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3000 perquisitions en 2 mois d’état d’urgence... et aucune résultat
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
ETAT D'URGENCE - Du 14 novembre 2015 au 14 janvier 2016, plus de 3021 perquisitions administratives ont été ordonnées de jour comme de nuit sur la quasi-totalité du territoire. Deux mois après l'instauration de l'état d'urgence, c'est (de loin) la mesure d'exception la plus usitée par les forces de l'ordre afin d'endiguer la menace terroriste en France. Des investigations menées sans le contrôle a priori du juge, parfois musclées, souvent menées par des escadrons impressionnants de policiers cagoulés et armés jusqu'aux dents, mais dont on peine, 60 jours après, à évaluer l'efficacité opérationnelle.
Les résultats produits par ces perquisitions et communiqués par le ministère de l'Intérieur à la Commission des Lois de l'Assemblée, chargée du contrôle parlementaire de l'état d'urgence, n'offrent qu'une réponse partielle. A l'heure qu'il est, celles-ci ont abouti à la découverte de 500 armes (dont 41 armes de guerre et 141 armes de poing), au constat de 464 infractions et à l'interpellation de 366 individus dont 316 ont été placés en garde à vue. Soit un ratio d'1 arme saisie pour 6 perquisitions. Est-ce beaucoup ou négligeable? Chacun jugera.
Faute d'enquête qualitative, ces données ne nous renseignent en revanche absolument pas sur l'efficacité de cette mesure pour empêcher de futurs attentats ou de détecter des terroristes en herbe. On ignore ainsi la part des armes saisies qui étaient détenues légalement par leur propriétaire (notamment s'agissant des armes de chasse) tout comme on ignore précisément combien d'individus ont été interpellés pour des motifs directement liés à un risque terroriste. "Deux procédures ont fait l’objet de saisines de la section antiterroriste de Paris", a indiqué ce mardi la garde des Sceaux Christiane Taubira sans en dire davantage sur les éléments qui ont motivé ce renvoi.
50% des perquisitions réalisées la nuit
La difficulté des députés et de la presse à obtenir des données fiables sur le déroulement des perquisitions pose un problème d'évaluation majeur: comment déterminer s'il faut sortir de l'état d'urgence si l'on est incapable d'en mesurer l'efficacité? Comment aussi s'assurer que cette mesure d'exception ne produit pas d'atteintes aux droits fondamentaux des perquisitionnés dont peu osent déposer plainte?
Dans sa communication de ce mercredi 13 janvier, le président de la Commission des Lois, Jean-Jacques Urvoas, a reconnu qu'il "s’est révélé difficile pour le Parlement de se prononcer précisément sur le déroulement matériel et précis de ces perquisitions" et donc d'enquêter sur les dizaines de témoignages évoquant les "dégâts occasionnés lors des perquisitions, des portes enfoncées sans motif, des menottages jugés abusifs..." Indice parlant, seules deux perquisitions sur plus de 3000 ont fait l'objet d'un recours.
Aucune donnée fournie par le ministère ne fait pourtant état du sentiment d'humiliation ressenti par les personnes dont la perquisition n'a rien donné si ce n'est de les livrer au jugement désapprobateur de leurs voisins. Le fait que plus de 50% des perquisitions aient été ordonnées de nuit, ce qui est normalement interdit dans une perquisition normale, joue pour beaucoup dans la diffusion de ce sentiment.
A en croire Jean-Jacques Urvoas, le choix d'intervenir en pleine nuit a été justifié par les services préfectoraux par souci de "précaution tactique" afin "d’intervenir sur des cibles dangereuses pour conserver un effet de surprise ou dans des zones connues pour des désordres, afin d’opérer plus discrètement". Le député du Finistère note pourtant que ces perquisitions de nuit se sont poursuivies sur les deux mois de l'état d'urgence, alors même que l'effet de surprise s'était estompé.
"Déstabiliser les milieux radicalisés" mais pas que
Autre indicateur de la méthodologie employée par les préfets pour déterminer leurs cibles et les appréhender, les motifs invoqués pour justifier les perquisitions. Selon les calculs de la Commission, près de la moitié d'entre elles visaient explicitement, sur la base des informations fournies par les Renseignements, à "déstabiliser un microcosme radicalisé", "éviter des répliques d’attentats bénéficiant de l’effet de sidération post-13 novembre" et à s'assurer "que les individus concernés n’avaient pas échappé à des procédures judiciaires anti-terroristes".
Pour l'autre moitié en revanche, les perquisitions ont visé essentiellement des infractions au droit commun, qu'il s'agisse de milieux liés à la drogue ou au trafic d'armes. Justification des services de l'Etat: la porosité souvent évoquée entre radicalisation, terrorisme ou économie souterraine. Se pose alors la question du recours proportionné à un régime d'exception s'agissant de simples affaires de droit commun, aussi graves et/ou condamnables soient-elles.
Pour le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve, qui s'exprimait ce mercredi à l'Assemblée, "ce n’est pas parce qu’une perquisition ne permet pas de trouver des armes ou des papiers qui témoignent d’un engagement dans des activités terroristes, que les suites judiciaires [...] n’apporteront pas la preuve du caractère terroriste des activités auxquelles les individus perquisitionnés ont pu contribuer." De fait, les données informatiques saisies sur place mettront du temps à être traitées et exploitées. Et de conclure: "Nous ne pouvons pas connaître à cette heure le véritable résultat, en matière de lutte antiterroriste, des perquisitions auxquelles il a été procédé." De quoi nourrir les soupçons d'improvisation et de tâtonnement s'agissant d'une part non-négligeable des perquisitions ordonnées.
Pour le député Urvoas, proche de Manuel Valls et rapporteur de la loi prolongeant de trois mois l'état d'urgence, il ne fait pas de doute que cette législation d'exception "était justifiée". En revanche, le recours à ces mesures exceptionnelles dans un but manifestement "préventif" ne peut être que bref et temporaire, à moins d'entraîner un "grand dérangement" dans le fonctionnement même de l'Etat de droit.
Des perquisitions à bout de souffle
Cette analyse se double d'un constat statistique incontestable: si les perquisitions administratives ont très vite obtenu des résultats au début de l'état d'urgence, celles-ci se sont rapidement essoufflées une fois l'effet de surprise estompé. Un tiers des perquisitions ont d'ailleurs été ordonnées dès la première semaine de l'état d'urgence et, depuis le mois de janvier, leur nombre a considérablement chuté comme le démontre ce graphique fourni par l'Assemblée.
Se pose du coup la question de la pertinence de cette mesure sur la durée. Plusieurs députés, comme le président de la Commission des lois et son rapporteur Jean-Frédéric Poisson (Les Républicains), tombent d'accord sur le fait que "au fur et à mesure que le temps avance, l'opportunité de perquisitionner diminue". Et qu'à ce titre, l'intérêt opérationnel de cette mesure d'exception s'efface de lui-même.
Pour autant, plusieurs députés s'inquiètent qu'une levée de la perquisition administrative n'incite les terroristes en herbe à ressortir les armes qu'ils ont pu cacher. Selon les informations du Monde, le gouvernement travaille déjà sur un texte législatif instaurant des procédures d'exception, comme l'autorisation de perquisitionner la nuit, au-delà de l'état d'urgence.