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Algérie : La Mecque de la Révolution

Algérie

Lien publiée le 15 mai 2016

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http://libeafrica4.blogs.liberation.fr/2016/05/15/algerie-la-mecque-de-la-revolution/

Algérie : La Mecque de la Révolution

Propos recueillis et traduits par Vincent Hiribarren (English version below).

Questions à Jeffrey Byrne, Assistant Professor à l’University of British Columbia (Canada). Son dernier ouvrage Mecca of Revolution: Algeria, Decolonization, and the Third World Order vient d’être publié par Oxford University Press.

Pouvez-vous expliquer le titre de votre dernier livre ?

Employé pour designer Alger dans les années 1960, l’expression «Mecque de la Révolution» est d’Amilcar Cabral, le dirigeant nationaliste qui a libéré la Guinée-Bissau «portugaise». J’ai choisi ce titre pour mon livre parce que je suis particulièrement intéressé par la façon dont l’Algérie est devenue un centre important dans le réseau mondial des mouvements révolutionnaires et de guérilla. Les Algériens ont aidé à former des révolutionnaires d’Afrique du Sud (y compris Nelson Mandela), de Palestine, d’Angola, du Venezuela, et beaucoup d’autres endroits : une grande partie de la doctrine militaire et politique qui a façonné le Tiers-Monde postcolonial a été disséminée à partir de l’Algérie. Le sous-titre du livre, «l’Algérie, la décolonisation, et l’ordre du Tiers-Monde», reflète l’un de mes principaux arguments : l’internationalisme anticolonial par nature subversif et transnational s’est étonnamment transformé en un ordre postcolonial conservateur et centré sur l’État. Alors qu’au départ il s’agissait d’une forme de résistance transnationale qui portait atteinte à l’autorité de l’État colonial, le «tiers-mondisme» a évolué en un processus diplomatique très enrégimenté et ordonné qui a renforcé l’autorité de l’État postcolonial. En d’autres termes, la décolonisation, un phénomène centré sur l’État par nature, a eu un résultat étonnamment conservateur et restrictif compte tenu de la teneur radicale de la politique anticoloniale.

Vous avez analysé des documents du Front de Libération Nationale (FLN) qui ont été peu utilisés par les historiens précédents. Qu’avez-vous découvert ?

En termes de recherche, ma découverte principale a été d’avoir eu accès non seulement aux archives du FLN entre 1954 et 1962, mais aussi à celles de l’Etat algérien après l’indépendance, y compris celles du ministère des Affaires Étrangères, celles de la présidence et celles du FLN (devenu un parti) après 1962. En raison du dynamisme de l’Algérie dans les affaires internationales à cette époque, ces nouvelles sources portent un nouvel éclairage sur l’histoire postcoloniale de l’Afrique, sur le monde arabe, et sur le mouvement tiers-mondiste dans son ensemble. Ces archives contiennent des documents détaillés sur les interactions entre les Algériens et des pays comme l’Égypte, le Ghana, la Guinée, la Tanzanie, la Yougoslavie, la Chine et Cuba... Voici quelques exemples qui m’ont surpris : un texte de Frantz Fanon exhortant Patrice Lumumba à ne pas affronter les Américains et sa condamnation de Kwame Nkrumah pour avoir encouragé le comportement suicidaire du premier ministre congolais ; un autre document montrant la nature délibérément agressive de la politique menée par des pays comme l’Algérie, le Mali et l’Indonésie en faveur du non-alignement quand ces derniers craignaient une réduction des tensions de la guerre froide dans leur correspondance ; une autre source montrant comment ces pays voyaient la concurrence entre Américains et Français ou entre Chinois et Soviétiques comme étant beaucoup plus importante pour le Tiers Monde que la concurrence entre Américains et Soviétiques ; d’autres documents montrant la rivalité entre des concepts tels que le panafricanisme, l’unité du Maghreb, et le nationalisme arabe ; et enfin d’autres sources révélant la diplomatie intense autour du coup d’État algérien qui a renversé Ahmed Ben Bella en juin 1965.

Votre livre s’est concentré sur le concept de «Tiers Monde». Comment expliqueriez-vous l’évolution du sens de cette expression ?

Pendant trop longtemps, les études sur Bandung, l’Afro-asiatisme, le non-alignement, et le Tiers-Mondisme ont mis l’accent sur la rhétorique et les discours comme sources d’inspiration, occultant le fait qu’il s’agissait de véritables initiatives géopolitiques lancées par des hommes d’État. Les ambiance et imaginaire du Tiers-Mondisme ont certainement joué un rôle très important, mais il ne faut pas oublier que les participants à ces événements désiraient dépasser la simple ambiance de réforme afin de réaliser de profondes transformations dans les structures politiques et économiques mondiales. Par conséquent, du point de vue de l’historien, l’un des aspects fondamentaux de l’implication de l’Algérie dans le «projet du Tiers-Monde» était que les diplomates algériens ont parlé de la nécessité de traduire la rhétorique de Bandung en une politique étrangère réaliste et pratique. Mon livre décrit leurs efforts étonnement couronnés de succès.

À bien des égards, le «projet du Tiers-Monde» est en fait plus pertinent pour le monde actuel qu’il ne l’a été pendant plusieurs décennies. La pertinence continue et croissante du Tiers-Mondisme est évidente dans l’opposition africaine à la chute de Kadhafi, le soutien de l’Amérique latine pour le programme nucléaire de l’Iran, l’effondrement de l’État et les crises migratoires qui en résultent, ainsi que les percées récentes dans les négociations mondiales sur le climat. En fin de compte, le «monde postcolonial» englobe le monde entier. Il est urgent que nous apprenions l’histoire de la soi-disant «périphérie» afin de mieux comprendre notre avenir collectif.

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Can you explain the title of your latest book?

The term “Mecca of Revolution” is how Amilcar Cabral, the national liberation leader from “Portuguese« Guinea-Bissau, described Algiers in the 1960s. I chose this for the title of my book because I am particularly interested in the way that Algeria became a important nexus in the worldwide network of revolutionary and guerrilla movements. The Algerians helped to train revolutionaries from South Africa (including Nelson Mandela), Palestine, Angola, Venezuela, and many other places: much of the military and political doctrine that shaped the postcolonial Third World was disseminated from Algeria. The book’s subtitle, “Algeria, Decolonization, and the Third World Order”, reflects one my key arguments: that the transnational, subversive nature of anti-colonial internationalism transformed into the surprisingly conservative state-centric postcolonial order. That is, »Third Worldism” evolved from a form of transnational resistance that undermined the authority of the colonial state into a very regimented and orderly diplomatic process that reinforced the authority of the postcolonial state. In other words, the state-centric nature of decolonization was a surprisingly conservative and restrictive outcome given the radical tenor of anti-colonial politics.

You have analysed FLN documents that have been hardly used by historians before. What did you discover?

In terms of research, my major breakthrough was to gain access to the archives of not only the Algerian FLN (1954-1962) but also those of the Algerian state after independence—including the archives of the Algerian foreign ministry, the presidency, and the FLN party post-1962. Because of Algeria’s dynamism in international affairs in that era, this new evidence sheds new light on the postcolonial history of Africa, the Arab world, and the Third World movement as a whole. These archives contain detailed records of the Algerians’ interactions with countries like Egypt, Ghana, Guinea, Tanzania, Yugoslavia, China, and Cuba, among others. For example, insights that surprised me include Frantz Fanon’s urging Patrice Lumumba not to confront the Americans and his condemnation of Kwame Nkrumah for encouraging the Congolese prime minister’s suicidal course of action; the deliberately aggressive nature of non-alignment as conducted by countries like Algeria, Mali, and Indonesia, who confided to one another that they feared a reduction in Cold War tensions; the way that such countries actually saw American-French and Sino-Soviet competition as much more important to the Third World than American-Soviet competition; the rivalry between concepts such as Pan-Africanism, Maghreb unity, and Arab nationalism; and the intense diplomacy that surrounded the Algerian coup d’etat in June 1965, which deposed Ahmed Ben Bella.

Your book focused on the concept of ’Third World'. How would explain the evolution of its meaning?

For too long, the study of Bandung, Afro-Asianism, Non-Alignment, and Third Worldism has focused on rhetoric and inspirational speeches, obscuring the fact that these were geopolitical initiatives instigated by statesmen. The atmospherics and imaginaries of Third Worldism are certainly very important, but we must not forget that the participants in these events desired very much to progress beyond atmospherics in order to achieve profound transformations in global political and economic structures. Therefore, from a historian’s perspective, one of the really valuable aspects of Algeria’s involvement in the “Third World project” was that the country’s own diplomats spoke of the need to translate the rhetoric of Bandung into a realistic, practicable foreign policy. My book describes their surprisingly successful efforts to do so.

Indeed, in many respects, the “Third World project” is actually more relevant to today’s world than it has been for several decades. Third Worldism’s continued and growing relevance is evident in African opposition to Gaddafi’s overthrow, Latin American support for Iran’s nuclear program, state collapse and the resultant migration crises, as well as recent breakthroughs in global climate negotiations. Ultimately, the “postcolonial world” is the entire world. It is a matter of urgency that we learn the history of the so-called “periphery” in order to understand our collective future.

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