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Espagne : vers des élections générales indécises
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
La campagne officielle a débuté pour le scrutin législatif du 20 décembre. Aucun parti ne devrait obtenir la majorité absolue et le nombre d'indécis est encore considérable. Mode d'emploi.
Ce vendredi 4 décembre marque le lancement officiel de la campagne pour les élections générales espagnoles du 20 décembre prochain. Cette élection sera divisée en deux : celle pour la chambre haute, le Sénat et celle pour le Congrès des Députés, la chambre basse, qui dispose du droit de renverser le gouvernement. Les deux chambres réunies s'appellent les Cortès.
Le Sénat
Le Sénat est généralement peu actif, mais il peut disposer de certains pouvoirs clés. Par exemple, son accord est nécessaire pour activer l'article 155 de la constitution qui autorise le gouvernement à faire rentrer dans le rang une communauté autonome (plus ou moins une région) « par tous les moyens », y compris la suspension de l'autonomie. Les sénateurs sont élus au scrutin de liste à la proportionnelle selon la méthode d'Hondt dans chaque province (plus ou moins équivalentes aux départements français), à raison de 4 par province continentale, moins par province insulaire (d'une à trois) et de deux chacune pour Melilla et Ceuta, les enclaves espagnoles au Maroc. Seuls 208 des 266 sénateurs sont élus, les autres étant nommés par les communautés autonomes.
Le mode d'élection des députés
Parallèlement, les électeurs éliront donc leurs 350 représentants au Congrès des Députés. Là aussi, la base de l'élection est la province. Chacune des 50 provinces dispose d'office de deux députés, sauf un pour Ceuta et un pour Melilla. Les 248 représentants restants sont répartis par province selon leur population. Ainsi, Ceuta et Melilla en restent à un député chacun, tandis que la province de Madrid aura 34 élus et celle de Barcelone, 31. Dans chacune des provinces, les députés sont élus au scrutin de liste à la proportionnelle selon la méthode d'Hondt du « plus fort reste. »
Ce mode de scrutin favorise largement les régions rurales et peu peuplées et conduit à de fortes disparités entre la répartition des votes et celles des sièges. Il revient souvent à accorder une prime majoritaire au parti arrivé en tête dans le plus de provinces possibles. Le mode de scrutin favorise donc les grands partis. Ainsi, le Parti populaire (PP) conservateur de Mariano Rajoy, l'actuel président du gouvernement espagnol, avait obtenu en 2011 44,63 % des voix, mais arraché 54 % des sièges au Congrès. Les partis les plus petits, eux, sont fortement désavantagés. L'alliance de gauche Izquierda Unida (IU) avait ainsi obtenu 6,92 % des voix, mais seulement 3,14 % des sièges.
Malgré tout, la présence de partis régionaux forts rend les majorités absolues assez rares, même pour les grands partis. Depuis 1979, seules quatre des dix élections ont permis d'attribuer des majorités absolues à un parti. Cette année, la lecture du scrutin sera rendue encore plus délicate en raison de la forte atomisation de l'électorat, tant au plan national que dans certaines régions clés comme la Catalogne. En tout cas, une chose ne doit jamais être perdue de vue : des sondages nationaux en voix ne sauraient traduire la composition future du Congrès.
Effondrement des grands partis traditionnels
Après une politique d'austérité très sévère et une crise économique dure, le paysage politique espagnol est en effet très différent de celui de 2011. Les deux partis traditionnels, le PP et le PSOE, qui dominaient la vie politique depuis le milieu des années 1980, sont désormais en fort recul. Selon la dernière enquête du 3 décembre du CIS, le centre d'enquête sociologique, qui produit les sondages les plus complets, PP et PSOE obtiendraient 49,4 % des voix à eux deux, contre 70 % en 2011 et 84 % en 2008. Une dégringolade qui a laissé la place à deux autres partis : le parti des Citoyens (« Ciudadanos ») qui se présente comme centriste, mais qui est un parti assez complexe dans son positionnement et Podemos, le parti issu du mouvement des Indignés, qui représente une option à la gauche du PSOE. Ensemble, ces deux nouveaux partis pourraient cumuler 34,7 % des voix. Cette élection de 2015 marque donc un changement majeur dans l'histoire électorale de l'Espagne. Cette situation rend assez difficile les pronostics, car 41 % des personnes interrogés par le CIS peuvent encore changer d'avis.
Le PP en tête, mais grand perdant
Le CIS estime que le PP restera en tête le 20 décembre, avec 28,6 % des intentions de vote. Mais les Conservateurs seraient les principaux perdants de l'élection puisqu'ils céderaient 16 points. En termes de sièges, le PP obtiendrait de 120 à 128 sièges, contre 184 en 2011. Le PP resterait la première formation politique du pays, mais son influence serait très diminuée. Jamais depuis 1977, un premier parti n'aurait aussi peu de députés. Mariano Rajoy devra donc trouver un ou plusieurs alliés puissants pour rester au Palais de la Moncloa, le siège de la présidence du gouvernement.
PSOE et Ciudadanos en lutte contre la deuxième place
En deuxième position, on assiste à une lutte serrée entre le PSOE, qui ne bénéficie pas de l'affaiblissement du PP mais qui, au contraire, s'affaiblit également, et Ciudadanos, qui a connu une forte poussée depuis la rentrée dans l'électorat. Selon le CIS, le PSOE obtiendrait 20,8 % des voix (soit huit points de moins qu'en 2011) et Ciudadanos 19 % des voix (en 2011, le parti n'avait pas participé aux élections générales). En sièges, le PSOE serait à 83-89 députés et Ciudadanos à 63-66 députés. Ce dernier parti, dirigé par le très populaire Albert Rivera, bénéficie de plusieurs éléments favorables. Son programme mélange des éléments de critiques de l'austérité tout en défendant des réformes très « libérales. » Il est ainsi favorable à un complément de revenus pour les bas salaires, mais aussi à la mise en place d'un contrat de travail unique. Ce programme lui permet de progresser tant à gauche qu'à droite. Par ailleurs, le cœur du programme de ce parti est un discours très « centraliste », notamment face à l'indépendantisme catalan. Il apparaît pour une partie de l'électorat comme une palissade contre cet indépendantisme qui a gagné les élections catalanes du 27 septembre.
Podemos en quête des indécis
Quatrième larron du nouveau jeu politique espagnol, Podemos a perdu beaucoup de sa superbe par rapport au début de l'année, où les sondages lui prédisaient la première place. Il reste cependant dans une position assez forte, notamment malgré les événements de Grèce où l'allié du parti, Syriza, a subi une défaite face aux créanciers. Le leader de Podemos, Pablo Iglesias demeure assez populaire et a réalisé, mardi 1er décembre, une prestation saluée dans le débat des leaders organisé par El Pais auquel n'a pas participé Mariano Rajoy. L'enjeu du parti de gauche radicale sera de parvenir à séduire les indécis pour progresser dans les deux dernières semaines. Le score de Podemos au soir du 20 décembre sera difficile à lire. Le parti ne se présente pas directement dans toutes les régions. Dans certaines régions, il a formé des alliances complexes. En pays valencien, il se présente avec les écologistes d'Equo et les régionalistes de Compromis. En Catalogne et en Galice, il s'est allié avec la Gauche Unie et les formations de gauche régionalistes. En associant toutes ces listes, on atteint 15 % des voix et de 45 à 56 députés. En revanche, la tentative d'une alliance nationale avec la gauche, regroupée dans l'alliance Unité Populaire (UP), donné nationalement à 3,6 % et à 3 ou 4 sièges, a échoué.
Les régionalistes plus à gauche
Enfin, dernier élément important : le rapport de force entre les forces nationalistes au Pays Basque et en Catalogne. Dans cette dernière région, l'élection du 20 décembre sera suivie de près après les élections du 27 septembre. Le rapport de force entre les deux partis indépendantistes, la gauche républicaine ERC et le centre-droit d'Albert Mas, pourra peser sur l'avenir du processus d'indépendance. Au Pays Basque et en Navarre, l'extrême-gauche indépendantiste de Bildu pourrait dépasser le parti régionaliste centriste du PNV, traditionnellement premier parti de la région. Selon le CIS, Bildu aurait 6 à 7 sièges contre 5 pour le PNV.
Une alliance Ciudadanos-PP ?
Au lendemain des élections, la question de la future coalition au pouvoir sera centrale. Le PP pourrait naturellement s'allier à Ciudadanos, qui est un parti idéologiquement proche. Les deux partis disposeraient, selon le CIS, de la majorité absolue avec 183 à 194 sièges. Mais une telle coalition sera des plus difficiles à construire. Albert Rivera a fondé la croissance de Ciudadanos sur la lutte contre la corruption. Or, le PP est miné par les affaires de corruption. Ciudadanos est aussi très sévère envers la politique économique du PP. Certains pensent qu'Albert Rivera pourrait faire dépendre un soutien de son parti au départ de Mariano Rajoy. Mais le leader du premier parti du pays peut-il renoncer à la Moncloa ? Peut-être une aggravation de la crise catalane pourrait conduire à cette coalition pour « faire face. »
Pas de majorité alternative
Les majorités alternatives, en tout cas, seront quasiment impossibles. La coalition Ciudadanos-PSOE, qui gouverne l'Andalousie, ne serait pas majoritaire. Pas davantage que l'alliance de toutes les gauches, incluant le PSOE, Podemos et UP. Une « grande coalition » PSOE-PP serait certes majoritaire, mais elle semble peu probable compte tenu des différends entre les deux partis et de l'affaiblissement du PSOE qui n'aurait pas grand-chose à gagner d'une telle alliance. Sinon, le PP pourrait tenter un gouvernement minoritaire qui constituerait des majorités ad hoc sur chaque sujet. En tout cas, une alliance du PP avec les régionalistes, comme celle de José Maria Aznar en 1996, est aujourd'hui impossible compte tenu du durcissement des positions et de l'affaiblissement des régionalistes « modérés. »
Incertitudes et fragilités
In fine, l'élection du 20 décembre ouvrira sans doute une période d'incertitude et de fragilité pour l'Espagne. Même en cas de constitution d'une alliance entre le PP et Ciudadanos, cette alliance restera incertaine. Son principal ciment sera la lutte contre l'indépendantisme catalan, mais une telle coalition risque précisément de resserrer les liens entre les formations indépendantistes catalanes. Ce qui sera une source de fragilité pour l'Espagne.