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Pourquoi l’Europe menace la Grèce d’une expulsion de Schengen
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Selon le Financial Times, la Grèce pourrait être exclue temporairement de la zone Schengen, en raison de son refus de coopérer pour le contrôle de ses frontières. Mais les raisons invoquées semblent peu justifiées.
Après avoir été menacée d'une expulsion de la zone euro cet été, la Grèce est cette fois menacée d'être expulsée de l'espace Schengen. Selon l'édition de ce mercredi 2 décembre du Financial Times, les institutions européennes menaceraient désormais clairement la Grèce « d'être suspendue » de l'espace de libre-circulation européen. Les ministres de l'Intérieur devraient agiter cette menace lors de leur réunion de jeudi, mais elle devrait être signifiée durant la semaine au gouvernement hellénique par le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, dont le pays exerce ce semestre la présidence tournante de l'UE.
Les raisons invoquées pour l'expulsion
Cette menace avait déjà été évoquée par le président de l'Eurogroupe, la réunion des ministres des Finances de la zone euro, le néerlandais Jeroen Dijsselbloem, fin novembre. En Allemagne, des dirigeants de la CDU d'Angela Merkel l'ont plusieurs fois évoquée, ainsi que des responsables d'Europe centrale comme Viktor Orban, le premier ministre hongrois. Cette fois, la menace semble concrète. Pourquoi ? Le FT évoque des « déficiences sérieuses » dans le contrôle de la frontière gréco-turque. Selon les accords de Schengen, les Etats qui disposent de frontières externes à la zone sont en charge de leurs protections. Mais le FT prétend aussi qu'Athènes refuserait « l'aide extérieure » pour protéger ses frontières.
Les trois raisons de la colère européenne seraient ainsi : le refus de la Grèce de participer à des « patrouilles conjointes » avec la Turquie pour protéger la frontière gréco-turque dans la mer Egée ; le refus d'accepter une mission de l'agence de protection des frontières Frontex et, enfin, les lenteurs de la Grèce à accepter « l'aide humanitaire » de l'UE concernant les réfugiés. Un récit se met donc en place pour justifier l'expulsion de la Grèce de la zone Schengen : la mauvaise volonté grecque. Un scénario qui n'est pas nouveau puisqu'il a été constamment utilisé au cours de la crise financière pour justifier la position la plus sévère à l'égard d'Athènes.
La question des patrouilles avec la Turquie
A y voir de plus près, la situation est bien plus complexe. Concernant les patrouilles avec la Turquie, la demande européenne est assez baroque. La Turquie n'est pas membre de l'UE, ni de la zone Schengen. Il est étonnant de demander à la Grèce de coopérer, pour protéger les frontières de l'espace Schengen, avec ce pays. D'autant qu'Ankara est aussi une part du problème puisque le pays semble incapable de maîtriser le mouvement des réfugiés depuis les frontières syriennes où se situent les principaux camps vers les côtes égéennes. Soit au mieux près de 1.200 kilomètres. Angela Merkel l'a, du reste, bien compris puisqu'elle s'est empressée de se rendre à Istanbul début novembre pour proposer 3 milliards d'euros à la Turquie et la relance du processus d'adhésion à l'UE de ce pays. Son but est clairement qu'Ankara contienne le flux des réfugiés. Cette stratégie a été validée par l'UE ce week-end.
Pour la Grèce, tout ceci est problématique. Les relations entre les deux pays demeurent délicates. Outre la question chypriote qui est en cours avancé de négociations, la Turquie ne reconnaît pas l'intégralité des frontières maritimes grecques et n'a jamais caché ses vues sur certaines îles de l'Egée. L'espace aérien grec est quotidiennement violé par l'aviation turque et les deux pays ont été plusieurs fois au bord du conflit ouvert. Ce fut notamment le cas au milieu des années 1990. La mise en place de patrouilles communes est donc très difficile. Ceci revient à demander la mise en place de patrouilles franco-allemandes en Alsace au début du 20ème siècle.
A cela s'ajoute que la nouvelle politique turque de l'UE prônée par Angela Merkel a de quoi inquiéter Athènes. La Turquie a en effet obtenu beaucoup sans s'engager ouvertement dans sa politique vis-à-vis des réfugiés. Quelles pourraient être les nouvelles demandes d'Ankara ? La Turquie a-t-elle réellement intérêt à bloquer le flux des réfugiés dans l'Egée ? L'UE n'a pas réclamé la reconnaissance des frontières grecques comme conditions à son aide et à la poursuite du processus d'adhésion. Athènes craint légitimement d'être le dindon d'une farce qui se joue entre Berlin et Ankara. Elle a des raisons de le craindre : l'UE et l'OTAN n'ont jamais réellement agi pour régler les différends gréco-turcs.
Le refus des missions de Frontex
Vient ensuite le problème de Frontex qui souhaite le déploiement d'une mission de 400 agents à la frontière avec l'Ancienne république yougoslave de Macédoine (ARYM). Le but de cette mission est de contenir les réfugiés souhaitant traverser la frontière pour rejoindre l'Autriche et l'Allemagne. Mais cette frontière n'est pas une frontière interne à Schengen, c'est une frontière extérieure à l'espace de libre-circulation. En théorie, donc, le contrôle doit en revenir soit à l'ARYM, soit aux pays de la zone Schengen qui recevront ensuite les réfugiés. Le problème, c'est que ces pays, comme la Hongrie ou la Slovénie et, plus au nord, l'Allemagne, ont fermé ou régulé leurs frontières. Les réfugiés se massent donc dans les pays en amont : Croatie, Serbie, ARYM... et Grèce. Autrement dit, le problème de la frontière entre la Grèce et l'ARYM est un problème lié à la suspension de Schengen par les pays d'Europe centrale. En théorie, Frontex doit protéger les frontières des entrées illégales, pas des sorties illégales... Demander à la Grèce de contenir le flux de réfugiés à cette frontière revient, en réalité, à vouloir attribuer à la Grèce la responsabilité de l'accueil de l'essentiel des réfugiés. C'est pourtant en partie ce que fait la Grèce puisque l'on a signalé ces derniers jours des émeutes de réfugiés protestant contre leur blocage à la frontière de l'ARYM.
La "mauvaise volonté grecque" ?
Vient ensuite le troisième problème : la Grèce aurait refusé « l'aide » de l'Union européenne. En cause, des retards administratifs qui auraient retardé le versement de 30 millions d'euros par la Commission européenne. La Grèce n'aurait pas été en mesure d'organiser le redéploiement des réfugiés en raison, là aussi, de problèmes administratifs liés à l'enregistrement des réfugiés. 159 réfugiés seulement ont été redéployés, sur les 160.000 prévus. En réalité, ces éléments ressemblent surtout à de bonnes excuses. On voit mal pourquoi la Grèce, qui est débordée par les réfugiés, et que l'on accuse précisément de vouloir faire partir les réfugiés par la frontière de l'ARYM, bloquerait volontairement les départs de réfugiés. En revanche, plusieurs pays, notamment ceux d'Europe centrale, refusent toujours les quotas fixés par l'UE. La Slovaquie a annoncé ce jeudi qu'elle porterait plainte devant la Cour de Justice de l'UE contre ces quotas et la Pologne a pris prétexte des attentats de Paris pour geler l'accueil des réfugiés. Le problème le plus urgent est donc davantage ici. Mais nul ne songe à chasser la Slovaquie ou la Pologne de l'espace Schengen pour leur mauvaise volonté.
Un refus de « l'aide européenne » ?
Concernant l'aide humanitaire, il est assez étrange de voir l'UE blâmer la Grèce sur ce point. En mars, la zone euro avait tout fait pour empêcher l'exécution d'une loi sur l'urgence humanitaire, jugeant que telles mesures étaient incompatibles avec le « programme » de la Grèce. Les créanciers de la Grèce font tout depuis 5 ans pour réduire les dépenses publiques grecques et les moyens de l'Etat grec et tente néanmoins à présent de se présenter comme les « sauveurs » des réfugiés. Mais les 30 millions d'euros promis sont une goutte d'eau. Rappelons que l'Allemagne a débloqué pas moins de 10 milliards d'euros pour l'accueil de « ses » réfugiés et que l'UE a libéré 3 milliards d'euros pour la Turquie. Par ailleurs, les dysfonctionnements administratifs de la Grèce ne tombent pas du ciel. La politique de coupes franches pratiquées depuis 2010 a réduit le nombre de fonctionnaires d'un tiers et a affaibli un Etat déjà faible. Il ne faut pas s'étonner à présent que la Grèce ne puisse faire face au défi de l'arrivée de 730.000 réfugiés, rien que cette année.
Les 30 millions d'euros de l'UE sont une goutte d'eau dans un pays exsangue à qui l'on demande de faire encore des « efforts. » Le ministère de l'Intérieur grec, par exemple, a connu une baisse de 200 millions d'euros de son budget en deux ans. Celui de la santé, d'un milliard d'euros. Qui s'étonnera alors que la situation sur l'île de Lesbos soit effrayante ? Là encore, l'UE feint de ne pas voir l'essentiel : qu'elle ne peut espérer que la Grèce serve de lieu d'accueil pour les réfugiés et maîtrise ses frontières tout en exigeant qu'elle « s'ajuste financièrement » pour pouvoir rembourser ses créanciers. C'est une réalité simple qui semble pourtant échapper aux dirigeants européens, qui, en réalité, mènent surtout un jeu de politique intérieure.
Des Allemands « furieux »
Selon le FT, citant un « ambassadeur anonyme », ce sont les « Allemands » qui sont « furieux. » Rien d'étonnant à cela. Angela Merkel est clairement dépassée par les événements. Sa politique d'ouverture des frontières a provoqué une vive réaction dans l'opinion et dans son propre parti. Le parti xénophobe AfD est désormais donné entre 8 % et 10 % des intentions de vote et gagne des voix sur les conservateurs.Wolfgang Schäuble, le ministre fédéral des Finances, n'a pas hésité à comparer la politique de la chancelière à celle d'un « skieur déclenchant une avalanche. » La priorité pour Angela Merkel est désormais de recréer l'unité et de bloquer le flux de réfugiés en amont. C'est le cœur de sa nouvelle politique turque et elle aurait souhaité en faire de même avec la Grèce.En octobre, il a été, ainsi, question de relâcher le programme de réduction des dépenses contre le maintien de davantage de réfugiés sur le sol hellénique. Cette proposition semble ne pas avoir débouché sur du concret. Si la Grèce a accepté l'établissement de « hot spots », elle n'a pas réellement obtenu de concessions majeures de ses créanciers.
L'Allemagne pourrait alors être tentée de lancer une offensive médiatique contre la Grèce. Ceci permettrait de dissimuler la responsabilité de la Turquie et de détourner le mécontentement de la population allemande vers un peuple qui n'a déjà pas vraiment bonne presse outre-Rhin. Le tout en conservant la main dure sur le plan financier envers la Grèce. Comme cet été, il s'agira surtout d'obtenir de la Grèce des mesures que son gouvernement ne souhaite pas obtenir, notamment sur la Turquie. On voit, du reste, sur cette question de l'exclusion de la Grèce de la zone Schengen se reformer l'alliance de l'Allemagne avec les pays d'Europe centrale, notamment la Slovaquie dont le premier ministre, le social-démocrate Robert Fico, a plaidé pour cette expulsion.
La Grèce, bouc émissaire ?
Ce pays, qui a déjà accepté d'immenses sacrifices pour demeurer dans la zone euro et dans l'UE, semble devenir le meilleur bouc émissaire de l'ensemble des échecs de cette même Union européenne. Mais son exclusion de Schengen ne serait, en réalité, qu'une punition pour les Grecs eux-mêmes, qui ne pourraient plus bénéficier des avantages de Schengen. Les réfugiés, eux, continueront à traverser la mer Egée et la Grèce pour se rendre vers l'Allemagne. Compte tenu de cette expulsion, Athènes n'aurait, du reste, aucune raison de les décourager à poursuivre leur route. Ce ne serait donc pas une réponse à la crise des réfugiés.
Vers une Europe à deux vitesses ?
Reste enfin une dernière question. Jeroen Dijsselbloem et le premier ministre néerlandais Mark Rutte ont récemment évoqué l'idée d'un « mini-Schengen » regroupant le Bénélux, l'Allemagne, l'Autriche et la Suède. Rien d'étonnant à cela, le gouvernement néerlandais est sous la pression de la montée en puissance des Xénophobes du PVV, donné dans les sondages à 39 sièges sur 150 contre 30 sièges pour les deux partis au pouvoir. Or, une expulsion de la Grèce pourrait ouvrir la voie vers ce projet qui doit être compris comme une ambition plus générale : constituer une Europe « cœur » plus intégrée et plus « protégée » des pays « du sud. » Un projet qui avait été défendu par Wolfgang Schäuble et... Jeroen Dijsselbloem cet été lorsqu'ils souhaitaient exclure la Grèce de la zone euro.
Or, récemment, Jean-Claude Juncker a affirmé que l'échec de Schengen serait l'échec de l'euro. Une déclaration qui avait paru surprenante, les deux projets étant fort distincts. Sauf si, en réalité, les mesures prises concernant Schengen dessinait une future organisation européenne plus générale... Car l'expulsion d'un pays de la zone Schengen serait une première depuis le lancement de ce projet en 1985. Comme l'expulsion de la Grèce de la zone euro eût été une première. Pour peu justifiée qu'elle soit, cette sanction contre la Grèce pourrait donc être un avant-goût d'une Europe à deux vitesses. On prendrait alors comme mode de fonctionnement de l'Europe la possibilité d'exclure les "mauvais élèves". Or, si cela est possible pour Schengen, pourquoi pas pour la zone euro ? Du reste, la stratégie menée ici ressemble beaucoup à celle de cet été : transformer une victime de la crise en responsable de cette crise.