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Grèce - Interview de Kostas Skordoulis, dirigeant de l’OKDE-Spartakos

Grèce international

Lien publiée le 11 octobre 2015

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.revolutionpermanente.fr/Interview-Tsipras-est-en-train-de-sauver-le-capitalisme-grec

Interview de Kostas Skordoulis, membre dirigeant de l’OKDE-Spartakos, sur la situation en Grèce depuis les élections du 20 septembre dernier, Syriza, l’Unité Populaire et les débats actuels au sein de la coalition anticapitaliste Antarsya

Propos recueillis par Josefina Martinez

Suite à la retraite historique de Syriza face à la Troïka, Tsipras est sorti vainqueur des élections du 20 septembre. Quelle est ton évaluation de ce résultat ?

D’abord, je tiens à vous remercier pour l’importance que vous accordez à la lutte des classes en Grèce, et de nous donner l’opportunité de faire un état des lieux auprès des militants de gauche en Europe et en Amérique Latine des développements politiques à l’œuvre, dans un pays qui a servi de vaste laboratoire à une ingénierie sociale face une résistance de la classe ouvrière aux politiques d’austérité qui est mise à l’épreuve depuis un certain nombre d’années. Je souhaite également vous remercier pour votre soutien sans faille au projet anticapitaliste qui existe dans ce pays, et qui est à tout point de vue l’un des plus avancés en Europe aujourd’hui.

Formulons les choses de façon à partir d’une base commune. La majorité de la gauche internationale croyait, et certains croient encore, que Syriza avait l’orientation politique adéquate pour sortir la classe ouvrière de l’austérité, mais n’a pas résisté à la pression combinée des bourgeoisies grecque et européenne. Certains à l’extrême gauche parlent même de la « capitulation » de Tsipras. Capitulation est un terme moral. Mais la question est politique, pas éthique. Dès le début de l’alignement organique de la grande majorité de la gauche internationale sur Syriza et son projet d’un « gouvernement de gauche », nous avons mis en garde sur le fait qu’un tel projet n’était rien qu’une illusion réformiste de plus, qui n’avait pas la moindre chance d’obtenir même un succès modeste.

Je dois dire que cet alignement inconditionnel, qui parfois persiste encore aujourd’hui, a été partagé pendant de longs mois par la tactique erronée de la Plateforme de Gauche, qui les a mis en difficulté quand il s’est agi de rompre avec un parti aussi œcuménique.

Maintenant, au regard des élections, le résultat n’est ni un succès pour la classe ouvrière, ni un désastre complet. Il reflète de la façon la plus claire possible les limites du militantisme pro-ouvrier dans la période actuelle. Il y a quelques mois les régions les plus ouvrières ont voté massivement NON contre le nouveau mémorandum. En septembre, sous le poids d’un troisième mémorandum déjà signé, les mêmes ont voté pour le moindre mal. Un autre élément important est à prendre en compte : l’abstention, qui a atteint les 45%. Syriza a perdu quelque chose comme 300 000 voix à l’occasion de ces élections par rapport à celles de janvier.

Il y a naturellement d’autres éléments qu’on pourrait qualifier de « techniques », même si en dernière analyse rien n’est jamais purement technique : période courte de campagne électorale, couverture médiatique, ressources matérielles, loi sur les élections, etc.

Quelle est ta définition du nouveau gouvernement Syriza-Anel ?

Il est la continuation de l’ancien, mis à part sur un point : celui-ci est ouvertement pro-austérité. Nous avions caractérisé le précédent gouvernement comme réformiste de gauche. Celui-ci peut être clairement défini comme un gouvernement bourgeois au sens où son programme vise à sauver « l’économie nationale » moyennant l’imposition de mesures d’austérité à la classe ouvrière. Il ne contient pas la moindre référence programmatique en faveur les couches sociales les plus pauvres. Ce gouvernement est parfaitement fonctionnel aux intérêts du capital grec et européen.

À ce stade de l’analyse je voudrais faire une analogie. À la fin des années 1970, Ernest Mandel avait écrit une série d’articles dans Inprecor, publiés ensuite sous forme d’un livre intitulé Critique de l’eurocommunisme. Son chapitre intitulé « Le PC italien apôtre de l’austérité » se conclut avec la phrase suivante « À cette époque [après-guerre] le capitalisme était aussi trop faible pour imposer des sacrifices aux travailleurs. Les réformistes s’en chargèrent… Les choses se passeront encore de la même façon si les travailleurs n’empêchent pas Berlinger de sortir la bourgeoisie de la mauvaise passe dans laquelle elle se trouve ». C’est sur ça que je veux réfléchir.

Le capitalisme en crise, l’austérité imposée à la classe ouvrière et le rôle objectif des dirigeants réformistes c’est ce qui aboutit à ce plan de sauvetage de « l’économie nationale », qui signifie maintenir l’accroissement des profits des capitalistes. Tsipras, leader d’un parti héritier de l’eurocommunisme, est en train de sauver le capitalisme grec en faisant payer l’addition aux travailleurs. Finalement, il fait ce que Berlinguer aurait fait s’il avait suffisamment suscité la confiance du capital italien.

Le grand perdant des élections, c’est l’Unité Populaire. Comment expliquez-vous cet échec ?

Il faut que j’explique le plus clairement possible pourquoi je ne suis pas du tout heureux de l’échec de l’Unité Populaire à entrer au parlement. Ce n’est pas bon pour l’équilibre des forces qui y siègent. Dans le nouveau parlement, la seule voix de gauche est celle du KKE [parti communiste grec], un parti dont la ligne sectaire au sein du mouvement syndicat a nui à d’importantes mobilisations. Il faut mentionner aussi que même si le KKE a vu son pourcentage augmenter aux élections, en nombre absolu de votes il a décliné. Le fait qu’il se soit abstenu lors du référendum de juillet a joué un rôle dans ce résultat.

Il y a deux raisons principales à l’échec de l’Unité Populaire. La première est liée à leur tactique au cours de la gestion de la crise au sein de Syriza, la seconde à l’aspect vague de leur programme. Comme je l’ai dit auparavant la Plateforme de Gauche (principal prédécesseur de l’Unité Populaire) s’était elle-même illusionnée sur Syriza. Ils ont soutenu le projet de « gouvernement de gauche ». Ils n’ont jamais imaginé que Syriza se transformerait si vite en parti pro-austérité. Mais ils avaient aussi des illusions sur le fonctionnement interne du parti. On peut se souvenir de ces meetings publics lors desquels nous débattions de leur affirmation selon laquelle ils contrôlaient le comité central (ou encore 40% des délégués, comme ce fut annoncé à une autre occasion) et allaient bientôt gagner la majorité dans le parti. Bien sûr rien de cela ne s’est avéré réaliste. En revanche ces mauvais pronostics se sont révélés catastrophiques pour eux. Ces Illusions, combinées avec le fait d’avoir été dans le gouvernement dès le début, et de ne l’avoir quitté que très tardivement, et celui d’avoir déclaré, même en août, qu’ils soutenaient le gouvernement sans soutenir sa politique, ont produit de la confusion chez les ouvriers.

La seconde raison est celle de la clarté programmatique. L’Unité Populaire défend le programme de Thessalonique. Ils tiennent à se présenter comme un véritable Syriza de gauche. Vint un moment où ils furent attaqués par les médias en tant parti de la drachme. Leurs réponses ont apporté plus de confusion que de clarté. Ils ne pouvaient effectivement pas défendre le « Non à l’euro », parce que leur « Non à l’euro » épouse les cadres du capitalisme.

Il y a bien des groupes anticapitalistes dans l’UP, mais ils ont été marginalisés d’emblée. Ça ne s’est pas reflété seulement dans les listes pour les élections, dans les représentants des plateformes, etc. surtout, plus important, dans les documents programmatiques de l’UP. Le résultat électoral a produit un produit un tel choc chez les membres lambda de l’UP qu’il est plus que certain que des débats internes, voire une conférence, vont se tenir dans un futur proche, et peut-être que cela va pousser à remplacer le flou programmatique par des positions plus concrètes. Mais je ne suis pas du tout optimiste sur la capacité des groupes anticapitalistes à influencer le programme de l’UP. Celle-ci restera un front/parti de gauche réformiste. Nous continuerons, au sein de cadres unitaires, à travailler avec les militants de l’UP dans les lieux de travail et lors des mobilisations sociales, mais cela est bien différent de tout engagement dans des discussions programmatiques tournées vers l’horizon d’un « parti large ».

Je vois aujourd’hui fleurir dans la gauche internationale des analyses vantant les mérites de l’UP pour tout recadrage à venir de la gauche grecque. Je tiens à dire avec la plus grande force possible que la « stratégie des partis larges », où l’anticapitalisme cède l’hégémonie programmatique au réformisme, a démontré sa propre banqueroute, que ce soit sous la forme de Syriza ou de l’Unité Populaire. Plus tôt nous comprendrons cela, mieux ce sera pour la classe ouvrière.

Deux groupes membres d’Antarsya ont soutenu l’Unité Populaire. De votre côté vous avez défendu une position indépendante opposée aux réformistes. Où en sont, maintenant, les discussions au sein de Antarsya ?

Trois semaines avant les élections, il y a eu une convention du Conseil National d’Antarsya pour décider la tactique électorale. Sur les 85 présents, 15 ont voté en faveur d’une liste commune avec UP, ou pour être plus précis, pour s’unir à UP, puisque ce parti n’a jamais accepté de liste commune, mais plutôt que des individus ou des groupes d’Antarsya rejoignent les structures existantes de l’UP et acceptent son programme.

Ces 15 membres du Conseil National étaient délégués d’ARAN et ARAS, deux groupes que l’on pourrait décrire comme « euromaoïstes ». Ces deux groupes ont quitté Antarsya et ont rejoint UP. Je ne connais pas les conditions précises de leur accord, mais je crois que cela ne change rien aux événements qui ont suivi.

Néanmoins, je dois préciser qu’une minorité d’ARAN a décidé de rester dans Syriza et de ne pas suivre la majorité dans UP. Antarsya a fait une alliance électorale avec EEK (Parti Ouvrier Révolutionnaire), organisation sœur du PO argentin et membre de la CRCI. Il est important de mentionner que bien que le PO ait publié plusieurs déclarations en faveur de Syriza, EEK a maintenu ses critiques envers Syriza et a maintenu une position indépendante aux élections précédentes. Je ne sais pas quel est l’avis du PO par rapport à cette décision d’EEK.

Les membres d’Antarsya ont mené une bataille héroïque dans ces élections. Je suis allé dans plusieurs régions et j’ai été surpris par l’abnégation, l’esprit militant et le moral avec lequel les militants et sympathisants ont mené cette campagne. C’est quelque chose que je n’avais jamais vu avant.

Le résultat électoral de Syriza a été bon, étant donné le niveau de vote de gauche et l’impact qu’a eu ces derniers mois la discussion sur la Plateforme de Gauche de Syriza. Antarsya a augmenté ses votes en absolu et en pourcentage, tant dans les régions urbaines qu’en périphérie. Mais même avec cette augmentation, la moyenne nationale (0.86%) ne correspond pas au potentiel et à la dynamique qu’Antarsya montre dans la rue, dans les lieux de travail, les universités et les quartiers.

De mon point de vue, le problème reste encore de savoir comment transformer une influence dans des secteurs de masses en influence électorale. Bien que nous n’ayons pas encore commencé de discussion formelle dans Antarsya à ce sujet, c’est une question centrale de son activité. Des documents intéressants ont été écrits sur cette question, sur les thèmes de la clarté programmatique, de culture politique, de tactique de front unique, etc. Une pré-conférence commencera bientôt pour préparer la Troisième Conférence Nationale d’Antarsya, où seront développées toutes ces questions.

Comment allez-vous vous préparer pour batailler contre les mesures du troisième mémorandum ?

Le troisième mémorandum, signé par le gouvernement de Syriza, comprend des mesures réellement dures contre la classe ouvrière. Pour la première fois, il contient des mesures telles que la confiscation de logements, comme celles que l’on peut voir dans l’État espagnol. Il est très probable que la classe ouvrière et les paysans pauvres réagissent face à ces mesures.

Nous entrons aujourd’hui dans une nouvelle période d’instabilité sociale, une nouvelle période de lutte. Dans cette nouvelle période, OKDE-Spartakos et Antarsya vont être en mesure de lutter sur le terrain qui leur est plus favorable, les lieux de travail et le mouvement de masses.

Notre première tâche sera celle de mettre en place des « comités d’action » dans les lieux de travail, pour unifier dans la lutte les militants d’Antarsya, de l’UP, du KKE (Parti Communiste grec) et le reste de l’extrême gauche. Ces comités doivent être des instruments qui servent à la coordination des actions, car la centrale syndicale du secteur privé, GSEE, est dirigée par la bureaucratie syndicale qui soutient le mémorandum. C’est pour cette raison que la mobilisation devra être organisée par ces « comités d’action ».

Par ailleurs, OKDE-Spartakos va lancer une campagne pour défendre le slogan « occuper et faire fonctionner les usines qui ont été fermées ». Des centaines d’usines ont été abandonnées par les patrons et les salariés ont donc été licenciés. Nous voulons faire connaître l’exemple de VioMe (une usine auto-gérée au nord de la Grèce), qui est restée isolée ces cinq dernières années. Cette campagne cherche à remettre à l’ordre du jour la question de l’autogestion, le contrôle ouvrier de l’économie. Nous pensons qu’il s’agit d’une réponse nécessaire de la part du mouvement ouvrier au problème du chômage qui atteint les 25%. La subsistance des travailleurs occupés et des chômeurs ne doit pas dépendre de la charité de l’État capitaliste. Ils peuvent au contraire émerger sur la scène politique nationale en tant qu’acteurs autour de ces mots d’ordre.

Dans une situation de crise, l’autogestion n’est pas une tâche facile et ses limites ont été discutées et débattues dans la littérature marxiste révolutionnaire. Mais dans les circonstances actuelles, il s’agit de la seule manière de résoudre les problèmes immédiats de subsistance. Sur le long terme, il s’agit pour la classe ouvrière de regagner la confiance dans ses propres forces.