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Vers la grève générale... et un parti ouvrier révolutionnaire ?

Khomri

Lien publiée le 7 avril 2016

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Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.

Lire l'article du camarade Jacques Chastaing du NPA au format pdf ici :

http://tendanceclaire.npa.free.fr/contenu/autre/Article%202010%20et%202016.pdf

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Vers la grève générale... et un parti ouvrier révolutionnaire ?

Quelques outils de réflexion pour tirer les leçons du mouvement de 2010

afin de gagner celui de 2016

Tout le monde s'interroge sur l'envergure de la mobilisation du 31 mars et se demande si cette journée sera suivie de grèves reconductibles significatives ou d'importantes et durables occupations de places auxquelles certains appellent ou si, au contraire, ce sera un gigantesque enterrement, le début d'un reflux.

L'interrogation est bien sûr plus que légitime.

D'autant, qu'au delà de l'ampleur de la mobilisation ce jour là et de ses lendemains, la question sous-jacente qui travaille gouvernement et patronat, manifestants et syndicats, est de savoir si la mobilisation actuelle ne dépassera pas des limites ordinaires et si on va vers un nouveau « mai 68 » - voire plus -, bref vers un renversement profond et durable des rapports de force entre patronat et travailleurs, oppresseurs et opprimés, exploiteurs et exploités, un retour de balancier historique, avec toutes ses conséquences sociales et politiques.

Toutefois, il ne faudrait pas bloquer la réflexion à cette journée et ses lendemains. Il en effet plus difficile de prévoir exactement la dimension et la portée de ce qui se passera le 31 mars et les jours immédiats qui vont suivre, que de comprendre que cette journée s'inscrit dans une marche commencée bien avant elle, bien avant même le 9 mars, la nature profonde de cette marche, et donc de savoir qu'elle ne s'arrêtera pas d'ici peu, quelles que soient les configurations du 31 mars lui-même.

Et c'est certainement ça qu'il y a à comprendre, développer, expliquer, propager...

Le 9 mars n'est pas un début, mais une étape dans une lame de fond qui a commencé bien avant – et pas qu'en France -, l'expression ponctuelle d'un mouvement profond dont on verra probablement plusieurs de ses manifestations publiques le 31 mars et les jours qui suivront, comme on en a déjà vues quelques-unes lors des manifestations, rassemblements et grèves, des 9, 17, 21, 22, 23, 24, et 25 mars.

Ce 9 mars exprime toute une situation qui le précède car il a déjà par lui-même quelque chose qui illustre la maturation sociale et politique qui s'est opérée de manière plus ou moins souterraine ces dernières années et qui, de ce fait, en prenant une expression publique pourrait marquer durablement la période à venir.

Avant de revenir en détail sur ce qu'illustre le 9 mars (et probablement le 31 mars à sa manière), pour reprendre la comparaison historique évoquée plus haut de mai 1968, il n'est donc pas possible de dire si le 31 mars appartient encore à l'année 1967 ou déjà à mars 1968. Par contre, il est sûr que nous sommes sur une trajectoire de ce type.

Cela étant dit en ayant bien conscience que l'histoire ne se répète jamais, que la situation actuelle ne ressemble pas à celle de croissance des années 1960, que la crise actuelle est d'une toute autre ampleur, le mouvement et les difficultés à venir aussi, bref que nous en sommes toujours réduits à utiliser des images d'un passé dépassé pour raisonner sur un présent toujours nouveau, inédit et qui nous surprendra toujours. Disons seulement que l'image de 1968 correspond peut-être à l'étape d'aujourd'hui comme celle du CPE pouvait correspondre aux premiers jours du mouvement, avant de prendre de toutes autres images...

Un 9 mars qui illustre une importante maturation politique par rapport au mouvement des retraites de 2010

Pour penser ce mouvement, bien des commentateurs ont tenté de le comparer à celui du CPE de 2006 voire à celui de 1995.

C'est compréhensible, mais il me paraît plus juste – pour le moment - de le comparer à celui de 2010 sur les retraites. En effet, c'est le mouvement le plus proche ; il se situe dans la même période de crise et de reculs sociaux ; la jeunesse y a eu aussi un rôle important aux côtés ou en avant d'un mouvement de salariés plus âgés ; enfin, bien des acteurs du combat contre la « loi travail » l'ont vécu et ont tiré des leçons tout à la fois du mouvement comme de la période.

On verra en lisant le résumé qui suit des principales étapes du mouvement de 2010, combien il y a de ressemblances, mais en même temps, combien les différences sont importantes et permettent bien des possibilités qu'il n'y avait pas il y a 6 sans.

En fait, ces différences illustrent toute la maturation sociale et politique de ces six dernières années.

Quelques rappels et comparaisons sur l'origine du mouvement de 2010

Le mouvement des retraites de 2010 avait commencé en fait à l'hiver 2008, au début de la crise, avec un mouvement de révolte de la jeunesse en Grèce, déjà - la génération à 700 euros (que ça paraît loin!) - puis, en prolongation, un mouvement de lycéens en France, qui pour la première fois depuis longtemps, faisait reculer le pouvoir sarkozyste qui paraissait inflexible.

Une première porte s'ouvrait.

Elle allait donner un pacte intersyndical CGT-CFDT-Solidaires-FSU-FO le 5 janvier 2009 autour du noyau CGT-CFDT, un appel à la mobilisation de cette même intersyndicale le 29 janvier 2009 et, à partir de là, la naissance d'un large mouvement des salariés sur tout le printemps 2009. A cette occasion, pour la première fois depuis les années 1970, les salariés du privé ré-intervenaient de manière massive sur la scène sociale et politique.

Mais pourquoi, ce tournant syndical – en particulier de la CGT - vers la lutte, alors que sa politique jusque là, main dans la main avec la CFDT, était celle du dialogue social ?

En fait, parce que dans un climat de contestation interne à la CGT ( sabotage très mal perçu du mouvement des cheminots en 2007, contestation de JP Delannoy...) et de crise économique ouverte, il s'agissait pour sa direction de ne pas laisser grandir la brèche ouverte par les lycéens, alors même que les sollicitations de ses militants les plus radicaux pouvaient trouver un relais à l'extrême gauche politique avec l'apparition du NPA et, aussi, où dans un climat de reconfiguration du mouvement syndical avec la nouvelle représentativité, un pôle syndical combatif pouvait surgir autour de SUD, FSU et la gauche de la CGT voire FO.

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Notons seulement aujourd'hui comme différence que si l'expérience grecque joue toujours un rôle pour nous, c'est en ayant intégré pour l'avant garde ici, la faillite de Syriza en tant qu'aboutissement politique électoral des luttes. Et on pourrait presque en dire autant de l'expérience en cours de Podemos. Bref, les solutions moyennes, de compromis comme débouché politique des luttes, proposées par ces deux mouvances, ont échoué. L'avant garde, au sens large, entre dans le mouvement actuel en ayant assimilé ces expériences.

Par ailleurs, comme en 2010, la mobilisation de la jeunesse a joué un rôle déterminant dans le déclenchement du mouvement actuel, mais d'un calibre qualitativement différent par un appel conscient des organisations de jeunesse à la suite de 1 million de signatures sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, le climat de contestation interne à la CGT existe toujours, mais là aussi – on l'a particulièrement vu au moment de « l'affaire » Lepaon, des contestations des directions de certaines fédérations syndicales, ajoutées de la scission de la CFDT commerce et des appels au 31 de certaines fédérations CFDT  - d'une ampleur bien plus importante qu'en 2008. Et puis la CFDT paraît être tellement la représentante d'une politique d'un gouvernement aux ordres du Medef qu'il n'y a pas d'alliance possible. Enfin, la possibilité d'un pôle syndical combatif paraît s'être estompé – en tous cas pour le moment – tant les diverses confédérations sont globalement loin de s'opposer à la politique actuelle et tellement les liens qui les associent à ce gouvernement de gauche sont profonds.

L'appel au 9 mars des organisations de jeunesse et le million de signatures sur les réseaux sociaux résume tout cela, et encore plus qu'on verra plus loin.

S'il y a rupture et recomposition, elle se fera probablement plus sur un terrain politique avec d'autant de possibilités en ce domaine pour l'extrême gauche.

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Revenons au mouvement des retraites ; le succès de la journée du 29 janvier 2009 surprend tout le monde y compris ses participants.

La forte multiplicité de participation qui va des professions les plus diverses jusqu'aux entreprises les plus petites, le foisonnement de pancartes, la joie retrouvée et la tonalité générale très anticapitaliste dans ce début de crise où les gouvernements distribuent des milliers de milliards aux banques, annonce la réapparition de la classe ouvrière sur la scène politique et sociale. Cette renaissance est particulièrement visible au fait que ce mouvement naissant affiche d'abord et avant tout une volonté commune de ne pas payer la crise et la grève générale aux Antilles au même moment résonne un peu comme ce qui est possible de faire sur le continent.

Le 29 janvier précède par ailleurs d'une semaine le congrès constitutif du NPA.

De ce côté, se rassemblaient des syndicalistes cherchant à sortir du cadre syndical pour aborder en révolutionnaires la question politique, des écologistes radicaux pensant qu'on ne pouvait pas régler les problèmes environnementaux sans renverser le capitalisme, des militants altermondialistes cherchant à élargir le mouvementisme à la question politique, des militants d'extrême gauche en ayant assez des querelles de chapelle, des militants de la gauche institutionnelle rompant avec le réformisme...

Les deux événements paraissent pouvoir être se complémenter.

Les directions syndicales ne veulent évidemment pas profiter du succès du 29 janvier pour construire un rapport de force qui permettrait aux travailleurs de gagner, ou tout au moins, d'être en bien meilleure position pour faire face aux attaques patronales et gouvernementales. Sans oser mettre fin immédiatement à la mobilisation, elles la découragent en proposant une suite plus d'un mois et demi après, le 19 mars, puis, malgré le nouveau succès de cette date, seulement encore le 1er mai, afin de tout faire pour que le courant ne trouve pas une expression politique dans les élections européennes de juin. Le mouvement est découragé par cette politique de sauts de puces. Il y a peu de débordements mais de l'amertume chez les militants syndicalistes les plus conscients des enjeux.

La vague brisée éclate alors en de multiples mouvements économiques partiels et locaux, en particulier chez les équipementiers de l'automobile particulièrement touchés par les licenciements et les fermetures. Certains des militants de ces luttes tentent de les unifier en septembre 2009 avec un succès relatif mais où, déjà, un certain nombre de militants syndicalistes radicalisés et de militants d'extrême gauche se croisent.

Le débordement qui ne s'est pas fait sur la perspective d'un mouvement d'ensemble se fait alors, sous la forme d'une nouvelle radicalité dispersée, séquestrations de patrons, menaces de faire sauter l'entreprise et diverses autres initiatives.
Puis, en octobre 2009, le besoin d'un mouvement général renaît.

Il est canalisé cette fois sous une forme donnée par le PS, un référendum contre la privatisation de la Poste. Le succès est immense, mais le résultat nul, puisque bien évidemment le PS ne veut pas mener le mouvement plus loin. Mais là encore, des militants politiques, associatifs et syndicalistes se sont retrouvés.

Sur le terrain politique électoral, les élections européennes de juin 2009 avec un taux d'abstention inégalé, particulièrement chez les jeunes et les ouvriers, marquent le désaveu de la trahison syndicale du printemps et le dégoût des solutions institutionnelles que leur proposent les partis face à la crise. Puis les régionales de mars 2010 signifient la fin de l'audience des recettes de la droite mais aussi en partie de celles... du PS. L'abstention ouvrière déjà bien ancrée se confirme dans sa constance, pendant que le FN continue à profiter de cette absence de politique ouvrière pour imprégner le climat des odeurs nauséabondes du racisme.

Le mouvement des retraites a un contenu sous-jacent plus large qui n'a pas trouvé son expression

Suite à ces premières tentatives vers un mouvement général, l'appel syndical à une première journée d'action pour la défense des retraites le 23 mars 2010, surprend en bien parce qu'il intervient deux jours seulement après le scrutin des élections régionales.

Cette invitation du mouvement social dans le jeu politique qui prolonge les mobilisations précédentes a comme un petit côté de dé-légitimation du jeu institutionnel. Les déclarations peu de temps auparavant de Martine Aubry en faveur de la retraite à 61 ans, voire plus, ont choqué les milieux populaires et ont déclenché cette manifestation/réponse.

La participation à la manifestation du 23 mars, honorable, est surtout le fait de militants syndicalistes combatifs qu'on va retrouver ensuite et est une réponse de la rue non seulement à Sarkozy mais aussi au PS. La rue commence à « parler ».

Dans la foulée, en avril 2010, l'appel consensuel Attac/Copernic sur les retraites ne reflète pas vraiment le côté subversif apparu le 23 mars mais permet aux milieux syndicalistes, politiques et associatifs de se recroiser là dans des comités et réunions créant un cadre différent de celui la gauche institutionnelle traditionnelle qui ne cherchait pas à rejeter la contre réforme mais en contestait seulement les modalités à la marge. La « rue » réunit là ses militants.

Cette agitation et ce mécontentement persistants amènent les confédérations syndicales à donner une suite, sans y croire ni la craindre, à la journée du 23 mars 2010. En même temps, le PS, vire de bord, et focalise la discussion et le mouvement autour du seul départ à 60 ans pour pouvoir continuer à défendre les 41,5 annuités qu'il votera ensuite avec l'UMP. Avec 41,5 annuités, le départ à 60 ans perd tout sens. Mais les principales confédérations syndicales en font la revendication centrale puis unique et les collectifs retraites nés de l'appel Attac/Copernic l'acceptent.

Les 37,5 annuités et même les 40 annuités du PCF sont mises de côté. Les confédérations reprennent la main sur cette orientation avec une manifestation en juin. Au-delà d’une certaine hausse de la participation à cette date, les choses sont bien claires : il ne s'agit en aucun cas de demander le retrait du projet de loi, mais seulement d'exiger des négociations pour une « autre réforme », un contre projet, des contre-propositions de détail.

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On peut noter pour 2016, sans même parler des manœuvres sans succès de la CFDT de ces derniers jours pour « améliorer » la loi, combien la CGT d'aujourd'hui manie aussi un double langage sur la loi travail. Sous la pression de sa base et du mouvement, elle parle de rejet de la loi travail, mais en même temps elle s'ouvre la possibilité d'en discuter des aspects non essentiels en proposant au gouvernement de continuer le « débat » (dernier appel de l'intersyndicale au 31 mars) sur cette loi et avance un contre projet à discuter où ne figure pas la contestation du noyau de la loi El Khomri, la remise en cause de la hiérarchie des normes. Par ailleurs, personne n'oublie que le 23 février, avant d'être bousculée par les réseau sociaux et l'appel des organisations de jeunesse au 9 mars, elle se prononçait en accord avec la CFDT et la plupart des autres confédérations pour un simple aménagement de la loi sur ses marges et pour une mobilisation très lointaine, seulement 5 semaines après.

Par contre l'appel de la jeunesse au 9 mars a trouvé un écho chez de nombreuses instances syndicales de base qui ont relayé l'appel, avant-même que les sommets des confédérations ne s'alignent. Et c'est aussi pour cette raison que la CGT a suivi. Bien des militants ouvriers ont sauté sur cette occasion d'un combat général qu'ils réclament depuis des années face aux attaques globales du gouvernement. L'idée est dans l'air, mais est aussi dans l'air parce qu'elle repose sur de nombreuses résistances populaires.Ce qui est essentiel pour la suite et mener une politique dans la période qui vient.

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Les vacances d'été de 2010 qui fonctionnent souvent comme un éteignoir ont cette fois-ci un effet inverse.

A partir du mois de juillet, le scandale Woerth/Bettencourt, avec Woerth comme ministre chargé de la mise en œuvre de la contre-réforme des retraites et Bettencourt plus grande fortune du pays, a habité tout l'été. Celui qui nous demande de nous serrer la ceinture pour les retraites, planque à l'étranger l'argent des plus riches par le biais de sa femme, soustrait les mêmes à l'impôt et fait financer l'UMP par une partie des économies ainsi escroquées au pays. Par ailleurs, l'éclairage mis alors sur la fortune de Mme Bettencourt montre qu'il suffirait de saisir ses seuls avoirs pour boucher le prétendu futur trou des caisses de retraite. Un scandale pas loin de la crise politique.

A ce moment, les travailleurs se disent effectivement : " l'argent pour payer nos retraites est là, chez Mme Bettencourt et tous ses semblables. Il suffit d'aller le chercher". La question des retraites prend clairement à ce moment une dimension politique subversive.

Voyant le danger, Sarkozy tente de détourner l'attention en attaquant les Roms.

Mais ça ne marche pas tant que ça.

L'Église catholique proteste, des instances européennes dénoncent ce qu'elles comparent parfois à la politique antisémite des nazis pendant la guerre, des députés centristes voire UMP se désolidarisent. Sarkozy est encore plus affaibli. Heureusement pour lui, la gauche institutionnelle syndicale et politique vient à sa rescousse et va lui sauver la mise.

Les grandes confédérations syndicales décident de protéger Woerth en regrettant que le ministre ne puisse plus consacrer tout son temps à la question des retraites. De son côté, le PS fait tout ce qu'il peut pour dissocier la question sociale des retraites de celle, politique, du scandale Woerth/Bettencourt en argumentant que la question ne peut pas être réglée dans la rue par le mouvement des retraites, mais en mettant dehors Woerth/Sarkozy... aux présidentielles en 2012.

Et pour que le mouvement des retraites ne s'élargisse pas en s'emparant de la question du racisme d'État, il organise, par le biais de la LDH, une manifestation contre-feux pour les Roms le 4 septembre mais en même temps pour une véritable politique sécuritaire "républicaine". A trois jours de la manifestation des retraites, le 7 septembre, c'est risqué, mais personne ne cherche à s'appuyer sur le vaste courant d'opinion populaire du moment en faisant campagne autour d'un "prenons l'argent de tous les Bettencourt du pays pour payer nos retraites" bien que les travailleurs cherchaient à cristalliser autour du mouvement des retraites toutes les colères accumulées depuis des années sur les salaires, les licenciements, le chômage, les conditions de travail, les milles injustices et reculs aggravés par la crise.

La manifestation du 4 septembre est un succès mais reste bien circonscrite aux objectifs du PS.

Mais la manifestation du 7 septembre qui est aussi un succès est « habitée » par tout ce qui venait de se passer.

Contenu qu'on va revoir à nouveau très clairement s'exprimer dans les trois premières semaines d'octobre, particulièrement du 12 au 21, en pleine grève, en prenant la forme de la généralisation de la grève.

En effet, après le succès du 7 septembre, les organisations syndicales CGT et CFDT, alors qu'elles ne réclamaient rien sinon des négociations pour une autre réforme, étaient mises au pied du mur par l'intransigeance de Sarkozy. Il leur fallait soit se coucher et risquer de perdre tout crédit auprès de leur base avec le risque de la liberté de surenchères redonnée à SUD, FSU ou FO, voire à l'extrême gauche, soit répondre un tant soit peu aux aspirations et aux méfiances de la base militante par une politique de journées d'actions plus rapprochées qu'au printemps 2009. Elles choisirent cette deuxième solution.

***

Comme pour le mouvement des retraites qui a démarré après plusieurs tentatives avortées, l'entrée en lutte en mars 2016 - indépendamment donc de la loi travail - était déjà en germe auparavant, en décembre 2014, quand un mouvement de mécontentement grandissait tout à la fois contre la loi Macron et contre la politique de renonciation de Lepaon. Les attentats contre Charlie y mettront fin.

Puis à nouveau, le 5 octobre 2015 avec l'affaire des chemises déchirées des cadres d'Air France, se lève un nouveau vent de colère qui semble pouvoir déboucher sur un mouvement d'ampleur. Les attentats de novembre coupent une nouvelle fois l'élan.

Le gouvernement ne veut pas se laisser surprendre cette fois par un mouvement Charlie et décide de s'attaquer aux droits démocratiques élémentaires avec le soutien du PCF et des Verts en faisant voter l'état d'urgence, en désignant les arabes et les étrangers comme cibles avec son projet de déchéance de la nationalité et en interdisant les manifestations écologistes prévues en France pour la COP21 qui s'annonçaient particulièrement importantes. Toutes les fédérations syndicales qui avaient prévu de nombreuses journées d'action la semaine de l'attentat, cautionnent cette politique en annulant leurs journées.

Cependant, bien des lycéens, une partie de la gauche syndicale et l'extrême gauche dénoncent et s'opposent dans la rue à cet état d'urgence. La CGT finit par suivre, du fait aussi et surtout que les grèves et manifestations des salariés qui n'avaient pu se centraliser autour des salariés victimes de la répression à Air France, continuent de plus belle et même s'amplifient à ce moment, pas du tout impressionnées par l'état d'urgence, même si elles restent toujours dispersées.

L'état d'urgence devient peu à peu une coquille vide n'ayant comme seul résultat que le dégoût et l'éloignement du pouvoir de ce qui pouvait lui rester de soutiens à gauche ou chez des démocrates sincères comme à la LDH, au Syndicat de la magistrature ou encore chez certains journalistes.

Il n'y a pas encore aujourd'hui la division au sommet telle qu'elle s'est affichée l'été 2010 avec le scandale Woerth/Bettencourt et la question des Roms, mais par certains côtés on en voit de plus grandes prémisses avec l'état d'urgence et la déchéance de la nationalité qui ont choqué toute une partie de l'opinion « éclairée ».

Le gouvernement essaie d'utiliser un troisième attentat en mars - certes à Bruxelles et pas en France – au moment de la troisième montée sociale mais sans aucun succès cette fois ci.

Comme de 2008 à 2010, dans le laps de temps mouvementé qui va d'octobre 2014 à mars 2016, un certain nombre de lycéens, d'étudiants, de salariés, d'écologistes et de syndicalistes ont pu se politiser, se croiser et affermir leurs convictions et leur détermination. C'est cette expérience qui s'entend aujourd'hui. Par ailleurs, c'est important, si le nombre de syndiqués continue à diminuer, le nombre d'équipes syndicales ré-augmente, en particulier dans les petites entreprises, là où travaillent les jeunes et là où ont lieu de nombreuses luttes.

Le mouvement a là des militants jeunes, combatifs, qui cherchent une politique d'ensemble et un regroupement autour de cette politique, sur des bases radicales sinon révolutionnaires.

Cette fermentation s'est construite dans de nombreuses résistances bien suivies, depuis Sivens en octobre 2014, la montée sociale contre la loi Macron à l'automne/hiver 2014 et la colère syndicale à la CGT contre Lepaon en décembre 2014, le mouvement Charlie en janvier 2015, la mobilisation en septembre 2015 autour des réfugiés et de la mort du petit Aylan sur les plages de Turquie, le mouvement autour des Air France en octobre 2015, le mouvement contre l'état d'urgence en novembre-décembre, la mobilisation des agriculteurs en janvier-février 2016 qui ont largement débordé les orientations de la FNSEA pour dénoncer en s'adressant aux usagers les bénéfices des multinationales de la distribution, la mobilisation encore contre NDDL en février, celle enfin en soutien aux migrants à Calais ; et tout cela sur un fond de luttes ouvrières économiques dispersées mais toujours plus nombreuses, souvent menées par des jeunes, pour des augmentations de salaires, contre la dégradation des conditions de travail, pour l'emploi, notamment dans les hôpitaux ou à la Poste se doublant souvent de luttes d'usagers pour la défense des services publics, écoles, gares, hôpitaux, postes... Or si ces luttes paraissent économiques, défensives, ce n'est que parce qu'elles sont émiettées. Quand on regarde leur contenu, on voit qu'il est très politique et qu'il pourrait suffire que les luttes se généralisent pour tout d'un coup prendre cette dimension du combat politique pour une autre société.

C'est ça qu'on peut dire et décrire dés maintenant pour s'adresser à ces millions de travailleurs qui ont lutté d'une manière ou d'une autre ces derniers temps.

Il y a quelque temps, les travailleurs pouvaient croire à ce qu'on leur disait sur les efforts à faire face à la crise. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Ainsi, au moment où les profits sont colossaux malgré la crise en même temps que les dirigeants s'accordent des primes, stocks options, retraites chapeaux et autres parachutes dorés tout en imposant l'austérité en bas, les salariés ne demandent pas seulement des augmentations de salaires, ils se battent pour le partage des bénéfices, contre les 62 personnes qui possèdent autant que la moitié de l'humanité. C'est-à-dire une contestation du pouvoir. Voilà déjà ce qui est dit dans ces luttes invisibles. Le mouvement actuel peut rendre ce contenu visible et nous pouvons y contribuer.

Il en va de même pour les conditions de travail. Il ne s'agit pas tant dans les luttes actuelles d'améliorer ou éviter une dégradation dans telle ou telle entreprise ou secteur, que de refuser, dénoncer le management par la peur imposé partout. On parle là aussi d'une autre société que celle qui pousse à la dépression près de la moitié des salariés et au suicide un certain nombre d'entre eux. Une révolte contre cette violence sociale qui a été visible au moment des chemises d'Air France. Une révolte qu'on voit aussi à un autre niveau dans l'énorme soutien à la lutte des Goodyear et aux nombreux comités qui se sont créés à leur initiative, qui font presque penser – en changeant ce qu'il faut changer – aux KOR polonais (comités de défense ouvriers) des années 1970, à l'origine du renouveau syndical dans le pays.

Voilà ce qui gronde dans le pays et cherche une expression politique et qui devrait s'entendre dans le mouvement à venir et que nous pouvons, devons déjà faire entendre, un pas en avant, avec notre petit porte voix.

***

Sous la pression, pour garder l'initiative les syndicats accélèrent le rythme des journées de mobilisations à l'automne 2010 alors que la reconduction est à l'ordre du jour

Pour ne pas laisser d'espace politique aux équipes militantes syndicales radicalisées ou à l'extrême gauche, les directions syndicales ont accéléré le rythme des mobilisations en septembre puis octobre 2010.

Le simple effet de raccourcir les délais entre les journées d'action donnait un ton plus décidé aux syndicats, le sentiment qu'ils répondaient un peu plus du tac au tac à la fermeté du gouvernement. Ce simple fait, même si au début le rythme, du 7 septembre au 23 puis du 23 au 2 octobre puis au 12 octobre, était loin de répondre aux nécessités de la situation, l'accélération ensuite du 12 au 16 et au 19 octobre encouragea toutefois la mobilisation.

En même temps, les éléments les plus militants du mouvement franchissaient une étape et comprenaient que ces journées d'action à répétition même plus rapprochées, ne suffiraient pas pour faire reculer le gouvernement. Il fallait une vraie grève de tous. Les appels pour cela des instances syndicales de base se multiplient (voire annexe).

Avec la grève des agents portuaires de Marseille qui se battaient pour leurs revendications propres mais qui les ont inscrit dans le conflit des retraites ; avec la reconduction de la grève après la journée du 23 septembre des agents des cantines scolaires de Marseille ; et enfin avec l'appel à la reconduction de la CGT RATP après le 12 octobre qui a ouvert la vanne de la reconduction, on est passé une nouvelle étape. La généralisation de la grève a commencé à venir à l'ordre du jour.

Cela s’est senti dans les manifestations où les slogans de "grève générale" et "retrait total" étaient soudain repris par beaucoup, alors que jusque là ils n'étaient que le fait des équipes les plus militantes. Les cortèges devenaient plus combatifs. Ici ou là, dans des petites villes ouvrières notamment, cela se vit par des affrontements violents avec la police. Cela se vit aussi avec les cheminots, les ouvriers des raffineries, les lycéens, les éboueurs qui entraient en grève et le soutien grandissant de la population mesuré par les sondages.

Le climat se mit à changer.

Jusque là, les travailleurs n'étaient pas d'accord avec le projet de loi mais ne pensaient pas qu'ils pouvaient faire reculer le gouvernement. Ils participaient aux manifestations et aux journées d'action pour dire leur opposition mais sans grand espoir d'obtenir quelque chose sinon à la marge. Ils avaient accepté les 62 ans.

Entrer dans une grève durable seulement pour garder la retraite à 60 ans tout en cotisant 41,5 annuités ne convainquait pas. Un « succès » aurait été quand même un recul parce que pour avoir ses 41,5 annuités, il aurait quand même fallu partir après 60 ans. Cette revendication des 60 ans ne touchait qu'une minorité.

Ce qui changeait se passait dans la conscience d'une modification possible du rapport de force global.

Les militants syndicalistes les plus conscients voyaient bien que l'absence de revendication réelle permettait de justifier la modération des confédérations. C'est pourquoi, pendant un temps, le clivage s'est fait entre les directions syndicales qui voulaient négocier un aménagement et les militants qui voulaient le retrait. Mais si c'était nécessaire, cela ne suffisait pas. La conscience d'un changement possible de rapport de force exigeait autre chose.

En effet, dans cette situation de crise, il y avait aussi bien d'autres sujets de préoccupation encore plus immédiats, le chômage, les fermetures d'entreprises, les licenciements, les petits salaires qui ne permettent pas de vivre correctement, les déremboursements de médicaments... Entrer en grève pour les retraites alors que son entreprise est menacée d'un plan social, qu'on risque d'être celui qui va perdre son emploi si on se met trop en avant, perdre plusieurs journées de salaire alors qu'avec 1000 euros par mois on ne peut pas nourrir correctement ses enfants, tout cela pour seulement dire son opposition de principe au projet, ou même son retrait, c'est difficile. Pour bien des habitants des quartiers pour qui la retraite est un luxe qu'ils ne connaîtront pas, parce qu'ils sont très loin des annuités nécessaires, entrer en lutte sur ce sujet exclusif paraissait lunaire. Même si tout le monde sentait bien qu'un succès de cette lutte aurait des répercussions sur tous les domaines en modifiant les rapports de force.

Les journées d'action ne suffisaient plus et les revendications non plus.

***

Il semblerait aux informations disponibles à l'heure où j'écris, le 27.03 2016, que la CGT ait décidé d'accélérer le rythme des mobilisations en se préparant à appeler à une suite au 31 mars – mais ça dépendra de la profondeur et de l'ampleur de la journée du 31 – par deux journées d'action dans la semaine qui suit le 31, une journée en semaine, une journée le samedi.

C'est d'un côté bon signe puisque ça indique que la CGT a mesuré que le 31 allait être d'envergure, et par cet éventuel appel ne peut qu'amplifier le mouvement. Mais d'un autre côté, elle indique là qu'elle ne veut pas lâcher l'initiative à d'autres et qu'elle pourrait ainsi se contenter, comme elle l'a fait jusqu'à présent, d'accompagner le mouvement étudiant en semaine pour réserver l'essentiel de sa mobilisation au samedi, tout en se contentant d'aller de journées en journées. Cela ne serait alors peut-être pas tant que ça un pas de plus vers la grève générale, mais un pas de côté vers une série de mobilisations le week-end – pendant que les étudiants entrent en vacances - au prétexte que ce serait plus économique et pourrait réunir plus de monde.

Évidemment, l'idée de mobiliser le week-end n'est pas en soi un recul et peut au contraire être un tremplin pour élargir le mouvement. Mais dans les mains de la CGT, on voit très bien comment ce pourrait être pour elle, un moyen de trouver un substitutif à la nécessaire grève générale, avec ses arrêts de travail, l'occupation des entreprises qui non seulement touchent à la caisse des capitalistes mais permettent aux salariés de s'auto-organiser au travers d'assemblées générales, de comités de grève, de piquets de grève, de coordinations et de prendre leur mouvement en main...

Par ailleurs, cela pourrait signifier qu'au lieu d'aller vers la reconduction des grèves et la grève illimitée, la CGT pourrait centrer l'action sur une série de journées de grève, certes accélérées pour le moment, mais sans donner la perspective de la généralisation. Il ne s'agirait alors peut-être même plus de grèves mais seulement d'actions, de manifestations, qui ont l'avantage d'être visibles, de mesurer pour tout un chacun le niveau de mobilisation et sa progression éventuelle, mais laissent en même temps l'organisation du mouvement, c'est-à-dire sa direction, dans les mains des appareils syndicaux.

Mais une différence déjà soulignée aujourd'hui d'avec 2010 qui rapproche par contre de 1968, c'est le nombre très important de luttes économiques ces derniers temps. Il y en avait également beaucoup en 1967. Elles sont dispersées mais permettent de penser que l'une ou l'autre peut rapidement s'inviter dans la lutte générale et dés lors en entraîner brutalement beaucoup d'autres pour aller alors vers une véritable grève générale commune, car il y a déjà en quelque sorte - vu l'ampleur des luttes - une espèce de grève générale émiettée et étalée dans le temps.

Il « suffirait », si on peut dire, que l'élan actuel soit fédérateur des conflits actuels et non qu'il les suscite. Et là encore, s'il est possible, il s'agit d'aller non seulement vers des comités de mobilisation interprofessionnels comme le visent à juste titre les étudiants, mais vers des coordinations des entreprises en lutte, d'aller voir ces entreprises, de les associer à la lutte générale.

Les représentants de l'entreprise Pentair à Ham dans l'Aisne par exemple, menacée de fermeture et dont le combat des salariés qui dure depuis longtemps et qui est largement soutenu par la population de la région, ont annoncé qu'ils seront probablement tous là le 31 mars. Pourtant les dirigeants de cette lutte ont souvent dit qu'ils ne voulaient pas mener des luttes à la Goodyear ou Continental – qu'ils reconnaissent certes très courageuses – mais qui n'ont abouti qu'à susciter la crainte des employeurs à l'encontre de salariés combatifs et qui les laissent de fait au chômage. Ils voulaient donc une lutte plus mesurée pour se défendre mais aussi avoir un emploi plus tard. Or il y a beaucoup de salariés et militants qui raisonnent ainsi. Et si les salariés de Pentair sont massivement là le 31 mars, beaucoup d'autres peuvent aussi être présents... et se coordonner. Ainsi le mouvement peut basculer d'une lutte défensive -contre une loi travail qui va aggraver les choses – à une lutte offensive pour un mieux immédiat sur le terrain de l'emploi, des salaires, des conditions de travail. Or sans cet aspect offensif, il ne peut y avoir de grève générale. Il faut en effet bien voir que la loi travail n'est en quelque sorte que la cerise sur le gâteau et que beaucoup de salariés, en particulier les très nombreux précaires, ont sentiment de vivre déjà maintenant la loi travail. Chez PSA à Mulhouse, par exemple, la direction a en quelque sorte créé une usine dans l'usine, le samedi et le dimanche, où il n'y a quasiment que des intérimaires, sans syndicat et où on travaille 12 heures par jour.

Les étudiants scandent à juste titre « nous ne voulons pas être de la chair à patron » en se battant contre la loi Khomri. Ils donnent ainsi à leur mobilisation une coloration ouvrière et anticapitaliste et montrent par là qu'ils s'adressent aux travailleurs. Mais bien des salariés se disent « à quoi bon » cette lutte pour demain puisque « nous sommes déjà aujourd'hui de la chair à patron ». Ce n'est qu'en engageant le combat pour changer leur vie tout de suite, pour de fortes augmentations de salaires, des embauches massives, la diminution des horaires, etc... qu'ils pourront s'engager sérieusement dans la lutte contre la loi El Khomri. Et la revendication affichée dans les proclamations étudiantes sur les 32 heures ne suffit pas, parce que c'est la moins comprise aujourd'hui en milieu ouvrier. Il faut un programme plus complet, des augmentations fortes de salaire et l'embauche massive de jeunes dans les services publics ainsi que la transformation des contrats précaires en CDI. Ainsi nous ne serons pas de la chair à patron.

***

Les lycéens entrent en lutte pour un autre avenir

Dans le conflit des retraites de 2010, l'entrée en lutte des lycéens a ouvert une porte.

Tout le monde fut surpris que des jeunes de 15 à 18 ans puissent manifester pour les retraites.

En fait ces futurs prolétaires, car bien des étudiants travaillent et la mobilisation fut la plus déterminée dans les lycées professionnels, ouvraient à nouveau la porte à l'idée de la généralisation de la grève en l'ouvrant à d'autres sujets, d'autres revendications. Car les jeunes se battaient surtout pour un avenir que leur refusait cette société. Dans leur mouvement il y avait l'objectif, encore latent mais bien là, le refus de la société qu'on leur annonçait et l'espoir d'une autre société.

De fait également, on voyait apparaître dans le mouvement des retraites, quelques conflits sociaux, d'autres revendications, contre les licenciements, pour de meilleures conditions de travail, pour les salaires... et des habitants des cités commençaient à apparaître dans les manifestations. L'objectif de "grève générale" tout court, englobant toutes ces préoccupations et ces catégories sociales, semblait de plus en plus la réponse adéquate à un Sarkozy qui semblait inflexible et sourd aux cris de la rue.

Pour qu'il y ait une véritable grève générale, il fallait ce foisonnement de revendications, qui seul pouvait entraîner toute une classe dans la lutte. En même temps, ce foisonnement pouvait ouvrir la porte aux divisions syndicales qui auraient pu en profiter pour négocier catégorie par catégorie, secteur par secteur et sur d'autres sujets que les retraites... Ce qui avait fait la difficulté du mai rampant italien. C'est pour ça qu'en même temps que le mouvement acceptait l'arrivée de nouvelles revendications, il gardait toujours en avant le retrait de la loi pour garder l'unité du mouvement.

Il fallait l'articulation des deux. Ce n'était pas difficile, puisqu'il suffisait de décrire ce qui se passait pour en comprendre la nécessité. Encore fallait-il vouloir ou pouvoir voir ce qui se passait, ce que les militants ne surent pas, en se bloquant le plus souvent sur le seul retrait de la loi avec le slogan « grève générale jusqu'au retrait total », ce qui était nécessaire mais pas suffisant.

Par contre, cette possibilité d'une montée d'un mouvement plus large, d'une marche réelle vers une grève générale, les confédérations syndicales l'ont senti et vont savoir en exprimer le contenu à leur manière mais pour détourner cette aspiration vers ce qu'ils appellent le « blocage » de l'économie.

Le piège du « blocage » de l'économie contre la grève générale

Dès lors, les directions syndicales s'employèrent à développer l'idée d'une grève par substitution en parlant de blocage de l'économie par le fait des secteurs "logistiques" les plus avancés dans le mouvement.

Le fait que les agents portuaires, les cheminots et les ouvriers des raffineries étaient les plus en avant dans la lutte et qu'aucun autre secteur important ne s'était mis majoritairement dans la grève reconductible le leur permis. Les vacances scolaires complétèrent leur tactique.

Alors que dans un premier temps, elles avaient expliqué que les cheminots ne pouvaient pas entrer en lutte à la place des autres, s'appuyant sur la menace de blocage par les raffineurs, elles poussèrent dès lors à l'idée de blocage de l'économie par l'arrêt des seuls moyens de transport et des dépôts pétroliers.

Elles appelèrent les routiers dans la lutte et appuyèrent ou initièrent des blocages d'axes routiers, d'aéroports, d'écluses ou de dépôts pétroliers en acceptant de parler de reconduction de la grève dans ces secteurs pour éviter d'appeler les autres à le faire. Elles renforcèrent ainsi l'idée de la grève par substitution, envoyant le message aux ouvriers du privé que ce n'était pas la peine qu'ils s'y mettent puisqu'ils ne pouvaient selon eux rien « bloquer » au sens routier ou ferroviaire du terme. On eut alors une énorme campagne syndicale sur le « blocage » de l'économie.

En même temps, avec ce « blocage », les directions syndicales unies donnaient aux militants de base les plus radicaux un os à ronger guère dangereux. Et beaucoup de ces derniers qui en organisant des blocages de routes, d'écluses de voies ferrées ou de dépôts pétroliers « reconduits » signifiaient ainsi toujours leur méfiance des directions syndicales en voyant bien que des journées d'action même rapprochées ne suffisaient pas, n'eurent pas la force et la conscience de passer par dessus l'idée syndicale du "blocage logistique de l'économie" pour s'adresser aux autres travailleurs pour la construction d'une véritable grève générale.

Dans beaucoup d'entreprises, bien des militants tentent alors sans y arriver d'entraîner les travailleurs dans la lutte. Il faut dire que peu de gens croient réellement à la possibilité de faire reculer le gouvernement sur la seule question des retraites. Et s'engager dans une grève générale, avec les risques encourus pour un objectif aussi limité n'encourage guère. Tout le poids des années et décennies passées, de reculs et de défaites, du chômage et des licenciements, des trahisons de la gauche syndicale et politique, pèse encore trop. La grève par substitution convient aux moins combatifs qui pèsent alors sur les plus conscients pour repousser leur engagement commun dans le combat avec l'argument « voyons d'abord ce que peut donner ce blocage de l'économie... par d'autres que nous ». Offrant en quelque sorte une politique aux moins déterminés, les directions syndicales engluent dans ce piège les plus avancés qui ne « reconduisent » que dans certains secteurs.

Enfin, partout où les directions syndicales le purent, elles s'opposèrent par différents moyens à la mise en place de réelles assemblées générales interprofessionnelles ouvertes à tous ceux qui luttent. Par contre, dans les endroits où des syndicats, des intersyndicales, des assemblées générales interprofessionnelles ou des collectifs de militants ( vingt, trente, quarante villes ? puis une structure nationale embryonnaire à Tours), s'émancipèrent des consignes nationales et purent donner une orientation pour l'élargissement et la généralisation de la grève à tous, en s'adressant aux salariés au travail pour les entraîner dans la lutte, cela fut couronné par le déclenchement d'une immense sympathie, de secteurs plus nombreux débrayant ou faisant grève, mais sans pour autant qu'une vague massive de travailleurs à l'échelle nationale rentre dans la lutte.

Cependant, dans les opérations de "blocage", des dizaines, des centaines et à l'échelle du pays, certainement des dizaines de milliers de militants se retrouvent, échangent, se reconnaissent et construisent un tissu militant qui, regroupé, pourrait franchir un pas de plus, sur le terrain social ou politique, ce qui donnera d'autres possibilités par la suite.

Ce qui ne se faisait pas sur le terrain social pouvait tout d'un coup se cristalliser sur le terrain politique avec un regroupement des plus révolutionnaires des combattants.

Alors, le 21 octobre, ne voulant plus jouer avec le feu, craignant tout à la fois la montée sociale de l'idée de généralisation de la grève vu les limites de plus en plus visibles de la tactique des blocages, et craignant de perdre le contrôle politique de ses éléments de base les plus radicalisés, les directions syndicales signèrent la fin de la partie.

Après avoir accéléré du 12 au 16 et au 19 octobre, au lieu d'amplifier encore face à l'inflexibilité de Sarkozy, elles ralentirent ensuite le rythme, repoussant déjà la décision d'une suite prévue le 19 au 21, puis ce jour-là se prononcèrent pour deux nouvelles journées d'action mais seulement les 28 octobre et 6 novembre. Elles annonçaient ainsi par cette baisse du rythme, face à l'inflexibilité de Sarkozy, qu'elles amorçaient le recul.

Par ailleurs, le contenu de leur appel se désolidarisait des luttes des raffineurs, lycéens et autres "bloqueurs" en n'ayant pas un mot pour eux et en spécifiant qu'il fallait "veiller au respect des biens et des personnes" dans les blocages, sous-entendu contre ceux que les médias et la droite présentaient comme des casseurs, c'est-à-dire renoncer aux blocages.

Le gouvernement compris bien le message et aussitôt envoya la police évacuer le piquet de la raffinerie de Grandpuits, raffinerie emblématique de la lutte. Ça aurait pu être un tournant vers la généralisation étant donné l'énorme émotion contre ce geste... si les directions syndicales avaient décidé de relever le gant.

Mais les syndicats ne protestèrent que pour le principe et seulement pour une action en justice et ni les travailleurs eux-mêmes ni les équipes militantes ne surent ou purent saisir l'occasion.

En 1968, ce qui avait fait la montée du mouvement, c'est qu'à chaque répression, violence policière ou arrestation, le mouvement étudiant répondait immédiatement par une nouvelle manifestation qui s'avérait à chaque fois plus puissante et plus déterminée que la précédente, entraînant ainsi la conviction d'un nombre de plus en plus grand.

Chérèque, dirigeant de la CFDT, se saisissait alors de ce recul, pour proposer de passer à autre chose en demandant l'ouverture de négociations sur l'emploi des jeunes et des seniors. Il trouvait immédiatement le soutien du Medef et de la CGT dont le silence de Thibault était compris largement comme une connivence.

A partir de là, le mouvement ne pouvait que décélérer, ce qu'on vit le 28 octobre puis par la reprise des raffineurs. Pourtant les 28 et surtout le 6 novembre, il y avait encore du monde dans la rue alors que plus personne ne pouvait croire à la possibilité de faire reculer Sarkozy sur les retraites.

Il y avait de toute évidence bien autre chose qui motivaient les manifestants.

***

Le « blocage de l'économie » est à nouveau remis à l'ordre du jour aujourd'hui en 2016. On voit surgir cette idée en bien des endroits. Les agents portuaires menacent par exemple de bloquer les ports et on les a vu se mobiliser assez fortement le 24 mars, notamment au Havre.

« On bloque tout » : certes, mais qu'entend-on par là ? Une véritable grève générale ou un blocage substitutif comme en 2010 ?

Aujourd'hui, on ne voit pas - pour le moment - de secteurs en pointe pouvant jouer ce rôle. Par ailleurs, le poids général des cheminots, agents pétroliers, portuaires ou transporteurs a diminué . Cependant, il ne faut pas négliger qu'au décours des événements à venir, les confédérations pourraient mettre tout leur poids pour encourager certains secteurs où leur influence est encore importante ou bien où la colère est plus forte pour les pousser en avant et tenter d'en faire un substitutif de grève générale.

Ce qui peut convaincre les militants les plus avancés qu'il y a là un piège, c'est la conviction qu'il y a depuis déjà un certain temps une foule de résistances populaires qui ne demandent qu'à prendre une expression générale et qui ne cherchent pas de substitutifs. N'oublions pas qu'en même temps que la lutte contre la loi travail, il y a, pour ne parler que de ces luttes un peu générales, la grève Lagardère du 18-21 mars, celle des contrôleurs aériens du 19 au 21 mars, une 2ème semaine des inspecteurs du permis de conduire au 23 mars, la lutte de Mac Donald's le 23 mars, ceux de Lidl le 24 mars, ceux de l'Urgence sociale le 24 mars, les douaniers le 24 mars, les salariés de Groupama Bretagne-Loire le 25 mars, les secrétaires des Hospices Civils de Lyon le 25 mars, ceux de l'AP-HP les 29 mars/30 mars, des luttes des enseignants et parents d'élèves de certains départements de la région parisienne... et beaucoup d'autres plus localisées. Ne pas avoir intégré cette situation générale, ne pas pouvoir la décrire, en parler, s'appuyer dessus, la représenter, c'est déjà offrir une brèche à l'argument substitutif qu'il prenne la couleur du « blocage de l'économie », de l'action les week-end, ou des attitudes des « autonomes », parce que les gens ne seraient pas prêts.

« Massifier » le mouvement comme le disent les plus conscients des militants étudiant, c'est aussi dire cela, décrire cette situation, s'adresser à tous ceux qui luttent, leur donner un porte voix, les inviter aux AG, car ils luttent parfois de manière continue depuis des semaines voire des mois et ils sont invisibles. Alors rendons ce mouvement visible...

C'est d'ailleurs du fait de ce terrain social déjà de combat, que comme en 1968, ce qui a déjà convaincu un certain nombre de militants ouvriers et salariés, n'est peut-être pas tant le 9 mars, que ce qui s'est passé le 17 mars et surtout le 24 mars ainsi que les journées autour du 21 au 25 mars.

La presse a parlé de reflux, en oubliant que ces jours-là c'étaient surtout les jeunes qui y étaient appelés, mais surtout en ne voyant pas que ce qui s'est montré là, c'est la détermination des jeunes. Or c'est la détermination plus que le nombre qui entraîne la conviction... quand on n'est pas spectateur lointain, mais déjà en lutte, dans les faits ou son esprit.

Le 9 mars est apparu là comme n'étant pas qu'un coup sans suite. Par ailleurs les affrontements avec la police ont montré que les jeunes ne reculaient pas, qu'ils n'avaient pas peur et qu'ils recommençaient malgré les matraquages.

Or, rappelons-nous que c'est la « nuit des barricades » du 10 mai 1968, où des lycéens ont fait reculer la police du pouvoir « fort » de De Gaulle, qui a entraîné l'adhésion des travailleurs et leur entrée dans la lutte. De Gaulle a parlé de « Chienlit », de minorités, de casseurs, en croyant faire peur, isoler ceux qui étaient en lutte d'une majorité pensée apathique, comme aujourd'hui. Les manifestants de l'époque ont répliqué dans la rue en scandant « Ton discours, on s'en fout ». Et les travailleurs n'ont pas vu en 1968 des « casseurs » minoritaires, mais d'abord du courage et la détermination pour gagner, parce que eux-mêmes étaient déjà dans cet esprit ou cette réalité de lutte.

Or au vu des réactions populaires comme de celles des militants ouvriers à l'égard des violences policières autour du 24 mars, on assiste probablement aujourd'hui à la même chose.

Le gouvernement a donné ces ordres aux policiers comme il l'avait déjà fait aux procureurs qui poursuivent les militants syndicalistes. Dans l'esprit des Goodyear comme des autres victimes de la répression syndicale, il ne peut que se faire un lien. En tous cas, nous pouvons le faire, organiser des meetings communs, Goodyear, syndicalistes et étudiants réprimés. L'état d'esprit créé par l'état d'urgence, le climat raciste et le vote FN prégnant dans la police – sans oublier la fatigue - ont fait le reste et vont continuer à faire le reste, comme la police de 1968, à peine sortie de la guerre d'Algérie : la solidarisation du monde du travail avec la jeunesse en lutte.

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L'échec de 2010 n'était pas là où on l'a vu le plus souvent

Même si les travailleurs sont bien sûr déçus en cet automne-hiver 2010, puisqu'ils n'ont pas gagné, au fond, ils n'ont pas non plus réellement « perdu » puisqu'ils ne se battaient pas tant en croyant à un succès sur les retraites - recul qu'ils avaient déjà intégré - que pour ne pas rester les bras croisés face à toutes les attaques qu'ils subissent et qui les menacent encore plus demain.

C'est cet état d'esprit, qu'on peut appeler conscience ou politisation, qui obligea les directions syndicales qui ne savaient pas comment en finir avec ce mouvement qui ne finissait pas, à encore appeler à une journée le 23 novembre.

C'est pourquoi il était encore possible à tous les militants politiques, qu'ils soient isolés, de petits groupes ou des "grandes" organisations d'extrême gauche de donner une expression organisée à cette conscience. Il était possible d'engager une grande campagne commune avec ces militants radicalisés, d'affiches, de tracts, de réunions... qui ne soit pas centrée sur le recrutement pour telle ou telle boutique, mais ouverte aux équipes militantes surgies du mouvement. Cette campagne aurait été destinée à montrer à la classe ouvrière renaissante, que le mouvement n'avait pas eu lieu pour rien mais qu'il avait permis à la classe ouvrière de trouver ses militants pour la suite du combat qui ne saurait tarder. C'est le programme pour ce combat demain, qui aurait pu être débattu et affiché devant toute la classe ouvrière. Des revendications simples, celles que les travailleurs auront peut-être quand ils reviendront : interdiction des licenciements, 1600 € net minis, 300€ pour tous, 32 H sans perte de salaire, des embauches massives des jeunes, la retraite à 55 ou 60 ans, l'arrêt des cadences infernales, des transports publics gratuits pour tous, des investissements dans les services publics, ... et, sur un autre plan plus général, l'expropriation des banques, le partage du temps de travail, l'échelle mobile des salaires, le contrôle des grandes entreprises par l'ouverture de leurs comptes et enfin la perspective socialiste...

Un tel "parti" ou regroupement des forces révolutionnaires ou radicalisées qui avaient surgi dans ce mouvement, pas vraiment conscientes de leur existence, de leur poids et de leur capacité, aurait d'une part permis cette prise de conscience et d'autre part permis aux yeux du plus large nombre que la fin de ce mouvement ne soit pas tant que ça perçu comme un échec.

Même si son existence n'avait été que de courte durée, ce "parti" en regroupant peut-être des dizaines de milliers des militants, jeunes et salariés parmi les plus avancés, aurait permis de faire un bilan devant toute la classe ouvrière de ce qui s'était passé, des lacunes, des forces et des faiblesses du mouvement pour préparer le prochain mouvement.

Encore une fois en effet, le "succès" possible se trouvait certainement là, au vu du degré de politisation insuffisant du moment. Le rapport de force global ne pouvait suffire à faire reculer le gouvernement car cette politisation manquante des militants du mouvement est un élément nécessaire, essentiel, crucial, de ce rapport de force. Si bien des travailleurs ne croyaient pas vraiment possible de faire reculer le gouvernement, c'est qu'ils ne voyaient pas l'organisation, la direction de leur classe pour cela. A moins de se penser "spontanéiste", le mouvement ne pouvait pas "gagner" sans ces militants conscients et pour cela, regroupés. En effet, ce qui était en jeu dépassait le problème des seules retraites, mais remettait en cause à travers ça toute la politique de régression sociale du gouvernement français, et plus loin, le tournant du capitalisme mondial depuis le début des années 1990.

Ce regroupement était tout à fait possible puisque le NPA a fait un pas dans ce sens en initiant une grande rencontre nationale en décembre 2010 afin d'aider à rassembler les équipes militantes qui ont émergé de ce mouvement et à tirer ensemble, avec elles, et devant toute la classe ouvrière, les leçons du mouvement tout en préparant le suivant.

Ça a été un succès mais le NPA n'est pas allé plus loin.

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Depuis 2010, le recul social a été considérable, la conscience d'une crise mondiale du capitalisme qui nous enfonce dans des reculs sans fin est dans tous les esprits. C'est tout cela qu'a intégré la jeunesse étudiante ou ouvrière qu'on voit se lever aujourd'hui.

Ce n'est pas seulement les retraites dont on réduit l’accès ou qu'on supprime aux jeunes générations comme en 2010 pour un avenir lointain, ce sont – tout de suite - les prud'hommes, l'inspection du travail, la médecine du travail, la représentation syndicale, le repos dominical, la protection du travail des enfants, les protections chômage, maladie, c'est l'ANI, le Pacte de Responsabilité, le CICE, les lois Macron, Rebsamen, maintenant carrément le code du travail avec la loi El Khomri et les libertés avec l'état d'urgence, dans un climat général de guerres et de racisme.

Par ailleurs, le recul n'a as été qu'économique et social.

C'est le PS soutenu partiellement ou totalement suivant les moments par les Verts, le PCF, et les confédérations syndicales, qui portent les coups les plus durs. Il n'y a plus d'illusions possibles dans ce domaine. Cela s'accompagne – c'est logique – d'une perte d'illusions dans les élections et en particulier les présidentielles de 2017 où on n'aura que le pseudo « choix » de voter pour Hollande, Sarkozy ou Juppé contre M. Le Pen, bref de remettre une pièce pour accepter une nouvelle période d'attaques et de reculs.

Enfin les échecs de Syriza et les pataugeages de Podemos en ont convaincu beaucoup de l'impasse des solutions moyennes mélenchonniennes, même si on voit toujours cette poussée s'exprimer dans les succès de Jérémy Corbyn ou Bernie Sanders.

C'est pourquoi, on constate dans le mouvement actuel à un degré bien plus élevé qu'en 2010, une disponibilité des jeunes à la révolution, même si tout n'est pas fait, et si le mouvement à venir pourrait bien prendre un caractère chaotique, localisé, divers, en écho – dans un sens comme dans l'autre - avec une situation internationale mouvementée, du terrorisme à la révolution qui se lève peut-être en Afrique - avant de trouver sa voie.

Mais ce qui est important, c'est que bien des jeunes ont intégré les leçons de la période et se tournent vers les organisations révolutionnaires. Toutefois, il ne faut pas se tromper : ce n'est pas parce que bien des jeunes sont prêts à rejoindre le NPA, LO, AL, ou d'autres groupes, qu'il n'y a pas beaucoup plus largement une méfiance générale à l'égard des organisations qui ont traversé la période passée.

Cela se mesure ainsi au succès des anti-organisations, qui même s'il s'estompe à l'usage, ne peut que recommencer toujours et à nouveau à une échelle plus large lorsque de nouvelles couches entreront dans la lutte si le mouvement continue et s'amplifie.

Par ailleurs, comme en 2010 et comme déjà en 1968 lorsque 50 000 jeunes s'étaient rassemblés au stade de Charléty pour aller vers un parti révolutionnaire, ce que voudront les jeunes dans le mouvement, s'il continue et s'amplifie, c'est être une force ensemble et pas la disperser dans une multitude de boutiques concurrentes. Ainsi s'il y avait afflux à venir dans chaque groupe, il ne pourrait intéresser que des centaines ou des milliers de jeunes, alors que l'idée de faire un parti de tous les révolutionnaires, tous ensemble, peut en intéresser et toucher des dizaines de milliers et avoir une audience encore plus grande. Car, c'est à partir de là, qu'il peut intéresser d'autant plus facilement l'avant garde ouvrière – plus âgée et méfiante - déjà organisée dans des syndicats, convaincue ainsi que les groupes d'extrême gauche ne visent pas leur développement propre mais l'intérêt du mouvement lui-même et des classes exploitées.

Si la réalité de ce futur parti et l'opportunité de sa création dépendent bien évidemment de l'ampleur, des rythmes et la durée de la mobilisation à venir, ce qui reste une inconnue, il est par contre sûr que son idée est ou sera dans l'air, et qu'en ce sens, il peut trouver dés aujourd'hui une amorce  et cette perspective dans la construction de « collectifs de jeunes révolutionnaires » regroupant tous les militants et courants qui veulent non seulement le succès du mouvement contre la loi travail mais savent que pour arriver, il faudra bousculer beaucoup plus que cela.

En ce sens, l'expérience passée du NPA ne sera pas perdue, mais au contraire un tremplin idéal, puisqu'elle était de rassembler ce qu'il y avait de meilleur dans les différents courants du mouvement ouvrier. Cependant, pour ce faire, il faudra que ses militants franchissent l'étape de la clarification idéologique d'un rassemblement anticapitaliste certes, mais clairement révolutionnaire.

Jacques Chastaing

Annexe :

Appels à la grève reconductible au 19 septembre 2010 :


Au niveau interprofessionnel

-----> l’UNION SYNDICALE SOLIDAIRES nationalement y appelle : « Un mouvement de grève générale demeure nécessaire pour gagner. Il faut le construire avec les collectifs militants de toutes les organisations qui le souhaitent, avec l’ensemble des salarié-e-s : partout dès maintenant, organisons des réunions publiques, des assemblées générales, pour en discuter la mise en oeuvre. »

-----> La CNT appelle à préparer dès aujourd’hui la reconduction dans l’unité syndicale à la base, seule condition nécessaire à une victoire des salariés.

-----> FO « soutient toutes les initiatives prises par ses structures y compris pour l’après 23. Par son intransigeance, par son projet dicté pour satisfaire les marchés financiers dans le cadre d’une politique d’austérité, le gouvernement se met lui-même en situation d’affrontement et de blocage. Adoptée à l’unanimité. ».

-----> Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT, a affirmé le 10 septembre, sans lui-même s’inscrire dans cette démarche : « Plus l’intransigeance dominera, plus l’idée de grèves reconductibles gagnera les esprits »

Dans les départements et les localités

-----> En Seine maritime, CGT, FO, CFDT, CGC, FSU, Solidaires, UNSA, UNEF appellent à la grève interprofessionnelle jusqu’à l’abandon du projet et incluent la grève reconductible dans les « suites unitaires à débattre »

-----> En Haute-Loire, l’intersyndicale interprofessionnelle CGT, CFDT, FO, Solidaires, FSU, UNSA CFTC, CFE-CGC affirme que : « L’heure est à la grève interprofessionnelle jusqu’à l’abandon du projet. Nous vous appelons à mettre la reconduite de la grève en discussion dès maintenant au cours d’assemblées générales dans les entreprises, les administrations et les services. »

-----> Dans la Loire Atlantique, FO, la FSU et Solidaires disent : « Le 23 septembre doit s’inscrire dans la perspective d’une grève généralisée« . »La date du 23 septembre est déjà tardive. Si elle n’est pas prolongée par une grève reconduite destinée à bloquer les activités économiques et sociales du pays, il sera illusoire d’espérer autre chose que déplacer quelques virgules dans la loi. »

-----> En Lozère, CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC, FSU, Solidaires, UNSA, appellent « à mettre en discussion la reconduite de la grève au cours d 4AG dans les entreprises, les administrations et les services »

-----> Dans le Loiret, CGT, CFDT, CFTC, FO, Solidaires, UNSA envisagent les possibilités de reconduire la grève partout où c’est possible.

-----> L’UD CGT du Gard demande à ses syndicats d’organiser des AG pour mettre en débat la grève reconductible à partir du 23.

-----> L’intersyndicale de Roanne, lors du rassemblement du 15 septembre, a appelé « à mettre en discussion la reconduite de la grève dès maintenant au cours d’assemblées générales dans les entreprises, les administrations et les services publics. »


Au niveau Fonction Publique

-----> Solidaires FP appelle à créer les conditions de la reconduction du mouvement de grève dès le 24 septembre. En ce sens, Solidaires « Fonction publique » a déposé un préavis de grève illimitée à partir du 23 septembre.

-----> La Fédération CGT services publics appelle les personnels avec leurs organisations syndicales à mettre partout en débat la nature des suites à donner au 23, sans exclure aucune forme, y compris la grève reconductible.

-----> La Fédération CGT des organismes sociaux appelle à la grève interprofessionnelle jusqu’à l’abandon du projet.

-----> Les territoriaux CGT de Port-de-Bouc demandent la mise en débat de la grève reconductible lors de l’AG du 23.

-----> La CGT municipaux de Lille appelle à la grève reconductible à partir du 23


Dans les différents secteurs professionnels

-----> A la SNCF : SUD-Rail a déposé un préavis de grève nationale reconductible à compter du 23 septembre pour imposer le retrait. FO appelle « à une grève reconductible à partir du 22 septembre au soir ». La CFTC estime que «seule une grève reconductible peut faire reculer le gouvernement ».

-----> A la RATP, SUD appelle à la grève reconductible, et les syndicats CGT, UNSA, CFDT, Indépendants, CGC et CFTC appellent à une grève de 24 heures le 23 septembre, mais soulignent dans un communiqué commun qu’à « la lumière des évolutions éventuelles au niveau national », ils ne « s’interdisent pas de s’inscrire dans une forme d’action reconductible ».

-----> A France-Télévision, CGT, FO et CFTC ont déposé un préavis de grève reconductible à partir du 23

-----> L’intersyndicale de la Culture (CFTC, CFDT, CGT, FSU, SUD, UNSA) appelle à la tenue d’AG dans tous les services et établissements du ministère pour préparer les meilleures conditions de réussite du 23 et ainsi enclencher dès le 24 la poursuite de la grève jusqu’au retrait du projet gouvernemental.

-----> Aux PTT, SUD appelle l’ensemble des personnels et des organisations syndicales à préparer la grève reconductible à partir du 23 septembre. SUD est prêt à préparer la grève générale avec toutes les organisations syndicales qui le souhaitent.

-----> Dans la Chimie, SUD et la CGT appellent déjà à la reconduction à partir du 23 chez Total. Les fédération SUD, mais aussi la CGT de la chimie sont pour la reconduction dans toutes les activités de la chimie, de la pétrochimie et du raffinage en France. « La FNIC-CGT considère que, face à ce démantèlement programmé des retraites, nous n’avons pas d’autre choix que de durcir les mouvements, d’augmenter le rapport de forces, notamment par de nouvelles actions de grève. La question de la grève reconductible se pose de plus en plus. Nos industries font partie des professions qui doivent se préparer à la mettre en oeuvre, à commencer par interpeler les salariés sur cette question. »

-----> La CGT de l’entreprise ARKEMA-FOS (13) appelle à « une grève reconductible avec arrêt des productions à 5h » et « AG le 24 pour examiner le rapport de forces à Fos et ailleurs »

-----> La fédération nationale de l’action sociale FO (FNAS-FO) se déclare « dès le 23 septembre, pour la grèvejusqu’au retrait du projet ».

-----> La CGT-Phillips de Dreux affirme : « Si les directions syndicales veulent vraiment mobiliser les travailleurs, elles doivent être conséquentes en lançant immédiatement un appel à la grève générale jusqu’au retrait à partir du 23/09, et en la préparant dans tout le pays ! Nul doute que nous répondrons par millions, que nous bloquerons le pays et que Sarkozy devra céder, car ce sont les travailleurs qui font tourner l’économie ! ».

-----> La Fédération Finances de la CGT affirme : « il faut faire monter le niveau de l’action par la grève reconductible et le blocage du pays ».

-----> pour la Fédération CGT des Sociétés d’Etudes : « Si, au soir du 23 septembre, le gouvernement ne retire pas son projet, son obstination mettra nécessairement à l’ordre du jour la grève interprofessionnelle jusqu’à satisfaction. ».


Dans l’Éducation Nationale

-----> La fédération SUD éducation appelle à construire la grève reconductible.

-----> La CGT Education appelle à reconduire la grève du 23 si Sarkozy s’entête

-----> La CNT-FTE appelle à construire la grève générale reconductible

-----> Le SNUAS-FSU (assistants sociaux) déclare que le 23 ne peut s’envisager sans « la dynamique d’une grève reconductible »

-----> La FSU appelle les salariés à se mobiliser le 23 septembre encore plus massivement que le 7. Elle estime nécessaire de donner des suites rapides à ce mouvement unitaire et interprofessionnel en l’amplifiant. Dès aujourd’hui, sont débattues dans ce cadre, avec les personnels et les organisations syndicales, toutes les modalités d’action possibles : multiplication d’initiatives locales, poursuite de la grève, manifestation nationale, etc.

-----> « Le 23 septembre le SNUipp contribuera à organiser des assemblées générales pour débattre avec les personnels de la poursuite de la grève, de son inscription dans la durée, de nouvelles manifestations locales ou nationales ou toutes autres modalités d’actions. »

-----> Le SNES, même s’il ne défend pas publiquement la reconduction, dans une résolution du 14 septembre «mandate la FSU pour proposer à l’intersyndicale interprofessionnelle réunie après le 15 des suites rapides et rapprochées aux 15 et 23 sans exclure la reconduction de la grève afin de contraindre le gouvernement à ouvrir des discussions pour une autre réforme qui passe par le retrait du projet actuel, à envisager une manifestation nationale début octobre. »

-----> Le SNETAP-FSU (enseignement agricole) a déposé un préavis de grève reconductible à partir du 23 et a mandaté ses représentants au CDFN FSU pour y défendre le même mandat

-----> « Les organisations syndicales de l’EN de la Haute-Loire : CGT-Educ’action, FNEC-FP-FO, FSU, SUD-Education, UNSA-Education et SNETAA-Eil, estiment qu’il est de la responsabilité des organisations syndicales au plan national d’appeler les personnels à se réunir par secteurs professionnels, entreprises, services..., pour décider de la reconduction de la grève jusqu’au retrait du projet. »

-----> La FSU de l’Aude contribuera à organiser des AG intersyndicales et interprofessionnelles pour discuter de la reconduction de la grève.

-----> La FSU du Gard appelle à la tenue d’AG intersyndicales et interprofessionnelles qui discutent de la reconduction de la grève dès le 24 et de l’organisation de manifestations le 25.

-----> Les enseignants réunis en assemblée générale le mardi 7 septembre à Gennevilliers (92 nord) estiment que la grève interprofessionnelle est à l’ordre du jour. Ils seront en grève à partir du lundi 13 septembre.

-----> Une grève reconductible a commencé depuis le 14 septembre dans le 1er degré à Paris, 70 enseignant-e-s étaient en grève le 15

-----> L’AG Ile-de-France du 7 septembre a proposé d’organiser « des AG de villes 1er/ 2nd degrés et interprofessionnelles où sera mise en débat la grève reconductible »

-----> Une grève reconductible a débuté dans l’éducation nationale à partir du lundi 13 septembre dans l’Hérault (deux jours de grève le 13 et le 14) et en Loire-Atlantique.