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Le double jeu de l’Arabie saoudite face à Daech
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) Officiellement, la monarchie saoudienne appartient à la coalition réunie autour des États-Unis pour combattre Daech en Syrie et en Irak. En fait, Riyad est beaucoup plus actif dans la promotion du wahhabisme et, surtout, prend l’offensive pour imposer sa suprématie régionale face à l’Iran.
« L’Arabie saoudite, contrairement à ce que j’ai lu ici ou là, ne finance pas Daech, au contraire, elle le combat. » Emporté, une fois encore, par sa fougue, ou par la redoutable certitude de détenir la vérité, Manuel Valls s’est livré, le mardi 24 novembre devant les téléspectateurs du « Petit journal » de Canal Plus, à une défense de la monarchie saoudienne qui aurait peut-être exigé une rhétorique plus prudente. Et une analyse plus attentive des liens, présents et passés, entre le califat d’Abou Bakr al-Baghdadi et le royaume des Saoud.
L’écrivain algérien Kamel Daoud est peut-être expéditif ou caricatural lorsqu’il estime, dans une tribune au New York Times, que « l’Arabie saoudite est un Daech qui a réussi » mais il ouvre une piste de réflexion jalonnée de faits indiscutables et accablants lorsqu’il avance que « Daech a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique ». S’il est difficile, en effet, pour l’heure, de trouver des traces du financement direct de l’État islamique autoproclamé par Riyad, il l’est beaucoup moins de mesurer l’influence saoudienne sur la naissance puis le développement de Daech.
Surtout lorsqu’on tient compte d’un facteur majeur : le caractère bicéphale du régime saoudien – pouvoir politique de la famille royale et pouvoir religieux du clergé wahhabite – tel qu’il est décrit par le chercheur Stéphane Lacroix dans son interview avec Mediapart. C’est l’articulation, parfois conflictuelle, de ces deux pouvoirs qui fonde la réalité de l’influence saoudienne dans la région et au-delà. Et qui définit la nature des liens entre le régime de Riyad et nombre d’organisations islamistes radicales, salafistes ou djihadistes, Daech compris.
Au roi et aux princes la gestion du royaume et de ses richesses, la conduite de sa diplomatie, la charge de sa sécurité, la promotion de son rôle de puissance régionale dominante. Aux imams et aux oulémas, généreusement alimentés en pétrodollars par le roi et les princes, la défense du wahhabisme, son expansion hors des frontières, l’autorité sur les mosquées et les écoles coraniques, la production et la dissémination, à travers le monde, des publications religieuses, des prêches enregistrés, la responsabilité d’imposer la charia, la proclamation des fatwas…
En clair, la famille royale règne sans conteste sur l’Arabie et peut revendiquer le privilège, concédé par le clergé, d’être la gardienne des lieux saints de La Mecque et de Médine en échange de la promotion planétaire du wahhabisme et d’une opposition sans faille aux apostats chiites. C’est-à-dire à l’Iran. Le clergé, lui, peut continuer à régir la vie quotidienne des sujets du monarque et propager sa version puritaine et autoritaire de l’islam au-delà des frontières du royaume, tant qu’il ne s’immisce pas dans le jeu politique, chasse gardée des princes.
Malgré des relations parfois exécrables au sein de la cour, le bicéphalisme saoudien, avec sa monarchie légitimée par les oulémas, a traversé ainsi sans dommages majeurs crises régionales, troubles sociaux et complots divers, depuis la fondation du royaume dans ses frontières actuelles en 1934, et surtout depuis que les chocs pétroliers des années 1970 l’ont démesurément enrichi. Chaque fois que la monarchie a dû affronter un défi imprévu du clergé, ou d’une partie du clergé, elle y a répondu sans attendre en adaptant sa stratégie à la nature du péril.
Par la violence, et une répression impitoyable – plus de 360 morts – en décembre 1979, lorsqu’un courant wahhabite radical a tenté de s’emparer de la grande mosquée Al-Masjid Al-Hiram à La Mecque pour exiger une application plus rigoureuse de la charia. En adoptant ensuite des législations spécifiques au nom de la sécurité du royaume ou de l’antiterrorisme pour faire face à l’influence des Frères musulmans ou aux attentats de cellules djihadistes liées souvent à Al-Qaïda. Mais le plus souvent, c’est en déversant des flots de pétrodollars dans les caisses du clergé que Riyad a apaisé les revendications politiques ou religieuses. Pactole dont une bonne partie a été dépensée à l’étranger pour la promotion du wahhabisme par la construction de mosquées et d’écoles coraniques, la formation d’imams, la dissémination de littérature et de propagande religieuse, le soutien à des partis ou à des groupes islamistes adoubés, ou non, par la monarchie.
« Le poids du clergé dans la société saoudienne est considérable », explique, dans une longue interview à la revue Politique internationale l’anthropologue saoudienne Madawi al-Rasheed, professeure à la London School of economics. « Il contrôle les milliers de mosquées du pays, le secteur de l’éducation ainsi que le pouvoir judiciaire. Il assure l’endoctrinement quotidien de la population. Il dispose de surcroît de sa propre force de police chargée de sanctionner tout manquement aux injonctions de la charia, spécialement en matière de mœurs. Il est incarné par le Conseil des grands oulémas qui regroupe une vingtaine de clercs chapeautés par un Grand Mufti, c’est-à-dire une autorité ayant la capacité d’émettre des fatwas et des édits religieux obligatoires. »
Terreau de multiples courants du fondamentalisme sunnite, depuis les Frères musulmans jusqu’au salafisme djihadiste, le wahhabisme, religion et doctrine du royaume saoudien, a été fondé au XVIIIe siècle par Mohamed Ibn Abd al-Wahhab, auteur duLivre de l’unité fondamentale qui commande notamment de limiter la part humaine dans le jugement. Conservateur, rigoriste et puritain, il repose sur une lecture littérale du Coran et de la charia, tient les chiites pour des apostats, et proscrit la poésie, la musique et le rire. C’est cette version de l’islam que les imams saoudiens et leurs innombrables disciples et relais s’efforcent depuis plus de 40 ans d’imposer, dans le monde musulman mais aussi dans les banlieues des grandes métropoles européennes.
« Le temps n’est pas loin où il faudra que Dieu vienne en aide aux chiites »
« Rien n’a été plus destructeur pour la stabilité et la modernisation du monde arabe et, plus largement, du monde musulman », écrivait en septembre dernier l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman, excellent connaisseur du royaume et de ses dirigeants, « que les milliards et les milliards de dollars que les Saoudiens ont investis depuis les années 1970 dans la destruction du pluralisme de l’Islam […] pour imposer à [sa] place cette version puritaine, anti-moderne, anti-féminine, anti-occidentale, anti-pluraliste de l’islam salafiste wahhabite, promu par l’establishment religieux saoudien. Ce n’est pas un hasard si plusieurs milliers de Saoudiens ont rejoint l’État islamique ou si des organisations charitables du Golfe ont adressé des dons à l’État islamique. C’est parce que tous ces groupes sunnites djihadistes – E.I., Al-Qaïda, Al-Nosra – sont les fruits du wahhabisme inoculé par l’Arabie saoudite dans les mosquées et les madrasas [écoles coraniques] du Maroc au Pakistan et à l’Indonésie ». Wahhabisme dont le chiisme est l’ennemi principal.
Sir Richard Dearlove, qui a dirigé le MI6 – les services secrets britanniques – entre 1999 et 2004, a raconté en juillet 2014, lors d’une conférence au Royal United Services Institutes qu’au début des années 2000, le prince Bandar Bin Sultan, à l’époque ambassadeur d’Arabie saoudite à Washington, avant de diriger, lui aussi les services secrets de son pays, lui avait confié : « Le temps n’est pas loin où il faudra que Dieu vienne en aide aux chiites. Plus d’un milliard de sunnites en ont assez d’eux. »
Aujourd’hui encore, il est difficile d’affirmer si c’est l’hostilité au régime chiite installé à Bagdad par l’armée américaine, après l’invasion de 2003, la volonté de promouvoir le wahhabisme profitant du chaos, ou la solidarité religieuse avec les frères sunnites de l’ouest de l’Irak, marginalisés et humiliés par le nouveau pouvoir irakien, qui a incité Riyad et ses alliés du Qatar, du Koweït et des Émirats arabes unis à venir en aide aux tribus rebelles. Tribus rejointes bientôt par des soldats et des officiers de l’armée de Saddam Hussein, congédiés sans solde par les nouveaux maîtres du pays. La combinaison des trois raisons est possible, voire vraisemblable.
Ce qui est établi, c’est que ce foyer de révolte, issu des tribus sunnites, noyauté par des groupes djihadistes et reconnu dès la fin de 2004 par Oussama Ben Laden comme « le relais d’Al-Qaïda en Mésopotamie » a été le cœur de l’insurrection anti-américaine et anti-chiite qui a mis l’Irak à feu et à sang tout au long des années 2000 et au-delà.
C’est aussi la réunion, en 2006, autour d’Al-Qaïda en Mésopotamie, d’une demi-douzaine de ces groupes armés sunnites, dirigés par des seigneurs de la guerre ou des imams-soldats, qui a donné naissance au Conseil consultatif des moudjahidines d’Irak, véritable matrice du futur État islamique en Irak et au Levant, précurseur de Daech. C’est enfin Abou Bakr al-Baghdadi, à la sortie d’un centre de détention américain où il s’est radicalisé, qui a organisé, à partir du début 2006 la jonction de ces djihadistes irakiens et d’une partie des combattants du Front Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, pour s’emparer de Mossoul et y proclamer en juin 2014 le califat dans les territoires qu’il contrôlait sous le nom de l’État islamique.
Que l’argent et les armements saoudiens, koweïtis ou qataris aient été discrètement acheminés aux tribus et aux notables sunnites d’Irak en révolte contre l’occupant américain et contre le régime de Bagdad, émanation à leurs yeux de l’ennemi chiite iranien, et qu’il ait fini par alimenter les groupes djihadistes, Al-Qaïda compris, avant d’aboutir à l’État islamique ne fait plus de doute aujourd’hui pour les experts civils ou militaires ou pour les diplomates familiers de la région, quoi qu’en disent les dirigeants saoudiens. Même Hillary Clinton, lorsqu’elle était secrétaire d’État, a admis que Riyad, allié majeur et protégé de Washington dans la région, a joué un double jeu au bénéfice des djihadistes sunnites.
« L’Arabie saoudite demeure un soutien financier décisif pour Al-Qaïda, les talibans, le Lashkar-e-Taiba au Pakistan et d’autres groupes terroristes. Les donateurs en Arabie saoudite constituent la plus importante source de financement pour les groupes terroristes sunnites à travers le monde », écrivait-elle en décembre 2009, dans un télégramme diplomatique révélé un an plus tard par WikiLeaks. Dans le même mémo, la responsable du département d’État relevait que le Qatar, le Koweït et les Émirats arabes unis finançaient également les groupes islamistes et déplorait le refus par l’Arabie saoudite d’interdire trois « organisations charitables » tenues pour des entités terroristes par Washington.
Les Saoudiens utilisent à l’étranger les djihadistes sunnites tout en les réprimant à domicile
Six ans plus tard, son successeur, John Kerry, a obtenu une confirmation autorisée de ce jugement, au cours d’une conversation avec le prince Saoud al-Fayçal qui fut pendant 40 ans ministre des affaires étrangères du royaume saoudien. Commentant les relations entre son pays et les groupes djihadistes sunnites peu de temps avant de mourir, en juillet dernier, le prince aurait confié à John Kerry, selon des témoins arabes interrogés par le Financial Times : « Daech a été notre réponse sunnite à votre soutien à Da’wa » [le parti chiite qui domine la politique irakienne depuis la chute de Saddam Hussein].
Même lorsqu’on accepte les dénégations des dirigeants saoudiens actuels et de leurs amis sur l’aide directe fournie à Daech par le royaume, des personnalités ou des organisations saoudiennes – dénégations désamorcées d’ailleurs par l’aveu du prince Saoud al-Fayçal –, il est difficile d’ignorer l’aide indirecte obtenue par Daech auprès des divers groupes armés syriens soutenus ouvertement par Riyad et ses alliés du Golfe.
Les familiers du conflit syrien – militaires, diplomates des pays voisins, responsables des groupes armés, chercheurs – rapportent que les transferts d’armes et d’équipements, contraints ou négociés, entre certains de ces groupes armés et Daech sont, depuis plusieurs années, monnaie courante. Un rapport d’Amnesty International rendu public le 8 décembre 2015 montre aussi que « les transferts d’armes peu réglementés à destination de l’Irak ainsi que les contrôles poreux sur le terrain » ont alimenté les atrocités de l’État islamique.
« C’est la guerre », constate un militaire européen qui revient de la région. « Daech qui a constitué un arsenal énorme grâce aux chars, aux canons, aux munitions et aux véhicules pris à l’armée irakienne est, de loin, le groupe armé le plus puissant et le plus riche. Celui qui contrôle le territoire le plus étendu. Comment lui résister lorsqu’il décide de s’emparer ou propose d’acheter les équipements ou l’armement fournis par les Occidentaux ou leurs alliés arabes aux groupes armés qu’ils parrainent. L’Arabie saoudite qui a généreusement aidé les groupes salafistes, a aussi beaucoup aidé, par ce biais, l’État islamique, qu’elle l’admette ou non. » Ces transferts inavouables sont d’autant moins surprenants que les convergences ne manquent pas entre le royaume et le califat.
« Indéniablement », affirme Madawi al-Rasheed, « il existe entre l’Arabie saoudite et l’État islamique une histoire partagée et des affinités idéologiques. […] Les décapitations, les lapidations, la stricte application de la charia, le traitement des femmes sont autant de pratiques communes à Daech et au gouvernement saoudien. L’administration locale de Daech à Mossoul emprunte largement au modèle de société en vigueur à Riyad – un modèle de société que l’Arabie saoudite diffuse grâce à son clergé, à ses écoles religieuses, à ses publications, à ses fatwas de Djakarta à Londres, en passant par les banlieues françaises. »
Le déroutant paradoxe de la stratégie saoudienne est qu’elle utilise ouvertement, à l’étranger, les djihadistes sunnites comme instruments de son combat contre l’influence chiite tout en les réprimant impitoyablement, à l’intérieur de ses frontières, en raison des menaces qu’ils font peser sur le statu quo qui fonde la stabilité du royaume. Mais cette duplicité est de moins en moins dissimulable.
Officiellement, l’Arabie saoudite est, depuis 70 ans, l’alliée fidèle de Washington qui lui fournit sans poser trop de questions un armement dernier cri surabondant et la protection de son bouclier stratégique. Tout aussi officiellement, elle appartient, bien sûr, à la coalition d’une soixantaine de pays réunis depuis septembre 2014 autour des États-Unis pour combattre Daech en Irak et en Syrie. À ce titre, elle participe, comme les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, le Canada, la Jordanie, les Émirats arabes unis et Bahreïn aux frappes aériennes qui visent la Syrie, assumées à plus de 80 % par l’aviation américaine.
En réalité, depuis mars, le gros de la force aérienne saoudienne – comprenant les appareils des Émirats et du royaume de Bahreïn – a quitté le ciel syrien pour être engagé contre les rebelles yéménites soulevés contre le pouvoir du président Abd Rabbo Mansour Hadi.
Tenus par Riyad et ses alliés du Golfe pour des chiites, agissant pour le compte de l’Iran – ce que nombre d’experts de la région contestent –, les rebelles Houthis, qui contrôlent la capitale Sanaa et une bonne partie du pays, sont considérés par la monarchie wahhabite comme des apostats, qu’il est licite d’éliminer et comme les instruments de l’ambition régionale de Téhéran, ce qui mérite le même sort. Ceci explique-t-il cela : les aviateurs saoudiens ne semblent pas faire de quartier lors de leurs opérations en territoire yéménite.
Les organisations de défense des droits de l’homme estiment que la moitié des 5 700 morts recensés depuis mars sont des civils. Le 26 octobre 2015, un hôpital de Médecins sans frontières a été pris pour cible par les avions saoudiens, à Saada, dans le district de Hidane, au nord du pays. Les installations ont été détruites par deux missiles et deux membres de MSF ont été blessés. Un récent rapport de Human Rights Watch indique qu’au moins dix raids, qui ont tué plus de 300 civils, ont été menés « en violation des droits de la guerre ».
L’aviation saoudienne et celle de ses alliés du Golfe s'est redéployée sur le front yéménite
Autre constatation accablante pour Riyad : tout comme les combattants de Daech en Syrie, les aviateurs saoudiens n’ont pas hésité à détruire au Yémen des trésors culturels inestimables, inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco. À Sanaa, la mosquée Al-Mahdi, du XIIe siècle, a été soufflée par un missile. Le précieux musée de Dhamar a été bombardé, tout comme l’inoffensive cité fortifiée pré-islamique de Baraqish, ou le barrage de Marib, construit au temps de la reine de Saba. Le tout dans l’indifférence totale de la communauté internationale. Et notamment des États qui ont armé Riyad…
Avec quel bénéfice militaire ? Le bilan des combats depuis le début de l’intervention panarabe, il y a huit mois, ne plaide pas en faveur de l’état-major saoudien. Malgré les effectifs et les moyens techniques déployés, la coalition réunie autour de l’Arabie saoudite n’a pu reprendre le contrôle du pays et sécuriser Aden, « capitale » de repli du président Hadi. Dimanche dernier, le gouverneur de la ville et six de ses gardes du corps ont été tués dans un attentat revendiqué par l’État islamique. Quelques jours plus tôt, la branche locale d’Al-Qaïda s’était emparée de la ville stratégique de Jaar, dans le sud du pays.
Alors que des pourparlers de paix sont annoncés pour le 15 décembre en Suisse par le médiateur de l’ONU, les Émirats arabes unis, qui ont perdu dans les combats plusieurs dizaines de soldats et qui contestent l’appui fourni par Riyad à la branche locale des Frères musulmans, ont retiré les trois quarts de leur corps expéditionnaire de 2 000 hommes du champ de bataille yéménite où ils s’enlisaient. Pour compenser ce repli, Riyad aurait acheminé sur place plusieurs centaines de soldats soudanais et érythréens. Et Abou Dhabi aurait déployé 500 hommes du contingent de 1 800 mercenaires latino-américains – colombiens, chiliens, salvadoriens, panaméens – récemment recrutés et actuellement à l’entraînement sur une base émiratie.
Le redéploiement de l’aviation saoudienne et de celle de ses alliés du Golfe sur le front yéménite au détriment des opérations en Syrie indique plus clairement que cent discours que la véritable priorité de Riyad au Moyen-Orient n’est pas l’affaiblissement ou la destruction de Daech mais la volonté de contenir l’influence régionale de l’Iran. Volonté décuplée par la conclusion, en juillet dernier de l’accord sur le nucléaire iranien.
Pour l’Arabie saoudite – comme pour Israël d’ailleurs –, cet accord, loin de contribuer à la stabilité et à la sécurité de la région, accroît au contraire les périls en permettant à l’Iran de reprendre sa place dans les échanges internationaux et sur la scène diplomatique internationale. Mais surtout il offre à Téhéran les moyens de disputer de nouveau à Riyad la suprématie stratégique régionale. Il ne fait donc qu’aggraver le contentieux religieux historique entre l’Arabie saoudite, cœur du sunnisme, et l’Iran, foyer du chiisme. Contentieux à côté duquel, aux yeux des monarques du Golfe, la menace que constitue Daech pour Paris, Londres ou Washington est clairement secondaire.
« Les dirigeants occidentaux », constate un diplomate européen, « doivent s’habituer à l’idée qu’ils devront un jour payer le prix de leur alliance avec Riyad et les monarchies du Golfe pour lesquelles la défense du djihadisme sunnite a toujours eu la priorité sur la réponse aux revendications démocratiques de leurs peuples, jugées périlleuses par les princes. »
C’est ce qu’illustre la situation au royaume de Bahreïn, base de la 5e flotte américaine, où la communauté internationale a assisté silencieusement en mars 2011 à l’écrasement par un contingent de soldats saoudiens des manifestations pacifiques en faveur de la démocratie. Gouvernée depuis près de 250 ans par la dynastie sunnite des al-Khalifa, la majorité chiite (près de 70 % de la population) réclamait dans le sillage des Tunisiens et des Égyptiens la fin de la marginalisation politique et de l’exclusion sociale dont elle est victime. Revendications qui ont été dénoncées par le trône et son protecteur saoudien comme une subversion fomentée par l’Iran.
Il faut tout l’attachement de Manuel Valls à la « diplomatie économique », tout le poids des contrats de 10,3 milliard de dollars, conclus en octobre avec Riyad pour la livraison de 30 patrouilleurs rapides et 23 hélicoptères – sans compter 50 Airbus civils et divers projets d’infrastructure – pour faire abstraction du double jeu dangereux de l’Arabie saoudite, dans la lutte contre le terrorisme djihadiste. Tout en oubliant au passage que ce bon client de nos industriels a déjà décapité 146 condamnés depuis le début de l’année, soit un tous les deux jours et demi.
Il faut aussi toute la fidélité désintéressée d’Olivier Dassault, président du groupe d’amitié France-Arabie saoudite et président du conseil de surveillance du groupe d’aéronautique et d’armement Marcel Dassault, qui produit notamment le Rafale, pour répondre, jeudi 3 décembre, aux députés qui souhaitent une révision de nos liens avec Riyad, que ce serait « une faute majeure » d’adopter une « posture frontale d’opposition » face à ce « pays ami ».
Aux États-Unis qui arment et protègent l’Arabie saoudite depuis plus d’un demi-siècle, mais où personne n’a oublié que 15 des 19 terroristes du 11 septembre 2001 étaient saoudiens, des parlementaires démocrates et républicains, alarmés par l’attitude de Riyad, sont tombés d’accord en juin dernier pour demander à Barack Obama de lever le secret imposé depuis 2002 sur 28 des 832 pages du rapport du Congrès et du Sénat sur les « attaques terroristes de septembre 2001 ». Ces pages censurées contiendraient des informations détaillées sur les liens entre le terrorisme sunnite et ses financiers saoudiens.