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300 Algériens passés par la guillotine entre 1956 et 1959
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Commentaire de JR sur le site Anti-K :
http://www.anti-k.org/2016/03/12/300-algeriens-passes-par-la-guillotine-entre-1956-et-1959/
Au moment où Hollande va commémorer la fin de la guerre coloniale menée par la France en Algérie, en imposant à son peuple un martyr, dont les traces perdurent, il est bon de rappeler quelques faits: 350/400 000 morts, dont 300 guillotinés. Précisons que c’est François Mitterrand, alors ministre de «la Justice» qui mit en branle la guillotine pour assassiner 38 algériens et c’est de Gaulle qui mit fin à ces horreurs. Les « socialauds » portent bien leur nom depuis un certain 4 août 1914… Que quelqu’un le dise à Mélenchon, idolâtre Mitterrandien. … Mais à la différence d’aujourd’hui, où un Valls affectionne les poses martiales pour parler de « guerre »; durant la guerre d’Algérie, les autorités de « gauche » comme de droite s’évertuaient à ne pas prononcer le mot « guerre » préférant parler des « événements » d’Algérie. D’où vient se renversement sémantique ?
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Le 19 juin 1956 à 4 heures du matin, le couperet de la guillotine, qui avait auparavant «refusé» par deux fois d'aller jusqu'au bout de la sale besogne qui lui avait été assignée, trancha la tête d'Ahmed Zahana dit Zabana, un des résistants Algériens pour l'indépendance, de la première heure et responsable du FLN-ALN de la zone Ouest d'Oran.
Cinq minutes plus tard, le temps de mettre le corps de Zabana dans la nacelle prévue à cet effet, un autre Algérien, déserteur de l'armée coloniale pour rejoindre le FLN-ALN(1), Abdelkader Ferradj, subit le même sort.
Cette double exécution ne répond nullement à une décision de justice – nul besoin de s'étaler sur la parodie de procès réservée aux militants nationalistes algériens –, mais c'est plutôt une abdication du gouvernement Guy Mollet devant la pression du lobby colonial et des pieds-noirs, qui voulaient coûte que coûte qu'il y ait passage d'Algériens à l'échafaud pour en faire un exemple à ceux qui auraient osé défier la France.
Cette sentence fut prononcée par François Mitterrand, alors ministre de «la Justice» du gouvernement français depuis 1955.
«L'Algérie, c'est la France [...] ceux qui veulent l'en dissocier seront partout combattus et châtiés»», avait-il annoncé.
Il ne tardera pas à «légaliser» cette sentence.
Le 17 mars 1956 sont publiées au Journal officiel français les lois 56-268 et 56-269, qui permettent de condamner à mort, sans instruction préalable, les membres du FLN pris les armes à la main.
François Mitterrand est l'un des quatre ministres à avoir signé ce texte:
«En Algérie, les autorités compétentes pourront [...] ordonner la traduction directe, sans instruction préalable, devant un tribunal permanent des forces armées des individus pris en flagrant délit de participation à une action contre les personnes ou les biens [...] si ces infractions sont susceptibles d'entraîner la peine capitale lorsqu'elles auront été commises.»
Pourquoi Zabana et Ferradj ?
Au 19 juin 1956, 150 Algériens étaient déjà condamnés à mort, pour avoir osé porter les armes pour le recouvrement de l'indépendance de leur pays, spoliée en 1830.
Pourquoi la justice mitterrandienne, cautionnée par Guy Mollet et Robert Lacoste, a-t-elle jeté son «dévolu» sur Zabana et Ferradj pour inaugurer la longue liste des 300 Algériens envoyés chez le bourreau ?
La raison est politique.
P.Nicolaï, directeur de cabinet de François Mitterrand à l'époque, le confirme :
«C'est une décision politique.» Il avait été chargé par Mitterrand de lui trouver les premiers condamnés à exécuter (1). Il avait l'embarras du choix. Voulant réprimer le plus tôt possible la Révolution du peuple algérien, la «justice» mitterrandienne avait, à la veille du 19 juin 1956, condamné 150 Algériens à mort.
Quelle rapidité !
Ce chiffre témoigne, on ne peut mieux, de la justice expéditive (2).
Les critères lui avaient été signifiés.
Il faut que le personnage candidat à l'échafaud doive être «crapule» et «politique».
Quel dosage ! Il prit tous les dossiers de recours en grâce rejetés par Mitterrand et choisit Zabana, car étant un militant politique et un «assassin», puisqu'il avait tué le garde-forestier Braun, près de la Mare d'eau (sud d'Oran).
Il prit le dossier de Ferradj une «crapule», car c'était un déserteur qui avait rejoint le FLN-ALN et pris part à des embuscades meurtrières.
Il ne restait à Mitterrand qu'à fixer la date. Ce sera le 19 juin.
Zabana portait une prothèse oculaire.
Son œil fut perdu quand il s'était tiré une balle dans la tête, le 8 novembre 1954, jour de son arrestation et du démantèlement de son groupe, à Ghar Boudjelida (grotte de la chauve-souris) près de l'ex-Saint-Lucien (actuelle Zahana).
De plus, il boitait de la jambe gauche du fait d'une blessure par balle.
Les demandes de grâce du muphti d'Alger de l'époque et de l'archevêque d'Alger Mgr Duval subirent une fin de non-recevoir de la part de Robert Lacoste, ne pouvant lui aussi mécontenter le lobby colonial assoiffé de sang, malgré l'escalade de violence que cette exécution pouvait engendrer (3).
Zabana a été exécuté en dépit du fait que le couperet se soit enrayé par deux fois à quelques centimètres de la nuque .
Ce qui signifie pour les juristes que la sentence a été exécutée.
Mais Zabana devait mourir ce jour-là,c’était son destin.
Ferradj n'a bénéficié d'aucune clémence, lui aussi.
Selon Me Benbraham, invitée d'une émission à la Télévision algérienne, le Ferradj avait flanché les derniers moments.
Malgré sa crise de démence, aucune clémence ne lui fut accordée et il marcha tel Zabana digne vers l'échafaud.
Malgré les représailles du FLN-ALN, qui avait averti que toute exécution à la guillotine sera suivie d'attentats, les gouvernements français firent fi de cette menace et poursuivirent l'envoi des moudjahidine algériens à la «Veuve».
Bilan macabre
François Mitterrand qui se fera le chantre de l'abolition de la peine de mort, à son arrivée à la présidence française en 1981, avait fait passer 38 Algériens par la guillotine.
Robert Lacoste, le libéral qui voulait pacifier l'Algérie par des réformes sociales, signa l'arrêt de mort de 27 Algériens.
La période la plus terrible vécue par ceux qui attendaient dans le sous-sol de Serkadji fut celle allant du 3 au 12 février 1957, en pleine Bataille d'Alger.
Douze moudjahidine furent passés par la guillotine.
La «justice» devait appuyer le travail des paras de Massu, venus redorer leur blason terni par la défaite de Diên Biên Phu, au détriment des Algériens.
Ils l'ont terni encore plus par leurs pratiques moyenâgeuses , en instituant la torture et les exécutions sommaires (la corvée de bois) (4).
En quittant son bureau au ministère de la «Justice», Mitterrand venait de faire de la peine de mort par la guillotine le destin de tout Algérien pris les armes à la main.
Les gouvernements ayant succédé à celui de Guy Mollet n'ont pas failli à la règle de conduite : 29 Algériens guillotinés en trois mois sous le gouvernement de Bourgès-Maunoury et 49 durant les six mois de Félix Gaillard.
Même l'arrivée du général de Gaulle au pouvoir ne fera pas arrêter la machine de la mort.
Elle continuera à fonctionner jusqu'en 1959.
Après son appel à «la paix des braves», le général, en signe de bonne volonté, décide de suspendre les exécutions et de les commuer en emprisonnement à perpétuité.
Les militaires qui «voulaient casser du fellagha» ne l'entendirent pas de cette oreille.
Ils continuèrent à exécuter les Algériens mais non pas avec la guillotine, mais en recourant aux pelotons d'exécution (5).
Cette cruauté et cet acharnement n'avaient en rien entamé la détermination des combattants pour l'indépendance.
Ils s'étaient tous avancés vers l'échafaud sereins, car ils savaient que leur sacrifice n'aurait pas été vain.
Ils étaient certains que leur mort signifiait la vie de l'Algérie indépendante.
Par Salim Rebahi
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http://www.lepoint.fr/politique/les-guillotines-de-mitterrand-31-08-2001-56908_20.php
Avis défavorable au recours » ou encore « Recours à rejeter » : ces deux formules tracées à l'encre bleue ont la préférence de François Mitterrand quand, garde des Sceaux, il décide de donner un avis défavorable au recours en grâce des condamnés à mort du FLN dont les dossiers lui sont soumis. René Coty, président de la République - et décideur ultime -, préfère barrer d'un long trait noir la première page du formulaire administratif et indiquer sur l'autre, d'une écriture ronde d'enfant, qu'il laissera « la justice suivre son cours ». Des expressions qui reviennent tout au long des dossiers de condamnés à mort exécutés durant la guerre d'Algérie que Le Point, au bout de quatre mois d'enquête, a pu consulter.
Pour y avoir accès, il aura fallu obtenir deux dérogations auprès de la direction des Archives de France. La première a permis de consulter le « Registre des grâces », dans lequel sont couchés, à partir de 1950, les noms de l'ensemble des condamnés à mort. La deuxième a ensuite donné accès à 141 dossiers de condamnés exécutés : les 45 premiers de la guerre d'Algérie - période durant laquelle François Mitterrand administrait la justice - et 96 autres, principalement à d'autres époques de ce conflit, mais aussi quelques droits communs, qui perdirent la tête en métropole ou aux confins de l'empire durant les mêmes années. Le but ? Comparer l'ensemble de ces documents et déterminer exactement quel fut le rôle de François Mitterrand, ministre de la Justice, celui qui, vingt-cinq ans plus tard, allait obtenir l'abolition de la peine de mort.
Mais le plus surprenant, c'est surtout la minceur de ces dossiers liés à la guerre d'Algérie : lorsqu'on les voit pour la première fois, entassés sur la longue table de bois clair du service des archives de la chancellerie, on constate rapidement qu'il faut empiler au moins une vingtaine d'exécutions capitales en Algérie pour obtenir un dossier aussi épais que celui d'un obscur droit commun de métropole. Quelques feuillets, deux ou trois bristols griffonnés de mains illustres ont donc suffi à mener, le plus souvent au terme d'une parodie de justice, 222 hommes à la mort en cinq ans. Ce chiffre - également inédit - est considérable. Il représente le quart de l'épuration officielle de la Seconde Guerre mondiale, et donne à lui seul la mesure du mensonge qui a entouré cette période.
Mais revenons à François Mitterrand : en Algérie, on est en pleine rébellion quand, à 39 ans, il prend ses fonctions de ministre de la Justice, le 2 février 1956, dans le gouvernement de Guy Mollet. C'est un homme politique confirmé, qui a déjà assumé sept portefeuilles ministériels depuis la fin de la guerre. Il connaît bien le problème algérien, puisqu'il était ministre de l'Intérieur quand l'insurrection a éclaté, quinze mois plus tôt, le 1er novembre 1954. Sa réaction d'alors est connue : « L'Algérie, c'est la France [...] ceux qui veulent l'en dissocier seront partout combattus et châtiés (1) », dira-t-il. Attention, derrière ces déclarations à l'emporte-pièce, il y a aussi un homme qui a tenté une courageuse réforme de la police en Algérie, visant à muter en métropole les policiers les plus durs envers les musulmans. Mais quand François Mitterrand revient aux affaires, il sait qu'il va falloir donner des gages aux Européens d'Algérie. Ceux-ci, excédés par les actions du FLN, ne demandent qu'une chose : des têtes. Car, si de nombreuses condamnations à mort ont été prononcées, aucune n'a encore été exécutée.
La première concession intervient cinq semaines plus tard, sous la signature de quatre ministres, dont François Mitterrand : le 17 mars 1956 sont publiées au Journal officiel les lois 56-268 et 56-269, qui permettent de condamner à mort les membres du FLN pris les armes à la main, sans instruction préalable. Pourtant avocat de formation, François Mitterrand accepte d'endosser ce texte terrible : « En Algérie, les autorités compétentes pourront [...] ordonner la traduction directe, sans instruction préalable, devant un tribunal permanent des forces armées des individus pris en flagrant délit de participation à une action contre les personnes ou les biens [...] si ces infractions sont susceptibles d'entraîner la peine capitale lorsqu'elles auront été commises. » Du coup, le nombre des condamnations à mort va s'envoler. Il y en aura plus de 1 500 durant les « événements ». Car il ne s'agit pas d'une guerre et on ne reconnaît pas le statut de combattant aux militants du FLN. Ils sont jugés comme des criminels. Mais, à Alger, en ce printemps de 1956, on ne se contente plus de mots. Et le 19 juin, les deux premiers « rebelles » sont conduits à l'échafaud.
Comment ont-ils été choisis parmi les quelque 150 hommes déjà condamnés ? Le 14 janvier 1998, Sylvie Thénault, historienne, a interrogé dans le cadre de sa thèse (2) Pierre NicolaÓ, à l'époque directeur du cabinet de François Mitterrand : « Pierre NicolaÓ témoigne aujourd'hui, écrit-elle, que la décision d'exécuter a été une "décision politique" et qu'il lui fut demandé de choisir parmi les dossiers de recours en grâce un "type" mêlant "crapulerie" et "politique", "un type particulièrement épouvantable" pour "inaugurer la série des exécutions" sans déclencher trop de polémiques. » Le premier condamné, Abdelkader Ferradj, 35 ans, est un goumier déserteur qui a participé, au sein du commando Ali Khodja, à l'embuscade dressée contre un car de tourisme et deux voitures particulières le 25 février 1956. Six Européens ont été tués, dont une petite fille de 7 ans, Françoise Challe. Pour le « politique », difficile de fournir martyr plus idéal à la révolution algérienne que Mohamed Ben Zabana. Cet ouvrier soudeur de 30 ans est un vieux routier des geôles françaises, dans lesquelles il a passé trois années entre 1950 et 1953 pour ses activités nationalistes. Mais si Mgr Duval, l'archevêque d'Alger, demande à Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, de suspendre l'exécution, c'est pour une autre raison : « C'est un infirme que vous allez exécuter (3) », plaide-t-il. Zabana a en effet été capturé lors d'un accrochage près de Saint-Denis du Sig, le 8 novembre 1954, une semaine après le début de l'insurrection. Une balle lui a fracassé l'épaule gauche, une autre l'a touché à la jambe, et, comme il ne voulait pas être pris, il s'est tiré une balle dans la tempe qui, ressortant par son oeil gauche, ne l'a pas tué.
Les représailles du FLN
C'est sa tête que fera tomber la première le bourreau d'Alger à 4 heures du matin, ce 19 juin 1956, dans la cour de la prison de Barberousse, à Alger. Celle d'Abdelkader Ferradj suit sept minutes plus tard. « Ces premières exécutions, cela signifiait la guerre totale, sans cadeaux ni d'un côté, ni de l'autre », témoigne aujourd'hui, à Alger, Abdelkader Guerroudj, condamné à mort en tant que chef du Parti communiste algérien, rapidement passé au FLN (voir entretien page 29). Sur 45 dossiers d'exécutés lors de son passage Place Vendôme, François Mitterrand ne donne que sept avis favorables à la grâce (six autres avis étant manquants). A titre de comparaison, Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, qui passait pour un homme très dur, a été plus clément : sur 27 de ces exécutions, il a émis 11 avis favorables au recours en grâce, les 7 autres avis ne figurant pas dans les dossiers.
Chacune de ces exécutions va pourtant peser très lourd. Car le FLN a prévenu : si des condamnés à mort sont guillotinés, il y aura des représailles. Dans « Le temps des léopards », deuxième des quatre tomes qui constituent « La guerre d'Algérie », bible sur cette période, Yves Courrière retrace ainsi la vengeance du FLN et les ordres donnés à ses différents chefs : « Descendez n'importe quel Européen de 18 à 54 ans ; pas de femmes, pas de vieux. » En dix jours, 43 Européens vont être tués ou blessés par les commandos du FLN. L'escalade est immédiate : bombes des ultras européens contre un bain maure rue de Thèbes qui tuera 70 musulmans (mais qui ne donnera lieu à aucune poursuite), bombes et assassinats du FLN, exécutions capitales à Oran, Constantine, Alger.
1957 : la guillotine s'emballe
Mais François Mitterrand tient bon. Pourtant, dès le 22 mai 1956, Pierre Mendès France, en désaccord avec la politique algérienne de Guy Mollet, a démissionné du gouvernement ; Alain Savary claque la porte le 22 octobre, au lendemain du détournement de l'avion qui transporte Ben Bella et quatre autres leaders du FLN de Rabat à Tunis. Le 7 janvier 1957, un autre pas est franchi par le gouvernement auquel appartient François Mitterrand : il donne tous pouvoirs au général Massu et à sa 10e division parachutiste pour briser le FLN d'Alger. Les militaires gagneront la « bataille d'Alger », mais on sait à quel prix : torture systématique et plus de 3 000 exécutions sommaires. La guillotine, elle, s'emballe : « Chiffre jamais atteint jusqu'ici, 16 exécutions capitales ont eu lieu en Algérie du 3 au 12 février », écrit France-Observateur. « Il y a eu une déviation de la justice, explique Jean-Pierre Gonon, alors jeune avocat du barreau d'Alger. L'instruction était inexistante et, avec la torture, on parvenait à faire avouer n'importe quoi à n'importe qui. » Le 11 février, pour la première fois, un « rebelle » européen est guillotiné : Fernand Iveton, tourneur à l'EGA, l'usine de gaz d'Alger, militant communiste condamné à mort pour avoir déposé une bombe qui n'a pas explosé, est exécuté avec deux autres condamnés, Mohamed Lakhnèche et Mohamed Ouenouri. On ne connaîtra pas l'avis donné par François Mitterrand, le dossier n'ayant jamais été versé aux archives... Enfin, le 14 février, il signe avec trois autres ministres une loi qui permet d'accélérer les recours en grâce. Quand il quitte son bureau de la place Vendôme, le 21 mai 1957, le gouvernement de Guy Mollet cédant la place à celui de Maurice Bourgès-Maunoury, 45 condamnés à mort ont été exécutés en seize mois.
Les exécutions vont continuer jusqu'à la fin de la guerre : 29 en trois mois de gouvernement Maurice Bourgès-Maunoury, 49 pendant les six mois où Félix Gaillard dirige le pays ; enfin, après une amnistie, de Gaulle puis son chef de gouvernement, Michel Debré, feront exécuter 80 condamnés FLN en quatre ans. La notification de l'exécution de 20 autres se produira durant les vacances de pouvoir entre les différents gouvernements. Pourquoi François Mitterrand n'a-t-il pas démissionné ? Ses biographes, Franz-Olivier Giesbert et Jean Lacouture, apportent la réponse : « Il est clair que dans son esprit la Place Vendôme était l'antichambre de Matignon. » Il espérait, après ce passage à la Justice, avoir été assez dur pour qu'on lui confie la direction du pays.
De cette période en tout cas, François Mitterrand parlait fort peu : « A la fin de sa vie, il restait peu disposé à l'autocritique, écrit Jean Lacouture. Sauf sur un point : cette reddition en rase campagne devant les juges militaires en Algérie. Admettant que cette mesure avait eu pour conséquences des peines capitales et des pertes de vies humaines : "J'ai commis au moins une faute dans ma vie, celle-là (4)" », disait-il. Ses biographes insistent pour dire qu'il tenta, auprès de René Coty, de sauver des têtes. Initiative qui semble démentie par les nombreux avis défavorables contenus dans les dossiers de condamnés à mort, mais également dans d'autres archives, comme le souligne Sylvie Thénault dans son livre « Une drôle de justice (5) », consacré au rôle des magistrats pendant cette guerre : « Son désaccord avec les exécutions est loin de s'exprimer ou d'apparaître dans les documents d'époque. »
Sur la peine de mort elle-même, François Mitterrand restera aussi très silencieux durant les années qui le séparent de la présidence. Peur que ces seize mois passés dans le gouvernement de Guy Mollet ne lui soient rappelés par ses adversaires politiques ? Rien, en tout cas, dans ses livres, ni aux archives de l'Assemblée nationale, où, après la fin de la guerre, une demi-douzaine de propositions d'abolition seront discutées. Robert Badinter, dans plusieurs interviews récentes, a rappelé le souvenir qu'avait laissé cette période de la guerre d'Algérie à François Mitterrand : « Ce souvenir lui était odieux et il évitait d'en parler [...] Par tempérament, il n'était pas partisan de la peine de mort. [...] Mais il n'a pas été un militant de l'abolition, c'est sûr. Je ne me souviens pas d'avoir eu la moindre discussion philosophique ou morale avec lui à ce sujet (6). » Ce n'est qu'à quelques semaines de l'élection présidentielle, le 16 mars 1981, que François Mitterrand se prononce enfin sur le sujet : « Je ne suis pas favorable à la peine de mort [...] ma disposition est celle d'un homme qui ne ferait pas procéder à des exécutions capitales (7). »
1. Journal officiel, « Débats parlementaires », p. 4967-4968, cité dans « Mitterrand, une histoire de Français », de Jean Lacouture, Seuil.
2. « La justice dans la guerre d'Algérie », thèse de doctorat université Paris-X-Nanterre, 1999.
3. « La guerre d'Algérie », volume 1, « Le temps des léopards », d'Yves Courrière, collection « Bouquins », Laffont, p. 705.
4. « Mitterrand, une histoire de Français », Seuil.
5. La Découverte, 2001.
6. « L'abolition », Robert Badinter, Fayard, 2001.
7. Le Monde, 12 mai 1981.
Interview : Abdelkader Guerroudj* « A chaque exécution, toute la casbah hurlait. »
Le 7 décembre 1957, Abdelkader Guerroudj, dit « Lucien », et sa femme, Jacqueline, sont condamnés à mort. Ils seront graciés, puis libérés en 1962. Le Point : Pourquoi avez-vous été condamné à mort ?
Abdelkader Guerroudj : J'ai été condamné pour atteinte à la sécurité de l'Etat et complicité d'assassinat en tant que chef des Combattants de la libération, l'organisme armé créé par le Parti communiste algérien et versé au FLN.
Le Point : Avez-vous été torturé ?
Abdelkader Guerroudj : C'est une question que vous ne devez plus poser. On ne peut pas avoir été condamné à mort sans avoir été torturé. Et parfois copieusement. Je ne connais qu'une personne qui y ait échappé, c'est ma femme. Mais elle était d'origine européenne et d'une famille influente. Après mon arrestation, j'ai été emmené au commissariat central d'Alger, où j'ai subi de la part des policiers et des gendarmes la gamme des différentes tortures : ça commence par les coups, puis il y a la tentative d'asphyxie à la baignoire, ensuite on vous remplit d'eau en se branchant sur le robinet du coin, et puis l'électricité. Trois ou quatre séances, je crois, en plusieurs jours. Ensuite, on m'a envoyé à la prison de Barberousse, où je suis resté vingt jours à l'isolement avant d'être présenté au juge d'instruction.
Le Point : Ce juge, Jean Bérard, est le fameux juge d'instruction dont le général Aussaresses prétend dans son livre qu'il était l'émissaire secret de François Mitterrand auprès des militaires ?
Abdelkader Guerroudj : C'est bien lui. Je me souviens d'un homme féroce, froid, très dur. Il doit être celui des juges qui, pendant cette période, a obtenu le plus d'exécutions capitales. Il m'a dit : « En avril, vous serez condamné à mort; en mai, vous serez exécuté. »
Le Point : Comment s'est déroulé votre procès ?
Abdelkader Guerroudj : Il a duré quatre jours, au tribunal militaire, l'actuel tribunal d'Alger. Nous étions dix, dont ma femme, ma belle-fille ayant pris le maquis au début de 1956. Ça a été une parodie. J'ai fait une déclaration, expliqué pourquoi nous, Algériens, nous voulions l'indépendance et j'ai revendiqué l'action de mes groupes. Et puis la sentence est tombée.
Le Point : Que ressent-on ?
Abdelkader Guerroudj : Je savais que je serais condamné à mort. Mais on imagine plus facilement qu'on va mourir au combat qu'au petit matin, la tête coupée, dans une cour de prison.
Le Point : Pensiez-vous que vous seriez exécuté ?
Abdelkader Guerroudj : J'en étais certain. Parce qu'à cette période les exécutions capitales étaient nombreuses. Parfois jusqu'à quatre dans la même journée. Pour moi, cela ne faisait aucun doute.
Le Point : Vous souvenez-vous des premières exécutions capitales de la guerre d'Algérie ?
Abdelkader Guerroudj : Bien sûr. Elles avaient créé une émotion immense. Barberousse, la prison d'Alger, est située en haut de la casbah. Tous les habitants vivaient cela dans leur chair. Immédiatement après, les femmes avaient hurlé, fait le youyou pendant que les 2 000 prisonniers tapaient les murs avec leurs gamelles, leurs cuillères. Tout le monde comprenait aussi que nous étions, cette fois, installés dans la guerre totale. Sans cadeaux, ni d'un côté, ni de l'autre.
Le Point : Quelle fut la première exécution à laquelle vous avez assisté ?
Abdelkader Guerroudj : C'était Fernand Iveton, le seul Européen à avoir été guillotiné. Son histoire a fait beaucoup de bruit à l'époque. C'était un camarade, un militant communiste. Il avait déposé une bombe dans son casier de vestiaire de l'usine de gaz d'Alger, où on l'a découverte. Je me souviens seulement des bruits, car j'étais en cellule, donc je ne peux pas dire que j'y ai assisté. Je n'ai rien vu, mais tout entendu. C'était en pleine nuit. Il y a eu un branle-bas de combat terrible vers 4 heures du matin. Immédiatement, les détenus se sont mis à crier quand ils ont compris que la guillotine venait d'entrer dans la prison.
Le Point : Qu'avez-vous ressenti ?
Abdelkader Guerroudj : Une grande haine. Pas contre la France ou les Français, non. Mais contre le système.
Le Point : Avez-vous vu des amis partir pour la guillotine ?
Abdelkader Guerroudj : Oui, mon meilleur ami, Taleb Abderrahmane. Il avait été condamné à mort trois fois. Quand on est venu le chercher, mon compagnon de cellule m'a dit de me préparer, car il pensait que je serais le suivant.
Le Point : Qui étaient ces hommes qu'on exécutait ?
Abdelkader Guerroudj : Ce n'était pas les chefs. L'Histoire nous a enseigné que le système colonial n'exécutait pas les responsables politiques après jugement. On préférait, comme pour Ben M'Hidi, s'en débarrasser avant en les assassinant. Dans la réalité, ce sont surtout des pauvres bougres qu'on a guillotinés. Pour l'exemple, pour faire peur (Propos recueillis par F. M.)
* Ancien chef de la branche armée du Parti communiste algérien