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En Espagne, une percée historique de Podemos et une gauche divisée
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Le Monde) Au siège du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), rue Ferraz, à Madrid, régnait dimanche 20 décembre une ambiance étrange, entre soulagement et douleur. Un peu comme si la formation avait évité la mort, mais avait perdu une jambe… Avec 22 % des voix et 90 députés, le parti réalise le pire score de son histoire, perd 20 sièges et près de 1,5 million de voix par rapport aux élections de 2011, qui avaient déjà été un séisme pour la formation.
Et pourtant, dimanche soir, dans les bureaux des cadres socialistes, on respirait nettement mieux que le matin, quand des sondages officieux donnaient la gauche alternative de Podemos en deuxième position, en voix et en sièges. « Ça aurait puêtre pire », résume un membre du PSOE. Pris en étau entre Podemos à gauche et Ciudadanos au centre droit, le PSOE a résisté, mais il a souffert.
Centrant sa campagne sur l’idée qu’il était la seule alternative possible à Mariano Rajoy, appelant au vote utile, comme si l’Espagne répondait encore aux schémas du bipartisme, il n’a pas éveillé d’enthousiasme.
Conscient du risque, Pedro Sanchez, son chef de file, peinant jusqu’alors àtransmettre ses convictions politiques, est devenu plus agressif en fin de campagne, allant jusqu’à qualifier le chef du gouvernement d’« indécent » lors d’un débat particulièrement tendu. Sa survie politique était en jeu.
Il n’est pas encore tout à fait sûr que M. Sanchez, contesté au sein du PSOE, résiste aux pressions de sa rivale, la présidente socialiste de l’Andalousie, Susana Diaz, qui n’a pas manqué de rappeler que c’est sur ses terres que le PSOE a fait, encore une fois, son meilleur score, avec « cinq des sept provinces dans lesquelles il est arrivé premier ». S’il n’arrive pas à sceller de pactes avec les forces de la gauche pour pouvoir gouverner, ses jours pourraient être comptés à la tête du parti.
Car dans plusieurs régions, la chute des socialistes est vertigineuse. Il n’est plus que le quatrième parti à Madrid, derrière le PP, Podemos et Ciudadanos, aprèsavoir perdu un quart des voix récoltées en 2011. Il est troisième en Catalogne, où il a perdu plus d’un tiers des voix, derrière Podemos et les indépendantistes de la Gauche républicaine (ERC). Tout comme au Pays basque, où Podemos obtient deux fois plus de voix que le PSOE. Dans la ville de Valence, il arrive en quatrième position.
« Le fantôme de Zapatero »
Le tournant de la rigueur pris en 2010 par le précédent président du gouvernement José Luis Rodriguez Zapatero avait marqué une première rupture entre le PSOE et une partie de son électorat. Sa décision de convoquer des élections anticipées, en 2011, avait été perçue comme un aveu d’échec et une incapacité à affronter la crise économique. Depuis, le PSOE ne cesse de perdre des voix à chaque élection. « Notre principal adversaire est le fantôme de Zapatero », avoue un membre du parti.
Affaibli par un scandale de détournement présumé de fonds destinés aux chômeurs, boudé par les jeunes, il craignait de devenir résiduel, comme le Pasok grec. Il a finalement résisté à la vague Podemos, mais devra encore mener la bataille des pactes s’il veut ravir le pouvoir à Mariano Rajoy. « Podemos s’est cogné contre le mur qu’est encore le PSOE », se félicite José Manuel Albares,conseiller aux affaires étrangères et membre de l’équipe de campagne de Pedro Sanchez.
Mais le parti de gauche radical n’a pas, lui-même, les mains libres sur toutes les questions. Pour l’emporter, il a dû sceller des alliances compliquées avec des partis et plates-formes régionales. En Catalogne, avec Barcelona en comu, de la maire Ada Colau, l’accord prévoit la tenue d’un référendum sur l’indépendance. A Valence, où il s’est allié avec la coalition anticorruption et régionaliste Compromis, celle-ci a déjà annoncé qu’elle composerait un groupe propre au Parlement afin deconserver son indépendance. En Galice, avec les Mareas (marées), plus radicales que le parti de Pablo Iglesias, l’entente est complexe.
« Remontada » de Podemos
Malgré cela, Podemos se sent assez fort pour faire désormais pression sur le PSOE. Alors que certains avaient voulu l’enterrer trop vite, M. Iglesias a montré qu’il était capable, encore une fois, de créer la surprise. Il y a quelques mois, le parti avait chuté à 13 %, voire 11 % dans certains sondages, alors qu’il n’avait pas de programme et que son alliance avec les écolo-communistes de la Gauche unie (IU) échouait.
Porté par le soutien d’Ada Colau, la très populaire maire de Barcelone et ancienne activiste du droit au logement, après être parvenu à associer l’économiste Thomas Piketty à l’élaboration de son programme, il a réussi dans le dernier mois à opérersa « remontada » (remontée), sorte de mot-valise employé pour redonner de l’énergie aux troupes.
« Je ne pensais pas voter Podemos. Je ne suis pas d’accord avec leur manichéisme, leur discours sur la caste. Mais j’ai pris ma décision avant-hier : je me suis dit que si je vote PSOE comme d’habitude, je vais le regretter toute ma vie, car c’est l’opportunité ou jamais de changer ce pays », expliquait dimanche, à deux pas du siège de PSOE, Inés, coach de 36 ans qui préfère ne pas donnerson nom.
Ce changement est toutefois conditionné à un accord de la gauche qui reste largement hypothétique. Pour espérer gouverner, le PSOE devra en effet non seulement s’entendre avec Podemos, mais aussi avec les écolo-communistes, les nationalistes basques et les régionalistes canariens… Et il faudra que les nationalistes catalans s’abstiennent. De quoi rendre tout accord particulièrement fragile.