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Les djihadistes gagnants à un contre cent dans le Sinaï

Lien publiée le 21 mars 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

http://filiu.blog.lemonde.fr/2016/03/20/les-djihadistes-gagnants-a-un-contre-cent-dans-le-sinai/#xtor=RSS-3208

Les autorités égyptiennes ont reconnu la mort, le 19 mars 2016, de treize policiers dans l’attaque-suicide d’une de leurs positions dans le nord du Sinaï. Il est possible que le bilan pour les forces de sécurité soit encore plus lourd, puisque aucun journaliste n’a accès à cette zone militaire, frontalière de la bande de Gaza et du territoire israélien. En outre, la justice égyptienne punit désormais sévèrement toute personne qui diffuserait un bilan plus élevé que celui diffusé officiellement.

Cela fait donc cinq ans que des dizaines de milliers de militaires et de policiers égyptiens se révèlent incapables de contenir, sans même espérer la mettre en échec, une insurrection djihadiste forte initialement de quelques centaines de personnes. Ce fiasco est d’autant plus retentissant que l’armée égyptienne continue de recevoir une aide annuelle d’un milliard trois cents millions de dollars des Etats-Unis, qu’elle bénéficie de contrats d’équipement conséquents, conclus entre autres avec la France et la Russie, et qu’elle profite d’une coopération opérationnelle étroite avec Israël, notamment dans le Sinaï.

Le coup d’Etat du général Abdelfattah Sissi, qui a renversé en juillet 2013 le seul président démocratiquement élu de l’histoire de l’Egypte, l’islamiste Mohammed Morsi, loin d’endiguer la violence djihadiste, a permis à celle-ci de se projeter hors du Sinaï jusqu’au Caire et dans la vallée du Nil. Sissi, promu ensuite maréchal, avant d’abandonner ses titres militaires lors de son accession à la présidence, en mai 2014, accuse l’ensemble de ses opposants de « terrorisme », qu’ils soient Frères musulmans, laïcs ou nationalistes.

L’escalade de la répression sous le régime Sissi a, en Egypte comme partout ailleurs dans le monde arabe, nourri une poussée aux extrêmes djihadistes. Mais, à la différence du régime Assad, dont les jeux troubles ont =directement= alimenté la montée en puissance de Daech, c’est l’inefficacité crasse de l’armée égyptienne qui est =indirectement= responsable de la consolidation d’une sérieuse menace djihadiste dans le Sinaï.

Cette péninsule largement désertique ne compte en effet que six cents mille habitants, dont les deux tiers sont des Bédouins rattachés à une quinzaine de tribus (le tiers restant se répartit entre « Egyptiens de la vallée du Nil » et Palestiniens). C’est le ressentiment de cette population bédouine à l’encontre d’une armée égyptienne perçue comme une troupe d’occupation qui a favorisé le développement à partir de 2011 des Partisans de Jérusalem (Ansar Beit-Maqdis)

Ce groupe djihadiste, lié à la contrebande d’armes avec Gaza, est très présent dans l’oasis de Sheikh Zuwayd, située entre Al-Arich et Rafah. L’extrême brutalité de la répression égyptienne, et surtout les châtiments collectifs qui l’ont accompagnée, n’ont fait qu’élargir la base de cette guérilla fondamentalement bédouine et locale. Ce reportage de CBS, réalisé en décembre 2013, parle bel et bien d’une politique de la « terre brûlée » du régime Sissi au Sinaï.

Les Partisans de Jérusalem mènent, le 24 octobre 2014, une des plus sanglantes de leurs opérations, avec trente membres des forces de sécurité tués et au moins un char M60 détruit. Deux semaines plus tard, les djihadistes égyptiens prêtent allégeance à Daech, le bien mal nommé « Etat islamique », dont ils deviennent officiellement la « Province du Sinaï » (Wilayat Sinai).

Il est frappant pourtant de constater que, à la différence par exemple du cas libyen, les affidés égyptiens de Daech restent fondamentalement des Bédouins locaux, sans « commissaire politique » dépêché par la direction centrale pour les encadrer. D’ailleurs, hormis des destructions médiatisées de cargaisons de cigarettes, sans doute liées à des conflits entre contrebandiers, la « Province du Sinaï » semble peu pressée d’imposer l’ordre totalitaire de Daech à la population sous son contrôle. Dans le même esprit, les commandos djihadistes s’efforcent, généralement avec succès, d’épargner les civils lors de leurs attaques pourtant meurtrières contre les forces de sécurité.

Le régime Sissi, engagé dans une campagne tous azimuts contre le « terrorisme », s’est avéré incapable de regagner le soutien d’une partie au moins des Bédouins du Sinaï pour les détourner de Daech. Bien au contraire, les destructions méthodiques d’agglomérations entières ont déraciné des milliers de personnes, devenues encore plus vulnérables au recrutement djihadiste. C’est notamment le cas dans la partie égyptienne de Rafah, une ville séparée en deux, avec une partie palestinienne de l’autre côté de la frontière, dans la bande de Gaza.

La « Province du Sinaï » a mené, le 1er juillet 2015, une vingtaine d’attaques coordonnées contre les forces de sécurité. Le bilan officiel de 21 morts est très certainement sous-évalué et des sources sur le terrain parlent de 70 tués dans les rangs gouvernementaux. Deux semaines plus tard, c’est un navire de la marine égyptienne qui est coulé en Méditerranée par un missile djihadiste. Le 31 octobre, 224 personnes périssent dans la destruction au-dessus du Sinaï d’un avion russe de la compagnie Metrojet. Malgré la revendication par la « Province du Sinaï », il faudra plusieurs jours à Moscou et plusieurs mois au Caire pour accepter la réalité de l’attaque terroriste.

L’armée égyptienne, à supposer qu’elle en ait la compétence, ne peut déjà plus à ce stade remporter une victoire militaire contre une insurrection à laquelle la majorité de la population bédouine du Sinaï a fini par s’identifier. Mais il est tout aussi illusoire pour les partenaires de l’Egypte d’espérer amender une politique du tout-répressif, impulsée au sommet de l’Etat, alors que l'Europe n'a même pas été capable d’obtenir la lumière sur la mort sous la torture au Caire d’un chercheur italien.

Il importe donc d’éviter à tout prix que cette insurrection, désormais bien implantée au Sinaï, ne développe ses relations pour l’heure plus mafieuses que militantes avec la bande de Gaza. Et seule la levée du blocus de Gaza peut tarir le flux de contrebande souterraine qui continue et continuera, malgré les destructions opérées par Israël et l’Egypte. La fin du siège de Gaza est ainsi le meilleur moyen d’empêcher que les djihadistes ne prennent pied sur une scène palestinienne dont ils sont aujourd’hui fort heureusement absents. Le paradoxe est que cette réalité semble mieux comprise en Israël qu’en Egypte.