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Intervention au Congrès de l’I.C. (Appel, 1921)
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https://bataillesocialiste.wordpress.com/2015/11/06/intervention-au-congres-de-li-c-appel-1921/
Jan Appel (alias Max Hempel), ouvrier des chantiers navals à Hambourg, est délégué du K.A.P.D. au III° Congrès de l’Internationale communiste en 1921. Il s’installe en Hollande en 1926, sera un des principaux rédacteurs en 1930 de la brochure du GIC : Fondements de la production et de la distribution communiste et participera pendant la guerre au Communistenbond Spartacus (une scission duMLL-Front après l’arrestation et l’exécution de ses dirigeants).
Il faut d’abord que je demande quelque-chose au camarade Radek, qui apparemment est absent (cris : Il est là.). Je demande au camarade Radek de nous épargner ses plaisanteries en nous identifiant avec les menchéviks, parce que ces plaisanteries quand elles se répètent souvent deviennent ridicules.
Ensuite, le camarade Radek nous a conviés à répondre à la question : la politique russe est-elle correcte pour la Russie et pour l’Internationale ? Nous dirons brièvement sur ce sujet : si la politique intérieure du Parti communiste russe est correcte, les camarades russes peuvent en juger eux-mêmes. Nous étions toujours d’avis que la tactique que les camarades russes suivent dans leur pays est juste. Aujourd’hui, après que la camarade Kollontaï a parlé, nous apprenons qu’il faut accorder plus d’efforts pour élever l’initiative chez les travailleurs, pour ne pas être forcés de faire tant de concessions aux capitalistes. Si l’état de choses est tel que l’a décrit la camarade Kollontaï, nous devons dire qu’il y a là une faute de la politique russe. Nous disons cela parce que nous avons pour l’Allemagne et pour l’Europe occidentale une autre conception de la dictature du prolétariat exercée par son parti. Selon notre conception il est vrai, la dictature était juste en Russie, parce qu’il n’y a pas de forces suffisantes, de forces suffisamment développées à l’intérieur du prolétariat et que la dictature doit être exercée davantage par en haut. Mais quand nous voyons maintenant des efforts se faire jour à l’intérieur du prolétariat russe, quand nous le voyons vouloir lui aussi contribuer au développement, alors il faut soutenir ces efforts, il faut tenir compte de ces poussées de bas en haut ; on a ainsi une force qui soutiendra beaucoup mieux la dictature prolétarienne que le capital étranger. Si nous mettons le plus largement à profit cette force nous aurons une part de concessions moins grande à faire aux capitalistes.
Deuxièmement, il faut examiner la question de savoir comment agit la politique russe sur l’Internationale. En ce cas nous disons : en ce moment, il est vrai, nous ne pouvons pas encore voir si le chemin pris est totalement faux. Mais nous voyons que les préparatifs qui sont faits sont faux, et c’est ce qu’il faut analyser.
La question est : les camarades en Russie sont-ils des surhommes, sont-ils des hommes qui peuvent se détacher des rapports de forces, ou bien leurs actions sont-elles déterminées par les choses qui les entourent ? C’est cela que nous devons examiner. Pour nous donc, il est sans intérêt de critiquer ; mais nous voyons la faute et aussi le fait qu’elle s’accroîtra et qu’elle devra s’accroître. Le camarade Trotsky le dit clairement et c’est ainsi que nous l’entendons aussi : gagner du temps. Tout dépend si l’avant-garde parvient à dépasser, si nous parvenons à dépasser cet état d’incertitude, comme le dit le camarade Lénine. Car alors arrivera l’aide de la révolution mondiale ou de la révolution d’un pays quelconque. Et cette avant-garde, ce pouvoir d’État pourra-t-il survivre à cet état d’incertitude ? Telle est la question. Trotsky répond d’un côté : nous sombrons si nous n’empruntons pas ce chemin si simple, c’est-à-dire celui qui consiste à faire des concessions à la petite-bourgeoisie (ce qui signifie petit capitalisme) d’un côté, et au capitalisme étranger d’un autre côté (ce qui signifie capitalisme d’État). C’est la nécessité . Qui peut s’empêcher de faire une chose, lorsque seule cette chose est possible ? Mais si on fait cela, peut-on en même temps rester communiste ? Sera-t-on si solide que ça ?
Bien, je voudrais maintenant ramener les choses à leur noyau. Ce Parti communiste pourra-t-il survivre en faisant cela, si cela dure pendant un an ou pendant des années ? Ce Parti restera-t-il tel qu’il est aujourd’hui ? N’y aura-t-il pas, pour une cause quelconque, grand intérêt à ne pas porter la révolution au-delà ? Car cela signifierait une nouvelle misère. Si la révolution éclate en Allemagne, elle durera peut-être un an ou plus ; nous ne pourrons pas alors aider la Russie. Nous devons y réfléchir ; la population entière, et avec elle le parti russe, s’est habituée à la reconstruction, à une époque de repos, de stabilité, de sûreté. Comme cela va de soi ! Cette population s’insurgera contre le pouvoir d’État dominant si les troubles reviennent, si les relations commerciales cessent, si la misère revient. C’est comme cela que la question se présente. En conséquence, il est prouvé qu’il y a un besoin de repos révolutionnaire chez de larges masses, un besoin de repos après la révolution. Cela devient déjà perceptible, et plus tard cela aura une influence sur le Parti communiste. Il doit en tenir compte. Je demande s’il sera assez fort.
J’aborde maintenant autre chose. Nous savons que l’économie est détraquée quand on se charge de la reconstruction du capitalisme ; cela apporte dans chaque pays une énorme corruption, comme celle à laquelle nous assistons aujourd’hui en Allemagne. Nous assistons alors au marché noir, qui sévit ici aussi. Nous avons entendu parler encore de beaucoup de choses, atteignant et frappant jusqu’à l’intérieur du Parti communiste, et contre lesquelles des gens de valeur, comme Lénine et Trotsky, sont impuissants. Voilà le grand danger. Il ne faut pas le perdre de vue. C’est pourquoi, disions-nous, il est dans l’intérêt de la révolution russe, de la révolution mondiale et du communisme que cet état d’incertitude ne dure pas trop longtemps. Nous y arriverons vite ? Nous nous mettrons presque d’accord dans l’affaire. Nous verrons comment parvenir à une accélération. Il manque aux camarades russe une compréhension des choses telles qu’elles se passent en Europe occidentale. Les camarades russes comptent avec une population telle que celle qu’ils ont en Russie. Les Russes ont vécu une longue domination tsariste, ils sont durs et solides, tandis que chez nous le prolétariat est pénétré par le parlementarisme et en est complètement infesté. En Europe, il s’agit de faire quelque-chose d’autre. Il s’agit de barrer la route à l’opportunisme…
(cris : Théorie scheidemannienne!)
Depuis quand Scheidemann veut-il barrer la route à l’opportunisme ? Il s’agit de barrer aux combattants prolétariens, aux partis communistes, qui doivent lutter en première ligne, l’échappatoire de l’opportunisme, et l’opportunisme chez nous, c’est l’utilisation des institutions bourgeoises dans le domaine économique ; même chose pour la tentative d’utiliser les coopératives de consommation comme moyen de lutte pour aider la Russie, non avec des moyens révolutionnaires, mais avec les moyens du capitalisme, dans la mesure où le prolétariat en dispose.
Oui, camarades, qu’est-ce que cela signifie ? On agit sur le prolétariat international ? Quand vous proposez à vos coopératives de consommation d’entrer en relations commerciales avec la Russie, faites-vous alors quelque-chose pour la Russie ? Non, rien. Les coopératives de consommation doivent, exactement comme tout autre entrepreneur, compter avec les lois de la finance. Avec elles, ça reviendra même plus cher. Cela détournera du droit chemin. C’est le point central. La III° Internationale doit veiller à ce que la Russie ne soit pas soutenue de l’extérieur par des moyens capitalistes, mais par le prolétariat, avec des moyens révolutionnaires. Là est le point central. Et cela ne se produira pas en adoptant la tactique que se donne la III° Internationale. Nous réclamons une ligne plus dure(Rires). Les camarades peuvent bien en rire. Le camarade Lénine rit aussi, nous ne pouvons pas dire mieux. Telle est notre honnête conviction.
(Interruption : Le camarade Boukharine dira pourquoi nous rions.)
Chacun peut rire. Je veux encore une fois indiquer ce point qu’en Allemagne, dans tous les pays du monde, à la suite du développement prolongé de la démocratie, démocratie qui n’est pas révolutionnaire, la classe ouvrière et avec elle le grand Parti communiste de masse, dans lequel se trouvent beaucoup d’éléments opportunistes, va prendre sans autre façon la voie qui consiste à ne pas utiliser le moyen difficile, et il va utiliser pour aider la Russie le parlementarisme, les syndicats et autres moyens. Mais cela n’est pas une aide ; c’est une déviation de la lutte. Trotsky dit maintenant : sortir le plus vite possible de cet état d’incertitude. Alors j’en arrive au deuxième point : le danger qu’il y a, si l’on ne s’efforce pas, par tous les moyens, d’offrir le moins de prises possibles aux capitalistes étrangers, si on ne veille pas attentivement et si l’on ne laisse pas les prolétaires contrôler. Le danger, c’est que l’Union soviétique, à notre avis, débouchera alors, d’une manière bien différente à ce que pense Trotsky, sur une situation qui verra le capitalisme international se relever sur le martyre du prolétariat international. Il ne se relèvera pas totalement guéri, mais juste assez pour se traîner encore un moment. La politique de la III° Internationale doit être de rendre impossible cette période, ce développement du capitalisme. Ceci peut se faire par le sabotage de la production dans les usines. Nous ne parlons pas naturellement de la destruction des moyens de production ; il s’agit de rendre l’affaire non rentable pour les capitalistes. Telle est la tâche des prolétaires du monde entier pour faire avancer la révolution en un temps très bref. Car il est aussi vrai que la révolution naît de la misère de la population ouvrière.
Donc, camarades, ce que nous avons à dire à la III° Internationale, c’est que le parti russe doit davantage reconnaître les dangers et les exprimer. Alors, ils deviendront moins importants. Le parti russe doit être conscient qu’il est le fondement de la III° Internationale et que les autres partis n’ont absolument aucune possibilité, ni intellectuelle, ni matérielle, d’aller contre lui. On le voit en ce qu’aucune opinion ne peut s’élever ici contre les camarades russes. Ceux-ci doivent donc voir et reconnaître qu’ils sont eux-mêmes contraints de plus en plus, par le cours des choses – disons-le une bonne fois -, de diriger vers la droite leur politique d’État russe ; ils ne sont pas non plus des surhommes et ont besoin d’un contrepoids, et ce contrepoids doit être une III° Internationale liquidant toute tactique de compromis, parlementarisme et vieux syndicats.