conventionnelle), là, les oies, des canards, et un peu plus loin, quelques brebis dans un pré.

Lui aussi transforme une bonne part de ses produits sur sa ferme. Il est très fier de montrer qu’il n’est « pas un hippie » et d’enfiler des mocassins stériles et une blouse pour montrer son « labo » où les 500 volailles mensuelles sont abattues avant d’être préparées pour devenir des « terrines au foie gras » ou « des rillettes de poulet à la sauce forestière ». Son credo : « La transformation permet de valoriser trois fois le produit, contre une seule fois si on ne vend le poulet qu’en filière longue. »

Ainsi, Jean-Charles Metayer sillonne les marchés de la région et écoule également ses conserves et ses poulets via son site internet. La demande suit. En fin d’année, ses foies gras de canard de Barbarie, une espèce ancienne, différente de l’élevage conventionnel, devraient partir comme des petits pains.

Un poulet à croissance lente de Jean-Charles Metayer.Un poulet à croissance lente de Jean-Charles Metayer. © JS

Aucune des volailles de Jean-Charles Metayer ne se retrouvera en supermarché. Mais ce modèle du producteur proche de ses consommateurs est-il généralisable ? « Cela fait vingt ans que j’entends parler de la demande, qu’on pose des questions absurdes du genre : est-ce que le bio va nourrir la planète ? » s’indigne Sébastien Le Bodo. L’éleveur de vaches pense bien que « oui, le modèle est généralisable, il suffirait que les consommateurs changent leur façon d’agir. De toute façon, le modèle de l’agriculture conventionnelle, lui, n’est pas viable, on le voit bien. »

Un avis que partage Véronique Lucas, sociologue, actuellement occupée à rédiger une thèse sur les nouvelles formes de coopération dans le milieu agricole pour l’Institu national de la recherche agronomique (Inra). « Depuis la crise financière de 2008, il y a un mouvement de fond des agriculteurs conventionnels vers des modèles alternatifs. Ils ont vu les limites de leur modèle. Cette vague n’est pas quantifiable parce que les statistiques sont mal faites, mais j’ai constaté au fil de mes recherches qu’un grand nombre d’agriculteurs en France ont développé des stratégies pour ne plus être dépendants des cours des matières premières comme le colza. De là à ce que le modèle alternatif se généralise, il y a un pas. Parce que l’industrie agro-alimentaire a forcé bon nombre d’acteurs de la filière à s’aligner sur des races d’animaux, des normes, des pratiques. L’alignement sur le modèle alternatif – beaucoup moins soutenu par les politiques publiques – sera un mouvement de longue haleine. »

Auprès de ses génisses, entre deux ajouts de ferments dans son lait bio, Sébastien Le Bodo se veut positif. « De toute façon, cela me surprendrait beaucoup que la totalité des agriculteurs du Morbihan se convertissent au bio et sortent de leur filière intégrée d’un coup. Il y a tellement de freins ! La plupart ont hérité de ce système de leurs parents, de la même façon que j’ai repris la ferme de ma mère. Cela n’a pas été facile de lui dire, avec ma sœur : nous allons faire autrement que ce que tu nous as appris pendant 40 ans. Depuis que nous nous sommes installés, nous ne sommes que quatre dans notre département. » Quatre qui ont renoncé à « nourrir la planète » pour avoir un projet politique autant qu’économique.