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Violences policières: des manifestants témoignent
Ces articles de la rubrique « Ailleurs sur le web » sont publiés à titre d'information et n'engagent pas la Tendance CLAIRE.
(Mediapart)
Manifestation le 1er mai © Reuters
Mediapart a recueilli les témoignages de douze manifestants, simples témoins ou eux-mêmes victimes de violences policières lors des manifestations du jeudi 28 avril et du dimanche 1er mai à Paris. Ils évoquent des « scènes de guerre » sur la place de la République et dans les rues adjacentes,« une violence inouïe » de la part de CRS ou encore des stratégies de gestion des foules ayant « mis en danger » les manifestants pacifiques.
Depuis les premières manifestations contre la loi El Khomri, s’est ouverte une guerre de communication. D’un côté, les autorités qui dénoncent, à chaque communiqué, l’infiltration du mouvement par des éléments incontrôlables dont la présence justifierait la répression des rassemblements. Après chaque manifestation, le ministère de l’intérieur ou la préfecture de police n’ont de cesse de faire porter la responsabilité des débordements sur des groupes de « casseurs extrémistes qui ont pour seule motivation la haine de l’État et de ce fait, des valeurs de la République », selonl’expression de Bernard Cazeneuve.
De l’autre, des manifestants qui dénoncent un durcissement des stratégies policières, des provocations visant à déclencher des affrontements et une répression féroce accompagnée de nombreuses bavures. Ces militants ont transformé leurs téléphones portables en véritables armes. Que les vidéos soient postées sur Facebook et YouTube ou diffusées en direct via l’application Periscope, les images des violences policières pleuvent après chaque rassemblement ou manifestation. Symptôme de ce nouveau pouvoir, de plus en plus de policiers s’attaquent désormais directement aux preneurs d’images, comme dans ces vidéos, tournées le dernier week-end et qui montrent un policier en civil projetant du gaz lacrymogène dans le visage d’un photographe, ou celui-ci tentant d’arracher son appareil à un autre.
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Alors que s'accumulent les témoignages en vidéos, images ou tweets rapportés par des particuliers ou des sites d'information spécialisés, la Ligue des droits de l'homme, de son côté, a officiellement demandé, mardi 3 mai, la mise en place d’une « enquête parlementaire afin que toute la lumière soit faite sur des événements qui, y compris chez les policiers et les gendarmes, ont déjà fait plusieurs victimes et qui ont par ailleurs entraîné des peines de prison ferme ».
De son côté, Mediapart a recueilli les témoignages de douze manifestants présents lors des manifestations du 28 avril et du 1er mai à Paris. Simples témoins, ou eux-mêmes victimes de violences, ils reviennent sur plusieurs événements de la semaine dernière, et notamment la violente évacuation de la place de la République, le jeudi 28 avril au soir, et la répression policière lors de la manifestation du dimanche.
LE JEUDI 28 AVRIL
- Gabriel Dumas-Delage, 24 ans, réalisateur et surveillant dans un collège.
J’étais sur la place de la République depuis environ minuit, je filmais et commentais pour mon compte Periscope, lorsque, vers 1 h-1 h 30, ça a commencé à chauffer. Jusqu’alors, les choses étaient plutôt tranquilles. Et puis, les CRS ont commencé à balancer des lacrymo partout sur la place.
Nous nous sommes dispersés en petits groupes que les CRS ont repoussé sur les bords de la place. Je me suis placé en première ligne pour pouvoir filmer les événements. Les policiers n’arrêtaient de balancer des grenades lacrymogènes mais également des grenades de désencerclement, et ce en tirs tendus. Il faut savoir que ce sont des armes de guerre. Si elles vous touchent directement au visage, vous pouvez être brûlé ou perdre un œil. Et quand elles explosent, elles se dispersent en des sortes de petits plots.
Ce soir-là, ça tirait dans tous les sens. Autour de moi, plein de gens sont touchés aux jambes par ces plots. Moi-même, je reçois quelque chose dans la cuisse, que je crois être un tir de Flash-Ball. Une fille, juste derrière moi, reçoit un projectile à la tête, à 2-3 centimètres de l’œil. Elle tombe par terre et hurle. Sur son visage, elle a une brûlure sur la joue et un gros bleu. Peu à peu, nous prenons conscience que nous sommes victimes d’un truc qui nous dépasse. Les manifestants voulaient occuper la place de la République, mais d’une manière pacifique. Personne ne s’était préparé à être attaqué de la sorte.
Durant 30 minutes, ça n’a été que ça : des tirs, les gaz, des cris, des blessés et des gens qui courent dans tous les sens, qui viennent me voir pour que je filme leurs blessures. Moi, je cours à gauche et à droite pour aider et distribuer du sérum physiologique que j’avais en stock. Au bout d’un moment, nous sommes tous repoussés autour de la place. Plus personne n’est sur la dalle. Et c’est à ce moment-là que les CRS décident de charger. Sur un groupe d'environ 90 manifestants, ils en isolent un tiers. Et là, ils les défoncent à coups de matraque. Les images de ma vidéo sont de mauvaise qualité. Mais je peux vous assurer que c’était choquant de voir tout un groupe d’hommes lever leur matraque pour en frapper d’autres qui, eux, n’étaient pas armés ni même équipés pour se protéger. Ensuite, ils en ont chopé quelques-uns, au hasard, pour les interpeller. Il est alors un peu plus de 2 heures du matin. 5-10 minutes après, je vois tout d’un coup sortir un mec d’un buisson. Je ne sais pas d’où il venait, s’il s’était juste caché là. Il est couvert de sang. Je ne crois pas avoir déjà vu autant de sang sur une personne de ma vie. Il m’explique qu’il a reçu un coup de matraque sur la tête.
Ensuite, nous avons pu quitter la place et je suis rentré chez moi. Mais je sais qu'après, ils ont continué à poursuivre des petits groupes jusqu'à Bastille. Et là, il n'y avait aucune caméra pour filmer. Je n'y étais pas, mais d'après ce que j'ai entendu, il s'y est passé des choses pas jolies du tout.
Lucie Hautelin © Jérôme Chobeaux
- Lucie Hautelin, 25 ans, comédienne. Il s’agit de la jeune fille blessée à la tête dont parle Gabriel Dumas-Delage dans son témoignage.
J'étais sur la place de la République jeudi soir, je discutais avec des amis, il y avait de la musique et des chants, c'était un rassemblement totalement pacifique. Vers minuit, la police a complètement encerclé la place, bloquant toutes les issues. Vers 1 heure, alors que nous étions toujours nassés, les gaz lacrymogènes se sont mis à pleuvoir sur nous. Alors que nous suffoquions, complètement aveuglés par la fumée, les CRS ont chargé de tous les côtés pour nous rabattre vers le boulevard Voltaire, où une rangée d'autres flics nous attendait avec leurs boucliers. Là, ils s'en sont donné à cœur joie…
À ce moment, j'ai vu l'un de mes amis courir pour porter secours à un type à terre qui se faisait tabasser. Je pars à sa suite et, soudain, une douleur me transperce le crâne : je tombe et je hurle en me tenant la mâchoire. Sur le coup je pensais avoir été touchée par un tir de Flash-Ball, mais il s'avère que c'était un éclat de grenade. Deux personnes viennent me chercher et me portent jusqu'au cordon de policiers, qui ont fini par me laisser passer lorsqu'ils ont vu ma blessure. Je ne reviens toujours pas de cette fin de nuit, d'une violence inouïe.
Une « nuit de terreur » autour de la place de la République
- Sarah, la trentaine, vient de terminer sa thèse en littérature, présente sur la place de la République et ayant assisté aux violences après l'évacuation de la place de la République évoquées dans le premier témoignage.
Je n’étais pas à la manifestation, je suis arrivée sur la République dans l’après-midi pour aider à l’installation de la Nuit debout. J’ai tout de suite senti que l’atmosphère était très différente de celle des précédentes semaines : les policiers étaient très tendus, impossible d’entamer le dialogue comme on pouvait le faire avant. On les aurait dit peu sûrs d’eux, demandant par talkie des renforts sans raison. Mais c’est nous qui avons fini terrorisés. Étant donné la tension, nous avions anticipé mais 30 minutes avant la fin de l’autorisation ils ont lancé des gaz lacrymogènes, c’est vite devenu un feu d'artifice de gaz et autres projectiles : il y a eu des cris, des tirs, des personnes tombaient à terre, vomissaient… Puis ils ont chargé, tabassé indistinctement, alors qu’ils nous bloquaient l'avenue de la République. Une personne blessée à la jambe a été évacuée de la route et accompagnée derrière contre la brasserie, à l'abri pensait-on… Mais la charge a été donnée et ils ont foncé, écrasant tout le monde, frappant sur les gens, même à terre, leur marchant dessus, y compris blessés et infirmiers… Un massacre. Et après avoir eu la chance de pouvoir franchir le blocus, le cauchemar n’a pas cessé.
Dans les rues adjacentes à République, les CRS chargeaient de nouveau, la panique, des gens à terre se faisaient tabasser, une fille se faire éclater la main parce qu’elle l'avait levé pour parler (habitude de l'école et des codes de l’AG), et devant le Bataclan,vers 2 h 30 du matin, un jeune homme est embarqué avec du scotch sur la bouche ! J’ai vécu, pour la première fois et sans avoir pu imaginer ça possible, des scènes de guerre en plein Paris. Nous étions complètement paniqués.
Je pensais aux blessés, à mes amis qui les soignaient et que j’avais vus pour la dernière fois place de la République. Nous étions tous choqués, ce corps d’armée avec qui nous avions dialogué pendant des semaines ne nous regardait plus dans les yeux ; ils avaient pour ordre de frapper. Le choc était violent ! Tout le monde était horrifié et les réactions étaient multiples : courir, tomber, se jeter à terre ou ramasser les blessés. J’étais révoltée, et leur disant : « C’est abject ce que vous faites, vous n’avez pas le droit », un CRS me répond : « On a tous les droits, c’est l’état d’urgence. » « Même celui de vie ou de mort ? » « Oui. »
La violence des mots comme des maux fut terrible et massive. Je ne m’en suis toujours pas remise. Pendant 5 jours, je n’ai pas dormi. Je réalise petit à petit l’étendue du traumatisme. Je m’interroge sur les pouvoirs des dirigeants du « pays des droits de l’homme ». Je croyais que nous étions en droit de nous rassembler pour réfléchir et faire évoluer la situation actuelle vers une société plus égalitaire et plus juste. Je réalise à mon corps défendant que ma liberté de parole et mes droits fondamentaux sont des illusions. Et après avoir vécu cette nuit de terreur, ce que l’on entend dans les médias est proprement odieux, on est si loin de la réalité… On a peur. On se demande combien il y aura de blessés, de morts ? Les victimes sont de plus en plus nombreuses, des citoyens innocents qui découvrent avec stupeur l'atrocité de méthodes policières ignobles. Ils sont censés maintenir l'ordre mais organisent le chaos, frappent aveuglément des gens non violents, coupables simplement de penser naïvement que la liberté d'expression est un droit qu'ils peuvent exercer légitimement.
En poursuivant cette tactique de la peur et de la répression de la liberté d’expression, ils semblent mal en mesurer les conséquences et la portée de la colère, devenue pour certains de la haine.
- Félix, 25 ans, étudiant en 4e année au cours Florent et régisseur d’un théâtre, présent dans le cortège, place de la Nation.
J’ai 10 ans d’expérience dans les mobilisations de toutes sortes : depuis mars, je manifeste pacifiquement contre le projet de loi sur le travail, la réforme des intermittents et le monde vers lequel veut nous mener le gouvernement. Jeudi 28 avril, je suis arrivé vers 18 heures sur la place de la Nation pour observer les affrontements : il y avait quelques black blocs qui provoquaient la police, leur lançant des projectiles et s’enfuyant.
Même si on ne peut pas, dans ce cas, parler de violences policières gratuites, j’ai reçu des éclats de grenade à deux moments distincts. Je n’ai pas eu besoin d’être hospitalisé, mais j’ai gardé de bonnes contusions. Dimanche, j’étais en tête du cortège, au milieu des black blocs : il y en avait qui venaient de tous les pays, je n’en avais jamais vu autant dans une manifestation, ils devaient être 300 ou 400. Mais ils ont très vite été nassés, il n’y a eu que très peu de casse, contrairement à jeudi.
DIMANCHE 1er MAI
Camille, 28 ans, doctorant en sociologie, présent en tête de cortège dans le défilé du 1er-Mai.
J’étais avec les étudiants à l’avant du cortège qui progressait sur le boulevard Diderot. Vers 15 h-15 h 45, un cordon de CRS a fendu la foule, juste derrière nous, nous isolant du reste de la manifestation. De nombreuses personnes se sont trouvées séparées. Nous-mêmes, nous avons perdu de vue des amis qui se trouvaient juste 20 mètres derrière. Le cortège s’est donc trouvé coupé en deux : nous, un groupe d’environ 2000 personnes, et derrière le reste des manifestants.
Jusqu’à ce moment-là, les choses se passaient relativement bien. En tout, je n’ai vu aucun heurt. Mais là, il y a eu une sorte de réflexe collectif. L’avant du cortège était également stoppé. Et les gens ont tenté de rejoindre le reste du cortège, pour retrouver leurs proches. Mais en réponse, les forces de l’ordre n’ont fait que renforcer leur présence. Peu à peu, la tension est montée, par incompréhension de ce qu’il se passait, par inquiétude et par énervement. La majorité des personnes étaient des manifestants pacifiques. Il y avait des étudiants, des personnes âgées, des familles venues avec des enfants en poussette…
À partir d’un moment, un groupe d’environ une quarantaine de – je n’aime pas le mot « casseurs » – lycéens ou étudiants mieux équipés pour ce genre de situation se sont interposés en allant au contact avec les CRS. Nous nous sommes retrouvés juste derrière. Il y a eu quelques jets de projectiles, mais ils n’ont même pas été si violents que ça. Ça m’a même surpris. À un moment, j’ai entendu l’un d’eux crier « ça va gazer ! » et tous ces jeunes se sont instantanément dispersés dans le cortège… nous nous sommes retrouvés nez-à-nez avec les polices et nous avons reçu le gaz à bout portant.
Après ça, j’ai du mal à raconter car je ne voyais plus rien. J’ai ressenti des coups de bouclier. Nous avons tenté de former une chaîne en nous serrant les coudes, mais les CRS nous poussaient. Le problème, c’est que des voitures en aval formaient un goulot d’étranglement. Des gens se sont trouvés compressés contre les véhicules et plusieurs ont fait des malaises. Il y a eu 10 minutes vraiment flippantes de confusion générale et de panique. Je n’ai pas vu de coups de matraque, mais manifestement, il y a eu des violences. J’ai notamment vu une dame, dans la soixantaine, avec l’arcade ouverte.
Le service d’ordre étudiant a ensuite réussi à tempérer et à calmer les choses. Le cortège a pu reprendre, mais toujours séparé en deux. Le cordon de CRS nous suivait et nous maintenait à distance à coups de gaz et de matraque. Je me souviens d’au moins trois séquences de gazage.
Le cortège coupé par un cordon de CRS, boulevard Diderot le 1er mai © Jérôme Chobeaux
Julia, 56 ans, fonctionnaire dans une université, présente en tête de cortège dans le défilé du 1er-Mai.
Je suis arrivée à Bastille vers 15 h 30, puis nous avons avancé sur le boulevard Diderot. Là, le cortège a été stoppé par les CRS. Mais nous avons vu que des gens continuaient à progresser sur le côté, en longeant le mur. Avec mes amis, nous avons tenté à notre tour de nous glisser. Mais, le temps d’arriver, le passage avait été bloqué par un cordon de 15-20 CRS, appuyés au mur. Nous nous sommes retrouvés dans un groupe de 30-40 personnes, coincé entre le cortège et les cordons de CRS. Tout autour de nous tombaient, d’un côté les grenades lacrymogènes, et de l’autre les projectiles lancés par des manifestants.
C’est très vite devenu irrespirable. Nous étions écrasés, ça hurlait, ça criait, beaucoup de gens faisaient des crises d’angoisse. Moi-même, à un moment, j’ai cru que j’allais mourir là. Je suis tombée à genoux devant les CRS mais j’ai eu le réflexe de me relever. Je leur ai dit « je meure », et l’un d’entre eux s’est légèrement reculé. De l’autre côté du cordon, je me suis effondrée par terre. Même si eux aussi ont souffert des gaz et ont reçu des projectiles, les CRS nous ont réellement mis en danger. Il suffisait qu’ils relâchent un peu cette nasse pour apaiser la pression et éviter tout risque. J’ai vraiment eu très peur. Mais ça ne m’empêchera pas de retourner manifester. Au contraire !
Scène de panique dans la station Jacques-Bonsergent
- Endika, étudiant espagnol de 21 ans, blessé à la tête dimanche 1er mai.
J’étais coincé dans la deuxième partie du cortège, la police ne nous laissait pas avancer ni en avant, ni en arrière. Certains, cagoulés, ont jeté des bouteilles aux CRS, alors nous nous sommes trouvés bloqués entre des grenades lacrymogènes et de la fumée… La police a chargé contre tous, indistinctement, j'ai reçu un coup de matraque. Je veux souligner que je n'étais pas cagoulé, je voulais tout simplement faire partie de la manif du 1er-Mai…
Fermin Grodira © Jérôme Chobeaux
- Fermin Grodira, 23 ans, journaliste espagnol.
J’ai été touché à la tête dimanche 1er mai à la suite d’une explosion, qui a aussi blessé un ami assez gravement à l’œil. Nous étions pourtant bien identifiés comme membres de la presse, et en aucun cas les policiers n’ont pu nous confondre avec des manifestants violents. Mais il y avait une très forte pression sur les journalistes : ils nous ont poussés à plusieurs reprises avec leurs boucliers, et malgré nos blessures évidentes au visage, ils n’ont pas voulu nous laisser sortir avant l’intervention de l’un de leurs supérieurs.
À l’hôpital, il y avait beaucoup de blessés : un autre journaliste avec cinq points de suture au crâne, une dame, âgée d’environ 70 ans, avait été matraquée à la tête, un jeune homme qui avait perdu deux doigts… Quand j’ai vu le communiqué de la préfecture faisant état de deux blessés, je n’y ai pas cru : quand je suis arrivé aux urgences, en milieu d’après-midi, il devait déjà y avoir au moins une demi-douzaine de manifestants…
L’explosion qui nous a touchés ne peut cependant pas être attribuée avec certitude aux policiers : quand j’examine les images de ce moment, j’ai l’impression qu’elle pourrait être attribuée à une bombe artisanale lancée par des autonomes…
- Jérôme, photographe indépendant, 38 ans.
Dimanche après-midi, après quelques altercations entre la police et des manifestants cagoulés, les CRS ont décidé de séparer le cortège et de gérer son avancée, forçant donc les gens à se serrer les uns contre les autres sans aucune sortie possible. Les casseurs étant mêlés aux différents groupes de manifestants séparés, la police a continué de lancer des grenades lacrymogènes au milieu des gens attroupés. Beaucoup ont commencé à paniquer, à ressentir des malaises. Certains ont été poussés sur les CRS et ont, par conséquent, été aspergés de gaz lacrymogène et frappés à coups de matraque, y compris des personnes âgées. J'ai moi-même été dans cette situation. J’ai également reçu deux éclats de grenade dans le dos qui ont laissé quelques traces…
J'assistais à un très bon concert de Zoufris Maracas à la Nuit debout place de la République, et des affrontements avaient lieu entre les casseurs et les forces de police. Après de longs échanges de grenades lacrymogènes (souvent à hauteur d’homme) et de projectiles, la police a cerné la place, enfermant plus d’une centaine de personnes (aucun casseur restant) et nous poussant sans ménagement avec lacrymogènes, coups de matraque et insultes – y compris de simples passants, et même un homme en chaise roulante avec sa fille – afin de nous contenir au fond de la place. Là, nous avons été bloqués plus d’une heure, et après qu'ont pu partir une grosse partie d'entre nous, d'autres se sont vu pousser à l’entrée du métro Bonsergent puis gazer… Le pire sentiment pendant cette journée et cette soirée était de se sentir obligé de répondre à chaque ordre de la police, à obéir au pas, à avancer ou à s’arrêter, à devoir ne plus penser…
- Fabien Marcot, 30 ans, graphiste, présent lors du blocage de la station de métro Jacques-Bonsergent, dimanche 1er mai.
Ce soir-là, nous allions dîner avec des amis. Déjà, à l’aller, nous avions dû changer de métro à Nation. Là, en prenant les couloirs, nous avons commencé à sentir une forte odeur de lacrymo. Puis, en avançant, nous avons vu des gens faire un mouvement de recul. Un peu plus loin, en haut d’un escalier, il y avait des CRS, Flash-Ball pointés sur nous. Les CRS étaient en fait un peu partout dans les couloirs et donnaient des ordres aux gens d’une manière disons très ferme… Et toujours cette odeur de lacrymo de plus en plus forte. C’était une ambiance très étrange.
Vers 23 h 30, nous sommes sortis du restaurant et nous avons repris le métro. Nous devions cette fois changer à République mais, arrivé à la station, le conducteur a annoncé que celle-ci était fermée et que le train ne s’y arrêterait pas. Nous sommes donc descendus à la station suivante, Bonsergent. Il faut savoir que celle-ci n’a qu’une seule issue. Nous sommes descendus sur le quai et nous sommes dirigés vers l’escalier. Là, nous avons vu des gens les descendre en courant et senti une odeur de lacrymo irrespirable.
Tout le monde s’est retrouvé bloqué en bas des marches et cherchait à se réfugier à l’autre bout du quai pour échapper à la lacrymo. Des gens hurlaient, toussaient, crachaient leurs poumons sur le quai. Certains ont traversé les voies pour tenter de prendre l’autre escalier, lui aussi bloqué. Craignant qu’ils ne soient électrocutés, d’autres ont tiré la sonnette d’alarme.
On a vite appris qu’il s’agissait de manifestants qui avaient été repoussés par les CRS dans le métro. Mais durant 10-15 minutes, nous sommes restés bloqués dans ces conditions sans métro, sans aucune information. Quand nous avons pu remonter les escaliers, il y avait toute une rangée de CRS, les Flash-Ball braqués sur nous. À l’extérieur, il y avait une cinquantaine de cars de police. Personne n’a été contrôlé et je n’ai vu aucune arrestation.
Les pacifistes tentent de s'interposer
- Lucie, membre de la commission Sérénité.
Le problème de la commission Sérénité, c'est que la plupart du temps, on a déjà plié bagage lorsque les premiers heurts arrivent. C'était le cas jeudi soir par exemple. Par contre, dimanche, ça a commencé à chauffer aux alentours de 22 heures, donc on était toujours sur la place. On a essayé de s'interposer entre les manifestants violents et les forces de l'ordre, mais concrètement ça n'a servi à rien. On voulait que ceux prêts à en découdre quittent la place, pour ne pas nuire à l'image de Nuit debout, mais sans succès.
Notre tactique, c'est vraiment d'essayer de tempérer les affrontements, par exemple en participant à la chaîne humaine pour protéger les CRS des projectiles : ça n'a pas empêché certains de continuer à canarder, et l'un de ces pacifistes a été atteint au crâne par une bouteille, sans trop de dommages heureusement. On était aussi présents dans la manifestation du 1er-Mai, pour encadrer notre cortège, mais il s'est avéré qu'il n'y en avait pas besoin.
Des "pacifistes" s'interposent entre policiers et manifestants © Jérôme Chobeaux
- Cassien, pacifiste.
Devant la violence des affrontement du jeudi 28 avril, nous avons décidé d'organiser entre amis un petit groupe d'action pacifiste pour répondre et agir devant la montée des violences de toute nature qui ne conduisent qu'à la destruction de toute forme de débat, sur la place comme ailleurs. Lors de la manifestation, nous étions une poignée à nous interposer devant les forces de l'ordre pour qu'elles ne chargent pas et pour empêcher des manifestants de les atteindre avec des projectiles. Ceci ne les a pas empêchés de nous jeter toutes sortes de projectiles, y compris des bombes agricoles. Du côté des policiers, violents ou non, tout le monde est mis dans le même panier, nassé et chargé à outrance, avec coups de matraque, gazage à répétition et attitude très agressive.
Sur République, avec l'aide d'une dizaine de personnes, nous avons méticuleusement débarrassé la place de tout objet pouvant être utilisé comme projectile. Quand certains manifestants ont commencé à vandaliser le GoSport place de la République, nous nous sommes rapidement mobilisés pour s'interposer entre manifestants et policiers suivant la même stratégie que l'après-midi. Nous avons été rejoints très vite par une cinquantaine de personnes, levant les mains en signe de non-violence pour faire cesser les affrontements. Malgré cela, nous avons été la cible de jets de bouteilles et autres projectiles en tout genre (l'un de nous a été blessé à la tête, sans gravité heureusement) et traités de « collabos ». Quand la tension s'est calmée, les forces de l'ordre ont provoqué à leur tour en envoyant des grenades lacrymogènes en grande quantité. Des groupes dansaient, d'autres chantaient et certains tentaient d'ouvrir le dialogue avec manifestants et policiers.
La police n'avait aucune intention de se retirer et, après une énième charge, nous a également évacués de la place après un encerclement stratégique. Nous restons convaincus que notre mode d'action est légitime et que son but est de faire cesser toute violence. Malgré cela, les personnes violentes ne sont jamais écartés de nos rassemblements, malgré des fouilles extensives et des policiers en civil. Les policiers, quant à eux, réagissent à des ordres extrêmes et selon un plan d'action pré-établi qui n'inclut absolument pas notre mode d'action inopiné.
Nous assistons de toute part à une exclusion du dialogue et à des actes qui relèvent de la bêtise.
Dans le communiqué de la préfecture, il n'est fait aucune mention de personnes pacifistes qui ont cherché à faire baisser la tension mais qui ont été pris pour cibles, d'un côté comme de l'autre.
Plusieurs manifestants m'ont personnellement adressé la parole en me disant qu'il fallait respecter le mode d'action de chacun, mais de toute évidence ils ne respectent pas le nôtre car ils ou elles essayaient de me convaincre de mes torts. J'insiste sur la difficulté à garder son calme dans une situation où nous sommes menacés de partout. Nous avons tout de même réussi à faire reculer plusieurs fois les forces de l'ordre, mais en l'absence d'une autorité de médiation sur place, notre action n'a pu conduire à un retrait des policiers. Un de nos amis a été touché au genou par un Flash-Ball alors qu'il levait les mains sans être au contact du cordon policier. Je rappelle que notre initiative est citoyenne, elle n'est pas réalisée dans un cadre. Notre revendication est de faire cesser les provocations et les violences, pour promouvoir un débat citoyen dans de bonnes conditions. Quand nous voyons le nombre important de manifestants prêts à s'interposer pour mettre un terme à la violence, nous sommes confiants que la tendance générale est au calme malgré la pression étatique démesurée et qu'ils recherchent simplement un mode d'action pacifique.
Place de la République, le soir du 1er mai © Jérôme Chobeaux
- Street Médic est un collectif de manifestants qui tente d’apporter les premiers soins lors des manifestations. Voici un extrait de son communiqué sur les manifestations du 1er-Mai.
Nous sommes une trentaine de manifestantEs (grévistes, étudiantEs, précaires, différents comités d'actions, participantEs à Nuit Debout et en lien avec l'infirmerie) à avoir décidé de venir équipés de matériel de premiers soins dans les manifs ou les rassemblements afin d'aider toutes les personnes victimes de la répression. En manifestation nous sommes tous et toutes susceptibles d'être victimes de violences policières. Au vu des derniers bilans street médic, c'est tout le monde, passantEs, manifestantEs, jeunes, vieux, enfants, photographes, énervéEs, paisibles qui sont blesséEs légèrement ou gravement.
Ce 1er mai a été particulièrement sanglant, nous donnerons un chiffre approximatif car il ne reflète qu'une infime partie du nombre de blesséEs.
Il y a eu : une centaines de blessures dues aux coups, aux grenades et aux tirs de Flash-Ball (lbd), entraînant des brûlures et des plaies superficielles à très graves, aux jambes, au visage, aux yeux, au crâne, aux mains, aux doigts, au torse, au dos, au ventre, aux bras, aux épaules, aux pieds. Beaucoup de crises d'angoisse, de crises d'asthme, de malaises, sans parler des traumas psychologiques immédiats, ou sur le long terme des manifestantEs comme des street médics.