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Pourquoi la Grèce et le FMI s’opposent frontalement
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
L'affaire de la fuite d'une conversation entre deux responsables du FMI a rouvert les hostilités entre le gouvernement grec et l'institution de Washington. Pourtant, tous deux veulent une réduction de la dette hellénique. Pourquoi alors tant de haine ?
L'affaire Wikileaks qui a relancé les tensions entre la Grèce et ses créanciers ce week-end, a mis en avant l'impossible ménage à trois entre les créanciers européens, le FMI et le gouvernement grec créé par le troisième mémorandum signé en août dernier. De façon assez significative, la polémique s'est concentrée sur une bataille entre Athènes et Washington, Bruxelles et l'Eurogroupe restant étonnement éloignés d'un débat qui les concerne cependant directement. Rien d'étonnant à cela : depuis plusieurs mois, Alexis Tsipras, le premier ministre hellénique, milite activement pour l'exclusion du FMI du programme. Quant aux FMI, il a, de même, passé son temps à trouver de bonnes raisons pour ne pas y entrer.
La bataille entre Athènes et Washington
Ce week-end, les échanges ont donc été acerbes depuis la publication, samedi 2 avril, par Wikileaks d'une conversation entre Poul Thomsen, directeur Europe du FMI, et Delia Velculescu, chef de la mission du FMI en Grèce. Après avoir constaté les divergences avec les créanciers européens, les deux officiels estiment que, si les choses traînent en longueur, le risque d'un défaut grec en juillet (la Grèce doit rembourser à la BCE 2,4 milliards d'euros le 20 juillet et 450 millions d'euros au FMI le 13 juillet) pourrait permettre d'imposer la position de l'institution de Washington. Autrement dit, le FMI serait prêt à jouer avec le risque d'un défaut grec pour imposer ses vues.
Fureur du côté du gouvernement grec où Alexis Tsipras, le premier ministre, convoque un conseil de cabinet extraordinaire et envoie le soir même une lettre à Christine Lagarde, la Directrice générale du FMI pour demander des explications. Dimanche soir, l'ancienne ministre française envoyait une lettre cinglante au premier ministre. Après avoir jugé que « toute spéculation selon laquelle le FMI cherche à utiliser un défaut comme une tactique de négociation est unestupidité », elle a, à demi-mots , accusé le gouvernement grec d'avoir « piloté » les fuites. « Il est crucial que vos autorités assurent un environnement qui respectent le caractère privé de leurs discussions internes et de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir leur sécurité personnelle», indique-t-elle avant de conclure : « nous ne communiquons pas par des fuites. » Ce lundi matin, le vice-ministre de la Défense Dimitris Vitsas a démenti que le gouvernement grec était à l'origine des fuites.
FMI et Grèce : des intérêts communs ?
Ce bras de fer entre le FMI et Athènes peut surprendre. Car, a priori, leurs intérêts sont communs. Le FMI pointe du doigt une évidence niée par les créanciers européens : l'absurdité d'un troisième mémorandum basé comme les deux précédents sur des rêves plus que sur la réalité du terrain. L'ampleur des excédents primaires (calculés hors du service de la dette) demandés aux Grecs (3,5 % du PIB à partir de 2017) n'est pas raisonnable et est exigé par le refus de remettre en cause le stock de dettes de l'Etat grec. Il maintient donc la Grèce dans un état de « péonage de la dette » où l'Etat doit réaliser des efforts budgétaires considérables pour rembourser les créanciers plutôt que pour dynamiser l'activité économique. Résultat : l'économie grecque reste faible et la capacité de remboursement de l'Etat réduite. C'est cette situation sans issue que le FMI rejette, non sans raison. Et logiquement, le gouvernement grec devrait le soutenir puisqu'il a intérêt à voir la dette et l'objectif budgétaire réduits.
La stratégie d'Athènes
Mais alors, pourquoi Alexis Tsipras se montre-t-il si dur avec le FMI ? Pourquoi ne s'allie-t-il pas avec Washington contre Bruxelles et Berlin ? Il existe plusieurs raisons à cela. Pour les comprendre, il faut saisir la stratégie du gouvernement grec depuis le 13 juillet 2015 : Alexis Tsipras s'efforce de maintenir un équilibre parfois difficile à trouver entre le respect du mémorandum et une certaine résistance à ce dernier. La clé de son action est donc « l'aménagement » des réformes : par exemple, dans le cadre de la recapitalisation des banques, il a dû sacrifier les classes moyennes, mais est parvenu à protéger les plus fragiles. Sur les retraites, il sauvegarde les pensions actuelles au détriment des pensions futures par une augmentation des cotisations. Le but du premier ministre est de « boucler » le plus rapidement possible le programme et en sortir avant la fin de législature en 2019. Il est aussi d'obtenir une restructuration de la dette rapidement pour des raisons plus politiques qu'économiques.
Le jeu trouble du FMI
Or, la stratégie du FMI va à l'encontre de cette stratégie grecque. Et c'est ce qu'a prouvé avec éclat le document de Wikileaks. Depuis deux mois, la revue du programme s'éternise. Les créanciers ont pris ces deux dernières semaines une pause pour Pâques. On parlait d'un bouclage de la revue en mars, on évoque maintenant la mi-avril, voire davantage. Le FMI pourrait bien être à l'origine de ces retards. Comme le dit dans le document fuité, Poul Thomsen, la question du référendum britannique du 23 juin risquent d'occuper les responsables européens à partir de mai. Or, pour effrayer l'électeur britannique et lui prouver que les négociations en cas de Brexit seront redoutables, les Européens pourraient alors être bien peu enclins à se montrer prêts à des concessions envers les Grecs. Du coup, la stratégie dilatoire du FMI est un piège pour les Grecs : fin juin, Alexis Tsipras risque, compte tenu des échéances du 13 et du 20 juillet, où son pays doit rembourser en tout près de 3 milliards d'euros, de n'avoir le choix qu'entre deux options : accepter une « ligne dure » incarnée par le FMI et à laquelle les créanciers se seront ralliés ou accepter un défaut. La première option conduirait la Grèce à accepter des coupes dans les pensions actuelles, ce qui est politiquement suicidaire, la seconde reviendrait à annuler la politique de collaboration avec les créanciers menée depuis un an. Dans les deux cas, le gouvernement n'y résisterait pas.
L'équivalence des intérêts entre le FMI et Wolfgang Schäuble
Derrière ses allures bienveillantes, le FMI prend donc à rebours la stratégie grecque. Poul Thomsen a d'ailleurs des mots très durs contre les réformes grecques jugées dignes de « Mickey Mouse. » Il rejoint, de ce point de vue, la critique d'une certaine droite allemande. Dans son Morning Briefing de ce lundi 4 mars, le directeur de la rédaction du Handelsblatt, journal des affaires allemand proche du ministre des Finances Wolfgang Schäuble, soutient les propos de Poul Thomsen et l'attitude ferme du FMI.
Le FMI, comme Wolfgang Schäuble, se rejoignent sur cette idée que la Grèce est de toute façon irréformable. Du reste, le ministre des Finances allemand refusait une nouvelle aide à la Grèce tout comme le FMI. Et, en novembre, lorsqu'Alexis Tsipras a déclaré vouloir se passer du FMI, il a été rappelé à l'ordre par le ministre allemand. Il existe donc une certaine identité de vue entre la frange dure, mais dominante, de l'Eurogroupe et le FMI, malgré le différend sur la dette. Il n'est pas surprenant que ce soit l'Allemagne qui exige la présence du FMI dans le plan « d'aide. » Poul Thomsen menace d'ailleurs Angela Merkel d'une fronde au Bundestag si le FMI reste en dehors du mémorandum. Alexis Tsipras fait donc tout pour éviter l'entrée du FMI dans le programme afin que l'Eurogroupe et Wolfgang Schäuble ne puisse s'appuyer sur lui pour durcir le ton et l'empêcher de mener sa stratégie d'assouplissement.
Plus de marges de manœuvre avec les créanciers de la zone euro ?
Si le FMI a donc raison dans son analyse du mémorandum, il n'en reste donc pas moins un des éléments les plus « durs » des créanciers. Or, Alexis Tsipras a appris à connaître ses partenaires européens. On a vu qu'il avait obtenu d'eux quelques concessions, trop maigres sans doute, mais réelles au cours des mois précédents. Il sait aussi qu'il dispose, avec la crise des réfugiés, d'un levier de pression. Si l'accord entre la Turquie et l'UE échoue, si la « route des Balkans » se rouvre, Angela Merkel sera en grande difficulté. Il peut donc estimer disposer de bonnes chances pour mener à bien sa stratégie et renégocier lui-même à l'avenir, les nouveaux objectifs d'excédents primaires. Son calcul est qu'avec les Européens, il existe des marges de discussions. Avec le FMI, ces marges n'existent pas et elles existeront d'autant moins qu'une généreuse remise de dettes aura été attribuée.
Le choix d'Alexis Tsipras
Alexis Tsipras fait donc le choix suivant : il préfère renoncer à des coupes franches dans les dettes au bénéfice d'un aménagement de la dette. Le choix s'impose, il est vrai, lorsqu'on le ramène à la logique du gouvernement. Si une réduction du stock de dette est certes nécessaire, son prix à payer est très élevé compte tenu des exigences du FMI. Et il faudra renoncer à toute « résistance. » En revanche, si l'on accepte un simple « aménagement », permettant de repousser le remboursement de la dette à plus tard, on peut conserver le maintien de la politique actuelle. Il sera toujours temps de rouvrir le dossier plus tard. Le FMI est donc une entrave à ses objectifs.
Angela Merkel doit décider
Reste à savoir si le gouvernement grec a les moyens d'imposer ses vues. La réponse réside en grande partie chez Angela Merkel. Le FMI n'est pas indispensable financièrement au programme qui peut largement être pris en charge par le Mécanisme européen de Stabilité. D'autant que la facture est déjà moins lourde compte tenu du coût moins fort que prévu de la recapitalisation des banques. Mais la question est politique. Si la chancelière, pour des raisons liées à la crise des réfugiés, accepte d'accéder aux vœux d'Athènes, elle risque d'ouvrir un nouveau front menée par un Wolfgang Schäuble qui s'émancipe de plus en plus. Or, l'opposition d'extrême-droite, Alternative für Deutschland (AfD) est aussi un parti anti-euro. Il ne demandera pas mieux que de relancer l'offensive sur la Grèce alors que le flux des réfugiés se tarit. La chancelière préfèrerait donc avoir aussi le FMI dans le programme. L'équilibre risque d'être difficile à trouver car Christine Lagarde a prévenu que l'on était encore "très loin" d'un accord, mais, on le voit, la Grèce n'a guère la main sur ce dossier.
Le pire scénario pour Alexis Tsipras
Pour Alexis Tsipras, on l'a vu, l'enjeu est considérable. L'arrivée du FMI dans le mémorandum risque de lui ôter un de ses principaux arguments qui l'avait amené à l'accepter : pouvoir en négocier les conditions et écarter le risque d'une sortie de la zone euro. Le pire serait un accord entre les créanciers européens et le FMI que dessine déjà Poul Thomsen dans le document de Wikileaks : une restructuration modérée de la dette avec un objectif d'excédent primaire à 2,5 % du PIB. La Grèce perdait sur deux tableaux : ni la dette, ni les objectifs budgétaires ne seraient suffisamment réduits alors que la marge de manœuvre d'Athènes, elle, disparaîtrait. Le peu de crédibilité du programme rallumerait logiquement le risque de Grexit, de sortie de la Grèce de l'Union monétaire. C'est ce qu'Alexis Tsipras veut absolument éviter. Mais il ne dépend pas de lui de l'éviter.