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La Boulangère et le théoricien (sur la théorie de la forme-valeur)
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
http://ddt21.noblogs.org/?page_id=81
Si la théorie de la forme-valeur (ici « TFV »), due notamment à R. Kurz, A. Jappe et M. Postone[1], a acquis en France un renom chez les radicaux depuis la traduction du Manifeste contre le travail en 2002, c’est qu’elle réussit à se présenter comme un avant-poste de la critique sociale.
Pourquoi entrer dans ce qui semble un débat de spécialistes ? (Forme-valeur… déjà la formule impressionne.) Surtout parce qu’il recouvre des enjeux politiques non négligeables. Ensuite parce que chacun de nous peut en savoir autant que les spécialistes.
1 :Valeur & valeur
Ce que nous appelons valeur, c’est ce qui détermine la production et la circulation capitalistes : le temps de travail social moyen pour produire une marchandise. La valeur, c’est le temps, et le temps est d’abord le temps de travail. Une marchandise, c’est du temps de travail coagulé. Le temps est à la fois substance et mesure de la valeur. Le temps de travail socialement nécessaire aboutit logiquement au temps de travail minimum : laproductivité tend à s’imposer dans toute la société.
La répétition des mots temps et travail n’est pas une lourdeur de style : la compréhension de la valeur passe par la conjugaison de ces deux réalités.
L’exploitation n’est pas seulement le fait que le travailleur soit privé de tout ou partie du résultat de son travail. Pourtant c’est à cela que l’on a réduit généralement l’exploitation, avec pour double solution la réappropriation des moyens de production et le re-partage des richesses : le « développement des forces productives » sous direction des travailleurs, les « producteurs associés ».
Ce programme n’a pas été remis en cause par l’obstination de quelques théoriciens. C’est l’amorce d’une critique prolétarienne, en particulier en Italie dans les années 70, qui a mis en question le marxisme comme affirmation du travail, et permis de fonder théoriquement l’exigence d’abolition du travail que les communistes ne pouvaient auparavant proposer que comme un impératif.
Enlever aux produits et aux êtres leur caractère de marchandises, ce n’est pas seulement supprimer l’argent, c’est vivre sans calculer et comparer le temps de production afin de le réduire au minimum : c’est rompre avec la productivité.
La TFV passe pour une des expressions de cette perspective : n’insiste-t-elle pas sur la critique du travail en mettant la valeur au centre de l’analyse ?
Sauf que la TFV fait du centre la totalité : la valeur serait complètement autonomisée, auto-entretenue. Toutes les réalités, à commencer par le capital au sens d’une somme investie par un entrepreneur dans le but de gagner à la fin du cycle plus d’argent qu’il n’en avait apporté, tous les concepts perdent leur fonction en fondant dans un grand tout dominé par le « travail abstrait ».
Pour la TFV, le “travail abstrait” relève tellement de l’abstraction qu’il existe partout et nulle part: le lieu de production, une usine de composants électroniques par exemple, devient négligeable. Une multiplication de formules (« médiation sociale essentielle », « dynamique immanente », « socialisation par la valeur », « mouvement tautologique de reproduction et d’autoréflexion de l’argent ») nous explique que, par delà les apparences, le système fonctionne tout seul. Si la TFV parle du salariat, c’est comme d’un à-côté : là où règne le travail abstrait, le travail deviendrait secondaire, donc l’exploitation du travail aussi.
Pour la TFV, le mot valeur résume tout: la domination abstraite de la valeur, et il importe peu à la TFV que la marchandise force travail soit mise au travail pour produire de la valeur: qu’elle soit marchandise compte plus que ce à quoi elle sert. La force de travail n’est pas la marchandise qui fonde toutes les autres, elle n’est qu’une parmi d’autres, pas plus centrale que cent autres dans la perpétuation du système.
En somme, le concept de valeur a absorbé celui de capital et l’exploitation du travail en est un phénomène dérivé : la notion de plus-value a été dissoute dans celle de valeur.
Il en découle logiquement l’extension de la notion de rapport social à tous les actes de la vie.
Un homme a investi de l’argent, est devenu patron d’une boulangerie. Un salarié travaille au fournil. La femme du patron fait office de vendeuse : elle voudrait quitter son mari mais reste avec lui, faute d’autre moyen de gagner sa vie. Le théoricien (supposons-le enseignant dans le secteur public) habite en face. Sa fille, estimant ne pas recevoir assez d’argent de poche, refuse de faire les courses. Le théoricien vient lui-même acheter son pain. Il paye la baguette 1 € avec une pièce de 2, et reçoit 1 € de monnaie qu’en sortant il donne au SDF assis sur le trottoir.
Pour la TFV, le capitalisme est constitué de l’ensemble de ces rapports sans qu’aucun ne détermine les autres. Malgré les différences de statut ou de fonction, patron, ouvrier, épouse sans ressources, enfant sous la dépendance de ses parents, prof salarié, SDF, ce qui les oppose importe moins que ce qu’ils partagent : tous ont en commun d’être dominés par « la valeur ». Qu’il travaille ou pas, qu’il commande ou non le travail d’autrui, chacun est soumis au « travail abstrait ». Chaque rôle soutient tous les autres, et le système social se reproduit à mesure égale par chacun de ces gestes. Le changement social ne peut donc venir que d’une addition de refus de chacun de ses participants.
La TFV n’accordant au travail qu’un rôle subsidiaire, le capitalisme n’a plus selon elle vraiment besoin de travail, mais maintient chacun (employé ou chômeur) sous la contrainte du travail pour des raisons de contrôle social. La fonction du travail ne serait plus de production mais de domination. La TFV est une théorie de la valeur sans le travail.
2 : Société de classes ou société automate ?
Si la TFV a le mérite d’avoir compris que le communisme n’est pas la victoire du travail sur le capital, de la classe ouvrière sur la classe bourgeoise, cette compréhension ne lui sert qu’à conclure à l’inanité d’une lutte des classes qui se bornerait à entretenir le système.
Pour elle, avec l’autonomisation de la valeur, travail et moment productifs devenant accessoires, la révolution (pour employer un vieux mot) sera l’œuvre des milliards d’êtres réifiés et aliénés.
On peut dire en effet que l’acheteur d’une Mercedes à 100.000 € est aliéné comme (et ce n’est pas un « comme » de comparaison, car ici il n’y a plus lieu de comparer) le SDF cherchant sa nourriture dans les poubelles.
Mais pour comprendre comment fonctionne (et comment pourrait être bouleversée) la société existante, l’aliénation ne suffit pas.
Si le marché est le lieu indispensable où se rencontrent les équivalents de substance de travail social moyen, donc de valeur, ces équivalences se sont formées dans et par l’exploitation de travailleurs dont on a mesuré (et réduit au minimum possible) les coûts.
La TFV nous présente un monde où chacun est tour à tour en permanence acheteur et vendeur, y compris de soi-même. En réalité, la valeur repose sur la division du travail qui elle-même suppose la division de la propriété entre ceux qui maîtrisent les moyens de production et ceux, « sans réserves », forcés pour vivre de louer leur capacité de travail. Dit autrement : deux classes.
Voir la source de la valeur dans la production, c’est situer la contradiction essentielle dans le rapport travail salarié/capital, avec tout ce que cela implique de rapport entre classes: on est face à l’inévitable problème d’une lutte de classes susceptible de produire autre chose qu’elle-même. Problème jamais encore résolu à ce jour par les prolétaires, et avec lequel la théorie communiste se débat depuis bientôt deux siècles, mais l’histoire n’est pas terminée.
La TFV esquive la difficulté. L’énigme du prolétariat (cette classe qui n’en est pas une…) est résolue si l’on situe l’origine de la valeur dans la circulation, dans l’échange : le problème est dilué dans un ensemble de contradictions résumées par les concepts d’aliénation, de dépossession et de fétichisme, réalités qui concernent à peu près tout le monde.
De la critique fort juste de la vision de la lutte entre bourgeois et prolétaire où il suffirait de libérer le second du premier, la TFV en vient à nier la réalité de classe. De la compréhension de l’impersonnalité du rapport social (bourgeois et ouvrier n’étant que des fonctions du capital), elle aboutit à une dépersonnalisation qui déréalise la réalité : transformer la société serait l’œuvre de tous ceux aujourd’hui soumis à la valeur, c’est-à-dire l’ensemble des victimes du capitalisme (les fameux 99 %).
Qui plus est, si le capital fonctionne en automate et que son automatisme englobe tout et tous, si le seul vrai sujet c’est la valeur, à cette hauteur d’abstraction, la force susceptible de le renverser (encore un mot excessif : dépasser suffit) est elle aussi automatique. Le changement, c’est vous et moi, et c’est inévitable.
3 : Fetish victims
Chez des groupes comme Socialisme ou Barbarie, théoriser un « capitalisme bureaucratique » (supposé réalisé en Russie et en voie de s’imposer en Amérique) aboutissait à faire de la bureaucratie l’essence du capitalisme. L’analyse situationniste de la « société spectaculaire » a fini par mettre le spectacle au fondement de la société.
La TFV procède de même avec le fétichisme.
Si le mot a un sens, fétichisme désigne le mécanisme par lequel l’argent apparaît doué d’une force propre, alors qu’il résulte du travail, de rapports entre hommes (entre classes).
Or, dans la TFV, le fétichisme n’est plus l’effet d’un certain type d’activité : le travail. C’est l’inverse : le travail est un fétiche. La théorie du « capitalisme fétichiste » transforme le capital (et toute sa société) en fétiche. Que les prolétaires soient exploités n’a qu’une réalité marginale : au fond, ils sont et tous nous sommes fétichistes.
Si là réside l’essence du capitalisme, la solution est de promouvoir des relations personnelles véritablement vécues, non médiatisées par la marchandise, comme pourra en susciter une société transparente de producteurs associés, qui parce qu’associés sauront ce qu’ils feront.
Faire du fétichisme la cible centrale, c’est dissocier rapports sociaux et rapports de production. Le mot « social » semble élargir et approfondir l’analyse alors qu’il en dilue le fondement : il n’y a plus d’effet-cause, seulement une totalité auto-(re)produite.
Travail et exploitation étant décrétés secondaires par rapport à une aliénation généralisée (c’est elle qui perpétuerait la société actuelle), revendiquer l’authentique permet d’inclure à peu près tout le monde. 99 %, là encore.
Au risque de passer pour vieux marxistes : Le fétichisme n’est pas dans le fait que la boulangère et moi nous traiterions réciproquement en choses parce que d’une main elle tend une baguette et de l’autre prend ma pièce de 2 €. Il réside dans l’oubli que l’argent exprime un rapport d’exploitation. Oubli inévitable chez la boulangère (elle a d’autres soucis), moins excusable chez celui qui prétend révéler le mystère de la société moderne. Le théoricien renverse la réalité lorsqu’il prend le salariat pour un phénomène accessoire, simple effet de la soumission généralisée au travail abstrait. Fétichiser, c’est parler d’argent-roi ou de règne de la marchandise quand ces souverains-là ne le sont que par délégation. Une caractéristique de l’objet-fétiche, c’est sa capacité d’agir en sujet automate qui échappe aux hommes. La TFV ne se comporte pas autrement quand elle prête à « la valeur » une puissance autonome.
La boulangère compte ses sous, mais c’est le théoricien de l’omnipotence de la valeur qui succombe à la fascination du capital.
Les vraies victimes du fétichisme sont ceux qui croient que la valeur mène le monde.
4 : Comment ils lisent Marx
Ces « nouveaux lecteurs de Marx » sont très peu critiques de ce qu’ils lisent. Jamais ils n’expriment un désaccord explicite avec Marx.
Pourtant, leur théorie est loin de celle de Marx, pour ne pas dire opposée, puisque tous les concepts marxiens essentiels à l’analyse du capitalisme (travail, travail nécessaire/surtravail, salariat, plus-value, profit, classe, etc.) se retrouvent dissouts (on ditsubsumés) dans la valeur élevée au rang de « totalité sociale » « automédiatisante » et « auto-référentielle », en d’autres termes promue concept explique-tout.
Puisque la TFV dit étudier le travail, on s’attendait à une critique de la façon dont l’auteur du Capital aborde et définit la valeur et le travail, notamment au début du Livre I. [2]
Si dans ses dizaines de milliers de pages, la TFV n’en fait rien, c’est qu’elle vise autre chose : affirmer que la valeur est tout, ramener le capital à la valeur.
Pour cela, seules les Grundrisse (manuscrits de 1857-58) l’intéressent, et encore : surtout le « Fragment sur les machines », ces pages où Marx explique que la création de richesses dépend de moins en moins du travail immédiat et direct, et de plus en plus de l’application à la production de la science et de la technologie (le désormais célèbre general intellect).
La TFV n’a donc aucun besoin de réfuter Marx. Il lui suffit de séparer un Marx exotérique(celui du 19e siècle, du mouvement ouvrier, de la lutte des classes, de l’affirmation du travail) d’un Marx ésotérique, le vrai, le révolutionnaire, celui des Grundrisse, le théoricien par avance de la forme-valeur devenue dominante fin 20e siècle.
Valable en son temps, l’œuvre marxienne serait caduque au nôtre. Le Capital valait pour 1867. Seuls les Grundrisse (ce qu’en retient la TFV) valent pour aujourd’hui. Ce qui soutend la TFV, c’est la thèse d’un nouveau capitalisme, libéré des contraintes historiques qu’étaient le travail industriel, l’opposition bourgeois/ouvrier, la différence entre travailleur et non-travailleur, entre travail productif et improductif (tout et tous concourraient désormais à la création de valeur), entre production et circulation. Ce néo-capitalisme offrirait l’avantage de faciliter la suppression d’un travail… déjà en voie d’effacement par le capitalisme lui-même.
5 : Méthode
La TFV fait de « valeur » une formule magique, une clé explicative universelle, comparable dans son fonctionnement à « capitalisme » ou « classe » dans le marxisme. Le lecteur est face à la combinatoire d’une série de mots dont chacun est censé expliquer l’autre : travail abstrait (sans abstrait, on friserait le marxisme ouvrier), forme, valeur,fétiche, médiation sociale, reproduction (« production » sonne vieux), etc., sans démonstration d’une causalité : le sens se transvase d’un terme à son voisin, et on recommence.
Le procédé est irréfutable : aucun moment du raisonnement ne saurait être pris en défaut, car chacun renvoie à une cause première et dernière, « la valeur », impalpable mais omniprésente (exactement comme « le capitalisme » chez les marxistes).
La TFV en impose grâce à des concepts qui donnent l’illusion d’aller au fond des choses, de saisir la réalité dans sa vérité la plus générale. Forme laisse penser que l’on comprend une infinité de contenus particuliers. Travail abstrait semble recouvrir toutes les manifestations possibles du travail comme de non-travail. La répétition de l’adjectif socialélargit le point de vue à une multiplication de gestes et de pratiques. Le lecteur peut donc s’imaginer guidé des phénomènes de surface à leur cause profonde.
En réalité, à tant étendre les concepts, on les vide. Dans la TFV, travail abstrait signifie fin du rôle du travail : traiter uniquement le travail comme une abstraction, le dissocier de tout travail concret, équivaut à l’éliminer. Forme est synonyme de perte de substance, le capitalisme contemporain (capitalisme nouveau, en raison de la 3e révolution industrielle) étant décrit comme dissolvant la substance du travail abstrait, fondement de la valeur.
Quant au mot social (aussi récurrent dans la TFV que « les luttes » chez les activistes), sa généralisation en banalise le sens : à force de tout englober, de l’usine Renault à une dispute chez mes voisins, parler de cette façon de rapports sociaux revient à oublier les rapports de production, et dans notre société les rapports de classe.
6 : Politique
Que propose une théorie qui se veut autant critique de l’anti-capitalisme et de l’alter-mondialisme contemporains que du vieux mouvement ouvrier ?
Dans une société sans centre de gravité, fonctionnant en mode automatique et réduisant l’opposition capital/travail à un conflit d’intérêts entre détenteurs de marchandises différentes, pour qui cherche encore un « sujet historique », c’est à l’extérieur de la sphère (re)productive qu’il le trouvera.
Là, les options sont innombrables. Théoriser la violence des exclus, par exemple. Mais les tenants de la TFV préfèrent des solutions plus douces, mêlant transformation des mentalités, mouvements de consommateurs, coopération, expérimentations sociales, pratiques écologiques, actions anti-nuisances, et dans la production un aménagement des tâches, une industrie « à échelle humaine », plus d’automation, la réduction du temps de travail, une accentuation de « l’économie de la connaissance » grâce à la dite révolution numérique, le tout coiffé par la revendication d’un revenu garanti et la démocratie horizontale.
Quel contraste entre l’ambition d’aller au fond des choses et la modestie des objectifs…
Que la TFV soit compatible avec la panoplie réformiste est cohérent avec sa définition de la valeur.
Comme Dieu défini par Nicolas de Cues au 15e siècle, la valeur est « un cercle dont le centre est partout et le circonférence nulle part ». Heureusement ce monstre est vulnérable : puisqu’il réside en chacun, à nous tous nous pouvons le faire disparaître, pour peu que l’architecte et sa secrétaire, le commerçant et sa vendeuse, le proviseur et l’élève, le maire et l’éboueur, s’engagent dans des pratiques de gratuité, de résistance, voire de désobéissance. A la place de « la révolution », vieillerie dix-neuvièmiste, un ou deux milliards de micro-révolutions, une infinité de gestes petits et grands.
7 : Dans l’esprit du temps
La sophistication au service de la modération. Il y a 15 ans, le Manifeste contre le travail(publié par Krisis dont R. Kurz était un des principaux animateurs) décrivait déjà un système d’autant plus facile à détruire qu’il se défait lui-même : le capitalisme moderne enlèverait sa base rationnelle au travail, et aussi à la valeur. Plus besoin de révolution, puisque le capitalisme serait en train d’atteindre sa propre limite. Comme dans le marxisme social-démocrate ou stalinien tant moqué par la TFV, la socialisation capitaliste est présentée comme contradictoire au capitalisme. La « crise de la valeur » (supposée plus englobante que la banale crise du capital) serait déjà en route car des pans entiers de la vie sociale se voient décapitalisés faute de rentabilité. N’attendons donc pas l’effondrement du capitalisme de la lutte des classes, mais du mouvement de la valeur mourant de ses contradictions internes.
La TFV est au croisement de plusieurs chemins idéologiques.
Elle exprime la décomposition du « marxisme », due à la fin du mouvement ouvrier d’antan et du capitalisme d’Etat.
Elle est un écho très dégradé de nouvelles critiques prolétariennes (l’« anti-travail »).
Elle s’incrit dans l’auto-critique d’un capitalisme forcé de s’interroger sur le productivisme et l’écologie, qui doute du « progrès », qui tout en étendant mondialement le salariat ne glorifie plus « le développement des forces productives », et qui imagine sortir de sa crise par le virtuel et l’immatériel.
La force de la TFV est de donner au lecteur du qualitatif. Elle va plus loin que la gestion (ouvrière ou généralisée), et semble faire le pont entre résistance ou révolte immédiate et transformation sociale. Tout en dépeignant un présent sombre, la TFV promet un avenir radieux, puisque cette valeur omniprésente sape sa domination universelle, et contre elle va nous réunir tous. La TFV rassure.
La TFV ignore la violence fondamentale contenue dans le rapport d’exploitation, la vente de la force de travail étant l’effet d’une situation où les uns, parce que « sans réserves », sont contraints pour vivre de travailler au profit d’autres qui contrôlent les moyens de production.Que l’exploitation du travail soit une contradiction, que la révolution (la communisation) se fera à partir de cette situation, et contre elle, voilà un enjeu pratique et théorique trop banal comparé aux subtilités de la forme-valeur.
La TFV est une exposition savante de la critique de la marchandise, débarrassée de l’idéalisme des années 70 et de l’appel aux conseils ouvriers, dépouillée aussi des exigences de rupture sociale. [3]
G.D.
[1] Le site Critique de la valeur (wertkritk) fournit l’essentiel sur la théorie de la forme-valeur.
[2] Pour une re-lecture critique de Marx : Bruno Astarian : site Hic Salta, Feuilleton sur la valeur, Chapitre 1.
[3] Pour un développement des thèmes seulement résumés ici : site Hic Salta, Feuilleton sur la valeur, Chap. 6 et 7.