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A Paris-VIII, "un Mai-68 bis serait pas mal"
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart) À l'université Paris-VIII, le syndicat Solidaires étudiant-e-s a organisé, six jours avant la manifestation du 9 mars, une réunion publique pour les étudiants désireux de s'informer sur le détail du projet de loi sur le travail. Si le texte demeure parfois obscur, des actions sont envisagées dès lundi.
cours magistral d'un genre particulier s'est déroulé, jeudi 3 mars, à l'université Paris-VIII, à Saint-Denis. Dans le bâtiment, des affiches annoncent la grève et ont été placardées çà et là. Elles annoncent la tenue d'une assemblée générale le 8 mars. Ce soir, en préambule à la mobilisation, une réunion publique a été organisée par le syndicat Solidaires étudiants pour expliquer aux étudiants le contenu du projet de loi de réforme du Code du travail. Le défi est ardu, la matière technique. Laurent Degousée, un syndicaliste de Sud commerce a été invité pour tenter d'en cerner les enjeux et cibler dans le pré-projet de 131 pages les points contestables et surtout expliquer leur impact sur les étudiants.
En quinze minutes, qu'il va largement dépasser, il est chargé de relever les points susceptibles de devenir le moteur d'une mobilisation. Lui-même sait que parler Code du travail à des étudiants ayant une vague idée du droit est une gageure : « Je n’ai pas la prétention de pouvoir résumer toutes les dispositions du projet de loi, je vais aller à l’essentiel. »
A la réunion publique de l'université Paris-VIII © FZ
Une démarche salutaire pour ceux qui comme Mathis, étudiant en licence de cinéma, 18 ans, sont désireux d'obtenir plus d'informations factuelles. Avant que l'exposé commence, le jeune homme a parcouru rapidement les brochures de décryptage disposées sur une table à l'entrée de la salle de cours. « Le projet de loi sur le Code du travail est la plus grande arnaque de toute l’histoire des avancées sociales », peut-on lire sur l’un des tracts. Un autre document propose « un retour aux textes pour mieux connaître la réforme ». Des tableaux thématiques reprenant les principaux points du texte sous forme d’avant/après ont aussi été conçus par le syndicat Solidaires étudiant-e-s.
Pour le moment, Mathis n'a qu'une vague idée du contenu du projet de loi. Il a essayé de lire quelques articles de presse, histoire de saisir l’enjeu « dans les grandes lignes », s'excuse-t-il. En revanche, l’étudiant n’a pas eu vent de la pétition au succès viral lancée sur Internet qui recueille à l'heure actuelle 970 000 signatures. Séduit par l’idée, ni une, ni deux, le jeune homme vérifie l'information sur son smartphone et la signe.
Il est sûr d'aller à l'assemblée générale mardi 8 mars et de manifester le lendemain à l'appel des organisations syndicales et politiques de la jeunesse (CGT Jeunes, Solidaires étudiant-e-s, Unef, UNL, Mouvement des jeunes socialistes, Jeunes communistes, NPA Jeune, Ensemble, etc.). Pour lui, ce texte est tout simplement une atteinte aux droits de ceux qui travaillent déjà. Celui qui a fait sa scolarité au Maroc, un pays où la jeunesse qu’il fréquentait, explique-t-il, ne nourrissait aucune curiosité pour la chose publique et n’avait pas de culture politique, est un peu déçu. Il s’attendait à ce que la jeunesse française soit plus offensive et se batte plus contre ce qu’il considère être des atteintes aux libertés. Il déplore « la dépolitisation des jeunes » et aurait aimé voir ses amis se mobiliser contre l'état d'urgence. « Tous me répondaient “ah oui mais tant que ça ne me touche pas”… »
Mathis est l'un des rares présents ce soir-là à ne pas être syndiqué. Sur les 65 personnes venues assister à cette réunion publique, seules une quinzaine n'appartiennent à aucune organisation.
De son côté, Laurent Degousée, le syndicaliste, fait de réels efforts pour rendre digeste le Code du travail. Il file la métaphore. Le projet de loi sur le travail fustigé est qualifié de« fusée à trois étages » : « On pensait qu’on avait tout vu sous Sarkozy mais en réalité Hollande est encore plus fâché avec la législation du travail. » Et de rappeler les lois Rebsamen et Macron. Pour résumer, dit-il, « la loi El Khomri est la loi Macron puissance dix. » Le syndicaliste revient sur la mission Badinter, qui a présenté 61 propositions destinées à réformer le droit du travail. Pour lui, l'ancien ministre a été choisi car il incarne « la caution morale et intellectuelle de gauche. Mais, dans cette mission, je vous rassure il n’y avait aucun avocat ou syndicat ».
Après ces quelques préalables, le syndicaliste entre dans les détails et frappe fort : « Le gouvernement considère que le Code du travail protège trop les salariés qui vont devoir travailler plus longtemps. Alors que cinq millions de chômeurs attendent de trouver un emploi, on se dit qu’on va faciliter les licenciements. » Pour expliquer de manière didactique le principe des conventions collectives, Laurent Degousée dessine sur le tableau blanc un schéma au feutre rouge avec des ronds et des flèches. Certains étudiants dans la salle le recopient sagement et prennent quelques notes. Pour maintenir l’attention, le syndicaliste interpelle la salle et pose des questions faciles sur la durée légale du travail. Quelques « 35h ! » timides fusent. Alors qu’il développe ce point, il ne peut s’empêcher de ponctuer son intervention de piques à l’égard du gouvernement socialiste.
Il explique que la réforme du Code du travail c’est Manuel Valls qui en parle le mieux, en référence à ce texte que le premier ministre a publié sur Facebook le 22 février : « Il n’y aura donc plus de règles s’appliquant à tous – et donc nécessairement rigides, dictées d'en haut, “depuis Paris”, comme si les salariés concernés ne savaient pas ce qui était bon pour eux. Les règles seront au contraire fixées par ceux les mieux à même de connaître les réalités de l’activité, les contraintes de leurs marchés, les attentes de leurs clients. » Et le syndicaliste de noter que ce sont les exigences des patrons qui seront prises en compte, et non pas celles des salariés.
À la fin de chaque démonstration, le prof d’un jour s’inquiète auprès de l’assistance : « Je suis clair pour le moment ? » et plus tard « Je ne vous saoule pas hein ? ». L’auditoire écoute, même si quelques étudiants quittent la salle au bout d’une heure. Mathis, l’étudiant en cinéma, trouve cela relativement clair, même s’il confesse ne pas comprendre toutes les subtilités évoquées par le syndicaliste.
Sur le temps de travail, cela donne ceci : « On va vers une nouvelle architecture du Code du travail. Le repos dominical est dans l’intérêt du travailleur depuis 1906. Depuis les années 1990, il existe des dérogations par branches. On peut travailler le soir, car on ne dit pas “nuit”. Le Code du travail va être livré à la négociation sur le temps de travail. Aujourd’hui, on ne peut pas bosser plus de dix heures par jour et pas plus de 48 heures par semaine, pas plus de 44 heures sur douze semaines consécutives avec 11 heures de coupure entre deux journées. Maintenant, ils veulent passer à 12 heures par jour par simple accord d’entreprise alors qu’avant, il fallait l’autorisation de l’inspection du travail. Si on laisse passer ça, on est foutus. »
Le volet licenciement du projet de loi est qualifié par Laurent Degousée « d’équivalent à la peine de mort car cela bousille la vie des gens ». Le syndicaliste aura veillé tout au long de sa démonstration à convoquer des exemples concrets : « Imaginez que vous n’arrivez plus à rembourser les traites de votre crédit pour votre maison, que votre compagne ou compagnon vous quitte… »
Après un ultime développement sur les indemnités prud’homales, le syndicaliste conclut. La salle est invitée à prendre la parole après cette leçon qui a duré plus de quarante-cinq minutes. La discussion se crispe autour du rôle des syndicats, accusés par un jeune homme de ne pas avoir porté la contestation lors de la loi Macron : « On n’a vu personne et c’est passé comme une lettre à la poste. » Laurent Degousée rétorque que l’urgence est « d’arrêter le bulldozer, il faut être pragmatique. On a eu 2006. Un Mai-68 bis serait pas mal… »
Une étudiante, affiliée à l’Unef, appelle à « être offensifs contre ce texte qui surexploite les précaires. Maintenant il faut qu’on arrive à attirer du monde là-dessus. » Un autre appelle à recentrer le débat et à sortir « des querelles de chapelle syndicales ». Il s’interroge très concrètement sur la mise en œuvre pratique de la contestation.
L’une des organisatrices du débat répond qu’il n’est pas question de voter en faveur d'un mode d'action aujourd’hui mais de comprendre l'essence de la réforme. Néanmoins, il est convenu de continuer la campagne de tractage aux abords et dans la fac, tout en poursuivant le collage d’affiche et la mobilisation virtuelle sur les réseaux sociaux. Un étudiant, venu de Paris-XIII, appelle pour sa part à « la convergence des luttes » à travers tous les établissements de Seine-Saint-Denis.
Au milieu de ces réflexions, surgit le témoignage de Sarah Louchet, étudiante en licence de sciences politiques, présidente de l’Unef à Paris-VIII qui partage son temps entre l’université et le fast-food où elle sert ailes de poulets et frites : « Je suis déjà super précaire. Et avec cette réforme, je vais encore plus galérer même avec un CDI. J’ai mon mot à dire. Il faut montrer qu’on est ensemble et se mobiliser. »
L’étudiante rappelle que Paris-VIII est l’une des universités qui compte énormément de jeunes salariés, lesquels occupent des emplois, déclarés ou non. « Le travail est souvent pénible. On ressent de la pression de tous les côtés. Les profs nous disent que si on travaille en parallèle on va rater notre année. Au travail, on doit louper des jours pour passer nos partiels et s’arranger sans cesse avec notre patron. » À quelques jours de la mobilisation, elle s'inquiète déjà de savoir si elle pourra s'échapper de son travail pour participer à la manifestation du 9 mars.