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Loi Travail. Paroles d’un salarié de l’Université Pierre et Marie Curie
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
Propos recueillis par Maria Chevtsova (à lire sur Révolution Permanente)
Depuis 4 semaines maintenant, les étudiant.e.s et personnels de l’Université Pierre et Marie Curie (alias Jussieu) sont mobilisés contre la Loi Travail. Révolution Permanente a souhaité interviewer M. qui travaille dans cette fac et s’investit dans le mouvement contre la loi travail. M. est Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche (ATER), syndiqué à la CGT et militant au NPA (Tendance CLAIRE).
A Jussieu, les assemblées générales sont passées de 150 à 80 participants en 3 semaines. Est-ce le signe que le mouvement s’effrite ?
Il semble qu’il y ait un léger recul oui, mais ça ne veut pas dire que le mouvement s’effrite pour moi. Je ne pense pas qu’il existe de mouvement à évolution linéaire. Après autant de défaites des différentes mobilisations avec pour point culminant 2010, il y a du travail, beaucoup de travail, pour que nous, toutes et tous, on arrive à être convaincu.e.s que la seule façon pour sauvegarder nos droits est de se mobiliser massivement et de bloquer le pays. C’est un travail de tous les jours pour les plus convaincu.e.s, et chacun.e à son rythme, salarié.e.s, étudiant.e.s, il faut persévérer, informer, convaincre. Rien n’est joué encore à mon avis.
Pourrais-tu préciser quelle est la part des personnels dans les assemblées générales pour le moment ?
Je ne sais pas pour la dernière (24 mars) car je n’ai malheureusement pas pu y assister. Mais dans l’avant dernière, le 17 mars, je dirais 50 %, et un peu moins de personnel pour celle du 9 mars. Mais sur Jussieu, c’est loin d’être négligeable.
Les personnels te semblent-ils intégrés dans mouvement ?
C’est à mon avis le point central. Pour qu’on arrive à obtenir le retrait de ce projet de loi, il faut que salarié.e.s du public et du privé, étudiant.e.s, lycéen.ne.s se mobilisent ensemble. Et là, il est évident pour moi qu’il y a une brèche. En fait, il y a aussi beaucoup d’attaques sur les salarié.e.s du secteur publique en parallèle de cette loi travail. Le RIFSEEP par exemple, qui permet d’attribuer les primes, non plus en fonction du grade et de l’échelon, mais selon la fonction « effective » de chaque salarié, donc décidé par la hiérarchie. Le statut de fonctionnaire est quelque chose qui embête les gouvernements, toujours plus au service de l’économie et donc du patronat. Macron comme NKM disent même vouloir le détruire.
En réunion syndicale à Jussieu, les personnels s’exprimaient sur la Loi Travail, sur les primes, sur le salaire qui n’augmente pas et qui fait qu’ils et elles perdent toujours plus de pouvoir d’achat. Le dégel du point d’indice annoncé par Valls est vraiment vécu comme une aumône pour faire taire la contestation des salarié.e.s du publique. Il y a un ras le bol général qui s’exprime aussi dans cette mobilisation contre la Loi Travail.
Les salarié.e.s sur Jussieu sont touché.e.s par le climat ambiant. Avec ma mince expérience de 4 ans de syndicalisme sur la fac, c’est la première fois que je vois autant de salarié.e.s en assemblée générale syndicale. Il y a un climat, mais c’est loin d’être gagné. Il faut mettre la convergence des luttes au centre, car le gouvernement arrive en général à canaliser les contestations sectorielles, mais dès lors que les étudiant.e.s et les salarié.e.s sont ensemble, ça devient explosif, et c’est ce dont le gouvernement a peur.
Donc concrètement, il faut faire comment ?
Pour y arriver, il faut, à Jussieu tout du moins, que le mouvement soit le plus inclusif possible à la fois pour les étudiant.e.s et pour les personnels. C’est difficile car ce sont des habitudes et des modes de vie différents, mais c’est cela qu’il faut arriver à construire. Cela passe aussi, à mon avis, par l’explication du caractère commun de l’exploitation. On travaille toutes et tous pour notre patron, notre université, l’État, le territoire… Les entreprises font des profits gigantesques, reçoivent des aides de l’État (crédit impôt recherche) hallucinantes, et tout ça sur notre dos. Tout découle de ce mécanisme, et pour pouvoir en sortir, il n’y a qu’une seule façon : se mobiliser et s’organiser de façon démocratique et autogérée pour changer ce monde.
Qu’est-ce que tu attends du 31 mars ?
C’est une date cruciale. Il faut y mettre toutes nos forces, ça sera un appui pour la suite. Le combat ne s’arrêtera pas là, il faudra aller plus loin et plus fort, mais si cette date est réussie, que les étudiant.e.s, lycéen.nes, chomeur.se.s et salarié.e.s sont toutes et tous unis en masse, alors ça donnera de la force aux militant.e.s locaux sur Jussieu pour continuer d’informer, de discuter et de convaincre.
Comment les personnes mobilisées vont préparer le 31 mars ?
La CGT locale est active. Malheureusement, les rythmes du comité de mobilisation de Jussieu et de la CGT sont quelques fois en décalage. J’espère qu’on arrivera à agir ensemble. Ce lundi étant férié, ça nous fait un jour de moins pour faire de l’agitation sur la fac. On diffusera des tracts, on fera des tables d’informations (plus côté étudiant.e.s), et si on en a les forces numéraires, alors on ira dans les laboratoires pour discuter et appeler les collègues à l’assemblée générale de mercredi 30 mars, où j’espère trouver autant de salarié.e.s que d’étudiant.e.s.
Que faudra-t-il faire après le 31 ?
Pour moi, on a beaucoup de possibilités. Il y a l’appel du 5 avril qui est une date d’appui pour construire et massifier la mobilisation sur la fac. Il faut se saisir des heures d’information syndicale pour aller parler avec les collègues dans les laboratoires. Bien sûr, il faut parler du comité de mobilisation sur la Loi Travail, et inciter les personnels à s’y investir le plus possible, car c’est l’auto-organisation qui pourra permettre un mouvement puissant qui dépassera les directions syndicales confédérales trop souvent enclines à rester intégrées à l’appareil d’État. Ces heures d’info syndicale sont aussi le moyen de faire le lien entre ce mouvement et les revendications des personnels de la fac. Je pense qu’on peut réussir à gagner ce combat si les personnels ne se mobilisent pas seulement en soutien mais aussi sur leurs bases propres.
Quand tu dis qu’il faut « massifier la mobilisation », tu peux préciser ?
On le voit par cette réforme, c’est l’économie qui dirige nos vies. Le travail, c’est travailler plus pour gagner moins. C’est pour permettre aux entreprises de ne pas avoir un taux de profit plus faible que celui de leurs concurrentes qu’il faut que les travailleurs et travailleuses travaillent plus en gagnant moins. La compétitivité c’est leur moyen de survie aux entreprises. Sauf que c’est sur notre dos, sur nos vies que cela se fait, et le seul moyen d’avoir satisfaction de nos revendications, c’est de bloquer l’économie. Cela passe inévitablement par la grève générale, qui paralyse le pays. Les gouvernements et les patrons deviennent tout de suite à l’écoute dans ces moments là. Il faut donc construire cette grève, et c’est un travail de longue haleine mais que nous allons réussir ! Cette exploitation de nous, salarié.e.s, par les possédants, les patrons n’est pas acceptable (surtout quand on voit leur richesse). Il faut renverser ce monde, et pour ça il faut être suffisamment nombreuses et nombreux pour paralyser le pays, reprendre les moyens de productions à notre compte, collectivement, démocratiquement, écologiquement et décider de comment on vit, et dans quel monde !
Sur Jussieu, y a-t-il des éléments qui rendent particulièrement difficile la mobilisation ?
Il s’agit d’une faculté de science. Malheureusement, dans notre société, la science est vue comme « neutre », alors que ça ne l’est pas du tout ! Le climat politique est faible. Cela s’explique aussi de façon objective, en effet, dans mes cours sur l’optimisation, j’ai moins d’occasion de parler politique que sur un cours sur Marx dans une fac de sociologie !
Quel est ton sentiment général sur la mobilisation à Jussieu ?
En 4 ans de militantisme sur place, c’est la première fois que je vois autant d’agitation. Ça fait du bien, c’est enthousiasmant ! Cela ne reste pas suffisant, mais cet enthousiasme permet de donner du courage pour continuer nos actions. Et puis, quand les étudiant.e.s s’y mettent, il y a plein de nouvelles idées d’actions, plus dynamiques, moins routinières, et ça aussi ça fait du bien !!! En particulier, le combat féministe est là. Nous nous efforçons de féminiser les textes, d’être le plus possible paritaire, de combattre aussi fort qu’on peut les inégalités hommes/femmes/LGBTI. D’ailleurs, c’est un point marquant que cette loi travail va impacter violemment plus les femmes que les hommes !
Quelle a été ta réaction après avoir vu la vidéo du lycéen de Bergson se faire tabasser par les CRS jeudi 24 mars ? Est-ce un élément qui va être discuté dans la prochaine AG ?
Le climat répressif est ultra violent en ce moment. Bien évidemment à Tolbiac, et puis cette vidéo ! C’est horrible et révoltant, il faut que cela cesse. Il existe une « franchise universitaire » qui fait que traditionnellement la police ne rentre pas sur les facs. Ces derniers temps, elle a volé en éclat à Strasbourg, à Lyon, à Tolbiac, et j’imagine ailleurs. C’est le climat d’état d’urgence qui permet tout cela. C’est aussi, à mon avis, une revendication qui doit être portée. Les président.e.s des universités s’en servent pour refuser de donner des salles pour les AG, pour fermer la fac de Jussieu quand la coordination régionale veut s’y réunir. Tout ceci est un prétexte pour instaurer un état répressif, dur, qui met en place des contre-réformes violentes que lui dicte l’économie capitaliste. Cet état d’urgence n’empêche pas les actes terroristes de Daech, par contre, les interventions impérialistes de notre état le nourrissent. À bas les guerres !