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Ce qu’il y a de commun entre la période qui a précédé mai 1968 et aujourd’hui

Lien publiée le 22 février 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://www.anti-k.org/2016/02/22/ce-quil-y-a-de-commun-entre-la-periode-qui-a-precede-mai-1968-et-aujourdhui/

En avril 1968, date ô combien symbolique, Edmond Maire, dirigeant de la CFDT, écrivait que la grève générale était un mythe.

Valls nous a dit quelque chose de semblable après l’affaire des chemises à Air France : la combativité ouvrière serait au plus bas, selon lui, et nous serions très loin d’une explosion générale, ce que tous les experts et journalistes répètent après lui et donc que beaucoup ont tendance à croire.

C’est dire combien on réalise mal à quel point la colère et la combativité ouvrière sont en train de s’accumuler. Sur un mois, de mi janvier à mi février 2016, j’ai pu recenser rien qu’à partir de ce que publie la presse, près de 3 000 grèves et luttes, bien plus qu’en décembre ou novembre 2015, le double de septembre et octobre, le quadruple de juin… C’est dire combien c’est à une réactivation d’ensemble de la classe ouvrière que nous assistons, c’est-à-dire à une réactivation de son mode d’expression le plus fort, la grève générale.

Parler de grève générale dés aujourd’hui peut paraître décalé, absurde.

Mais on raisonne souvent ainsi parce que dans les grèves générales, le lien entre la période de préparation et son accomplissement n’est guère étudié et connu, y compris pour le mai 68 français. L’analyse des grèves émiettées, dispersées… et de leur état d’esprit dans la période qui a précédé et préparé mai 1968 n’a guère intéressé alors que ça formait pourtant un tout. Mai 68 est l’aboutissement d’une période.

Mais on a souvent une vision d’un mai 68 sorti de nulle part, ou sorti d’on ne sait où. Or Mai 68, n’était que le moment de paroxysme d’un mouvement social qui venait de loin, un moment qui n’aurait pas existé sans ce qui l’avait préparé.

Et il en est de même pour aujourd’hui. On dit souvent que les grèves actuelles sont émiettées, ce qui est vrai, mais sans voir l’état d’esprit du « tous ensemble » qui les anime le plus souvent et qu’on peut lire de bien des manières dans l’actualité récente, d’Air France à Goodyear, dans la défense du service public comme dans l’augmentation des salaires par le partage des bénéfices, dans la lutte contre l’état d’urgence ou contre la répression syndicale comme dans la lutte contre les lois El Khomri, Rebsamen, Macron… Cette attention actuelle des militants aux seules revendications des grévistes mais pas à leur état d’esprit, à leurs aspirations, leur conscience, fait que les grèves ouvrières actuelles ne leur apparaissent que sous leurs aspects « émiettés », économiques sans voir que cet aspect revendicatif économique ne peut pas se confondre avec l’état d’esprit politique unificateur qui porte et accompagne ces luttes dispersées.

Les périodes de grève générale, pour parler comme Rosa Luxembourg, sont des périodes où les frontières s’estompent, celles entre les luttes économiques et politiques, celles entre les professions, les générations, les pays… toutes les frontières entre les hommes.

Dans ces périodes, les révolutionnaires ne « font » pas la révolution, ni la « grève générale » ; ils ne commandent pas aux faits, ils permettent à ceux-ci d’accoucher de ce que les périodes portent. La révolution ou la grève générale ne sont pas des éclairs dans un ciel serein. Ce sont des suites d’événements ininterrompus multiples qui passent alternativement d’une crise politique grave au débouché parfois insurrectionnel pour se replier sur des conflits économiques épars, émiettés puis réagissent à une injustice locale, pour passer ensuite à des soulèvements sociétaux, ceux-là, touchant parfois tel secteur de la société, parfois tel autre, telle ou telle classe, les paysans, les ouvriers, les étudiants… telle ou telle partie du monde, prenant parfois un cours souterrain un instant, avant de resurgir, plus forts et plus conscients d’eux-mêmes avançant toujours un peu plus loin, chaque événement étant éprouvé différemment mais en même temps pris et ressenti aussi dans le même maelström général de mouvements où la conscience se construisant ne peut et ne veut plus séparer le local du général, le mouvement de ses objectifs, la tactique de la stratégie, l’économique du politique…

Nous sommes déjà dans cette période, déjà dans le mouvement général mais sans encore son aboutissement, dans la préparation sans son apogée… mais déjà dans le renouveau de la lutte de classes et de sa conscience globalisante.

Nous ne sommes certes pas dans les années 1960 et il ne s’agit pas de faire des prédictions. Mais à tous ceux qui pensent que la grève générale n’est en rien un événement soudain, isolé, fortuit et qui cherchent comment nous pouvons tirer des leçons d’hier pour préparer demain, il y a urgence à regarder de près les années d’avant mai 68 qui sont tellement actuelles, tellement ressemblantes à ce que nous vivons et dont nous pouvons tirer tellement de leçons.

C’est l’objet de cet article.

La fin de la politique contractuelle

Après une période de luttes intenses en 1947-49 puis encore en 1953, la conflictualité sociale stagne à un niveau bas pendant toute la durée de la guerre d’Algérie de 1954 à 1962. Le 13 mai 1958, on touche le fond avec l’installation du « pouvoir fort » du gaullisme. Les organisations ouvrières désorientées crient au fascisme pendant que d’autres s’alignent derrière de Gaulle.

A partir de 1959, l’inflation devient galopante. Elle se traduit par une baisse du pouvoir d’achat contrevenant aux accords patronat-syndicat de toute la période précédente qui avaient fait accepter aux salariés des conditions de travail pénibles à condition que l’augmentation du pouvoir d’achat soit garantie. La politique contractuelle est morte.

A partir de ce moment, l’état d’esprit des travailleurs va peu à peu changer et s’oriente vers la conscience lente mais progressive de la nécessité d’un « tous ensemble ».

Pour ne prendre que Peugeot, un premier conflit « sauvage » éclate en 1959. Quatre autres importants suivent en 1960, 1961, 1963 et 1965. Et bien d’autres ailleurs. Outre les salaires, les ouvriers se battent contre les cadences, pour la quatrième semaine de congés et contre le retour à la semaine de 45 heures.

Mais la tactique des syndicats ne veut pas prendre acte de ce changement de situation et d’état d’esprit. Ils n’essaient pas d’unifier les luttes mais continuent à organiser des grèves comme auparavant, au moindre coût, localisées et au coup par coup, en procédant à des arrêts de travail brefs et tournants qui désorganisent la production mais ne permettent pas aux ouvriers de contrôler leurs mouvements, de prendre conscience de leur force collective qui grandit et de ce qu’elle leur permettrait d’obtenir.

Mais de grève en grève, l’épreuve de force générale et la conscience de la nécessité d’un mouvement d’ensemble associé à une certaine radicalité ne cessent de croître : les patrons licencient, jettent à la rue et détruisent des familles, les ouvriers répondent fréquemment par des séquestrations.

Cet état d’esprit prend peu à peu un net caractère politique, car il associe les revendications partielles du combat immédiat à une toile de fond d’un « tous ensemble » nécessaire contre le pouvoir ressentie avec un caractère d’urgence grandissant.

Ce double sentiment – de multiplication des luttes partielles immédiates associé à un sentiment grandissant du besoin d’un « tous ensemble » – s’empare peu à peu au fil des événements d’une grande partie des classes populaires et sera au fondement d’une lame de fond qui emportera la société française jusqu’à la grève générale de 1968.

Le tournant de la « rigueur » de 1963 et la grève des mineurs

Après s’être appuyé sur les syndicats pour sa politique algérienne, en 1962 de Gaulle change d’attitude.

Il modernise et réoriente l’économie française coloniale vers l’Europe et le marché commun. A cette fin, il insuffle une politique de restructuration, de fermetures d’entreprises, il organise des coupes franches dans de nombreux secteurs et s’attaque notamment aux mineurs. De nombreux puits sont fermés, les effectifs sont considérablement diminués.

Depuis la fin de 1962, une forte agitation qui ne se satisfait plus des « grèves tournantes” se manifeste dans les mines.

Les mineurs veulent la grève générale jusqu’à satisfaction. Elle est décidée le 4 mars 1963.

Le « pouvoir fort » de de Gaulle décrète immédiatement la réquisition des mineurs. En réponse, la grève est générale dans tous les bassins le 5 mars. La réquisition a échoué. La grève générale des mineurs va se poursuivre pendant cinq semaines mais sans faire appel à la solidarité des autres secteurs.

Pourtant – et c’est là ce qu’il y a de plus significatif, là qu’est le tournant qu’il nous faut comparer à l’évolution de l’état d’esprit aujourd’hui – les autres secteurs montrent qu’ils sont prêts à entrer en lutte.

Une grève générale syndicale ( d’un quart d’heure) de solidarité le 5 mars est très massivement suivie et déborde les malheureuses 15 minutes des appels syndicaux. La grève paralyse en grande partie la SNCF, la RATP, EDF mais aussi la plupart des grandes entreprises privées.

Dans le Nord la grève est totale. Le 12 puis le 15 les cheminots remettent ça. Le 12 ce sont les sidérurgistes. Le 14 et le 21 les métallurgistes. Le 20, toute la fonction publique puis à nouveau la RATP, les PTT, Michelin…

C’est pendant la grève des mineurs que d’autres secteurs montrent leur envie d’entrer en lutte. Pas après, mais en même temps. C’est le réveil de la classe ouvrière depuis les grandes grèves de 1947-48.

Face à cette mobilisation, l’appareil intermédiaire des syndicats est sous la pression. La CGT répond que la grève générale est certes « séduisante » mais « utopique« . Elle ne veut pas de grève générale, mais toujours des grèves tournantes. Sur la question des mineurs, elle se contente de collecter des fonds.

Finalement, les mineurs reprendront le travail sans que leurs revendications soient satisfaites. Malgré cela, de Gaulle n’en a pas moins subi une défaite politique dont jamais il ne se relèvera, l’idée qu’on peut le contester, pourquoi pas le renverser et qui amènera la classe ouvrière, dés lors que les étudiant auront ouvert la brèche, à mai 1968. Ce qui amènera probablement aussi le slogan de 1968 à l’encontre de De Gaulle : « 11 ans c’est trop. » Qu’on imagine les lendemains d’une éventuelle réélection de Hollande en 2017, voire de Juppé…

De Gaulle donc, de son côté, ne peut plus prendre le risque d’un affrontement direct avec le prolétariat et la jeunesse, qui à travers la grève des mineurs a pris clairement conscience de la possibilité et de la nécessité d’un mouvement général. La bourgeoisie perd en partie sa confiance en de Gaulle qui paraît plus le Bonaparte unificateur, le rempart contre la mobilisation ouvrière, mais au contraire le catalyseur possible de la politisation et centralisation des luttes économiques et émiettées des ouvriers.

N’assiste-t-on pas à la naissance d’un état d’esprit semblable ? Posons-nous en tous cas la question. Car si oui, il faudrait s’en faire dès maintenant les porte-paroles et s’associer à tous ceux qui vont dans ce sens.

Le pouvoir ne renonce pas, multiplie les contre-réformes sociales et renforce l’exécutif

Cependant a bourgeoisie française n’a pas le choix, ni de se soustraire à la concurrence exacerbée du Marché Commun, après la perte de ses colonies ni de trouver le personnel politique idéal. De Gaulle fera quand même l’affaire.

De Gaulle donc ne renonce pas. Il est sous la pression des exigences économiques patronales qui veulent rendre le capitalisme français compétitif, d’autant qu’il est prévu que les frontières douanières entre les six pays du Marché commun doivent être abolies au mois de mai 1968. Le temps presse.

Comme pour Hollande.

La liste des  » réformes ” que de Gaulle entreprend entre 1963 et 1968 – notamment à l’occasion de pouvoirs spéciaux obtenus au lendemain des législatives de 1967 – est impressionnante : réforme administrative, institution du service de défense, élargissement du réseau des organismes du plan, comité d’étude des coûts et des revenus, lois sur la formation professionnelle, sur la réforme des comités d’entreprise, sur la réforme de l’enseignement (plan Fouchet), lois anti-grève de juillet 1963 qui vont permettre de « criminaliser (déjà) les gréves, grévistes et syndicalistes, création de l’ANPE pour accroître la mobilité de la main-d’œuvre, ordonnances sur l’emploi et l’intéressement pour faire participer les travailleurs à l’expansion des entreprises par leur propre surexploitation, allègements fiscaux pour les entreprises qui se modernisent, réorganisation de l’armée, conçue dés lors comme force de défense opérationnelle du territoire en vue du quadrillage policier du pays, renforcement de l’appareil policier, CRS, polices urbaines, gardes mobiles, réorganisation du ministère de l’Intérieur, quasi-suppression de toute garantie d’indépendance pour les juges du parquet, réforme de la procédure de l’instruction, allongement du délai de garde à vue… etc.

De Gaulle a maintenu toutes les apparences « quotidiennes » d’une vie démocratique normale, mais en réalité il n’est pratiquement aucun domaine des libertés publiques et individuelles qui n’ait gravement été entamé dans cette période. On parle alors souvent de « dictature ».

Ne peut-on comparer à aujourd’hui et à la politique de Hollande – en changeant ce qu’il faut changer – face à la crise et l’exacerbation de la concurrence mondiale, face au mouvement social  ?

Cependant, les conditions politiques ne sont plus identiques à ce qu’elles étaient avant la grève des mineurs. Les changements d’état d’esprit qui se déroulent à l’intérieur de la classe ouvrière et dans la jeunesse, comme dans leurs organisations, sont décisifs.

Dans les luttes : émiettement, « tous ensemble », émiettement… et politisation

Du côté syndical, à peine la grève des mineurs était-elle terminée que l’appareil de la CGT pour répondre aux besoins croissants d’une politique offensive de sa base, mettait tous ses moyens pour lancer une vague de grèves tournantes, ce qu’il illustre tout particulièrement à la RATP. Mais par cette tactique désastreuse, il donnait l’occasion au pouvoir gaulliste de prendre sa revanche après la grève des mineurs et d’instaurer en juillet 1963 une première loi réglementant le droit de grève dans les services publics en instituant la clause du préavis obligatoire de cinq jours.

Cependant, la méthode des grèves tournantes se heurte de plus en plus aux aspirations des masses et d’une partie de l’appareil syndical intermédiaire.

Les manifestations sporadiques sans perspective ni plan de poursuite lassent tout le monde. Aussi la CGT, sentant cela, finit par lancer pour le 17 mars 1964 le mot d’ordre d’une journée nationale de grèves.

La forte participation des travailleurs démontre à tous la volonté des travailleurs de combattre « tous ensemble”.

Néanmoins, après le 17 mars, les appareils syndicaux ne donnent pas de suite et poursuivent la valse des grèves tournantes chez les cheminots, les postiers, dans la métallurgie, etc…. Cela permet à nouveau au pouvoir d’instaurer une nouvelle loi réglementant et restreignant le droit de grève pour les contrôleurs de la navigation aérienne.

Les dirigeants de FO proposent de leur côté  » une grève générale interprofessionnelle » (comme aujourd’hui) mais sans réelle volonté (comme aujourd’hui) et refusent toute unité avec les dirigeants de la CGT.

Sous la pression de leur base syndicale et de la conscience montante des salariés, les directions de la CGT et de la CFTC des services publics, auxquels les fonctionnaires FO et FEN s’associent, décident une manifestation des travailleurs de ce secteur le 2 décembre 1964.

Le gouvernement interdit alors la manifestation.

Les dirigeants FO et FEN appellent du coup toutes les corporations à une grève générale de vingt-quatre heures le 11 décembre. Les dirigeants de la CGT et de la CFTC s’y associent tout en limitant l’ordre de grève aux fonctionnaires et aux travailleurs des services publics.

Mais l’aspiration au « tous ensemble”, à la grève générale, était si puissante que la grève du 11 décembre 1964 fut totale dans les services publics et chez les fonctionnaires. Sans y être appelés, de nombreuses entreprises privées et des centaines de milliers de travailleurs débrayent.

Mais dès le lendemain du 11, la CGT relance à nouveau les grèves tournantes, grève des roulants SNCF les 18 et 19, grèves tournantes dans les PTT…

Dans la foulée, le 20 janvier 1965, FO, n’a pas d’autre choix que de soutenir ses fédérations qui sous la pression des militants avaient décidé d’elles-mêmes la grève pour les 27 et 28 janvier. La CGT, la CFDT, la CGC et la FEN s’alignent. Les travailleurs du secteur privé sont également appelés par FO à participer au mouvement.

Cette action est comprise par tous – du fait de sa proximité et de ce à quoi aspirent les salariés, pas de la volonté des dirigeants syndicaux – comme le prolongement du 11 décembre 1964 et comme une concession à l’idée d’un mouvement général (est-ce que ça ne ressemble pas à ce qui s’est passé les 26 et 30 janvier puis 4 février 2016 avec sa suite fin février, début mars, mi mars et une journée interprofessionnelle fin mars?).

En effet, le 11 décembre 1964, les travailleurs avaient parfaitement conscience que la grève ce jour-là n’aboutirait pas à un succès revendicatif immédiat. Ils concevaient ce mouvement surtout comme une étape vers le « tous ensemble”, pour la construction progressive d’un rapport de force général, d’autant plus que de Gaulle criait clairement haut et fort son intention de ne pas reculer.

Mais la volonté de la bureaucratie syndicale d’émietter le mouvement est telle que dans la Sécurité sociale, la CGT et la CFDT divisent la grève en deux, le 27 pour la région parisienne et le 28 pour la province. Par ailleurs, le métro, l’enseignement public, les cheminots, etc., sont appelés à débrayer le 27, l’EDF le 28 !

Du coup, dégoûtés, à peine 40% des salariés appelés font grève les 27 et 28 janvier alors qu’ils étaient 80 % le 11 décembre.

En conséquence, cette aspiration au « Tous ensemble » se disperse à nouveau dans de très nombreuses grèves tournantes, partielles, émiettées, économiques, qui ponctueront toute l’année 1965. Cependant les enseignements de cette période chemineront souterrainement pour s’exprimer lors des élections de 1965 contre l’unité électorale de la gauche autour de Mitterrand qui apparaît à ce moment comme un homme de droite.

Les classes populaires chercheront alors à s’exprimer dans la rue contre l’impasse électorale qu’on tente de leur imposer.

Ne peut-on pas établir là un parallèle avec l’impasse des présidentielles de 2017, où on nous impose le chantage du vote Hollande (ou Juppé) contre Marine le Pen ?

Battre de Gaulle aux élections et unité syndicale ou de la gauche comme faux-fuyant face aux luttes montantes

Cette année 1965 voit pour la première fois le président de la République élu au suffrage universel.

La tactique de la gauche sur le plan des élections est la même que celle du refus du « tous ensemble” sur le terrain des luttes.

Ni la SFIO ni le PCF ne présentent de candidats. Ils soutiennent ensemble la candidature de François Mitterrand qui était à ce moment à la tête d’une petite formation du centre, l’UDSR, à la direction de laquelle pendant la guerre d’Algérie, il avait dit « l’Algérie c’est la France » et  » la seule négociation c’est la guerre« … Tout un programme !

De Gaulle est mis en ballottage dans les élections. Cela reflète la situation sociale et est un échec pour lui…

Mais il y a aussi échec politique de la seule organisation radicale du moment, le PSU. Le PSU est né en 1960 de son opposition à la guerre d’Algérie et à la capitulation d’une partie de la gauche en 1958. Le PSU avait gagné là une crédibilité, une identité et une image à laquelle il ne sut pas donner une politique. Il rata probablement une occasion cette année-là de présenter une candidature de la gauche anticolonialiste et radicale représentant la colère sociale. Il s’inclina finalement sous la pression unitaire à gauche à battre de Gaulle, en reniant toutes ses valeurs, car cela se fit derrière la candidature de Mitterrand, celui qui avait pourtant porté la responsabilité en tant que ministre de l’intérieur puis Garde des Sceaux, de la torture et des condamnations à mort des opposants à la guerre d’Algérie !

En conséquence de cette disparition politique, dès 1965, puis à nouveau en 1967, une partie des dirigeants du PSU, rejoignent la FGDS qui s’est crée derrière la candidature Mitterrand et qui regroupe les différentes formations de gauche à l’exception du PCF. Pourtant, cela se fit contre la base du PSU, qui au congrès de 1967, avait voté contre une proposition de la direction du PSU de fusion avec la FGDS.

Le problème des dirigeants du PSU est – conformément à la tradition réformiste – qu’ils ne veulent pas faire immixtion dans le domaine réservé aux syndicats : ils ne comprennent pas que la situation rapproche les questions économiques des questions politiques, que les ouvriers en lutte dans de multiples combats partiels économiques cherchent une unification politique à la hauteur des enjeux. Les dirigeants du PSA sont même parfois gênés par l’intervention ouvrière de ses propres militants ( 40% de ses effectifs) qu’ils cherchent à cantonner dans l’activité syndicale traditionnelle, économique, à mettre à la remorque des appareils… alors que toute la situation pousse à la politisation des conflits sociaux, et à déborder les appareils non pas dans une radicalité économique supplémentaire, mais dans une expression politique, unitaire, des conflits économiques.Le PSU brouille alors son image et perd peu à peu son influence en refusant ou ne sachant pas donner une traduction politique à la radicalisation qui commence à se manifester dans les luttes partielles.

Au niveau syndical, le 10 janvier 1966, pour répondre à la pression ouvrière du « tous ensemble » et y trouver une solution électorale en cherchant une nouvelle et future union de la gauche derrière Mitterrand, la direction de la CGT et celle de la CFTC devenue CFDT en 1964, concluaient un pacte d’unité.

Cette « unité » est comprise par les salariés, comme une concession au « tous ensemble », voire un encouragement ; un espoir renaît et a comme résultat immédiat une augmentation de la participation aux journées d’action nationales. Bien sûr, les directions syndicales s’appuient sur cet accord « unitaire », pour donner un nouvel élan à la relance des grèves tournantes, partielles, émiettées, mais cette fois-ci au nom de « l’unité ” syndicale, du « tous ensemble syndical ».

Cependant cette compréhension différente de l’unité et ces succession de grèves tournantes aggravent les tensions insupportables entre la classe ouvrière, les militants et les appareils. On entend des craquements, la contestation s’étend au sein des syndicats.

Alors pour tenter de donner satisfaction à la « base” et aux militants sans changer de politique, l’appareil dirigeant de la CGT appelle à une nouvelle journée nationale de grève le 17 mai 1966.

Témoignant une fois encore de la volonté des travailleurs à combattre tous ensemble, le 17 mai 1966 est une des plus puissantes journées d’action qui ait lieu depuis longtemps.

Pourtant il n’y eut là non plus pas de suite.

L’unité syndicale fonctionne comme un éteignoir. Puis, toujours sous la pression, la CGT et la CFDT appellent à une nouvelle « grève d’ampleur nationale” le 1er février 1967, toujours bien suivie. Mais ils n’envisagent aucune suite avant le 5 mars… pour ne pas perturber les élections législatives du moment.

Les luttes viennent troubler le bon déroulement des élections et font franchir une étape de plus à la conscience ouvrière

Pourtant, la « paix sociale” de cette période électorale est fortement troublée.

C’est une nouvelle étape de la prise de conscience ouvrière qui conduira à la possibilité de mai 68 : la lutte passe avant les élections.

La paix électorale est d’abord remise en cause par les travailleurs des usines Dassault de Bordeaux autour d’une exigence d’augmentation de salaires. Au fur et à mesure que la grève continue et que la campagne électorale avance, la direction de Dassault fait des concessions pour tenter de ne pas perturber les élections ; jusqu’à ce que le 28 février, 5 jours avant le premier tour des élections, elle cède.

D’autres grèves importantes sur le même modèle se déroulent pendant cette période électorale, ne respectant pas le jeu institutionnel électoral dans lequel les partis et les syndicats voudraient entraîner les travailleurs.

A la Rhodiaceta de Besançon, les ouvriers entrent en grève en février 1967 et occupent leur usine, ce qui est nouveau. Les étudiants soutiennent. Ceux de Lyon-Vaise suivent le 28 février puis les filiales. Mais les appareils syndicaux font silence et isolent le mouvement pendant la campagne électorale. Ce sera seulement le 15 mars, trois jours après le second tour des élections, que les fédérations de la chimie appelleront à des débrayages limités et fractionnés dans les autres usines du groupe. Après vingt-trois jours de grève, les travailleurs de Rhodiaceta reprennent le travail avec 3,80% d’augmentation, accord conclu au niveau national entre le trust Rhône-Poulenc et les responsables syndicaux, sous l’arbitrage du gouvernement. Cependant l’imaginaire « politico-social » des franges avancées du prolétariat est habité par cette lutte et par l’expression cinématographique au titre prophétique « A bientôt j’espère » que lui donne Chris Marker et beaucoup vont voir à la télé en mars 1968 (la notoriété aujourd’hui de « Merci patron » avant même sa sortie fait évidemment penser à ce moment et à la communauté d’aspiration de ces moments).

Puis ce sont les travailleurs de Berliet qui entrent en grève. Ils restent aussi isolés. Les directions syndicales ne faisant rien pour briser l’isolement. Les CRS occupent l’usine : les travailleurs reprennent sans avoir obtenu satisfaction.

Après des semaines de grève, il en ira de même pour les mensuels des chantiers de Saint-Nazaire où la solidarité de la population va pourtant plus loin qu’elle n’a jamais été (comme aujourd’hui pour les conflits à la Poste, les hôpitaux, l’Education Nationale, les territoriaux…ce qui est significatif), ou également pour les mineurs de l’Est qui occupent le carreau des mines.

Mais tous ces conflits – pourtant sans succès – en période électorale, préparent de fait le terrain pour la grève générale : la détermination, le radicalisme des ouvriers et la solidarité de la population qui apparaissent dans ces luttes, en même temps que leur isolement et la tactique syndicale qui ne fait rien pour briser cet isolement, fonctionnent pour tous comme un miroir de l’évolution générale des esprits dans le pays et de ce qu’il faudrait faire pour gagner : « A bientôt j’espère » se dit-on au plus profond de soi…

Le gouvernement se fait octroyer les « pouvoirs spéciaux » en 1967… ce qui est la dernière goutte qui fait déborder le verre de mai 1968

Du côté gouvernemental, l’échéance de l’ouverture totale du Marché commun en 1968 exige une nouvelle accélération des rythmes des contre-réformes.

Le 13 mai 1967, le gouvernement obtient l’autorisation de régler par décrets l’ensemble des problèmes économiques et sociaux.

Le 17 mai 1967 , contre cela, les centrales syndicales appellent à une nouvelle journée nationale de grève – ouvertement politique donc-. La grève sera massive et la manifestation ce jour-là imposante.

Mais une nouvelle fois, contre le sentiment général, les appareils CGT et CFDT, unis, tentent de relancer les grèves tournantes et organisent une suite… pour la seule métallurgie, le 31 mai dans une journée « d’actions multiples ”.

Cette « déculottade » permet cette fois au gouvernement d’obtenir les pouvoirs spéciaux et il édicte ses ordonnances au cours de l’été 1967.

A la rentrée, c’est la mise en application de la réforme de l’enseignement, dite Fouchet, qui vise à éliminer 300 000 étudiants.

L’offensive anti-ouvrière et contre la jeunesse s’accentue au cours des derniers mois de l’année 1967 et des premiers mois de 1968.

Mais la jeunesse et des travailleurs ne reculent pas : au contraire, en même temps que la répression, leurs luttes se multiplient tout autant.

Les luttes passent alternativement des ouvriers aux paysans, puis aux étudiants, puis à nouveau aux ouvriers dans un va et vient permanent.

De violentes batailles rangées opposent le 4 octobre 1967 à Limoges et au Mans paysans et CRS. A nouveau au Mans, le 10 octobre, de violents affrontements opposent cette fois-ci CRS et travailleurs, qui pour leur part ont repris des méthodes de luttes des paysans (ce qu’on retrouve aujourd’hui dans les derniers conflits ouvriers de cette mi-février avec par exemple les blocages des ouvriers d’ADF à l’étang de Berre). A Mulhouse, les travailleurs attaquent la préfecture. En janvier 1968, ce sont des affrontements violents à Caen et à Redon. En février, mars et avril, des grèves se multiplient dans la métallurgie, les banques, Air Inter, les compagnies de navigation… Les manifestations prennent parfois une dimension départementale ou régionale.

A l’université, depuis la rentrée de l’automne 1967, l’agitation se développe contre le plan Fouchet. Le 9 novembre, un meeting de 5 000 étudiants se tient devant le siège de l’UNEF. Les militants révolutionnaires proposent comme objectif la Sorbonne. Des heurts opposent les étudiants et les forces de l’ordre.

Une fois encore, les appareils de la CGT et de la CFDT unis appellent à une « journée d’action ” le 13 décembre. C’est un échec.

La grande masse des travailleurs refuse d’y participer. Non qu’ils acceptent leur sort et renoncent ; tout au contraire, ils en ont assez. Ils veulent plus, un vrai « tous ensemble » pas tous ces faux-semblants, bref la grève générale.

Après la journée d’action du 13 décembre, les dirigeants veulent de nouveau déclencher des grèves tournantes, dans la métallurgie, dans le textile et dans toutes les corporations. Fin janvier, début février 1968, excédés des grèves tournantes et débrayages sans résultats, les ouvriers de la Saviem de Caen, votent  » la grève illimitée jusqu’à satisfaction des revendications ” (L’évolution actuelle des grèves est l’explosion de leur caractère « illimité », au moins en intention). La grève s’étend aux entreprises de la région. Les étudiants se joignent au mouvement et les syndicats appellent… à la reprise. Elle se fait le 5 février au matin… mais à 14 heures, sans consignes syndicales, les ouvriers quittent ensemble l’usine…

On connaît la suite.

Dés le mois de mars, l’agitation étudiante qui s’est construite en référence aux luttes anti-colonialistes, commence à prendre de l’ampleur. La répression policière et les arrestations sont appuyées à ce moment par « L’Humanité” (un peu le vote de l’état d’urgence de cette année) qui publie le fameux article de Marchais :  » De faux révolutionnaires à démasquer ”.

Ces arrestations entraînent spontanément plusieurs milliers d’étudiants à se rassembler et manifester aux cris de « Libérez nos camarades !  ” (on voit aussi aujourd’hui de nombreux rassemblements contre les menaces qui pèsent sur des militant syndicalistes, notamment Goodyear).

De nouvelles arrestations et des condamnations à des peines de prison ferme sont prononcées. La Sorbonne est fermée et occupée par les forces de police. L’UNEF et le SNESUP lancent l’ordre de grève générale des étudiants et des professeurs d’université. Ils adressent un appel aux travailleurs, leur demandant de manifester leur solidarité.

Le processus qui aboutira à la grève générale de vingt-quatre heures et à la manifestation du 13 mai est amorcé. Mais il n’aurait pu s’amorcer sans toute cette évolution des esprits auparavant.

L’appel des étudiants a cristallisé l’aspiration montante des travailleurs à engager le combat contre le gouvernement, contre de Gaulle, dont l’appareil syndical ne voulait pas et que le PSU n’avait pas voulu ou su représenter.

La grève générale va déferler.

La grève générale de mai-juin 1968 n’a donc pas éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Elle vient de loin.

Toutes les explosions qui l’ont précédées portaient le même sentiment, la même exigence, et avaient le caractère politique d’un mouvement national, profond, diffus qui se cherchait dans de multiples mouvements partiels. Comme aujourd’hui.

Elles annonçaient que quelque chose se préparait au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse : une explosion générale. Comme aujourd’hui.

Et ce phénomène n’était pas que français mais européen et mondial. Encore plus aujourd’hui .

Il nous reste à être les artisans conscients de cette prise de conscience pour qu’elle puisse aller jusqu’au bout de ce qu’elle porte.

Jacques Chastaing