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Podemos, courant sous tensions

Espagne

Lien publiée le 14 mars 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

(Libération) Le parti de gauche a exclu tout compromis avec les socialistes. Une stratégie qui n’est pas du goût de tous les militants, reprochant aussi au mouvement d’être trop centralisé.

Démission de neuf membres de l’antenne madrilène, mutinerie dans la plupart des groupes régionaux affiliés - du Pays basque à la Galice - fortes dissensions au sein même de la direction nationale, remise en question du leadership de Pablo Iglesias… Podemos, cette formation qui a bouleversé l’échiquier politique espagnol au cours des deux dernières années et qui a fait une entrée fracassante au Parlement avec 69 députés à l’issue des législatives du 20 décembre, connaît une crise qui met en danger son irrésistible ascension. Une forte désaffection populaire apparaît, alors même que ce mouvement, apparu dans le sillage des Indignés du 15 mai 2011, s’est précisément construit sur le ras-le-bol de la «vieille classe politique». Témoin de cette impopularité, qui commence à rogner son électorat, un sondage publié dimanche par l’institut Metroscopia selon lequel, en cas de nouvelles élections aujourd’hui, le «parti violet» n’obtiendrait que 16,8 % des suffrages, contre 22 % lors du scrutin du mois de décembre. Troisième force politique qui collait de près le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), Podemos descendrait derrière Ciudadanos, une autre formation récente, des centristes libéraux qui, de leur côté, ont le vent en poupe.

Stratégie de confrontation

Lancé en janvier 2014, en haut de l’affiche depuis son très bon score aux élections européennes cinq mois plus tard avec 8 % des voix et cinq députés, Podemos, ce parti embryonnaire vivant dans l’effervescence permanente, est déjà l’objet de profondes déchirures internes. La division la plus grave oppose son leader charismatique, le politologue à la queue-de-cheval Pablo Iglesias, et son numéro 2, Iñigo Errejón, chef de la campagne électorale. Politologue lui aussi, issu de la même université (la Complutense, à Madrid), ce dernier se montre davantage conciliant et modéré. Or, depuis que les dirigeants espagnols tentent - en vain pour l’instant - de former un gouvernement depuis des législatives ultra disputées qui ont donné un Parlement éclaté entre quatre forces, Pablo Iglesias a fait montre d’une sévère intransigeance, voire d’une notoire agressivité à l’égard de possibles alliés. Or, du bon vouloir de Podemos dépend la solution à l’actuelle impasse institutionnelle : le fringuant socialiste Pedro Sánchez, chargé de former une majorité, refuse de s’allier avec le conservateur et chef du gouvernement sortant, Mariano Rajoy, incarnation de la «vieille politique» et éclaboussé par une série de scandales de corruption - le premier sujet de préoccupation des Espagnols, selon les derniers sondages, devant le chômage et la mauvaise situation économique. Pedro Sánchez, qui s’est trouvé pour allié un troisième jeune dirigeant, Albert Rivera (leader de Ciudadanos), a absolument besoin du soutien - ou, au pire, de l’abstention - de Podemos, afin d’obtenir son investiture au Parlement. Or, Pablo Iglesias lui a plusieurs fois claqué la porte au nez et opposé un no cinglant, lorsqu’il ne lui a pas lancé une offre difficilement acceptable en vertu de laquelle Podemos entrait avec fracas dans un gouvernement socialiste, en s’arrogeant la vice-présidence, le ministère de l’Intérieur - et donc le contrôle des services secrets -, ainsi qu’une demi-douzaine de portefeuilles clés. Une offre agrémentée de l’exigence d’un référendum d’autodétermination en Catalogne, une requête impensable pour les socialistes. «La stratégie d’Iglesias est limpide, dit le politologue Antonio Elorza. Il entend réaliser le sorpasso [le dépassement, ndlr] comme en Grèce, ringardiser le Parti socialiste et, à la faveur de nouvelles élections fin juin, devenir la principale référence de la gauche espagnole.» Sauf que cette stratégie de confrontation provoque des remous au sein de la jeune formation. Iñigo Errejón, le numéro 2 est, lui, partisan d’une «entente constructive avec les socialistes», dans le but, comme au Portugal depuis novembre 2015, «de constituer une grande coalition progressiste» qui mettrait fin «à la politique d’austérité et aux coupes budgétaires assassines de la droite».

Faiblesse intrinsèque

A cette divergence conjoncturelle s’ajoute un désaccord de fond : au sein de cette formation qui s’est construite sur des mouvements travaillés par une idéologie libertaire et le «système horizontal des assemblées»,beaucoup se disent ouvertement en désaccord avec la dérive centraliste et verticale voulue par le chef de file, Pablo Iglesias. «Le diktat et les consignes venant de Madrid ne sont pas du tout du goût de la plupart des représentants régionaux, pour qui Podemos doit pratiquer la démocratie participative, par le bas, souligne le chroniqueur Jesús Maraña. C’est ce qui explique toutes les révoltes internes.» En Galice, à la Rioja ou au Pays basque, les désertions sont telles que les fragiles antennes sont en décomposition, dans l’attente de nouvelles nominations ; à Madrid, le secrétaire d’organisation Luis Alegre, un des fidèles d’Iglesias, a pris le contrôle du groupe de la capitale. Au siège national de la Plaza de España (place d’Espagne), à Madrid, Iñigo Errejón a lancé vendredi un mot d’ordre de ralliement, voyant que le navire prend l’eau : «A Podemos, nous n’avons pas peur des débats d’idées et des dissensions. Mais, au grand dam de nos ennemis qui cherchent à nous diviser, qu’il soit clair qu’il n’y a qu’un seul et unique parti !»

Une formation déjà en voie de décadence, comme le voudraient des quotidiens conservateurs comme La Razón ou ABC ? «C’est très loin d’être le cas, analyse Iñaki Gabilondo, journaliste vedette de la chaîne Cuatro. Podemos est un parti qui a grandi très vite, trop vite, et qui connaît une crise de croissance, c’est tout.» Un éditorial d’El Mundo ne dit pas autre chose : «En moins de deux ans, Podemos est passée d’un collectif émergent à une des principales formations du pays, occupant le trou laissé par le Parti communiste et tutoyant des socialistes moribonds. Le passage de l’utopie adolescente de "l’assaut du ciel" [l’un de leitmotivs du parti] à l’âge adulte de la realpolitik provoque des fissures et des doutes existentiels sur la marche à suivre.» Pour nombre d’observateurs, toutefois, Podemos n’est pas un phénomène temporaire.«C’est un parti de gauche radicale, aux tendances populistes, qui a imposé une dichotomie nouvelle, ceux d’en bas contre ceux d’en haut,note le sociologue Josep Ramoneda. C’est leur grande force.» Les intéressés en sont très conscients : vendredi, pour faire face à l’actuelle crise du parti, la porte-parole adjointe, Irene Montero, lançait : «Nos sommes la voix des petits, de ceux qui souffrent, le poil à gratter des élites et de la caste.»

Podemos pâtit cependant d’une faiblesse intrinsèque à laquelle le mouvement a du mal à faire face : partisan d’une «Espagne plurinationale et pluri-identitaire», Podemos souffre précisément de ses forces centripètes. Aux élections législatives du 20 décembre, sa candidature était une confluence de forces politiques, dont des mouvements citoyens (Ahora en común, «Maintenant en commun») qui, aux municipales de juin 2015, ont raflé - certes avec l’aide de Podemos - les municipalités de Madrid, Barcelone, Cadix et La Corogne. Or, ces forces sont jalouses de leurs propres prérogatives et de leur autonomie.

A Valence ou en Catalogne, par exemple, où les résultats de Podemos ont été excellents, celles-ci souhaitent acquérir une pleine souveraineté et former un groupe politique propre. Une très mauvaise idée pour Pablo Iglesias en cas d’élections le 26 juin (scénario le plus vraisemblable) : Podemos perdrait une partie non négligeable de son électorat. «Il est très difficile de maintenir la cohésion lorsque, plus qu’un parti, vous êtes une holding de groupes aux bases territoriales distinctes, aux intérêts souvent divergents, et peu disposés à obéir à un commandant en chef à Madrid, éditorialise El País. S’il veut maintenir sa force de frappe, Podemos serait bien inspiré de se montrer plus humble, conciliant et fédérateur.»