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A Bure, le camp estival a élargi la lutte contre les déchets nucléaires
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://www.reporterre.net/A-Bure-le-camp-estival-a-elargi-la-lutte-contre-les-dechets-nucleaires
En août, entre 250 et 800 personnes chaque jour ont participé à un camp anti-capitaliste et anti-autoritaire à quelques kilomètres du méga projet d’enfouissement de déchets radioactifs. Objectif : renforcer le combat local, et favoriser l’émulation entre différentes composantes des luttes anti-capitalistes. Récit au cœur du camp, par 35°C dans la campagne meusienne.
Bure (Meuse), reportage
Il faut voir un poids lourd de légumes déchargé collectivement en trois minutes par une chenille humaine spontanée pour avoir une idée de l’organisation du camp. Rien d’étonnant alors à voir sortir de terre en quelques jours : quatre cantines opérationnelles, des points d’eau potable, deux chapiteaux, des yourtes et structures légères, des toilettes sèches et douches solaires faites maison, un point accueil, un atelier vélos, des panneaux solaires et une éolienne, une boulangerie mobile, un atelier de bricolage, un lieu dédié à l’automédia avec une radio (active), une infirmerie, des bibliothèques, etc. La transformation d’un no man’s land de 7,5 hectares au cœur de la campagne meusienne en une zone autonome temporaire ne doit cependant rien au hasard. Du 1 au 10 août, s’est tenu à Bure ce camp pas comme les autres
Jess*, la cinquantaine pétillante, a longtemps travaillé sur la question de la surveillance généralisée avant de s’investir dans l’organisation en amont du camp d’été. Une organisation montée par le collectif VMC, comme Vladimir, Martine and co, qui doit son nom à Vladimir Martinenko, le conducteur de la déneigeuse qui a percuté, le 20 octobre 2014, l’avion qui transportait Christophe de Margerie, patron du groupe Total.
Jess raconte : « VMC a démarré sur une ligne entre Nancy, Bure, Paris et la Bretagne, croisant une résistance historique contre le nucléaire à celle des comités de soutien à Notre-Dame-des-Landes réunis autour d’idées anti-capitalistes et anti-autoritaires. VMC se veut un trait d’union entre différentes luttes de territoire comme Notre-Dame-des-Landes, No Tav (TGV Lyon-Turin), Roybon, Sivens, Hambach et bien d’autres. Depuis 2014, il y a eu des réunions inter-régionales et inter-comités puis des rencontres régulières à Bure à partir de janvier."
S’inscrire dans une lutte déjà ancrée
Forte de l’expérience de Sivens où l’Etat a pu, avec l’aide de milices pro-barrages, monter la population contre les opposants au projet imposé, la stratégie de VMC était de s’inscrire dans l’histoire d’une lutte déjà ancienne, avec les personnes concernées directement par l’annexion nucléaire du territoire. Et c’est en faisant du porte à porte que se sont faites les présentations.
Fernande*, 26 ans, est venue de Paris armée de son énergie et de ses bombes de peinture. La graffeuse a redécoré l’extérieur de l’ancienne gare de Luméville-en-Barrois, un bâtiment en cours de rénovation en plein cœur du campement. "J’avais entendu parler de Bure par le biais de mes activités militantes auprès des migrants à Paris. Grâce à des rencontres, j’ai eu envie de participer aux chantiers collectifs de préparation de camp. On est allé à la rencontre des habitants des villages alentours. Ils étaient plutôt ouverts à la discussion, souvent heureux de pouvoir parler d’un sujet qui divise." Et si les nouveaux venus ont été globalement bien reçus et souvent aidés, John, cheville ouvrière du mouvement, reconnait avoir rencontré "pas mal de résignation et de fatalisme".
Mais pour les opposants déclarés à Cigéo, le projet d’enfouissement des déchets nucléaires, cet apport de sang neuf est vu comme un espoir. Claude Kaiser, de l’association La Graine, est un"historique" de la lutte à Bure. "Ça fait vingt ans qu’on se bat contre ce projet. Pour les vieux militants que nous sommes, ce renouveau représente un grand bol d’air frais et beaucoup d’émotion. Toutes les horreurs du capitalisme sont concentrées dans ce méga projet d’enfouissement. Le seul moyen de s’en sortir est d’instaurer un réel rapport de force, et il recommence à se structurer, aussi grâce à ce camp qui mobilise bien au-delà de notre territoire."
Pour Corinne, de l’association Bure Stop 55 : "Depuis le boycott du débat public en 2013, la mobilisation locale se réveille, avec l’action de dizaines d’associations qui travaillent ensemble. Les paysans sont mécontents, et les opposants comme VMC sont bien acceptés."
Et la prise du ciment des liens se fait dans les deux sens : "On se sent d’autant plus impliqués dans une lutte et ses enjeux qu’on a la possibilité de les découvrir sur place", souligne John. Un préalable qui lui semble "nécessaire afin d’ancrer un fort soutien à la lutte, ici, dans les mois et les années à venir". Car les graines semées à Bure ont vocation à faire naitre des racines, même s’il n’y a pas lieu de parler de ZAD, n’en déplaise aux médias locaux et nationaux qui ont focalisé à l’unisson sur cette question.
Lors de l’AG (assemblée générale) d’ouverture, une personne présentant les objectifs du camp le soulignait : "Chaque lutte est singulière. Il ne s’agit pas d’une stratégie d’occupation [le camp est d’ailleurs sur un terrain privé, Ndlr], car si c’était le cas il faudrait occuper l’ensemble des départements de Meuse et de Haute-Marne où les installations nucléaires se multiplient. Il s’agit de réfléchir autrement, et c’est là un des enjeux de ces dix jours."
Questionner et enrichir les pratiques
Une réflexion menée à travers un intense programme autour de Cigéo : la présentation du contexte et des enjeux a ainsi réuni plus de 200 personnes sous chapiteau, et les ballades quotidiennes dans les environs de l’ANDRA (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), à pied ou à vélo, par 36°C quelquefois, ont permis à chacun de découvrir le territoire et une partie de l’ampleur du projet nucléaire.
Le camp s’est délocalisé à plusieurs reprises, avec la tenue de picnics dans les communes alentours, ainsi qu’une discussion organisée à Bonnet, un village voisin, sur la question du foncier, avec des agriculteurs du collectif COPAIN 44 (Collectif des Organisations Professionnelles Agricoles INdignées par le projet d’aéroport) de NDDL. Et l’assemblée antinucléaire en fin de semaine a permis de rappeler, par la voix d’un militant excédé, que "les malfaiteurs en bande organisée sont bien les lobbies qui créent ces projets mortifères. Il faut remettre les choses à leur juste place, porter haut et fort notre message et notre action."
Agir sur le transport des matières radioactives, les flux ou encore les sous-traitants dont dépendent des structures comme l’ANDRA ? Si ces idées émises semblaient faire consensus, elles n’ont cependant pas suffi à dépasser les éternelles dissensions autour des différences de mode d’action. Ni de parer à un "manque de stratégie générale et collective sur le nucléaire", déploré lors de cette même AG.
Ces dix jours avaient également pour but de permettre aux activistes de questionner leurs pratiques et de les enrichir, à travers une grande diversité d’ateliers, comme cette initiation à l’escalade militante, proposée par Cécile. Si la pétulante jeune femme est experte en blocages de convois de matières radioactives, elle aime aussi se suspendre à 80 mètres du sol pour poser une banderole revendicative comme à Francfort lors de l’inauguration de la BCE : "J’habite à Luneburg en Allemagne. Je pratique la grimpe depuis quinze ans, et c’est un moyen simple mais très efficace pour des blocages de routes, de rails, d’entrées d’entreprises, de lieux de pouvoir. Ces formes d’actions directes permettent facilement de faire passer un message politique, avec un certain aspect ludique. Dans ce camp comme dans d’autres, j’essaie de transmettre mon savoir et le virus de l’escalade." Une démonstration a ainsi pu être faite lors de l’installation d’une banderole devant un bâtiment de l’Andra ou de drapeaux antinucléaires posés au sommet de lampadaires rutilants dans le village de Bonnet.
Mais l’enjeu des débats et discussions était aussi de dépasser les lisières des luttes locales, pour s’ouvrir sur les mobilisations internationales, comme sur la question des frontières et des réfugiés, ou sur la très prochaine Cop 21, "au cours de laquelle on vise à réintroduire une dimension sociale qui a été complètement éludée au profit de la dimension environnementale", se désole John.
Ces questions, et bien d’autres, développées lors d’assemblées quotidiennes, ont permis de faire émerger certaines thématiques transversales comme notamment la pratique de l’occupation ou les violences policières. Une présence des force de l’ordre somme toute assez discrète lors de ce camp, malgré quelques coups de pression et une surveillance aérienne assidue nourrissant des banques de données sensibles à usage répressif. Le paradoxe et le danger de cette répression façon "miroir sans tain", qui voit mais n’est pas vue : une prise de pouvoir via des projections mentales qui ne sont que des suppositions mais peuvent conduire à une forme d’autocensure collective, comme on a pu le voir lors de certaines actions menées à Bure.
"Ni côte de bœuf, ni bottes de keufs"
Créer du commun aux croisements de luttes anti-capitalistes ? Un défi ambitieux, en partie relevé grâce la gestion collective du quotidien. L’autogestion à l’épreuve de la réalité, c’est une sorte de grouillement ordonné par une organisation drastique qui se veut horizontale. Chaque matin, tous les participants, invités à se rassembler en groupes tournants ("l’assemblée des barrios"), se répartissaient les tâches : ravitaillement en eau potable, composition des équipes vaisselle, entretien des toilettes sèches, gestion des déchets, affichage d’informations... Pas moins d’une vingtaine de commissions (déchets, équipe juridique, automédia, électricité, traduction, sérénité, etc.), permettaient à chacun de s’investir tout au long du camp selon ses envies ou compétences.
Quatre cantines végétariennes et véganes à prix libre se sont relayées pour assurer une joyeuse pitance quotidienne. En provenance de Notre-Dame-des-Landes, la cantine itinérante (rebaptisée pour l’occasion "Pic Nik le Nuk") a déjà deux ans d’existence. Pour Mat, écumoire géante à la main, "la nourriture, c’est un besoin de base, et les cantines militantes, c’est une façon de faire vivre nos luttes, au propre comme au figuré". "Ici, le principe, c’est ni côte de bœuf, ni botte de keuf" (comprendre : végétalien et auto organisé), résume un certain "Jean-Boulghour", de la cantine rennaise de la Grande Ourse, et pour qui "assurer la subsistance de 300 à 800 personnes pendant dix jours sur un territoire vierge de toute infrastructure, ça développe la capacité d’organisation !"
Si le camp a créé des complicités et de jolis moments d’action collective (notamment une promenade nocturne aux flambeaux autour du site de l’Andra ou la mise en scène d’une simulation d’accident nucléaire dans le village de Voix-Vacon), il n’aura en revanche pas forcément permis de sortir d’un certain "entre-soi" militant.
Par ailleurs, le camp étant clairement posé comme anti-autoritaire, certains comportements discriminants (sexistes, racistes, homophobes etc.) ont donné lieu à des discussions animées, et à la création, par exemple, d’un "mur du sexisme", affiché sur l’un des chapiteaux en milieu de semaine et garni quotidiennement de situations discriminantes vues et entendues sur le camp.
Pour l’heure, le collectif VMC "se dissout", pour mieux renaître dans un autre espace-temps. Le camp de cet été ? "Il s’agissait de poser les bases d’un mouvement social et politique permettant de remettre en cause le système capitaliste. Pas un aboutissement, mais plutôt un temps préliminaire à la résistance." Une résistance à fronts multiples, que le camp de cet été a permis d’ancrer un peu plus du côté de Bure, mais aussi en direction du Bourget cet hiver en vue de laCOP 21, ou de nombreux fronts de lutte qui se sont croisés cet été.
* Les prénoms suivis d’un astérisque ont été modifiés.