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Belgique : la question catalane met en difficulté le gouvernement
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Avec la relance du processus indépendantiste catalan, les nationalistes flamands cherchent à faire rebondir la question de "l'émancipation flamande." Un piège pour l'actuel gouvernement.
La question catalane vient s'inviter dans le débat intérieur belge. Ce week-end, les indépendantistes catalans sont parvenus à oublier leurs divergences pour former un gouvernement et relancer le processus de sécession avec l'Espagne. En Belgique, ces événements font réfléchir les politiciens flamands. L'idée qu'une région puisse se séparer d'un Etat constitué pour fonder un nouvel Etat constituerait effectivement un précédent qui ne peut qu'intéresser les nationalistes flamands.
Le discours traditionnel de la N-VA
La question commence à se poser au sein de la N-VA, le premier parti de Flandre (et de Belgique) qui fait actuellement partie de la coalition gouvernementale au niveau fédéral. Ce parti a fondé sa progression dans le nord du pays par un discours de séparation progressive de la Flandre de la Belgique. A la différence de l'extrême-droite représentée par le Vlaams Belang, la N-VA n'a pas défendu une indépendance immédiate, mais plutôt une solution « confédérale » permettant un transfert de compétences massif vers les entités régionales. Jusqu'au moment où, devenu inutile, l'Etat belge disparaîtrait de lui-même.
La « mise au frigo » des questions communautaire
Ce programme a fait les belles heures de la N-VA, convaincant les Flamands modérés et une partie de l'électorat du Vlaams Belang. Mais il a été mis en sourdine depuis quelques années.Le leader de la N-VA, Bart de Wever, par ailleurs bourgmestre (maire) d'Anvers, a opéré un mouvement stratégique en concentrant son action sur le plan économique et social. Son nouveau but affiché a été de « réformer » la Belgique en menant une politique de compétitivité. Pour cela, la N-VA a accepté, après les élections de mai 2014, de « mettre au frigo » - pour reprendre l'expression utilisée outre-Quiévrain - la question communautaire. Ceci lui a permis de former un gouvernement idéologiquement cohérent avec les Libéraux - flamands et francophones - et les chrétiens-démocrates néerlandophones. Un gouvernement de droite, donc, destiné à « réformer » le pays.
L'enjeu pour Bart de Wever était de montrer la capacité de son parti à gérer les affaires et de dépasser l'image de la N-VA comme un parti protestataire centré sur le nationalisme flamand. Pour enfoncer le clou, Bart de Wever a même accepté de confier la direction de ce gouvernement le plus néerlandophone depuis les années 1970 à un francophone, le chef du parti libéral MR, Charles Michel. Ce dernier avait, de son côté, recentré le discours de son parti sur un programme de réformes libérales et avait également été l'artisan de la « dé-communautarisation » du MR en rompant fin 2011 avec le FDF, parti de défense des francophones et en acceptant le redécoupage du fameux arrondissement « BHV » (Bruxelles-Halle-Vilvorde), vieille pomme de discorde entre les communautés.
L'épine catalane réveille le nationalisme de la N-VA
Le nouveau gouvernement Michel s'est donc lancé dans cette politique, sans que l'on ne parle plus de tentation sécessionniste flamande. Mais le cas catalan a relancé le débat au sein de la N-VA. C'est le ministre fédéral de l'intérieur, Jan Jambon, qui, lundi, au lendemain de l'élection de Carles Puigdemont à la tête de la Catalogne, a mis le sujet sur la table.Selon le quotidien néerlandophone De Morgen, il aurait prévenu que la reconnaissance éventuelle de la république catalane était un « sujet explosif » pour le gouvernement fédéral. Sous-entendu : la N-VA pourrait désirer imposer cette reconnaissance afin d'en faire un précédent utile au cas où... Et, évidemment, les trois autres partis, favorables au maintien de la Belgique, pourrait s'y opposer.
Ces déclarations font craindre que la question communautaire ne ressorte du « frigo » avant la fin de la législature en 2019. En fait, elles soulignent combien la N-VA est divisée sur la stratégie de Bart de Wever, car il existe dans ce parti une tradition nationaliste flamande qui souhaiterait volontiers utiliser le cas catalan pour franchir le pas. Ce jeudi, le député au parlement flamand, Peter Luykx a envoyé un mot de félicitations à Carles Puigdemont, président de la « république de Catalogne à naître. » Surtout, les cadres de la N-VA craignent d'être débordés sur leur droite par le Vlaams Belang. Alors que les sondages montrent un affaiblissement de la N-VA qui serait passée sous les 30 % d'intentions de vote en Flandre, le Vlaams Belang, lui, tutoierait les 10 % (contre 5,4 % en mai 2014). Bref, il y aurait urgence à réinvestir la rhétorique nationaliste, cœur du discours de la N-VA.
Relance du discours communautaire
Bart de Wever a donc réagi en tentant une pirouette rhétorique. Il a annoncé le lancement d'initiatives pour préparer la Flandre à « l'émancipation. » « Après la discussion avec le sommet du parti et les figures clé du mouvement flamand, je suis arrivé à la conclusion que nous ne pouvions plus nous cantonner dans la passivité », a indiqué le chef de la N-VA dans un communiqué. Il annonce donc que des cadres du parti vont réfléchir à des étapes pour « préparer l'avenir institutionnel de la Flandre afin d'ouvrir la voie vers le confédéralisme. » Bart de Wever a indiqué que les propositions s'appuieront sur une« concertation avec la société. » Bref, la N-VA va réinvestir le nationalisme flamand, tout en maintenant au niveau fédéral la « mise au frigo. » Bart de Wever tente donc de rassurer ses troupes et le gouvernement fédéral.
La stratégie de Bart de Wever
L'attitude de Bart de Wever peut surprendre. Son parti va donc réfléchir aux moyens de rendre caduc un Etat fédéral qu'il gère par ailleurs au quotidien. A moins que ce ne soit qu'une contradiction apparente : la N-VA, en tentant de « réformer » la Belgique, essaierait surtout de rendre les Francophones plus « libéraux » ou, dans l'imaginaire flamingant, rendre les Francophones plus « flamands. » S'il parvient à un constat d'échec dans cette voie, il défendra alors l'idée d'une « émancipation » de la Flandre. Or, rien n'est plus simple en Flandre que de défendre cette idée que les Francophones résistent aux réformes. On voit donc que l'expérience du gouvernement Michel - et la sape de ce dernier par des propositions « confédérales » - peut aussi servir le projet nationaliste de Bart de Wever. En jouant sur les deux tableaux, la N-VA peut gagner à tous les coups et placer le gouvernement fédéral sous pression.
C'est ce que les partis d'opposition francophones, le PS socialiste et le CDH chrétien-démocrate, ont dénoncé, voyant dans la démarche du bourgmestre d'Anvers une tentative de déstabilisation de l'Etat fédéral. Le MR de Charles Michel pourrait donc, dans ce cas, comme le remarque un éditorial du quotidien francophone Le Soir, devenir le « cocu magnifique » de ce gouvernement avec la N-VA.
Piège catalan pour Charles Michel
Le cas catalan aura été un catalyseur des non-dits au sein du gouvernement belge. Il est certain que si le gouvernement de Barcelone cherche des appuis en Europe face à Madrid et se tourne vers Bruxelles, il risque d'ouvrir une crise ouverte au sein du gouvernement fédéral belge. Si Charles Michel accepte de soutenir les Indépendantistes catalans, il apparaîtra comme le fossoyeur de la Belgique par les Francophones. Mais pourra-t-il ne rien faire alors que l'indépendance catalane a le soutien du premier parti de la coalition gouvernementale ? Dans ce cas, la N-VA aura beau jeu de dénoncer l'attitude des Francophones non sur la question belge, mais sur la question plus large de la libre décision des peuples en Europe. De quoi préparer des élections 2019 où Bart de Wever relancera le débat communautaire...
Une solidarité entre Flamands et Catalans ?
Reste une remarque : la question catalane est-elle comparable avec la question flamande ? En partie seulement. Certains points communs existent : les deux régions sont riches économiquement et avec une identité forte qui s'oppose à un centre jugé « spoliateur. » Mais les points communs s'arrêtent là. Les Flamands sont majoritaires en Belgique. Leur sécession mettrait sans doute fin à l'Etat belge en tant que tel et ouvrirait une question très sensible : le statut de Bruxelles, ville historiquement flamande, dont la « francisation » n'a jamais été acceptée par les nationalistes flamands. Rien de tel en Catalogne, où la sécession de la région, si elle affaiblirait l'Espagne, ne mettrait pas fin à l'existence de ce pays.
Sujet annexe pour Bart de Wever
Autre élément intéressant à remarquer : l'indépendantisme catalan est politiquement de gauche. Son spectre politique va du centre à l'extrême-gauche et la CDC, le parti d'Artur Mas et de Carles Puigdemont, a beaucoup « social-démocratisé » son discours. Un des thèmes de l'indépendance catalane est la défense de l'Etat-providence contre un Etat espagnol qui s'attacherait à le détruire. Le nouveau gouvernement catalan a, d'ailleurs, un vaste programme social. Rien de tel en Flandre où le spectre de l'indépendantisme va du centre à l'extrême-droite. Le Vlaams Belang est un parti violemment anti-immigration et anti-francophone (ce qui ne l'empêche pas d'être allié aux nationalistes français du FN, eux-mêmes opposés à... l'indépendance de la Catalogne...). La N-VA - qui n'est guère tendre non plus avec les immigrés - défend, quant à elle, on l'a vu un programme très libéral qu'il estime faire partie de l'identité flamande. Bref, les deux cas sont assez distants. Et la Catalogne n'est pour Bart de Wever qu'un sujet annexe, qu'il doit maîtriser pour maîtriser ses troupes et son agenda.