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L’économie agricole expliquée aux « bouseux » par monsieur Bouzou

agriculture

Lien publiée le 19 avril 2016

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N’ayant pu assister au congrès de la FNSEA qui se tenait à Laval le 31 mars, nous n’avons pas eu la chance, ou le malheur, d’entendre les solutions préconisées par Nicolas Bouzou  pour sortir notre agriculture  de la crise. A dire vrai, le débat auquel il a participé avec le sénateur de droite Jean Arthuis et le président de la CGPME  Patrick Bernasconi portait sur le sujet suivant : « Quel est le rôle d’un syndicat dans le monde actuel?».  Faute d’avoir la teneur de ses propos sur le sujet,  les journaux de la FNSEA  ont servi de relai pour dérouler sa  vison débile de l’agriculture.

A peine quadragénaire, Nicolas Bouzou  est l’invité  quasi permanent d’une multitude de médias en tous genres  pour réciter son catéchisme libéral. C’est qu’il est le président du cercle Turgot, lequel regroupe les dirigeants libéraux des grandes entreprises, ceux qui s’octroient les salaires les plus mirobolants  comme récompense de leur cynisme après  avoir procédé à des charrettes de licenciements. Profitant de son passage à Laval, Bouzou a pu aussi donner une « leçon» d’économie agraire aux « bouseux » qui n’étaient pas au congrès. Ce fut  à travers un entretien accordé à cette occasion à des hebdomadaires agricoles  régionaux et départementaux  de  la mouvance FNSEA parus la semaine dernière. Un porte plume complaisant, dont on taira ici le nom par charité, lui a demandé  quelles étaient  « les transitions   auxquelles le monde fait face aujourd’hui ? » Bouzou a répondu en évoquant « un immense phénomène de destruction-créatrice amenant le passage à de nouvelles formes d’organisation ».

En économie, la  théorie  de la « destruction-créatrice » a été conceptualisée au milieu du XXème siècle par l’économiste autrichien  Joseph Schumpeter. Elle considère que les progrès technologiques rendent très vite obsolètes  les  moyens de production d’où la nécessité permanente d’être dans la course pour les remplacer  avant la concurrence afin de garder un coup d’avance. Depuis 70 ans, les économistes  qui défendent  cette théorie se montrent totalement indifférents au gaspillage permanent de capital productif qu’elle provoque,  sans compter l’augmentation considérable  des émissions de gaz à effet de serre induite par ce gaspillage.

Pire encore, les économistes libéraux attribuent à  cette théorie de la « destruction créatrice », ce  qui relève de la théorie  des avantages comparatifs, conceptualisée par David Ricardo un siècle- et-demi plus tôt. Transférer  une production textile de France au Bengladesh pour augmenter le taux de profit grâce à des salaires dix fois plus bas que chez nous ne relève pas de la « destruction créatrice », mais de la destruction tout court, via la théorie des avantages comparatifs concernant la sous rémunération du travail. C’est gaspiller du capital productif pour augmenter le taux de profit en doublant le bilan carbone des biens produits de cette manière  quand il faudrait le réduire pour freiner le réchauffement climatique.

Mais venons-en à l’agriculture. Bouzou  dit aux paysans  que l’agriculture  « est au cœur de la destruction créatrice. Les Français ne le voient pas, car ils ont une vision romantique  de l’agriculture en l’associant à la naturalité, mais ce n’est pas du tout ça en réalité. L’agriculture, ce sont les drones, le numérique (…) Le principe  de précaution  et les normes empêchent l’expression des innovations du secteur. L’agriculture  a besoin d’un choc libéral».
C’est alors que le porte plume complaisant ose demander au grand homme : « Pourriez-vous développer ? ». Et le savant de répondre : « Les agriculteurs  sont antilibéraux  alors qu’ils ont besoin d’un choc libéral. Ils se disent pro-européens dans le discours, mais votent contre dans les urnes. De mon point de vue, il faut leur redonner  leur nature d’entrepreneurs  en leur apportant moins de subventions, mais aussi moins de règles.  Le malaise premier des agriculteurs   réside dans cette contradiction intrinsèque  de leur nature, ce qui s’apparente à une véritable crise identitaire ».

Essayons  donc d’analyser la pertinence de ce propos à partir de l’actualité récente. Avant même la sortie des quotas laitiers en avril 2015, beaucoup de producteurs européens ont joué à fond  leur rôle d’entrepreneurs tel que l’envisage Nicolas Bouzou . Depuis avril 32005 la production laitière européenne a augmenté de 3,4%  en moyenne et beaucoup plus dans des pays  comme l’Irlande, les Pays Bas, le Danemark, la Pologne, voire certaines régions d’Allemagne. Comme la demande n’a pas suivi,  les laiteries  ont baissé le prix du lait de 15% en moyenne sur un an. Ce qui prive beaucoup de  producteurs du moindre  revenu une fois payés les charges  d’exploitation en France comme dans les autres pays  de l’Union européenne. Voilà qui nous informe sur les conséquences  du choc libéral que ce stupide Nicolas Bouzou, qui ne connait rien aux dossiers agricoles,  veut imposer aux « bouseux » qui traient les  vaches eux fois par jour et 365 jours par an.

Comme le nombre de vaches laitières augmenté en Europe,  le nombre de vaches de réforme qui vont à l’abattoir a lui aussi augmenté ainsi que celui des jeunes bovins mâles. Du coup  les volumes de viande bovine disponibles sur le marché européen  ont augmenté, ce qui fait aussi baisser les prix  des bovins  des races à viande très nombreux en France. Notons enfin  que la baisse des prix touche aussi durablement les céréales pour cause de récolte mondiale  abondante trois années de suite  tandis que la surproduction  porcine des élevages industriels d’Espagne  et d’Allemagne  provoque aussi  une baisse durable des cours  et débouche sur des faillites qui seront destructrices de bâtiments  d’élevages presque neufs en certains endroit pendant que l’on en construira des plus grands dans  d’autres lieux  pour tenter d’avoir un  coup d’avance sur la  concurrence .

L’agriculture  produit des biens périssables. Elle a besoin de politiques permanentes de régulation pour tenter de faire en sorte que l’offre répondre  à la demande sans risque de pénurie ni de surproduction. C’est ce que montre depuis près de deux ans  la crise qui touche les quatre grands secteurs que sont les céréales,  le  lait de vache, la viande bovine et la viande porcine. Parce qu’il choisit d’ignorer  ces réalités,  à moins qu’il soit incapable de  les comprendre,  Nicolas Bouzou raisonne comme le dernier des  abrutis. Reste à savoir pourquoi  les principaux dirigeants de la FNSEA l’ont  invité au congrès de Laval pour enfumer  les adhérents de leur syndicat  avec des théories  absurdes pour l’agriculture.
Car nous avons retrouvé Nicolas Bouzou  ce  19 avril dans les pages débats du Figaro. Il y déplore les quelques aménagements  inclus dans le projet de loi El Khomri  avant le débat à l’Assemblée. Après avoir reproché au gouvernement  de « suivre les recommandations d’un président de syndicat étudiant ignare  plutôt que celles d’un prix Nobel d’économie »,  Bouzou explique que « le problème du chômage structurel  de la France  peut être résolu en introduisant un nouveau CDI flexible » à quoi devraient s’ajouter « une dégressivité des indemnisations du chômage »  et quelques autres mesures du même type .

Il reste alors à savoir si des travailleurs  et des demandeurs d’emploi de plus en plus appauvris par la précarité auront demain  de quoi acheter  assez de  viande de fromages et de pain   pour donner des débouchés aux paysans  après avoir payé les dépenses incompressibles, dont celles qui permettent de garder son logement. On devrait y réfléchir à cette direction un brin masochiste de la FNSEA  avant de réinviter un économiste aussi « ignare » que Nicolas Bouzou  sur les dossiers agricoles pour vernir cracher son mépris des réalités  à la face des « bouseux ».

  • (*) Auteur  de « l’Ecologie peut encore sauver l’économie », un livre coédité par Pascal Galodé et l’Humanité